Angora. Rapport d'un voyageur, (pas de nationalité arménienne), qui passa par Angora au mois d'août 1915.

Tandis que l'on déportait les Arméniens de Sivas et des autres provinces arméniennes, le bruit courait que les déportations seraient limitées aux sept vilayets dans lesquels les réformes devaient être exécutées. Comme en 1894-95, la promesse de réformes était suivie de massacres, et cela dans presque tout l'Empire Ottoman.

Le vali d'Angora, un véritable brave homme refusa d'exécuter l'ordre de Constantinople de déporter les Arméniens d'Angora ; le commandant des forces militaires du vilayet et le chef de la police furent d'accord avec le vali et l'appuyèrent. Les notables Turcs d'Angora, y compris les chefs religieux étaient tous dans les mêmes dispositions. Ils savaient que les chrétiens de la ville étaient tous de loyaux et d'utiles sujets de l'Empire.

Les Arméniens d'ici étaient principalement des catholiques et fidèles au Gouvernement Turc. Ils n'avaient aucune sympathie pour les aspirations nationales. Ils refusaient même d'être appelés Arméniens ; on les appelait simplement : « La Section catholique » et les autorités les considéraient comme tels. Il y en avait de 15.000 à 30.000, et ils étaient à la tête du commerce et des affaires. Ils étaient plus policés que les autres Arméniens. Ils parlaient le turc et l'écrivaient en caractères arméniens.

Il y avait aussi deux cents à quatre cents familles appartenant à l'Eglise Nationale Grégorienne et qui étaient venues des différentes parties de l'Empire s'établir à Angora.

On perquisitionna dans les maisons arméniennes et les boutiques pendant le mois de juillet 1915 et on n'y trouva ni armes, ni documents compromettants. Mais les autorités centrales de Constantinople avaient décrété leur extermination, et comme le vali refusait d'obéir, lui et le chef de la Police furent tous deux destitués. Leurs successeurs se firent les instruments du Gouvernement pour l'exécution des ordres, et ils réussirent à déporter tous les Arméniens d'Angora.

Comme dans les autres villes, ce fut d'abord un certain nombre de notables qui furent arrêtés, y compris des catholiques ; ceci se passait vers la fin de juillet 1915 : les catholiques furent peu après relâchés ; ceux qui restèrent en prison, furent horriblement torturés. On obligea ensuite tous les Arméniens de toute confession de faire enregistrer leurs noms au bureau de police, en y comprenant les femmes et les enfants, sans aucune exception. Pendant plusieurs jours, il y eut une foule dans les stations de police, et aussitôt que la liste fut complète, on commença les déportations. Ce fut dans la seconde semaine d'août. Les hommes étaient conduits à la prison et dépouillés de tous leurs objets do valeur : montres, bourses, bagues, etc.. On leur disait que ces objets seraient confiés au Gouvernement et qu'ils les retrouveraient à leurs lieux de destination. Un témoin oculaire, faisant une visite au chef de la police, vit son bureau rempli de plusieurs piles de ces objets pris aux Arméniens.

Puis ils furent expédiés dans trois directions principales. — les uns le long de la grande route qui mène à Césarée de Yozgad, — d'autres dans la direction de Songourlou, et d'autres vers l'ouest. Des rapports arrivaient de tous les côtés annonçant que les déportés étaient tués à quelques milles de distance de la ville. Pour l'un des convois, les hommes furent fusillés, mais les Turcs pratiquèrent l'économie dans les autres cas et tuèrent leurs victimes à coups de hache et de poignard. Quelques-uns de ces assassins s'en vantèrent ouvertement dans les cafés, donnant des détails sur leurs exploits et le nombre de leurs victimes. Un Albanais déclara qu'il avait tué 50 hommes. Des villageois de Kilidjlar, sur la route de Songourlou, racontèrent confidentiellement à plusieurs personnes que le sol dans le voisinage était saturé de sang.

Ce furent principalement les Arméniens avec quelques protestants qui furent arrêtés et déportés les premiers. A la mi-août, ils avaient été tous déportés. C'étaient tous des hommes ; les femmes paraissaient avoir été épargnées. En certains cas le Gouvernement commença à donner de l'argent pour les pauvres ; mais les scènes qui se passaient au bureau du chef de la police et à l'entrée de la prison étaient à briser le cœur. Il y avait des femmes et des enfants pour s'enquérir de ceux qui leur étaient chers, leurs maris, leurs fils, leurs pères, leurs amis. Les seules réponses reçues étaient des vagues assurances qu'ils étaient tous en sûreté. On leur disait que quelques-uns étaient déjà en route pour leur destination et que d'autres partiraient bientôt. Que ceci n'était qu'une mesure de guerre, une mesure provisoire ; qu'aussitôt la guerre finie, ils retourneraient tous chez eux et que toutes les femmes qui désireraient suivre leurs maris ou leurs parents seraient autorisées à les rejoindre.

Après les départs des Grégoriens (y compris quelques protestants), vers la mi-août, le bruit courut que les catholiques et des protestants seraient exemptés de la déportation. La promesse fut tenue dans quelques cas, par exemple, à Istanos qui est un village près d'Angora, à environ 20 milles de la ville. Tous les Arméniens d'Istanos furent amenés enchaînés à Angora. Puis conformément à l'ordre d'exemption, les protestants furent mis en liberté et autorisés à retourner chez eux, tandis que tous les grégoriens furent déportés.

Quant aux catholiques, les chefs du parti « Union et Progrès » envoyèrent un message à l'Evêque et à sou Conseil, leur déclarant que si toute la communauté catholique, avec l'Evêque et les prêtres à sa tête acceptaient de se convertir à l'islamisme, ils seraient tous épargnés ; que sinon l'ordre serait exécuté. Ceci est un fait vérifié. Mais ils préférèrent lester fermement fidèles à leur foi et ils rejetèrent la proposition du Comité.

En conséquence, le dernier vendredi d'août 1915, tous les hommes de la confession catholique furent arrêtés. D'après un premier rapport, ils fuient égorgés à une petite distance d'Angora, mais un deuxième rapport dit que lorsque les mesures pour le massacre furent prêtes, un ordre arriva par un messager spécial de Constantinople intimant de déporter les catholiques en sûreté. Ils furent en conséquence conduits à Koniah et de là au district d'Adana.

Cette dernière version peut être vraie car il est certain que le Nonce du Pape à Constantinople et l'Ambassadeur d'Autriche prirent énergiquement le parti des catholiques auprès du Gouvernement Turc et on prétend qu'ils obtinrent la promesse d'une exemption pour les catholiques d'Enver et de Talaat. Mais quoi qu'il en soit, on ne peut préférer l'une à l'autre entre une mort immédiate et une mort plus lente, car la déportation n'est rien d'autre qu'une exécution à long terme.

Le jour même où les catholiques furent expédiés, toutes les femmes arméniennes d'Angora furent dirigées en hâte à la station du chemin de fer. On leur dit de se dépêcher afin d'arriver à temps et y rejoindre leurs maris. On leur permettrait de prendre tous objets de valeur avec elles. Aussitôt que ces pauvres créatures atteignirent la station, elles furent enfermées comme des bestiaux sous les hangars, les magasins et les granges de la gare. Les scènes en ville et à la station défient toute description. Tous les hommes étaient partis, — nul ne savaient où, — et maintenant les autres, les femmes et les enfants étaient laissés dans l'angoisse et l'affliction, dans la douleur et le désespoir, en compagnie de soldats turcs.

Toutes les femmes et les enfants qui acceptaient l'islamisme étaient ramenés en ville et donnés aux notables turcs. Celles qui refusaient étaient déportées en Syrie et en Mésopotamie. Leur sort a dû être le même que celui des autres malheureux des autres régions de l'Empire.

Quelques familles protestantes ne furent pas inquiétées dans la ville. Le pasteur protestant lut déporté et on ne sait rien de son sort.

Beaucoup d'enfants furent circoncis et placés dans des soi-disants orphelinats.

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