Chapitre VIII
COMME nous l’avons constaté[163], le traité de Sèvres a été l’aboutissant logique de l’intervention d’humanité en Turquie. Il libérait la plupart des populations non-turques de l’emprise ottomane, soit en plaçant leur territoire sous le mandat des Principales Puissances alliées, soit en l’annexant à l’État congénère ; il limitait, en outre, le souveraineté de l’État ottoman ainsi réduit, aussi bien au nom du droit humain, en lui imposant la protection des minorités, qu’au nom du droit international, en le plaçant sous un véritable contrôle militaire, financier et économique. En particulier, l’Arménie russe recevait, avec la reconnaissance de son indépendance, l’espoir de se voir adjuger par le Président Wilson des parties ou même la totalité de quatre vilayets de l’Arménie turque.
Malheureusement le traité de Sèvres fut non seulement l’aboutissant, mais aussi le point culminant de l’intervention d’humanité. En effet, immédiatement après sa signature, la courbe de cette intervention commençait à descendre et, seulement sept mois après, en mars 1921, les Principales Puissances alliées, réunies à Londres en Conférence avec les Turcs et les Grecs, se déjugeaient, en grande partie, de leur œuvre et, surtout, en reniaient l’esprit. Aux Turcs, auxquels elles avaient dicté leurs volontés à Sèvres, elles proposaient maintenant des conditions de paix considérablement adoucies. Et au nombre de ces conditions ne figurait plus l’attribution à l’État arménien indépendant de territoires ottomans, malgré la sentence que le Président Wilson avait rendue précisément dans l’intervalle entre les réunions de Sèvres et de Londres et qui adjugeait à l’Arménie une grande partie des quatre vilayets. Les Alliés ne demandaient désormais aux Turcs que la constitution d’un Foyer arménien, sans stipuler son indépendance et sans préciser ses frontières.
Ainsi, un revirement profond s’annonçait à Londres dans la politique orientale des puissances. Et ce revirement devait avoir la plus douloureuse répercussion d’une manière générale sur la situation des Chrétiens en Turquie, et spécialement sur le sort de la nation arménienne. Pour apprécier impartialement cette nouvelle politique internationale, il convient de se rendre compte de ses causes profondes. De ces causes l’une est le réveil du nationalisme turc ; les autres remontent, en partie, aux débuts mêmes de la Grande Guerre.
V. p. 28 et suiv. (n.: à partir du chapitre 1, partie 7)