LE GOUVERNEMENT jeune-turc a profité de la guerre mondiale pour faire massacrer ou laisser périr par la faim, la soif et les maladies et sous les mauvais traitements près d'un million des sujets arméniens de la Turquie[52].
Au cours du printemps et de l'été de 1915, sur l'ordre du gouvernement jeune-turc aux commandants d'armée et aux autorités civiles des provinces, une partie des Arméniens des vilayets orientaux de la Turquie furent massacrés sur place, d'autres déportés vers le Sud et décimés en route. Les autorités turques, non seulement ne prenaient aucune mesure pour le ravitaillement et la sécurité des convois, mais en encourageaient, et souvent même en organisaient l'attaque et le pillage par les villageois et les brigands turcs et kurdes ou le massacre par les gendarmes chargés de leur protection. Des milliers de déportés tombaient épuisés de faim, de soif et de fatigue.
Parfois les bourreaux noyaient leurs victimes dans les fleuves, les brûlaient vifs ou les assommaient avec des raffinements de torture. Souvent aussi les jeunes femmes et les enfants étaient enlevés et vendus aux harems musulmans[53]. D'autres déportés mouraient d'inanition ou de maladies à leur arrivée dans les camps, malsains, de concentration en Mésopotamie ou dans le désert arabique; parfois ils y étaient même tout simplement massacrés, comme les 14.000 déportés internés dans le camp de Ras-ul-Ain[54]. La déportation des Arméniens, un témoin étranger l'a dit avec une terrible ironie, n'a été qu'une forme polie du massacre[55].
Les faits atroces que nous venons de relater ont été établis au cours même de la Grande Guerre, par des preuves irréfutables. Un Livre bleu anglais[56] et une publication du Comité suisse de l' «Œuvre de secours aux Arméniens»[57] ont réuni un matériel accablant pour la Turquie provenant, pour la plupart, de témoins oculaires de nationalité neutre (Américains, Suisses, Danois) — missionnaires, sœurs de charité, employés de la Croix-Rouge, médecins, professeurs; quelques-uns des témoignages émanent même d'Allemands (par exemple le prof. Martin Niepage)[58]. Et, après la guerre, le gouvernement allemand lui-même a autorisé le Dr Johannes Lepsius à publier la correspondance du ministère des affaires étrangères sur la question arménienne pendant les années 1914-1918, correspondance mettant complètement à nu les horreurs commises par l'alliée turque de l'Allemagne[59].
Cette dernière publication, provenant d'un gouvernement allié de la Turquie, doit surtout retenir notre attention. Elle a été certainement autorisée par le gouvernement républicain dans le but de laver le nom allemand d'un terrible soupçon. Pendant la Grande Guerre le gouvernement impérial allemand a été souvent accusé d'avoir conservé une neutralité bienveillante devant les massacres que lui seul, grâce à son influence sur son alliée turque, aurait pu prévenir. Les déclarations publiques du chancelier von Bethmann-Hollweg et des ambassadeurs d'Allemagne tantôt niant les faits, tantôt les excusant par la soi-disant trahison des Arméniens, ainsi que l'attitude de la presse officielle allemande, ne faisaient que fortifier le soupçon que le gouvernement allemand voyait sans trop de déplaisir l'élimination d'un élément généralement hostile à l'infiltration allemande en Turquie[60]. Le nouveau gouvernement de l'Allemagne n'a apparemment pas voulu laisser durer cette équivoque. Il a autorisé la publication d'un Recueil qui nous paraît établir le véritable rôle de la diplomatie allemande, rôle d'ailleurs toujours peu flatteur pour le gouvernement de Guillaume II. Il résulte de cette publication que la déportation des Arméniens a été en effet approuvée par le gouvernement impérial allemand, mais que ce gouvernement a adressé de nombreuses protestations à la Porte, — protestations restées d'ailleurs sans le moindre effet, — dès qu'il s'est rendu compte du véritable caractère de la «déportation».
Le rôle de la diplomatie allemande dans la déportation des Arméniens se trouve éclairé par le télégramme suivant adressé au ministère des affaires étrangères allemand, le 31 mai 1915, par l'ambassadeur Baron Wangenheim :
«En vue d'enrayer l'espionnage arménien et de prévenir des nouvelles levées en masse arméniennes, Enver Pacha a l'intention de se servir de l'état de guerre pour fermer un grand nombre d'écoles arméniennes, d'interdire la correspondance postale arménienne, de supprimer les journaux arméniens et d'établir (ansiedeln) en Mésopotamie toutes les familles pas entièrement au-dessus de la suspicion (alle nicht ganz einwandfreie Familien) des centres insurgés arméniens. Il prie instamment que nous n'arrêtions pas son bras (dass wir ihm hierbei nicht in den Arm fallen).
«Ces mesures turques provoqueront naturellement dans tout le monde ennemi une nouvelle grande excitation et seront également exploitées contre nous-mêmes. Il est aussi certain que ces mesures comportent une grande dureté (Harte) envers la population arménienne. Je suis cependant de l'avis que nous pouvons les mitiger dans leur forme, mais non pas les empêcher en principe. Le travail de sape arménien, nourri par la Russie, a pris des dimensions qui menacent l'existence de la Turquie.
«Je vous prie d'informer le Dr Lepsius et les Comités allemands pour l'Arménie qu'en présence de la situation politique et militaire de la Turquie, les mesures sus-indiquées ne peuvent malheureusement pas être évitées (leider nicht su vermeiden). J'ai informé confidentiellement les consulats d'Erzeroum Adana, Alep, Mossoul et Bagdad. — Wangenheim[61] ».
La Wilhelmstrasse partagea évidemment l'avis de son ambassadeur, car elle n'arrêta pas le «bras» d'Enver et n'empêcha pas la «déportation» des Arméniens. Et cependant, les diplomates allemands, si profonds connaisseurs des Turcs, devaient bien se douter comment ces derniers se serviraient de l'approbation de leurs alliés. Lepsius lui-même remarque dans sa préface, non sans mélancolie, que «les expériences faites avec les muhadjirs (émigrés), circassiens et bulgares auraient pu apprendre à l'ambassadeur ce qui résulte ordinairement de pareils établissements (Ansiedelungen). Mais probablement il ne s'en rendait pas suffisamment compte»[62].
S'il résulte ainsi du Recueil que la diplomatie allemande avait, avec la plus coupable légèreté, autorisé la déportation des Arméniens «suspects», les documents publiés nous la montrent, d'autre part, intervenant auprès de la Porte dès que les rapports des consuls allemands l'eussent éclairée sur le véritable caractère de la «déportation». Le même Baron Wangenheim, et après lui les autres ambassadeurs allemands qui le remplacèrent successivement — le Prince Hohenlohe-Langenburg, le Comte Wolff-Metternich et M. von Kuhlmann — adressèrent à la Sublime Porte une série de très énergiques protestations[63]. Mais ces protestations restèrent sans aucun effet. Les Turcs ne croyaient peut-être pas en la sincérité de l'indignation allemande, ou bien ne considéraient pas leurs alliés comme particulièrement qualifiés pour leur donner des conseils de clémence et des leçons d'humanité; mais surtout, ils se rendaient compte que les Allemands n'iraient jamais au delà des représentations[64].
Ainsi donc les diplomates et les consuls allemands n'ont pas pu ou su empêcher les massacres des Arméniens; mais ils ont au moins enregistré de la façon la plus minutieuse les méfaits de leurs alliés. Et le Recueil de M. Lepsius, qui publie tous ces rapports, est une réfutation définitive de toutes les légendes et de tous les mensonges mis en cours par les Jeunes-Turcs pour nier ou pour atténuer leurs responsabilités.
Entre autres, le Recueil a coupé court à la légende officielle turque sur des insurrections arméniennes. Avant la déportation, il n'y eut que trois rencontres insignifiantes entre des gendarmes et des déserteurs (à Mouche, à Zeitoun et à Van). Après le commencement des massacres, dans certains endroits, — à Van, à Chabin Karahissar, à Ourfa et à Suediyé — les Arméniens n'opposèrent qu'une résistance armée aux massacreurs, résistance qui toutefois semblait peut-être criminelle aux Turcs habitués d'après la bonne tradition à une attitude plus passive de leurs victimes[65]. Et, pendant toutes ces soi-disant insurrections, les Turcs ne perdirent pas plus de 300 hommes[66].
Les rapports consulaires allemands infligent également un démenti formel à une autre accusation produite par les Turcs contre les Arméniens, celle d'avoir préparé un soulèvement général dans tout l'Empire. Ces rapports certifient, au contraire, que la conduite des Arméniens a été irréprochable et qu'il n'y avait aucune preuve de leur trahison[67].
Enfin, les racontars turcs sur les massacres perpétrés par les Arméniens sur les Turcs sont du domaine de la plus pure fantaisie[68].
Des actes individuels de vengeance de la part des Arméniens peuvent certainement avoir eu lieu, mais, comme le fait ressortir avec raison M. Lepsius, il importe de constater que ces actes, au dire même des sources turques, auraient eu lieu non pas avant, mais après la déportation et les massacres[69].
Mais la contribution la plus importante que le Recueil allemand fournit à l'histoire des relations turco-arméniennes pendant la Grande Guerre est certainement la confirmation qu'il apporte à tous les témoignages précédents sur le rôle du gouvernement jeune-turc dans l'organisation des massacres. Tous les rapports consulaires et diplomatiques allemands s'accordent à constater que les massacres ont été perpétrés sur l'ordre du gouvernement poursuivant le plan méthodique d'une destruction complète du peuple arménien.
Voici des extraits de quelques-uns de ces rapports[70] :
«Il ne s'agit de rien moins que de la destruction ou de l'islamisation par force de tout un peuple»
(Rapport du consul Kuckhoff, de Samsun, du 4 juillet 1915, n° 116 du Recueil).«Je suppose que mes rapports précédents ont démontré que le gouvernement turc a de beaucoup dépassé les limites des mesures justifiées de protection contre des intrigues (Umtriebe) arméniennes, réelles ou présumées, et que par l'extension aux femmes et aux enfants des ordres dont il a imposé l'exécution aux autorités dans les formes les plus dures et les plus raides, ce gouvernement poursuit consciemment la destruction d'aussi grandes parties que possible du peuple arménien, par des moyens empruntés à l'Antiquité et qui sont indignes d'un gouvernement qui veut être l'allié de l'Allemagne. Il a, sans nul doute, voulu se servir de la circonstance qu'il se trouve en guerre avec la quadruple Entente, pour se débarrasser de la question arménienne dans l'avenir, en ne laissant subsister que le moindre nombre possible de communautés arméniennes organisées. Il a sacrifié des hécatombes d'innocents avec les quelques coupables»
(Rapport du consul Rössler, d'Alep, du 27 juillet 1915, n° 120 du Recueil).«Les partisans de la dernière orientation (l'orientation extrême du Comité jeune-turc) conviennent que le but final de leur action contre les Arméniens est leur extermination complète en Turquie. Après la guerre nous n'aurons plus d'Arméniens en Turquie, a dit textuellement une personnalité autorisée»
(Rapport du consul von Scheubner-Richter, d'Erzeroum, du 28 juillet 1915, n° 123 du Recueil).«Un ingénieur allemand, qui était occupé, pendant les événements décisifs, à la construction du chemin de fer de Bagdad, à Ras-oul-Ain et à Tell-Abiad, et qui est entièrement digne de confiance, a donné des rapports émouvants qui permettaient de se rendre compte de l'extermination consciente et voulue des déportés par les organes du gouvernement turc»
(Rapport du consul Rössler, d'Alep, du 3 janvier 1916, n° 226 du Recueil).«Une grande partie du Comité jeune-turc procède du point de vue que l'Empire turc doit être construit sur une base purement musulmane et pan-turque. Les habitants non-musulmans et non-turcs de l'Etat doivent être islamisés et turquifiés par la force, et, là où cela n'est pas possible, exterminés. Le temps actuel semble à ces Messieurs le plus propice pour la réalisation de ce plan. Le premier point de leur programme comportait la liquidation des Arméniens»
(Rapport du consul von Scheubner-Richter daté de Munich, le 4 décembre 1916, n° 309 du Recueil).
Les ambassadeurs allemands ne sont pas moins affirmatifs que les consuls.
Déjà à la date du 17 juin 1915, le Baron Wangenheim, qui, le 31 mai, avait soutenu la mesure de la déportation devant le chancelier, écrit:
«Il est évident que la déportation des Arméniens n'est pas motivée par les seules considérations militaires. Le ministre de l'intérieur Talaat Bey a dernièrement, dans une conversation avec le Dr Mordtmann actuellement au service à l'ambassade impériale, déclaré ouvertement «que la Porte voulait profiter de la guerre mondiale pour en finir radicalement (gründlich aufzuraümen) avec leurs ennemis intérieurs (les Chrétiens autochtones) sans être gênée par l'intervention diplomatique de l'étranger» (n° 81).
Le même Baron Wangenheim écrit, le 7 juillet, en rapportant sur l'extension de la mesure de la déportation aux provinces qui ne sont pas menacées par une invasion ennemie :
«Cette circonstance et la manière de laquelle s'effectue la déportation (Umsiedelung) démontrent que le gouvernement poursuit réellement le but d'exterminer la race arménienne dans l'Empire ottoman» (n° 106).
Le Prince Hohenlohe télégraphie, le 2 août 1915, au consulat d'Allemagne d'Alep:
«Toutes nos représentations ont été sans résultat, en présence de la détermination du gouvernement de se débarrasser (unschädlich zu machen) des Chrétiens indigènes des provinces orientales» (n° 127).
Très intéressant est également un rapport daté du 30 juin 1916, adressé par le Comte Wolff-Metternich au chancelier de l'Empire, où l'ambassadeur décrit la pression que le Comité jeune-turc exerce partout sur le gouvernement qui est d'ailleurs son émanation; le rapport nous montre en même temps en quelle estime ce diplomate allemand tenait ses alliés jeunes-turcs :
«Le Comité, écrit l'ambassadeur, exige l'extermination des derniers restes des Arméniens et le gouvernement doit céder. Mais le Comité n'est pas seulement l'organisation du parti gouvernemental dans la capitale. A toutes les autorités, du Vali au Kaimakam, est adjoint un membre du Comité pour les soutenir et les surveiller. Les déportations des Arméniens ont recommencé partout. Mais les loups affamés du Comité n'ont plus beaucoup à attendre de ces malheureux, si ce n'est l'assouvissement de leur fureur fanatique de persécution. Leurs propriétés sont confisquées depuis longtemps et leurs biens liquidés par une soi-disant Commission. Si, par exemple, un Arménien possédait une maison évaluée à 100 ltq., elle a été adjugée à un Turc, ami ou membre du Comité, pour environ 2 ltq. Il n'y a donc plus beaucoup à chercher chez les Arméniens. Aussi la meute se prépare avec impatience pour le moment où la Grèce, forcée par l'Entente, se déclarera contre la Turquie ou ses alliés. Il y aura alors des massacres sur une échelle plus grande que ceux des Arméniens. Les victimes sont plus nombreuses et le butin plus tentant. L'hellénisme est l'élément culturel de la Turquie. Il sera détruit comme l'élément arménien, si des influences étrangères ne s'y opposent pas. Turquifier veut dire chasser ou tuer et exterminer tout ce qui n'est pas turc et s'emparer par la force des biens d'autrui. En cela et dans le braillement de phrases révolutionnaires françaises consiste pour le moment la célèbre renaissance de la Turquie» (n° 282).
Terminons par la dépêche au chancelier von Bethmann- Hollweg du même Comte Wolff-Metternich, en date du 10 juillet 1919:
«Dans la réalisation de son programme de résoudre la question arménienne par la destruction de la race arménienne, le gouvernement turc ne s'est laissé arrêter ni par nos représentations, ni par celles de l'ambassade d'Amérique et du délégué du Pape, ni par les menaces des Puissances de l'Entente, ni le moins du monde par des égards pour l'opinion publique de l'Occident» (n° 287).
En résumé, la correspondance diplomatique allemande prouve péremptoirement que les massacres arméniens ont été exécutés sur les ordres du gouvernement jeune-turc désirant profiter de la Grande Guerre pour en finir, une fois pour toutes, avec la question arménienne. Certes, pendant l'exécution de cette mesure administrative turque, le fanatisme, la cruauté et les instincts rapaces de la populace ont pu se manifester dans leur plus effroyable hideur. Mais l'initiative des massacres ne revient nullement à une explosion de l'indignation populaire provoquée par une prétendue trahison arménienne, comme tâchaient de le faire accroire les Jeunes-Turcs. Aux légendes et mensonges turcs déjà réfutés dans la presse des Etats de l'Entente et des pays neutres[71], la publication de la correspondance diplomatique et consulaire allemande a donné le coup de grâce. Il est, en effet, impossible d'incrimer la valeur des témoignages des fonctionnaires de l'Allemagne, alliée de la Turquie, renseignant leur gouvernement, au jour le jour et en détail, sur la situation intérieure de l'Empire ottoman pouvant exercer la plus grande influence sur le cours de la Grande Guerre.
Nous ne saurions mieux clore ce chapitre consacré à l'établissement des crimes des Jeunes-Turcs qu'en revenant à la déclaration du Grand Vizir Damad Ferid Pacha faite devant le Conseil suprême le 17 Juin 1919. Nous avons dit plus haut ce que nous pensions de sa justification du rôle joué par la Turquie dans l'Histoire. Mais il y a lieu de retenir ici encore une fois la reconnaissance des crimes du gouvernement jeune-turc par le gouvernement ottoman qui lui a succédé :
«Au cours de la guerre, déclare le Grand Vizir, presque tout le monde civilisé s'est ému au récit des crimes que les Turcs auraient commis. Loin de moi la pensée de travestir ces forfaits qui sont de nature à faire pour toujours tressaillir d'horreur la conscience humaine. Je chercherai encore moins à atténuer le degré de culpabilité des acteurs du grand drame. Le but que je me propose est de montrer au monde, avec des preuves à l'appui, quels sont les véritables auteurs responsables de ces crimes épouvantables».
Ces auteurs responsables sont, d'après le Grand Vizir de Turquie, les chefs du Comité Union et Progrès, c'est-à-dire les membres ou les inspirateurs du gouvernement jeune-turc pendant la Grande Guerre.
Le nombre exact des victimes n'a naturellement pu encore être établi. Le livre bleu anglais, paru en 1916, évaluait le nombre des Arméniens massacrés à 600.000 et celui des Arméniens parvenus aux lieux de déportation également à 600.000. Ces chiffres sont aujourd'hui au-dessous de la réalité, surtout en présence du grand nombre qui depuis lors a péri ou été massacré dans les lieux de déportation. Lepsius, dont l'édition des documents diplomatiques allemands est de 1919, donne les chiffres approximatifs suivants: des Arméniens de Turquie, dont le nombre dépassait 1.845.000, 1 million a péri, 200.000 sont restés dans leurs anciennes demeures, environ 250.000 se sont réfugiés au Caucase, 200.000 restent encore dans les camps de concentration sur les confins du désert arabique; le nombre des Arméniens convertis à l'Islam et des femmes, jeunes filles et enfants enlevés et vendus est également d'environ 200.000 (Lepsius, Deutschland und Armenien, 1919, p. LXV).
D'après un témoignage allemand, des 18.000 expulsés de Kharpout et de Sivas, 350 seulement arrivèrent à Alep; des 19.000 déportés d'Erzeroum, il en resta onze (V. dans la publication suisse: «Quelques documents sur le sort des Arméniens en 1915-1916», fascicule III, les notes de voyage d'un Allemand mort en Turquie, p. 167).
Lepsius, Deutschland und Armenien, p. LIV.
Une mention spéciale est due au sort particulièrement odieux des soldats arméniens de l'armée turque auxquels le ministre de la guerre Enver Pacha décerna publiquement des éloges pour leur courage et leur loyauté. Peu après, en 1915, tous ces soldats furent cependant versés dans des bataillons ouvriers et finalement fusillés par leurs compagnons d'armes turcs (Comp. la déclaration catégorique à ce sujet de M. Lepsius, Deutschland und Armenien, p. LTV).
The treatment of Armenians in the ottoman Empire, 1915-1916; les documents de ce livre ont été réunis par lord Bryce et M. Arnold Toynbee.
Quelques documents sur le sort des Arméniens en 1915.
Comp. aussi le livre de M. Morgenthau, ambassadeur des Etats-Unis à Constantinople, The Secret of the Bosphorus; celui de l'Allemand Harry Stuermer, Zwei Kriegsjahre in Konstantinopel; notre ouvrage: Le sort de l'Empire ottoman, 1917, p. 245-331; notre article: Comment liquider l'Empire ottoman, dans La Vie des Peuples du 20 mai 1920.
Deutschland und Armenien, 1914-1918, Sammlung Diplomatischer Aktenstücke, herausgegeben und eingeleitet von Dr Johannes Lepsius, Potsdam, 1919.
Comp. notre Sort de l'Empire ottoman, p. 301-331. C'est un Allemand le Dr Martin Niepage qui nous apprend que dans le bas peuple turc les massacres des Arméniens étaient souvent attribués à «l'enseignement allemand» (ta' alimi aleman). V. Quelques documents sur le sort des Arméniens en 1915-1916, fascicule III.
Deutschland und Armenien, n° 72, dans notre traduction.
Deutschland und Arménien, p. XXII.
Lepsius, Deutschland und Armenien, p. XXVI.
Talaat Pacha, avec son ironie mordante habituelle, fit d'ailleurs observer un jour au comte Wolff Metternich, que selon sa conviction les Allemands auraient, dans des circonstances analogues, agi comme les Turcs; et l'ambassadeur vexé se plaignit au Chancelier de ce que chez Talaat il avait constaté une incompréhension totale (Verständnisslosigkeit) du principe que les innocents ne devaient pas souffrir pour les coupables (Deutschland und Arménien, n° 215).
Ainsi la célèbre «révolte» de Van consista en ceci: après que le Vali Djevdet Bey eut commencé à massacrer les villages dru environs et fait assassiner quelques chefs arméniens, les Arméniens de Van se barricadèrent dans leur quartier et se défendirent avec succès contre les troupes turques, jusqu'à l'arrivée des Russe».
Deutschland und Armenien, p. LXVIII-LXIX.
Deutschland und Armenien, p. LXX.
M. Lepsius donne un exemple frappant de la mauvaise foi insigne des accusations turques. Ainsi, un communiqué turc du 29 juin 1915 affirme que des 180.000 habitants musulmans du vilayet de Van, 30.000 à peine ont pu se sauver, les autres restant exposés aux assassinats des Russes et des Arméniens, sans qu'on eût pu avoir des nouvelles de leur sort. Enver Pacha fait une déclaration à l'effet que des 150.000 Turcs du vilayet de Van, 30.000 seulement sont en vie. Et enfin, un communiqué de l'ambassade turque à Berlin du 1er octobre 1915 parle d'une révolte arménienne qui a coûté la vie à tous les 180.000 Musulmans de Van! En réalité, les 30.000 Turcs de Van s'étaient enfuis non pas devant une révolte arménienne, mais devant l'avance de l'armée russe. Quant aux 150.000 Musulmans kurdes restés dans le pays, ils n'ont eu à souffrir ni des Russes, ni des Arméniens. Et les pertes des Turcs pendant les troubles de Van se composent, d'après M. Lepsius, non pas de 180.000, mais à peu près de 18! (Deutschland und Armenien, p. LXXII-LXXIV).
Deutschland und Armenien, p. LXXVI
Dans notre traduction. A.M.
Comp., entre autres, notre réponse à la brochure du gouvernement jeune-turc: La vérité sur le mouvement révolutionnaire arménien et les mesures gouvernementales, dans notre Sort de l'Empire ottoman, p. 285-294.