Emilie Carlier, épouse d'un consul de France, a tenu, au cœur de la crise de 1895, un journal qui figure parmi les premiers grands témoignages reçus en Occident.
3 octobre - Maurice, sorti ce matin, est rentré très soucieux. Je n'ai pu lui arracher un mot, puis soudain en déjeunant : «Ma petite, écoute la consigne : tu pars demain avec Jean. Ah, bah !.. et pourquoi ? -Parce que l'on va se battre et que, si je dois ma peau au gouvernement, je ne lui dois pas celle de ma femme et de mon Jean-Jean.»
4 octobre - ça approche. On s'est tué aux environs, dans les villages. Aussi, je presse Maurice d'organiser sans retard notre défense.
5 novembre - Les détails qui nous arrivent prouvent que ce ne sont pas les Arméniens qui se soulèvent, mais bien les Musulmans qui assassinent et pillent.
Karahissar, Zara, Divreghi sont en flammes. On y a tout massacré, sauf quelques centaines de très jeunes enfants, laissés là au milieu des ruines. Ils vont mourir de faim, si les fauves ne les ont pas déjà dévorés. Malheureusement nous ne pouvons envoyer personne là-bas.
Les détails qui nous arrivent prouvent que ce ne sont pas les Arméniens qui se soulèvent, mais bien les Musulmans qui assassinent et pillent
Nous faisons au bazar de grandes provisions, car, s'il y a pillage, comme presque toutes les boutiques sont arméniennes, il ne restera rien. La situation devient inquiétante. Chaque nuit, nous nous attendons à être surpris par la fusillade, aussi nous ne dormons pas. (...)
7 novembre - Je suis allée voir les Pères jésuites (...) et les sœurs qui demeurent dans un quartier très éloigné, de l'autre côté du konak du vali, au-delà du quartier musulman (les deux missions d'ailleurs assez loin d'une de l'autre). Je leur ai dit que Maurice les engageait à faire des provisions et à s'armer...
Maurice signale à Constantinople que ça va mal. Heureusement que nous avons le télégraphe !
Par un des employés, on a su que le consul de Diarbekir, M. Meyrier, fait passer de très mauvaises nouvelles, mais mon mari garde sa bonne humeur.
10 novembre - J'apprends par hasard que les massacres sont commencés à Erzeroum. Maurice ne voulait pas me le dire. J'ai peur surtout de ce qu'il me cache...