(a) Télégramme d'Etchmiadzine, 12 août 1915.
Sur la route d'Igdir à Etchmiadzine (30 kil.environ) sont entassés des groupes de réfugiés malades et sans secours. Ils y sont maintenant depuis plusieurs jours exposés au plein soleil, bien qu'ils aient des papiers leur permettant d'aller à Etchmiadzine. Il serait urgent d'avoir des gens spéciaux s'occupant de diriger et d'amener ces fugitifs.
(b) Télégramme du 13 août 1915.
De la frontière turque à Igdir (première localité russe), tout le pays est entièrement rempli de réfugiés. Plus loin, d'Igdir à Etchmiadzine, tous les jardins et toutes les vignes sont remplis d'Arméniens fugilifs. A Igdir, première station d'arrivée, sont agglomérés 20.000 réfugiés ; à Etchmiadzine 45.000 ; de ces deux centres ils se dispersent par bandes en d'autres régions. A Etchmiadzine, l'on a installé l'hôpital, bains et hospice pour les orphelins. D'Igdir à la frontière turque, des cavaliers vont à la recherche des enfants et des malades dispersés et procèdent à la relève des cadavres. Il arrive environ 50 orphelins par jour à Igdir ; on en garde une partie ici les autres sont envoyés à Etchmiadzine.
Les réfugiés de Van et delà contrée environnante ont fait tout le trajet à pied. La plupart d'entre eux sont malades et affamés, n'ayant rien pu emporter au moment du départ. Au cours du trajet ils n'ont pas été attaqués, si ce n'est à Perghri-Kalé, où une bande de Kurdes a coupé le cortège des réfugiés sans défense, laissant ainsi derrière la première colonne environ 20.000 personnes dont on ignore le sort. Par suite de la famine et de la fatigue, nombre de réfugiés ont succombé ou ont été atteints de maladie, entre autres de dysenterie.
Le flot des réfugiés étant incessant, il est impossible de déterminer exactement leur nombre. A Igdir, avec l'assistance d'Aram, ci-devant gouverneur de la province de Van, et d'autres représentants des réfugiés, nous avons fixé leur chiffre approximatif comme suit :
Région de Van : 203.000, Malazguert : 60.000, non compris ceux qui étaient arrivés auparavant. La moyenne des décès s'élève, à Igdir à 15 par jour, à Etchmiadzine à 40.
Le soin de tous les réfugiés incombe aux organisations arméniennes et principalement au « Comité de secours fraternel » d'Etchmiadzine et au « Comité national ». Les secours ne sont point proportionnés à une telle misère. Les réfugiés ont besoin de nourriture, de soins médicaux, de vêtements, surtout de linge, de chaussures. Ils manquent de cuisines portatives, de tentes et de chars. Pour enrayer les maladies contagieuses, il est indispensable d'installer des stations sanitaires dans les villages.
(c) Télégramme d'Etchmiadzine, même date.
Des centaines de milliers de réfugiés arrivent de l'Arménie turque à Etchmiadzine ; on ne voit pas la fin de ces colonnes serrées qui se meuvent dans un nuage de poussière. La plupart sont des femmes et des enfants, pieds-nus, épuisés et affamés. Leurs récits des sauvageries des Turcs et des Kurdes expriment d'indescriptibles terreurs. La panique qui a causé la fuite de ces malheureux s'est produite subitement ; des parents ont perdu leurs enfants et inversement. Un grand nombre d'enfants sans parents, manquant de nourriture, épuisés, n'ont pu continuer à marcher et sont morts en route. D'autres ont été recueillis. Il y a ainsi à Igdir et à Etchmiadzine environ 5oo de ces petits privés des caresses maternelles. Nous adressons un appel pressant à nos dames arméniennes pour venir au secours de ces petits abandonnés.
(d) Télégramme d'Erivan, 21 août 1915 :
Le courant des fugitifs continue, mais moins intensivement à l'heure qu'il est ; plus de 35.000 réfugiés sont concentrés à Etchmiadzine et 20.000 à Erivan. Malgré le zèle dont sont animés le Comité de secours d'Etchmiadzine sous la présidence du prélat Bagrad et les comités nationaux de Tiflis et de Moscou avec leurs nombreux comités auxiliaires, la situation est extraordinairement douloureuse ; il n'y a pas de pain en quantité suffisante, ni nourriture chaude, ni secours médicaux. La majeure partie des réfugiés sont malades. A Etchmiadzine et à Erivan sont installés quelques hôpitaux où se trouvent environ 1.000 malades, cependant nombre de réfugiés gravement atteints sont couchés sous les murs, dans les cours et même dans les rues. Ils souffrent de la dysenterie. Le nombre des décès est énorme : avant-hier l’on a enterré 103 personnes et hier 80 à Etchmiadzine.
Au lycée d'Etchmiadzine sont empilés 3.500 enfants dont les parents ont disparu. Ils couchent sur le plancher. Hier soir, j'ai visité le bâtiment ; j'ai compté dans la grande salle 110 bébés couchés sur le plancher et absolument nus ; quelques-uns dormaient, d'autres pleuraient : l'impression était si poignante que l'on ne pouvait retenir ses larmes. Incapable de supporter ce terrible spectacle, je me suis éloigné de cet enfer. Dans la cour une scène non moins pénible m'attendait : sous les arbres, les murs, dans les coins, partout gisaient les réfugiés. On entendait les cris de douleur des malades ; ci et là, on voyait des cadavres. Devant la porte du couvent, j'ai trouvé les corps inanimés de trois enfants. Les dames de Vagharchabad et d'autres régions cousent des vêtements et préparent le nécessaire pour la literie, mais ces secours sont insuffisants. Le professeur Kichkine, représentant de la Société Homo-Husse vient d'arriver de Moscou pour se rendre compte de la situation des réfugiés et organiser les secours possibles. Il nous a dit qu'au delà d'Erivan un poste d'approvisionnement avait été établi à Arkhta1, où les réfugiés reçoivent du pain sec et encore il n'y en a pas pour tous. Partout où les réfugiés s'arrêtent, il y a des malades, mais point de secours médicaux. Le professeur Kichkine a donné les ordres nécessaires pour installer immédiatement, d'Etchmiadzine à Aghstafa des postes sanitaires avec approvisionnements et demandé au siège central, à Moscou, des médecins, des cuisines portatives, des vêtements et du linge etc...
1) Nijni Akhti ?