Alep. - Une série de rapports d'un résident étranger d'Alep, communiqués par le Comité Américain de Secours aux Arméniens et aux Syriens.

 

(a.) Rapport daté du 12 mai 1915.

Entre 4.300 et 4.500 familles, soit environ 28.000 âmes, sont déportées en ce moment par ordre du gouvernement, des districts de Zeïtoun et de Marach, pour des destinations éloignées, où elles ne connaissent personne. Des milliers ont déjà été envoyées vers le nord-ouest, dans les provinces de Koniah, Césarée, Castamouni, etc., tandis que d'autres ont été emmenées dans la direction du sud-est, jusqu'à Deïr-el-Zor et, d'après certains rapports, jusqu'au voisinage de Bagdad. Un voyageur, venant de Constantinople, dit qu'il rencontra environ 4.500 malheureux dirigés vers Koniah. Les Arméniens eux-mêmes disent qu'ils eussent préféré de beaucoup un massacre.

(b.) Rapport daté du 3 août 1915.

Le plan primitif d'enlèvement et de massacre a été quelque peu modifié en ce sens que les hommes et les garçons ont été déportés de leurs maisons en grand nombre, et on les fit disparaître une fois en route; ensuite on entreprit la déportation des femmes et des petits enfants. Pendant quelque temps les voyageurs venant de l'intérieur répandirent le bruit de massacres de tous les mâles, racontant qu'on rencontrait des cadavres le long des routes, ou flottant sur les eaux de l'Euphrate ; on parlait de la livraison aux Kurdes, par les gendarmes qui accompagnaient les convois, d'enfants et de femmes et de toutes les personnes les plus jeunes des convois ; d'inimaginables violences commises par les gendarmes et les Kurdes et du meurtre d'un grand nombre de ces victimes.

Dans les premiers temps, on n'ajoutait pas grande foi à tous ces récits; mais comme beaucoup de réfugiés arrivent maintenant à Alep, il n'y a plus aucun doute à ce sujet. Le 2 août, environ 800 femmes d'âge mûr, ou vieilles, avec des enfants de moins de dix ans, arrivèrent à pied à Diarbékir, après 45 jours de voyage, dans l'état le plus pitoyable. Elles racontèrent que toutes les jeunes filles et les jeunes femmes avaient été enlevées par les Kurdes, qui dérobaient, en outre, tout, jusqu'à la dernière petite pièce de monnaie. Elles firent le récit de toutes les horreurs commises, des morts par la faim, des inimaginables souffrances infligées. Leur état affirmait et corroborait leurs récits.

Je suis informé de l'envoi de 4.500 personnes de Sughurt1 à Ras-ul-Aïn ; de plus de 2.000 de Mezré à Diarbékir. En même temps, j'ai su que toutes les villes de Bitlis, Mardin, Mossoul, Suverek2, Malatia, Besné, etc. etc., avaient été dépeuplées, — tous les Arméniens qui y vivaient, hommes et garçons, ayant été tués, ainsi qu'un assez grand nombre de femmes, et le reste ayant été dispersé à travers le pays. Si ces informations sont exactes, comme tout porte à le croire, cette dernière partie est aussi destinée à périr de fatigue et de faim, de soif ou de maladie.

Le gouverneur de Deïr-el-Zor, sur l'Euphrate, et qui est actuellement à Alep, a dit que 15.000 réfugiés arméniens se trouvent dans cette ville. Les enfants sont le plus souvent vendus pour ne pas les laisser mourir de faim, puisque le gouvernement ne fournit pratiquement pas de vivres.

La statistique suivante donne les nombres de familles ou de personnes arrivées à Alep, avec les lieux de leur provenance, et le nombre de celles envoyées au-delà jusqu'au 30 juillet inclusivement :

tableau statistique

Il faudrait y ajouter 2.100 personnes arrivées depuis.

Actuellement il est ordonné de déporter tous les Arméniens des villes de Mardin, Aïntab, Bitlis, Antioche, Alexandrette, Kessab et d'autres localités plus petites de la province d'Alep. Toute cette population est évaluée à 60.000 âmes. Il est tout logique de penser que cette population aura le même sort que les déportés précédents et dont l'horreur a été exposée.

Le résultat de ces mesures est que la contrée entière est ruinée, puisque tout le commerce à l'intérieur est pour 90% entre les mains des Arméniens ; d'autre part, la plus grande partie des affaires se faisant à crédit, des centaines de maisons de commerce, en dehors même des maisons arméniennes, sont menacées de faillite. Il ne restera pas un seul tanneur, mouleur, forgeron, tailleur, charpentier, potier, cordonnier, tisserand, joaillier, pharmacien, médecin, avocat, négociant, etc., dans les villes évacuées et la contrée entière va pratiquement se trouver dans une situation désespérée.

Les importants établissements américains, institutions religieuses et d'éducation, sont en train de perdre tous leurs maîtres, leurs professeurs, leurs surveillants et leurs élèves ; si ces écoles et ces orphelinats perdent encore les centaines d'enfants qui y sont restés, quelle ruine et quelles pertes, après 50 années d'efforts et de sacrifices en ces régions ! Des fonctionnaires du gouvernement, d'un air moqueur, ont demandé ce que les Américains comptaient faire de leurs établissements, maintenant qu'on s'est débarrassé des Arméniens.

La situation devient plus critique chaque jour et on ne saurait dire quand cet état de choses prendra fin. Les Allemands doivent être très sévèrement blâmés, car s'ils n'ont pas directement ordonné les massacres, qui ne visent à rien moins qu'à l'extermination de la race arménienne, ils les ont tout au moins laissé faire avec indulgence.

 

(c) Rapport daté du 19 août 1915.

La ville d'Aïntab est en train de se vider entièrement d'Arméniens ; plusieurs milliers d'entr'eux ont déjà passé par Alep, allant vers le sud. Les gendarmes qui les accompagnaient ne firent rien pour les protéger contre les attaques. La Communauté arménienne d'Aïntab est la plus riche de cette partie de l'Empire. Tout ce qu'ils possédaient et leurs meubles furent laissés par eux à la merci des premiers pillards venus ; la plupart des négociants de la ville étant arméniens, leurs marchandises disparaissent de même. C'est un projet gigantesque de pillage, en même temps qu'un coup final pour anéantir la race.

Depuis le 1er août, le chemin de fer allemand de Bagdad a amené neuf trains de ces pauvres gens à Alep. Chaque train composé de 15 wagons, contenant de 35 à 40 personnes. En outre, il en est venu des milliers à pied.

Depuis le 1er août, 20.000 déportés sont arrivés jusqu'à présent à Alep. Les trains étaient pour la plupart dirigés sur la ligne Damas-Hama et envoyés vers le sud pour disperser leur chargement humain parmi les Arabes et les Druses, tandis qu'un petit nombre d'entr'eux étaient autorisés à s'arrêter pendant quelque temps à Alep. Ils font tous des récits effroyables d'épreuves, d'abus, de pillages, de vols et d'atrocités commises en route ; et, à l'exception de ceux d'Aïntab, il n'y avait presque pas d'hommes, ni de filles âgées de plus de 10 ans parmi eux. Des voyageurs de l'intérieur m'ont raconté que les sentiers battus sont couverts des cadavres des victimes. Entre Ourfa et Arab-Pounar, une distance d'environ 25 milles, ils virent plus de 500 corps non enterrés le long de la route.

Le 17 courant, un ordre vint du Ministre de l'Intérieur, permettant aux Arméniens protestants de rester là où ils se trouvaient et le 19 on reçut un autre ordre, disant que tous les Arméniens, sans distinction aucune, devaient être déportés.

Le gouvernement déporta un grand nombre de Syriens, de Catholiques, de Chaldéens et de Protestants de Mardin. Et il est à craindre que tous les chrétiens ne soient plus tard inclus dans cet ordre, et peut-être même les Juifs. Le mot d'ordre est : « La Turquie aux musulmans ». Des personnes prudentes estiment la perte totale d'existence jusqu'au 15 août, à plus de 500.000. Les territoires affectés comprennent les provinces de Van, Erzeroum, Bitlis, Diarbékir, Mamouret-el-Aziz, Angora et Sivas. En fait, les Arméniens de ces provinces ont déjà été exterminés. Il reste à achever l'œuvre à Alep et à Adana et le mouvement est ici en progrès rapide.

 

(d) Rapport daté du 8 février 1916.

Je transmets ci-joint copie d'un rapport reçu d'une source autorisée sur le nombre des Arméniens immigrés dans la région comprise entre ici et Damas et dans la contrée environnante, ainsi que le long de l'Euphrate jusqu'à Deïr-el-Zor ; ce nombre s'élève à 500.000 âmes environ. En ce qui concerne les secours envoyés par Mr. N. pour ces gens, il est bon de prévenir que la somme de 500 livres turques par semaine est entièrement insuffisante, même pour en secourir une petite partie. En fait, comme on ne peut pas vivre à moins de a piastres (or) par jour, il faudrait 10.000 livres turques (environ 225.000 francs) par jour pour empêcher de mourir ceux qui sont en bonne santé, sans parler des malades.

Voici les statistiques des immigrants arméniens, d'après les meilleures informations, jusqu'au 3 février 1916 :

Damas jusqu'à Maan, plus de : 100.000

Hamas et les villages environnants : 12.000

Homs et les villages environnants  : 20.000

Alep, et les villages environnants : 7.000

Maara et les villages environnants : 4.000

Bab et les villages environnants : 8.000

Moumbidj et les villages environnants : 5.000

Ras-ul-Aïn et les villages environnants : 20.000

Rakka et les villages environnants : 10.000

Deïr-el-Zor et les villages environnants : 300.000

Total : 486.000


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1) Séert ?

2) Sécérek.