Au bout d'un si long chemin, le camps Oddo

Pour les Marseillais et pour bien des commentateurs, le Camp fut un objet d'inquiétude et cristallisa chez certains la peur de l'autre, de «l'envahisseur»... Un journaliste de grand talent comme Albert Londres, succomba lui aussi à cette fascination qui tenait à la fois de l'ad-miration et de l'hostilité. Il écrivait ainsi :

«L'Arménien, dit-on, est un habitant de l'Arménie. J'avais appris cela dans le temps. Et je l'avais cru. Quand on est jeune, on n 'a rien vu, alors les grandes personnes en profitent pour vous tromper. Eh bien ! je ne suis pas fâché d'avoir vécu jusqu 'à ce jour pour constater à quel point mes éducateurs étaient allés dans la fantaisie. L'Arménien est un habitant de Marseille, ni plus ni moins. Et le camp Oddo est son coin dans le royaume des épaves.

arméniennes(...) Echappés de Smyrne, de Constantinople, de Batoum, d'Adana, des Arméniens, toujours des Arméniens, encore des Arméniens, débarquèrent et débarquèrent à Marseille. Ils se formèrent d'abord en rangs serrés et s'en allèrent à la conquête des vieux quartiers. Puis ils marchèrent à l'assaut de la banlieue. Seulement, ils réfléchirent. Ils revinrent dans la ville. l'Arménien est une plante qui ne pousse qu'entre les pavés d'une cité. Le grand air ne lui vaut rien. ça l'enrhume. Alors les Arméniens s'emparèrent des squares, des allées, des places publiques et des montées d'escaliers. Quand tout cela fut occupé, il arriva encore deux mille sept cents Arméniens. Ils fouillèrent la ville. Plus rien n 'était libre, ni un banc, ni une bordure de trottoir, ni même un bassin, dont il est si facile de faire une demeure quand on en a chassé les eaux. Les deux mille sept cents Arméniens commencèrent à se fâcher. Heureusement, la municipalité comprit que l'heure était venue pour elle d'engager des négociations. Elle se présenta.

-Etrangers, dit-elle, salut a vous ! J'ai la tout près un grand terrain.

Arméniens- Allons le voir ! répondirent les Arméniens.

Le régiment se mit en marche. On arriva au camp Oddo. Une douzaine de vieilles baraques, anciennement militaires, s'offrit à la vue des fils d'Asie.

-ça va ! firent-ils. Maintenant, laissez-nous.

De cela, il y a trois ans. On les a bien laissés !

Ils sont par deux cents dans ces baraques.

Un chiffon sépare, seul, le box de chaque famille.

On y dort, la tête chez le locataire de droite, les pieds chez le locataire de gauche. On couche avec la fille du voisin croyant coucher avec sa femme.

-Oh ! là... Marseille, je te préviens, tu les as oubliés, mais ils seront le double bientôt, si tu les laisses faire - encore que je ne compte pas les jumeaux !... Il est vrai que le choléra n 'est peut-être pas très loin !»


Albert Londres, Marseille, porte du Sud

 

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