André Mandelstam

La Société des Nations et les Puissances
devant LE PROBLÈME ARMÉNIEN

3) Les accords secrets interalliés sur la Turquie et leur modification pendant la Conférence de la Paix

La pénétration économique de la Turquie au moyen de concessions commerciales ou industrielles, qu’avant 1914 avaient déjà pratiquée presque toutes les Grandes Puissances, a fait, pendant la Grande Guerre, l’objet de toute une série d’accords interalliés visant à partager l’État ottoman, amputé de ses parties non-turques, en diverses zones d’influence réservées respectivement à la France, à l’Angleterre, à l’Italie et à la Russie. Le trait distinctif de ces accords est qu’ils comportent, pour chaque puissance, dans sa zone d’influence respective, non seulement un droit préférentiel à l’exploitation économique, mais également un droit à l’administration directe ou indirecte.

Ces accords furent, en mars 1915, précédés par un échange de Mémoires, entre les gouvernements russe, français et anglais, garantissant à la Russie, comme résultat de la guerre, la réunion, sous certaines conditions, des territoires suivants : la ville de Constantinople ; la rive Ouest du Bosphore, de la mer de Marmara et des Dardanelles ; la Thrace du Sud jusqu’à la ligne Enos-Midia ; les rives de l’Asie Mineure entre le Bosphore, le fleuve Sakaria et certains points du golf d’Ismid, à déterminer ultérieurement ; les îles de la mer de Marmara et les îles Imbros et Ténédos[192].

Le premier des accords interalliés relatifs à la Turquie est le Pacte de Londres du 26 avril 1915. Ce Pacte définit les conditions de l’entrée en guerre de l’Italie. Il garantit à cette puissance, « en cas de partage total ou partiel de la Turquie d’Asie », « une part équitable dans la région méditerranéenne avoisinant la province d’Adalia où l’Italie a déjà acquis des droits et des intérêts qui ont fait l’objet d’une convention franco-britannique »[193].

Le Pacte suivant dans cette série de traités distributeurs de parts ou d’influences dans les territoires qui étaient ottomans avant la guerre est la fameux accord Sykes-Picot, sanctionné par un échange de lettres entre M. Paul Cambon, ambassadeur de France à Londres (9 mai 1916) et sir Edward Grey, secrétaire d’État britannique aux affaires étrangères (15 et 16 mai 1916)[194]. Cet accord régla, entre les deux puissances, le sort futur de la Mésopotamie, de la Palestine et de la Syrie avec la Cilicie. Voici ce qu’on lit entre autres choses dans la lettre de M. Paul Cambon du 9 mai :

Il demeure donc entendu que :

  1. La France et la Grande-Bretagne sont disposées à reconnaître et à protéger un État arabe indépendant ou une Confédération d’États arabes dans les zones A et B indiquées sur la carte ci-jointe, sous la suzeraineté d’un chef arabe. Dans la zone A, la France, et, dans la zone B, la Grande-Bretagne auront un droit de priorité sur les entreprises et les emprunts locaux. Dans la zone A, la France, et, dans la zone B, la Grande-Bretagne auront seules à fournir des conseillers ou des fonctionnaires étrangers à la demande de l’État arabe ou de la Confédération d’États arabes.
  2. Dans la zone bleue la France, et, dans la zone rouge, la Grande-Bretagne seront autorisées à établir telle administration directe ou indirecte ou tel contrôle qu’elles désirent et qu’elles jugeront convenable d’établir après entente avec l’État ou la Confédération d’États arabes.
  3. Dans la zone brune sera établie une administration internationale dont la forme devra être décidée… d’accord avec les autres Alliés et les représentants du Chérif de la Mecque[195].

En vertu de cet accord, la France se voyait donc attribuer le droit à une administration directe de la Syrie côtière, ainsi que de la Cilicie et des territoires à l’Est englobant les villes d’Adana, Mersine, Marach, Aïntab, Ourfa et Diarbékir (zone bleue), et l’Angleterre, le même droit dans une zone rouge formée de la basse Mésopotamie (Bagdad et Bassora). D’autre part, chacun des deux puissances recevait une seconde zone où elle pouvait exercer son influence sur les États locaux arabes : la France, dans la Syrie intérieure (comprenant les villes d’Alep, Hama, Homs et Damas) et une partie de la haute Mésopotamie avec Mossoul (zone A) ; l’Angleterre, dans le territoire compris entre une ligne Haïffa-Tekrit, au Nord, et une ligne Akaba-Koweit, au Sud (zone B). Enfin une administration internationale était réservée à la Palestine (zone brune).

Préalablement à la sanction que lui donnèrent M. Cambon et sir Edward Grey, l’accord Sykes-Picot avait été communiqué au gouvernement russe. Le 4/17 mars 1916, ce gouvernement fit connaître par des aide-mémoires adressés aux ambassadeurs de France et d’Angleterre à Pétrograd, que le consentement de la Russie était lié à l’exécution des accords lui attribuant Constantinople et les Détroits. Et, peu après, l’adhésion définitive du gouvernement russe s’effectua par la voie d’un échange de lettres entre M. Sazonow, ministre des affaires étrangères de Russie, et M. Paléologue, ambassadeur de la République française à Pétrograd, le 13/26 avril 1916. En vertu de ces documents la Russie annexait les régions d’Erzeroum, de Trébizonde, de Van et de Bitlis et une région du Kurdistan située au Sud de Van et de Bitlis ; en revanche, la Russie consentait à un agrandissement de la part française ; en effet, elle reconnaissait à la France la propriété du territoire compris entre l’Ala Dagh, Cesarée, l’Ak Dagh, l’Pildiz Dagh, Zara, Eghin et Kharpout[196].

Par l’accord interallié de Saint-Jean de Maurienne, conclu le 20 avril 1917, sous réserve du consentement du gouvernement russe, le gouvernement italien donna son assentiment aux articles 1 et 2 de l’accord franco-britannique de 1916. De leur côté, les gouvernements français et britannique reconnurent « les droits de l’Italie en ce qui concerne les conditions d’administration et d’intérêt » dans une zone verte et une zone C englobant les régions de Smyrne et d’Adalia[197].

Les accords secrets conclus ainsi par les puissances en ce qui concerne leurs zones d’influence dans la Turquie d’après guerre ont été, après leur publication, dénoncés de différents côtés comme les preuves matérielles de l’impérialisme des États qui disaient mener la guerre pour le triomphe de la justice et la liberté des peuples. Il est, certes, difficile de nier que ces accords secrets révélaient un esprit qui était loin de celui des déclarations officielles qui avaient précisé les buts de guerre de l’Entente. Ces actes assuraient en effet aux Puissances alliées de l’Entente de grands avantages économiques et, comme tels, avaient un caractère « impérialiste » très prononcé : l’Arménie, en particulier, était, par l’accord Sazonow-Paléologue, tout simplement partagée entre la Russie et la France. Mais, en toute justice, on doit aussi reconnaître que les Arméniens, les Syriens et les Arabes qui, en vertu de ces actes, passaient du joug turc sous l’« influence » plus ou moins directe des puissances civilisées ne pouvaient que gagner au change. Comme l’a très justement dit le 16 mai 1917, à la Chambre des communes, lord Robert Cecil, en parlant des Arméniens, « tout changement, même la plus complète annexion impérialiste, serait un bienfait pour le peuple qui a souffert de pareils crimes ». De son côté, M. Briand a, le 27 mars 1920, fort bien expliqué à la Chambre des députés française que si la France avait réclamé sa part d’influence et d’intérêts en Asie Mineure, elle n’y était cependant allée qu’appelée par les peuples de ce pays, sollicitée par eux, dans leur intérêt autant que dans son intérêt propre[198]. Et, en ce qui concerne l’attribution à la Russie de la majeure partie de l’Arménie turque par l’accord Sazonow-Paléologue, il est évident que l’union de cette région avec l’Arménie russe ne pouvait être saluée qu’avec satisfaction par les Arméniens de la Turquie, persécutés et massacrés, tandis qu’au Caucase leurs congénères, malgré les duretés politiques intermittentes du régime tsariste, avaient atteint une grande prospérité matérielle. Bien entendu, les Arméniens eussent préféré une indépendance complète. Mais, en attendant, le passage sous le régime russe était, en tout cas, une libération du joug turc.

Tous ces accords secrets s’évanouirent, au surplus, avant la fin même de la Grande Guerre, sous l’influence de la Révolution russe et de l’entrée dans la lutte des États-Unis d’Amérique. En effet, d’une part, la Révolution russe proclama le principe de « la paix sans annexions, ni contributions, sur la base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »[199]. Et, d’autre part, le Président Wilson, après avoir affirmé dans ses Messages le principe que « les gouvernements reçoivent tous leurs pouvoirs du consentement des peuples gouvernés » et qu’« aucun peuple ne doit être contraint à vivre sous une souveraineté sous laquelle il ne désire pas vivre »[200], déclara dans le 12e de ses célèbres quatorze points du 8 janvier 1918 : « Aux parties turques du présent Empire ottoman seront garanties pleinement la souveraineté et la sécurité ; mais, d’autre part, il faut assurer aux autres nationalités qui vivent actuellement sous le régime turc une sécurité certaine d’existence et une possibilité, absolument dépourvue d’entraves d’un développement autonome ». Ce programme, s’il garantissait l’émancipation des nationalités non-turques, excluait manifestement toute atteinte à la souveraineté d’un État purement turc.

Presque simultanément avec la proclamation des quatorze points, le 5 janvier 1918, M. Lloyd George, dans un discours adressé aux Trade Unions, déclara que l’Angleterre ne faisait pas la guerre « pour priver la Turquie des riches et fameuses contrées de l’Asie Mineure et de la Thrace dont la population prédominante était de race turque » ou « pour disputer à l’Empire turc sa capitale Constantinople ». Et le premier ministre ajouta que l’Arabie, l’Arménie, la Mésopotamie, la Palestine et la Syrie avaient, aux yeux de l’Angleterre, droit à la reconnaissance de leur « état national séparé » (entitled to récognition of their separate national conditions).

Le même esprit se manifeste encore dans la déclaration anglo-française du 2 novembre 1918 sur les territoires ottomans libérés :

« Le gouvernement français, d’accord avec le gouvernement britannique, a décidé de faire la déclaration conjointe ci-dessous pour donner aux populations non-turques des régions entre le Taurus et le golfe Persique l’assurance que les deux pays, chacun en ce qui le concerne, entendent leur assurer la plus large autonomie afin de garantir leur affranchissement et le développement de leur civilisation

« Le but qu’envisagent la France et la Grande-Bretagne en poursuivant en Orient la guerre déchaînée par l’ambition allemande, c’est l’affranchissement complet et définitif des peuples si longtemps opprimés par les Turcs et l’établissement de gouvernements et d’administrations nationaux puisant leur autorité dans l’initiative et le libre choix des populations indigènes.

« Pour donner suite à ces intentions, la France et la Grande-Bretagne sont d’accord pour encourager et aider à l’établissement de gouvernements et d’administrations indigènes en Syrie et en Mésopotamie, actuellement libérées par les Alliés, ou dans les territoires dont ils poursuivent la libération, et pour reconnaître ceux-ci aussitôt qu’ils seront effectivement établis.

« Loin de vouloir imposer aux populations de ces régions telles ou telles institutions, elles n’ont d’autre souci que d’assurer par leur appui et par une assistance efficace le fonctionnement normal des gouvernements et administrations qu’elles se seront librement donnés.

« Assurer une justice impartiale et égale pour tous, faciliter le développement économique du pays en suscitant et en encourageant les initiatives locales, favoriser la diffusion de l’instruction, mettre fin aux divisions trop longtemps exploitées par la politique turque, tel est le rôle que les deux gouvernements alliés revendiquent dans les territoires libérés ».

À la Conférence de la Paix le système des zones d’influence fut remplacé par celui des « mandats internationaux », inspiré par le projet du général Smuts, représentant de l’Afrique du Sud[201], et qui trouva tout d’abord son expression dans les résolutions adoptées, le 30 janvier 1919, par les représentants de l’Amérique, de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Italie et du Japon. Ces résolutions déclaraient que, à raison du mauvais gouvernement exercé par les Turcs sur les peuples soumis à leur domination et des récents massacres, l’Arménie, la Syrie, la Mésopotamie, la Palestine et l’Arabie devaient être complètement séparées de l’Empire ottoman et placées sous une tutelle exercée au nom de la Société des Nations[202]. Ces résolutions remplaçaient l’exercice d’influences plus ou moins égoïstes par celui d’une tutelle dans l’intérêt même « des peuples non capables de se diriger eux-mêmes » ; et, ainsi, les puissances civilisées se rapprochaient de nouveau des traditions de l’intervention d’humanité. L’Arménie, quoique restée sous l’occupation turque, était expressément énumérée parmi les pays à mandat.

Les résolutions du 30 janvier 1919 doivent être toutefois rapprochées de l’occupation, par l’Italie, en avril 1919, d’Adalia, occupation qui s’étendit plus tard jusqu’à Koniah, et du débarquement des Grecs à Smyrne, en mai 1919. L’occupation italienne, d’abord objet de remontrances au Conseil suprême, fut reconnue par lui le 16 juillet[203]. Quant à l’occupation grecque de Smyrne, elle eut lieu sur les ordres directs du Conseil suprême de la Conférence de la Paix, en vertu de l’article 7 de l’armistice de Moudros, donnant aux Alliés « le droit d’occuper tous points stratégiques dans le cas où un état de choses menaçant pour la sécurité des Alliés viendrait à se produire »[204]. À la suite des troubles graves qu’amena, contrairement aux prévisions, l’occupation grecque, une Commission proposa le remplacement de l’occupation grecque de Smyrne par une occupation interalliée ; cependant le Conseil suprême, dans sa séance du 12 novembre 1919, maintint l’occupation grecque, tout en en relevant le caractère provisoire[205]. Dans l’intervalle, l’accord italo-grec Tittoni-Vénizelos du 29 juillet 1919 avait amené une entente entre la Grèce et l’Italie qui se désistait de ses droits sur Smyrne, dérivant de l’accord de Saint-Jean de Maurienne, contre l’appui de ses autres revendications en Asie Mineure[206].

Ainsi donc, pendant la première moitié de l’année 1919, la Conférence de la Paix avait établi le principe des mandats pour les territoires asiatiques de l’ancien Empire ottoman occupés par les troupes anglo-françaises et pour l’Arménie, et admis, d’autre part, les occupations grecque et italienne de Smyrne et d’Adalia. Ajoutons qu’en février 1920 la Conférence décida d’attribuer à la Grèce la Thrace[207]. Cependant, la répartition des mandats et surtout le sort des parties turques de l’ancien Empire ottoman devaient encore former l’objet de longues négociations et franchir de nombreuses étapes avant d’aboutir à la solution— provisoire elle aussi — du traité de Sèvres. Les différentes attitudes adoptées pendant cette période par les Puissances principales et l’Amérique envers l’Arménie sont en fonction directe de leur politique générale envers la Turquie. Nous sommes donc obligés de donner une analyse de cette politique, analyse qui sera aussi succincte que possible.

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192)

Mémorandum de M. Sazonow du 19 février/4 mars 1915 ; Mémoire de l’ambassadeur de France à Pétrograd du 23 février/8 mars 1915 ; Mémorandum du gouvernement anglais du 27 février/12 mars 1915 ; réponse du gouvernement russe du 7/20 mars 1915.

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193)

Art. 9 du Pacte de Londres du 26 avril 1915 : « D’une manière générale, la France, la Grande-Bretagne et la Russie reconnaissent que l’Italie est intéressée au maintien de l’équilibre dans la Méditerranée et qu’elle devra, en cas de partage total ou partiel de la Turquie d’Asie, obtenir une part équitable dans la région méditerranéenne avoisinant la province d’Adalie où l’Italie a déjà acquis des droits et des intérêts qui ont fait l’objet d’une convention italo-britannique. La zone qui sera éventuellement attribuée à l’Italie sera limitée, le moment venu, en tenant compte des intérêts existants de la France et de la Grande-Bretagne.

« Les intérêts de l’Italie seront également pris en considération dans le cas où l’intégrité territoriale de l’Empire ottoman serait maintenue et où des modifications seraient faites aux zones d’intérêt des Puissances.

« Si la France, la Grande-Bretagne et la Russie occupent les territoires de la Turquie d’Asie pendant la durée de la guerre, la région méditerranéenne avoisinant la province d’Adalia dans les limites ci-dessus sera réservée à l’Italie qui aura le droit de l’occuper » (I documenti diplomatici dellia pace orientale, par Amedeo Giannini, Rome, 1922, p. 7).

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194)

V. le texte de ces lettres dans l’Asie française, août-novembre 1919, n° 176, p. 243-249.

 ↑
195)

La réponse de sir Edward Grey, du 16 mai, reproduit, en anglais, les termes de la lettre de M. Paul Cambon.

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196)

Voici le texte de la Note de M. Sazonow du 13/26 avril 1916, n° 280-B3.

« Pétrograd, le 13/26 avril 1916.

« M. Sazonow, ministre des affaires étrangères de Russie, à M. Paléologue, ambassadeur de la République française à Pétrograd.

« En me référant aux aide-mémoires adressés par le ministère impérial des affaires étrangères à l’ambassade de France en date du 4/17 et 8/21 mars a.c, j’ai l’honneur de faire connaître à V. Exc. qu’à la suite des entretiens que j’ai eus avec M. Georges Picot, délégué spécial du gouvernement français, relativement à la reconnaissance de l’accord qui serait établi entre la France et l’Angleterre pour la constitution d’un État ou d’une Fédération d’États arabes, et l’attribution des territoires de la Syrie, de la Cilicie et de la Mésopotamie, le gouvernement impérial est prêt à sanctionner l’arrangement établi sur les bases qui lui ont été indiquées aux conditions suivantes :

« 1° La Russie annexerait les régions d’Erzeroum, de Trébizonde, de Van et de Bitlis, jusqu’à un point à déterminer sur le littoral de la mer Noire à l’Ouest de Trébizonde.

« 2° La région du Kurdistan située au Sud de Van et de Bitlis entre Much, Sert, le cours du Tigre, Djezireh ben Omar, la ligne de faîte des montagnes qui dominent Amadia, et la région de Merga Var serait cédée à la Russie qui, en revanche, reconnaîtrait à la France la propriété du territoire compris entre l’Ala Dagh, Césarée, l’Ak Dagh, l’Yildiz Dagh, Zara, Eghin et Kharpout. En outre, à partir de la région de Merga Var, la frontière de l’Arabie suivrait la ligne de faîte des montagnes qui limitent actuellement les territoires ottoman et persan. Ces limites sont indiquées d’une manière générale et sous réserve des modifications de détail à proposer par la Commission de délimitation qui se réunira ultérieurement sur les lieux.

« Le gouvernement impérial consent en outre à admettre que, dans toutes les parties du territoire ottoman ainsi cédées à la Russie, les concessions de chemin de fer et autres accordées à des Français par le gouvernement ottoman seront maintenues. Si le gouvernement impérial exprime le désir qu’elles soient modifiées ultérieurement en vue de les mettre en harmonie avec les lois de l’Empire, cette modification aura lieu d’accord avec le gouvernement de la République.

« En ce qui concerne les institutions, administrations, établissements religieux, scolaires, hospitaliers, etc., relevant des deux nations, ils continueraient à jouir des privilèges qui leur étaient accordés jusqu’ici par les traités, accords, et contrats conclus avec le gouvernement ottoman. Il demeure toutefois entendu qu’en stipulant une telle réserve, les deux gouvernements n’ont pas voulu exiger pour l’avenir le maintien des droits de juridiction, du protectorat religieux et des Capitulations qui seraient ainsi annexées à la Russie et à la France, mais seulement la survivance des institutions et établissements actuellement existants et ouvrir la voie, après la conclusion de la paix, à une négociation entre les deux puissances.

« Enfin, les deux gouvernements admettent en principe que chacun des États qui annexerait des territoires turcs devrait participer au service de la dette ottomane ».

La réponse de M. Paléologue, également du 13/26 avril 1916, débute ainsi :

« J’ai l’honneur d’accuser réception de la communication que V. Exc. m’a adressée à la date de ce jour, relativement à la reconnaissance par le gouvernement impérial, aux conditions suivantes, de l’accord qui serait établi entre la France et l’Angleterre pour constituer un État ou une Fédération d’États arabes et assurer l’attribution des territoires de la Syrie, de la Cilicie et de la Mésopotamie sur les bases qui lui ont été indiquées par le délégué spécial du gouvernement français. De son côté, le gouvernement de la République m’a chargé de vous faire connaître qu’il a décidé de sanctionner l’arrangement dont il s’agit ».

Le reste de la Note est une reproduction de celle de M. Sazonow, sauf que le quatrième alinéa de la Note débute par la phrase :

« Le gouvernement de la République prend acte avec satisfaction de ce que le gouvernement impérial consent en outre à admettre que, dans toutes les parties du territoire ottoman ainsi cédées à la Russie, les concessions de chemin de fer et autres accordées à des Français par le gouvernements ottoman seront maintenues ».

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197)

V. le texte de l’accord de Saint-Jean de Maurienne, dans I documenti diplomatici dellia pace orientale, d’Amedeo Giannini, p. 17.

 ↑
198)

Voici comment M. Aristide Briand, à la séance du 27 mars 1920, s’est expliqué, à la Chambre des députés française, sur le caractère économique et moral des accords de 1916 qu’il avait conclus en qualité de Président du Conseil français :

« … Or, par quoi les accords de 1916 ont-ils été inspirés ? D’abord par le souci de sauvegarder les grands intérêts traditionnels et séculaires de la France, par la préoccupation légitime de lui garder dans la Méditerranée la large part d’influence qu’elle a le droit d’y avoir, mais aussi parce que les délégués les plus autorisés de ces populations de l’Orient — et c’était à l’honneur de mon pays qu’il en fût ainsi — venaient supplier celui qui avait alors la responsabilité de diriger le gouvernement de la France de ne pas les abandonner, de jouer en Asie Mineure le rôle séculaire de protectrice et de libératrice qui a mérité à notre patrie, dans ces pays, la grande autorité et la confiance absolue dont elle y jouit. Oui, c’est sous l’influence de ces considérations qu’en pleine guerre, appliquant un principe que je croyais bon et qui consistait, au fur et à mesure que les événements se déroulaient, à régler entre alliés les questions qui devaient se poser entre eux à la fin de la guerre, qu’au moment de l’expédition d’Orient, j’ai demandé à nos alliés anglais et russes que fussent établies les trois zones d’influence de la Grande-Bretagne, de la Russie et de la France. Quelle zone a été attribuée à notre pays ?

« Elle comprend la Cilicie, Adana, Mersine, Alexandrette, puis, en remontant, elle englobe une partie de la région arménienne — ceci à la sollicitation suppliante des Arméniens les plus autorisés — Diarbékir, les régions jusqu’à la pointe du lac de Van ; plus bas, Mossoul (Applaudissements)… et cela pour des raisons d’ordre économique sur lesquelles je ne devrais avoir besoin d’insister. Mais, Messieurs, est-ce que, en France, nous ne ferons jamais que la politique sentimentale ? (Nouveaux applaudissements.) N’aurons-nous pas aussi, parfois, des vues sur les grands intérêts économiques auxquels la vie des nations est de plus en plus liée ? Ne comprendrons-nous pas enfin qu’à l’heure actuelle, c’est moins les solutions politiques internationales qui importent que celles des grands problèmes économiques ? Aujourd’hui, une nation n’est pas grande parce qu’elle possède politiquement un pays. Si elle ne le possède pas réellement, c’est-à-dire économiquement, il n’en résulte pour elle que des charges d’administration (Applaudissements)… Mais, en réclamant pour mon pays sa part d’influence et d’intérêts en Asie Mineure, je n’étais mû par aucun sentiment d’impérialisme. Il a toujours été éloigné de nos préoccupations. Nous y allions, appelés par ces peuples, sollicités par eux, dans leur intérêt au moins autant que dans le nôtre. Nous agissions en conformité avec les grands principes qui ont dominé cette guerre. Si nous ne nous étions pas sentis, d’accord avec les populations, nous n’aurions rien fait pour nous imposer à elles. Tous ceux qui sont allés dans ces régions savent comment y résonne de nom de la France »… (Asie française, n° 181, p. 133).

 ↑
199)

V. Manifeste du 9 avril (27 mars) 1917 du gouvernement provisoire russe reconstitué.

 ↑
200)

Message du 22 janvier 1917 au Sénat américain ; Message du 10 juin 1917 au gouvernement provisoire russe.

 ↑
201)

The League of Nations. A pratical suggestion by. Lt. Gen. the Rt. Hon. Z. C. Smuts.

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202)

V. le texte de ces résolutions dans King-Crane Report on the Near East publié dans le journal de New-York Editor and Publisher du 2 décembre 1922, p. XII. Ces résolutions reçurent leur développement final dans l’article 22 du Pacte de la Société des Nations que nous avons déjà analysé. V. ci-dessus, p. 73 et suiv.

 ↑
203)

Giannini, La questione orientale, p. 4.

 ↑
204)

V. les déclarations de. M. Cecil Harmsworth au nom du gouvernement anglais, le 26 mai 1919, à la Chambre des communes, dans L’Asie française, n° 175, p. 222.

 ↑
205)

Giannini, La questione orientale, p. 6.

 ↑
206)

Giannini, I documenti diplomatici dellia Pace orientale, p. 29. « Le gouvernement hellénique maintient les revendications formulées dans le Mémorandum adressé par M. Vénizelos le 30 décembre 1918 à la Conférence de la Paix au sujet de l’Asie Mineure, et le gouvernement italien s’engage à lui prêter tout son appui. De son côté, la Grèce s’engage à prêter tout son appui aux revendications du gouvernement italien en Asie Mineure » (point 4, § 2, de l’accord Tittoni-Vénizelos).

 ↑
207)

Comp. Giannini, La questione orientale, p. 7.

 ↑
Mandelstam, André. La Société des Nations et les Puissances devant
le problème arménien
, Paris, Pédone, 1926 ; rééd. Imprimerie Hamaskaïne, 1970.
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