Annexes | ||||||||
|
1895 : Correspondances diplomatiques françaises relatives aux événements de Diarbekir
M. Meyrier, vice-consul de France à Diarbekir, à M. P. Cambon, ambassadeur de la République française à Constantinople. Diarbekir, 31 octobre 1895, Les Musulmans ont adressé au Sultan un télégramme de protestation contre les réformes dont copie a été remise au vali, et ils ont décidé, dit-on, si la réponse n'est pas satisfaite, de mettre immédiatement, c'est-à-dire demain vendredi, leurs projets de vengeance à exécution. Les Chrétiens sont dans une crainte extrême, ils ont fermé le marché hier de meilleure heure ; ils appréhendent de l'ouvrir aujourd'hui. Ils sont convaincus qu'une action énergique et immédiate de la part du Gouvernement peut seule les sauver. Malgré cela le vali m'a assuré hier soir qu'il ne craignait rien du côté des Musulmans, et que si les Chrétiens restaient tranquilles, il peut répondre de l'ordre dans tout le vilayet. La situation est très grave. Meyrier
M. Meyrier, vice-consul de France à Diarbekir, à M. P. Cambon, ambassadeur de la République française à Constantinople. Diarbekir, 2 novembre 1895, La ville est à feu et à sang. Meyrier
M. P. Cambon, ambassadeur de la République française à Constantinople, à M. Meyrier, vice-consul de France à Diarbekir. Péra, 2 novembre 1895, La protection du Consulat et de l'établissement catholique est-elle assurée par le vali ? Si elle ne l'est pas, faites réquisition énergique. Donnez à tous l'exemple du sang-froid. Sur la communication de vos précédents télégrammes, le Grand-Vizir avait promis de prendre des dispositions pour le maintien de l'ordre. En attendant l'arrivée des troupes, bornez-vous à assurer la sécurité de nos établissements et de nos nationaux et protégés. Faites-moi savoir d'urgence d'où est venue la première provocation. Les Arméniens seuls sont-ils menacés ? P. Cambon
M. P. Cambon, ambassadeur de la République française à Constantinople, à M. Meyrier, vice-consul de France à Diarbekir. Péra, 2 novembre 1895, Le Grand-Vizir prétend que le conflit est né d'une invasion des mosquées par les Arméniens. Est-ce vrai ? L'ordre a été donné par le Grand-Vizir au vali d'assurer votre protection et celle des Capucins. P. Cambon
M. Meyrier, vice-consul de France à Diarbekir, à M. P. Cambon, ambassadeur de la République française à Constantinople. Diarbekir, Depuis plusieurs jours les musulmans préparaient ce massacre, ils l'ont mis à exécution de leur plein gré et sans provocation. L'invasion de la mosquée par les Arméniens est de pure invention. Le massacre a duré toute la journée et ne semble pas près de finir. Meyrier
M. P. Cambon, ambassadeur de la République française à Constantinople, à M. Meyrier, vice-consul de France à Diarbekir. Péra, 2 novembre 1895, Je communique toutes vos dépêches au Grand-Vizir. Aussitôt que vous le pourrez, rendez-vous chez les Pères avec quelques zaptiés pour les rassurer. Continuez à me tenir au courant. P. Cambon
M. Meyrier, vice-consul de France à Diarbekir, à M. P. Cambon, ambassadeur de la République française à Constantinople. Diarbekir, 3 novembre 1895, Je vois de chez moi les soldats, zaptiés et kurdes en grand nombre, qui tirent sur les chrétiens. Meyrier
M. P. Cambon, ambassadeur de la République française à Constantinople, à M. Meyrier, vice-consul de France à Diarbekir. Péra, 4 novembre 1895, 2 heures du matin. Vous pouvez dire à votre vali que sa tête me répond de la vôtre. Je viens de le déclarer au Grand-Vizir. P. Cambon
M. P. Cambon, ambassadeur de la République française à Constantinople, à M. Meyrier, vice-consul de France à Diarbekir. Péra, 4 novembre 1895, Sur la communication de vos derniers télégrammes, le Grand-Vizir m'a affirmé cette nuit que les instructions données au vali étaient telles que votre sécurité et celle des religieux ne couraient aucun risque. Je suis bien heureux de vous savoir momentanément hors de danger. P. Cambon (Livre jaune. Ministère des Affaires étrangères. Documents diplomatiques. Affaires arméniennes. Projets de réformes dans l'Empire ottoman, 1893-1897. Paris, Imprimerie nationale, 1897.)
1896 : Les trois notes des grandes puissances sur les événements de ConstantinopleNote collective à la Sublime Porte, présentée le 27 août 1896 par le Premier Drogman de l'Ambassade d'Autriche-Hongrie au nom des Représentants des Grandes Puissances : Les événements sanglants dont la ville de Constantinople a été le théâtre dans la journée et la nuit d'hier, à la suite d'une tentative criminelle des révolutionnaires arméniens, ont mis en lumière avec la dernière évidence l'absence totale de sécurité et de mesures propres à maintenir l'ordre public dans la capitale. Alors que les troubles ont éclaté peu après midi, les premières mesures militaires n'ont été prises que vers les 6 heures du soir et encore les troupes sont-elles restées impassibles en face des excès auxquels se livraient des bandes de gens sans aveu qui, armés de gourdins et de couteaux, attaquaient et assommaient des passants absolument inoffensifs. La police, de son côté, loin d'empêcher la circulation de ces bandes, s'est associée dans plusieurs cas à leurs méfaits. Les Zaptiés, des soldats armés et même des officiers ont été vus pénétrant de force dans les maisons pour y chercher des Arméniens et envahissant des établissements étrangers dont plusieurs ont été complètement saccagés. Les Représentants des Grandes Puissances croient devoir appeler l'attention la plus sérieuse de la Sublime Porte sur les conséquences d'un tel état de choses qui touche à l'anarchie. Ils exigent que des mesures immédiates soient prises pour désarmer la populace, punir les coupables et renforcer les moyens d'action de l'autorité chargée du maintien de l'ordre. En priant la Sublime Porte de vouloir bien leur faire connaître sans délai les dispositions qui auront été adoptées conformément à ces demandes, les Représentants des Grandes Puissances formulent dès à présent toutes leurs réserves au sujet des dommages subis par leurs ressortissants du fait des récents désordres et de l'absence de protection dont la responsabilité incombe aux autorités locales.
Télégramme adressé le 28 août 1896, à midi, par les Représentants des Grandes Puissances, Les Représentants des Grandes Puissances, réunis pour conférer sur la situation, se croient en devoir de signaler à l'attention la plus sérieuse de Sa Majesté Impériale les nouvelles graves qui leur parviennent au sujet de la continuation des désordres dans la capitale et dans ses environs. Des bandes de gens armés ne cessent de poursuivre et de tuer impunément les Arméniens, et, non contents de les exterminer dans les rues, entrent dans les maisons, même dans celles occupées par les étrangers pour se saisir de leurs victimes et les massacrer. Des faits pareils se sont passés sous les yeux de quelques-uns des Représentants eux-mêmes et de plusieurs des membres de leurs Ambassades. Outre la ville, de telles horreurs ont eu lieu encore cette nuit dans plusieurs villages du Bosphore, tels que Bébek, Roumélie-Hissar, Candili et autres. En présence de faits semblables, les Représentants des Grandes Puissances s'adressent au nom de leurs Gouvernements, directement à la personne de Votre Majesté comme Chef de l'Etat, pour lui demander instamment de donner sans délai des ordres précis et catégoriques propres à mettre fin immédiatement à cet état de choses inouï qui est de nature à amener pour son Empire les conséquences les plus désastreuses. Signé : BARON Calice, Nélidow, BARON Saurma, J. de la Boulinière, Herbert.
Note verbale collective remise à la Sublime Porte par les Représentants des Grandes Puissances : 2 septembre 1896. En se référant à leur Note collective du 27 août, les Représentants des Grandes Puissances croient devoir attirer l'attention de la Sublime Porte sur un côté exceptionnellement grave des désordres qui ont ensanglanté dernièrement la capitale et ses environs. C'est la constatation par des données positives du fait que les bandes sauvages qui ont assommé les Arméniens et pillé les maisons et les magasins où ils pénétraient en prétendant y chercher des agitateurs, n'étaient point des ramassis accidentels de gens fanatisés, mais présentaient tous les indices d'une organisation spéciale connue de certains agents de l'autorité, sinon dirigée par eux. Les circonstances suivantes le prouvent : 1° Les bandes ont surgi simultanément sur différents points de la ville à la première nouvelle de l'occupation de la Banque par les révolutionnaires arméniens, avant même que la police et la force armée aient paru sur les lieux du désordre ; or la Sublime Porte reconnaît que des avis étaient parvenus d'avance à la police sur les projets criminels des agitateurs ; 2° Une grande partie des gens qui composaient ces bandes étaient habillés et armés de la même manière ; 3° Ils étaient conduits ou accompagnés par des softas, des soldats ou même des officiers de la police qui, non seulement assistaient impassibles à leurs excès, mais y prenaient même parfois part. 4° On a vu quelques-uns des chefs de la sûreté publique distribuer à ces bachibouzouks des gourdins et des couteaux et leur indiquer aussi la direction à prendre pour trouver des victimes ; 5° Ils ont pu circuler librement et accomplir impunément leurs crimes sous les yeux des troupes et de leurs officiers aux environs mêmes du Palais Impérial ; 6° Un des assassins, arrêté par le drogman d'une des Ambassades, a déclaré que les soldats ne pouvaient pas l'arrêter ; conduit au Palais de Yildiz, il a été accueilli par les gens de service comme une de leurs connaissances ; 7° Deux Turcs employés par des Européens qui avaient disparu pendant deux jours de massacre ont déclaré à leur retour qu'ils avaient été réquisitionnés et armés de couteaux et de gourdins pour tuer des Arméniens. Ces faits se passent de commentaires. Les seules observations à y ajouter seraient qu'ils rappellent ceux qui ont affligé l'Anatolie, et qu'une force pareille, qui surgit sous les yeux de l'autorité et avec le concours de quelques-uns de ses agents, devient une arme extrêmement dangereuse dont le tranchant dirigé aujourd'hui contre telle ou telle nationalité du pays peut être employé demain contre les Colonies étrangères ou se retourner contre ceux-là mêmes qui en ont toléré la création. Les représentants des Grandes Puissances ne se croient pas en droit de dissimuler ces faits à leurs gouvernements et estiment qu'il est de leur devoir de réclamer de la Sublime Porte que l'origine de cette organisation soit recherchée et ses inspirateurs et ses principaux acteurs découverts et punis avec la dernière rigueur. Ils sont prêts, de leur côté, à faciliter l'enquête qui devra être ouverte en faisant connaître tous les faits qui leur ont été rapportés par des témoins oculaires et qu'ils prendront soin de soumettre à une investigation spéciale. (Livre jaune. Ministère des Affaires étrangères. Documents diplomatiques. Affaires arméniennes. Projets de réformes dans l'Empire ottoman, 1893-1897. Paris, Imprimerie nationale, 1897.)
|
|||||||
© Jean-Marie Carzou Arménie 1915, un génocide exemplaire, Flammarion, Paris 1975 édition de poche, Marabout, 1978 |