Espérant avoir l'occasion de vous envoyer cette lettre par l'entremise de Miss FF. je puis écrire librement. Disposez-vous de quelque moyen pour m'envoyer jusqu'à une cinquantaine de livres pour secourir les Zéïtounlis à Sultanieh ?
Le gouvernement les y laisse mourir de faim. Au commencement on leur donnait des rations de pain; puis 150 dirhems de farine par tête et par jour, (les enfants au-dessous de cinq ans étaient exclus] plus tard on réduisit la ration à cent dirhems. Et, il y a maintenant quatre semaines que cette distribution a entièrement cessé. On ne permet pas aux déportés de s'éloigner du camp pour chercher du travail; ils ne peuvent que chercher des racines et des herbes dans les champs et cela a occasionné plusieurs cas d'empoisonnement. Les exilés de Koniah, au nombre de 107, à qui on envoie de l'argent et des vivres de chez eux, ouvrirent une souscription entr’eux et recueillirent 1.400 piastres par semaine pour fournir du pain aux affamés.
J'ai envoyé des offrandes personnelles de nos amis et de nous-mêmes de 5 à 6 livres par semaines ; mais ces ressources s'épuisent. Dans la suite Mr. GG., que le Dr. EE. connaît, a été gracié par le vali et il est revenu ici. Il s'était mis à la tête des exilés pour essayer de se procurer des vivres pour les Zéïtounlis.
Je suis allé le voir, pour avoir des informations exactes sur leur situation. Leur nombre est de plus de 7.000, dont 2.000 y ont été envoyés sans passer par Koniah, de sorte que j'ignorai leur déportation. Les faits que j'ai cités sur la suppression de toute distribution de vivres sont exacts. Un bimbachi (un chef de bataillon) albanais, qui y' était allé en service militaire, avait été très ému de ce qu'il avait vu et il avait envoyé un télégramme énergique pour demander la distribution de rations aux familles des hommes (environ 300), qui après avoir été envoyés à Sultanieh, étaient incorporés dans les régiments de travail. Il en avait le droit en sa qualité d'officier et sa demande fut acceptée par le Ministère de la Guerre. Ceci permettait de secourir environ 1.600 personnes, en laissant cependant 6.000 sans aucune nourriture. Le nombre des morts, jusqu'à la semaine dernière, était de 305. Le Dr. Stépanian de Baghtchédjik s'est distingué par son dévouement pour les pauvres. Il m'affirma avoir déjà constaté des cas de mort d'inanition.
Les déportés sont principalement logés dans des écuries de chameaux et d'autres locaux analogues. C'est une région importante de chameaux ; le gouvernement y en a réquisitionné 4.000. Les bestiaux et les bêtes de somme des Zéïtounlis ont été en grande partie réquisitionnés en route par le gouvernement. Ce qu'ils réussirent à cacher et à emporter avec eux a été mis sous réquisition, mais pas pris. Et dans l'entre-temps, il est défendu aux propriétaires de les vendre et d'en faire usage ; ils sont forcés néanmoins de les nourrir parce que le gouvernement les tient responsables de les lui livrer en temps voulu. J'avais entendu parler déjà des raffinements de cruauté diabolique, mais, j'ai vu des cas cette année qui m'ont brûlé le cœur.
Le but manifeste d'anéantir ce peuple par la faim ne peut pas être nié.
J'apprends que ce sont les exilés d'Ak-Chéhir et de Baghtchédjik lesquels se trouvent également à Sultanieh qui se sont montrés plus généreux que ceux de Koniah, en se privant, pour donner, de leurs propres ressources. Le Kaïmakam a été très bon, donnant de sa modeste bourse et encourageant les efforts des autres, en dépit de l'attitude des fonctionnaires de Koniah. Le Dr. Stépanian de Baghtchédjik, que vous connaissez peut-être, fait partie de la commission qui s'y est formée pour la distribution des secours qu'on peut lui envoyer. Pourriez-vous trouver et mettre quelque argent à ma disposition, de manière à ce que je puisse envoyer dix livres par semaine ?
Avec cela nous pourrions trouver d'autres sources ici pour donner 10 paras (cinq centimes) par tête. Certes c'est bien peu, mais ne pouvons-nous pas faire quelque chose?