Réponse au Mémoire
de la Sublime Porte


Cette publication d'origine arménienne constitue une réponse au mémoire publié par le gouvernement turc en date du 12 février 1919 afin de chercher à se disculper aux yeux des Puissances Alliées du crime dont on l'accusait à l'égard des populations arméniennes vivant sur le territoire de l'Empire Ottoman. Nous en livrons quelques trop brefs extraits.

dessin satiriqueA propos des accusations contre les Arméniens

Dans les mémoires remis précédemment, le Gouvernement Turc a essayé toujours, soit en représentant des actes de légitime défense comme des actes de révolte, soit en dénaturant les protestations contre les vexations commises, de discréditer les Arméniens dans l'opinion publique européenne.

La Sublime Porte est coutumière des fausses accusations. Elle ne redoute pas d'affronter parfois le ridicule, comme ce fut le cas dans sa note à propos des massacres de Sassoun, en 1894, où les Arméniens étaient officiellement accusés d'avoir eux-mêmes brûlé leurs propres églises et villages pour créer des difficultés à la Turquie.

La Commission d'Enquête européenne, après s'être rendue sur les lieux, qualifia cette imposture «d'accusation en soi». (...).

Depuis la dernière moitié du XlX ème siècle, les Turcs ne se sont plus bornés aux massacres et aux conversions forcées, pour maintenir leur domination en Arménie en ruinant le pays et en décimant sa population.

Une falsification de la démographie

Pour faire apparaître la population arménienne comme minoritaire, le gouvernement turc, utilisa le procédé suivant :

- diviser les régions où la majorité appartient aux Arméniens, en différentes parties ;

- rattacher ces parties à des régions se trouvant hors de l'Arménie et n'ayant, parmi leur population qu'un élément arménien très réduit.

Ainsi, avant que la question arménienne ne fût entrée dans le domaine des préoccupations européennes, le Gouvernement Turc administrait la plus grande partie de l'Arménie turque, qui comprenait alors les territoires de Kars et d'Ardahan, sous la même répartition administrative, formant une seule province ou Vilayet d'Erzeroum ou d'Erménistan (Arménie). Malgré tous les efforts des Turcs, la majorité de la population y était arménienne.

Dans la suite, on divisa, pour les besoins de la cause, cette province, à l'aspect arménien si caractérisé, en diverses parties ou vilayets, auxquelles furent ajoutées des parties des pays limitrophes où l'élément arménien n'était pas important. Par exemple, au vilayet de Van on ajouta les régions de Hekkiari ; au vilayet de Diarbékir des parties de la Mésopotamie, etc. Dans la Cilicie, on suivit le même procédé en rattachant des parties de la Cilicie au vilayet d'Alep, qui faisait partie intégrante de la Syrie, et en joignant à la partie occidentale de la Cilicie, ou vilayet d'Adana, le sandjak d'ItchIli.

L'action des Turcs

Les Turcs, faisant preuve d'une férocité dont on chercherait vainement l'exemple dans l'histoire de l'humanité et même dans les annales de l'histoire ottomane, si chargée pourtant sous ce rapport, ont massacré, de 1915 à 1916, plus d'un million d'Arméniens paisibles, sans épargner, dans leur délire sanguinaire, les femmes, ni les vieillards, ni les enfants à la mamelle.

Ils pillèrent, en outre, tous les biens, meubles et immeubles de leurs victimes.

Les témoins de ce crime de lèse-humanité sont légion ; ils se rencontrent dans toutes les classes de la société : Européens, intègres et désintéressés, diplomates, missionnaires, voyageurs, officiers ; enfin il faut tenir compte du témoignage des victimes elles-mêmes, échappées à l'hécatombe. Parmi ces témoins, à côté de noms comme celui de l'éminent ambassadeur des Etats-Unis Morgenthau, on en rencontre d'imprévus tels que ceux du Dr Lepsius et de M. Stuermer, des Allemands dont la conscience tint à se dégager de la part de responsabilité qui leur incombait en qualité d'Allemands alliés aux Turcs.

Les témoignages turcs, eux-mêmes, ne manquent pas. Il est facile de s'en assurer par la lecture des comptes rendus des séances de la Cour martiale chargée de juger les affaires de déportation. Il y est dévoilé que les «panislamistes» et les «panturquistes» avaient mis sur pied toute une organisation : le Techkilat-i-Mahsoussé, pour mettre fin à la question arménienne, en exterminant les Arméniens, et se débarrassant ainsi de la barrière que ceux-ci formaient en Orient.

C'était le premier pas dans la réalisation de ce grand empire de l'Islam, dont les limites eussent atteint les Indes, les frontières de la Sibérie, la Russie centrale en Orient, et les rivages de l'Atlantique, en passant par l'Egypte, en Occident.

Illustration 1909 Hay Endanik 1985, p 145