Ayant résumé les faits caractérisant l’attitude, devant le problème arménien, des Puissances alliées et associées ainsi que celle de la Société des Nations, nous allons nous efforcer maintenant d’apprécier cette attitude aux points de vue : 1° de la pratique de l’intervention d’humanité ; 2° des promesses faites à la nation arménienne ; 3° du Pacte de la Société des Nations.
Les interventions d’humanité constantes des Puissances en Turquie au cours du XIXe siècle ont créé, sans nul contredit possible, un droit coutumier en faveur des nations opprimées de l’Empire ottoman, droit, pour ainsi dire, à contenu mouvant. Dans le cas particulier de chaque nation subjuguée, ce droit, qui d’abord ne devait protéger que les intérêts primordiaux de l’homme (la vie, la liberté, l’égalité), a été, successivement, devant la tyrannie incorrigible de la Turquie, transformé en un droit garantissant l’autonomie et en un droit de sécession.
Nous sommes un adversaire aussi décidé de la souveraineté absolue de l’État que du droit absolu de chaque nation à disposer d’elle-même[432]. Nous voyons l’anarchie au bout de l’une et de l’autre. La délimitation des droits de l’État et des nations, se trouvant dans son cadre historique, doit s’inspirer, à notre avis, du but commun de l’humanité qui doit primer le but de l’État aussi bien que celui de la Nation. Le but de la communauté humaine lui-même étant changeant, l’on ne saurait poser des règles précises pour cette délimitation. En cas de conflit entre l’État et la Nation, la solution ne sera jamais uniforme, mais variera de cas en cas : tantôt elle pourra être plus favorable à l’État, tantôt à la Nation, selon les intérêts supérieurs de la société humaine[433].
On ne saurait donc revendiquer pour chaque nation encadrée par un État allogène le droit à l’indépendance politique. Il faut, dans chaque cas, peser les intérêts en présence. Parfois, l’intérêt de la collectivité humaine ordonnera de détacher telle nationalité du giron de l’État et de l’ériger elle-même en État. Parfois, on sera amené à maintenir la nation dans le cadre de l’État historique, tout en transformant celui-ci en un État fédéral ou même en une Confédération d’États[434].
Les cas des nations chrétiennes se trouvant sous le joug de la Turquie est justement un des cas où le droit à la sécession existe sans le moindre doute possible. Comme dit fort bien M. Le Fur, « le droit de sécession n’est que le pendant en droit international du droit de résistance en droit interne, droit indéniable dans les cas extrêmes, mais d’application très périlleuse ; c’est l’ultime recours en cas de tyrannie manifeste et prolongée »[435]. Lentement, après de longs efforts stériles pour résoudre les conflits entre la Turquie et ses sujets allogènes par la voie pacifique des réformes et des autonomies, les Puissances en sont venues à sanctionner, par leur armes, le droit des peuples chrétiens à la sécession de l’Empire ottoman.
Les puissances sorties victorieuses de la Grande Guerre ont reconnu à plusieurs nationalités des droits allant, selon le cas, de l’autonomie culturelle jusqu’à l’indépendance. Les traités dits des minorités ont reconnu à celles-ci, dans nombre d’États, un certain minimum de droits ; ils ont ainsi élargi l’empire du droit humain, jusqu’ici limité au Proche-Orient. Ces traités ont même, dans certains cas, concédé aux minorités des autonomies locales (aux Ruthènes en Tchécoslovaquie, aux Szeklers et Saxons en Roumanie). D’autre part, le principe des nationalités a reçu sa suprême consécration dans la reconnaissance aux Polonais, aux Tchécoslovaques, aux Yougoslaves et aux Roumains du droit à la sécession des États historiques qui les encadraient en partie ou entièrement.
Ce triomphe en Europe du droit humain semblait devoir se faire sentir également dans le pays classique de l’intervention d’humanité : le Proche-Orient. Les Puissances alliées qui, du fait de leur victoire, étaient devenues les arbitres du monde, étaient tenues d’étendre l’intervention d’humanité à toutes les races qui souffraient encore sous la domination turque. Les Puissances ont accompli ce devoir envers les Syriens et les Arabes. Mais elles ont failli à leur mission envers la nation arménienne, c’est-à-dire envers la nation qui, après les massacres de 1894-1896, de 1909, et surtout après ceux de 1915, avait le droit incontestable de prétendre au même traitement dont, au cours de l’histoire, avaient successivement bénéficié les Grecs, les Roumains, les Serbes, les Bulgares et les Libanais. Il est vrai que les Puissances se sont d’abord engagées dans la bonne voie. Mais après avoir proclamé l’indépendance de l’Arménie russe et soumis à l’arbitrage du Président des États-Unis la question de son union avec certaines parties de l’Arménie turque — union qui a été, en effet, prononcée par la sentence de M. Wilson — les Puissances non seulement sont revenues à la conception d’une simple autonomie (Foyer) pour l’Arménie turque, mais ont fini, à Lausanne, par renoncer à ce Foyer lui-même ; elles n’ont même pu obtenir en faveur des débris de la nation arménienne des garanties spéciales offrant le minimum de sûretés nécessité par les différences politiques et sociales existant entre la Turquie et les autres États signataires des traités des minorités.
On est donc forcé de conclure que l’attitude envers la nation arménienne des Puissances alliées a été manifestement contraire aux règles de l’intervention d’humanité, établies dans le Proche-Orient par une pratique séculaire et appliquées, après la Grande Guerre, à plusieurs nations en Europe.
Mais, comme nous l’avons constaté plus haut, les Arméniens avaient des titres encore plus solennels à la libération du joug turc que les traditions séculaires de l’intervention d’humanité. Les hommes d’État responsables des gouvernements alliés ont fait, pendant la guerre, des déclarations multiples et formelles tendant à libérer la nation arménienne de la domination turque. Plusieurs de ces promesses ont été adressées directement aux représentants qualifiés de la Nation arménienne. Ces promesses ont créé en faveur des Arméniens un droit incontestable. Car le principe du respect de la parole donnée a sa racine dans la notion de la justice qui puise sa force dans la conscience humaine. Depuis l’Antiquité, ce principe a été considéré comme sacré, même envers l’ennemi : Etiam hosti fides servanda. Et, s’il avait besoin d’une consécration contractuelle pour le domaine des relations internationales, il a reçu cette consécration encore dernièrement, dans le préambule du Pacte de la Société des Nations où les Hautes Parties contractantes déclarent qu’il importe « d’entretenir au grand jour des relations internationales fondées sur la justice et l’honneur ».
Nous estimons, d’autre part, qu’il ne serait pas possible de justifier la conduite des Puissances envers les Arméniens par le fait que ceux-ci ne constitueraient pas un « peuple organisé » dans le sens du préambule du Pacte[436]. Les promesses solennelles des Puissances qui s’adressaient aux Arméniens turcs les considéraient sans nul doute comme une nation en formation (nasciturus pro jam nato habetur), et l’on ne saisirait pas la raison pour laquelle l’exécution de ces promesses serait liée à « la justice et l’honneur » des Puissances à un degré moindre que celle des assurances données aux « nations » tchécoslovaque et polonaise, même en admettant que ces dernières eussent bénéficié d’une reconnaissance un peu plus officielle. Il ne faudra jamais oublier que la nation arménienne a été admise, par l’intermédiaire de ses organes qualifiés, à verser son sang pour la cause commune alliée. Quant à l’Arménie russe, elle a été reconnue de jure comme État et la sentence du Président Wilson lui a attribué les territoires arméniens de la Turquie. Il semble donc évident que les principes inscrits au préambule du Pacte doivent servir de critères pour l’appréciation de la conduite des Puissances alliées envers la nation arménienne.
Enfin les Résolutions de la Conférence de la Paix du 30 janvier 1919 et l’article 22 du Pacte de la Société des Nations donnaient à l’Arménie un droit légitime non seulement à sa séparation de l’Empire ottoman, mais aussi aux conseils et à l’aide d’une puissance mandataire, guide de l’administration arménienne jusqu’au moment où elle aurait été « capable de se conduire seule ».
Les Puissances signataires du Pacte n’ont pas rempli, en ce qui concerne les Arméniens, les obligations résultant de son article 22.
En définitive, l’attitude des Puissances alliées envers l’Arménie paraît contraire :
A la coutume de l’intervention d’humanité dans le Proche-Orient ;
Aux promesses faites par elles aux Arméniens[437] ;
Au Pacte de la Société des Nations.
Si l’on compare le traité de Sèvres qui a réalisé l’indépendance de l’Arménie avec celui de Lausanne qui a rejeté jusqu’à son autonomie, on constate dans ce dernier, à côté de cet abandon de la cause arménienne, la disparition ou la modification en faveur de la Turquie d’un grand nombre des clauses qui avaient marqué la victoire alliée. La Turquie qui recouvre Smyrne et la Thrace orientale demeure, il est vrai, amputée des provinces syriennes et arabes. Mais à cette Turquie réduite les Alliés non seulement ont consenti à Lausanne l’abandon de la tutelle financière et du contrôle militaire imposés par le traité de Sèvres, mais lui ont encore accordé la suppression des Capitulations et la renonciation à une grande partie des droits ou privilèges qui leur appartenaient dans le domaine financier ou économique. Sans qu’aucune amélioration apparente eût été apportée à son régime public et dans beaucoup de cas sans aucune transition, les Alliés ont sacrifié la plupart des garanties qui, avant leur victoire, avaient été jugées indispensables à l’activité étrangère dans les pays turcs.
Nous avons exposé, au cours de cette étude, dans l’ordre historique, les facteurs qui nous semblent avoir créé cette situation paradoxale. Il nous paraît maintenant possible de dégager de nos constatations les conclusions générales suivantes :
Les Alliés ont commis la lourde faute initiale de ne pas avoir pris envers la Turquie les précautions nécessaires pour rendre impossible toute résistance ultérieure à leurs volontés. L’armistice de Lemnos a laissé les Turcs maîtres de l’Anatolie et l’absence d’un contrôle efficace des Alliés sur le désarmement stipulé a permis l’éclosion et l’organisation du mouvement nationaliste. Ce mouvement aurait pu être considéré comme légitime s’il n’avait tendu qu’à la pleine indépendance d’une Turquie ethnographique. Mais le Kémalisme s’est installé au cœur même de l’Arménie et a, dès ses débuts, proclamé son opposition violente à toutes les aspirations arméniennes garanties par les Puissances ; et, malgré cela, ces dernières n’ont pris aucune mesure pour lui imposer leurs volontés quand la chose était encore comparativement facile.
Les Alliés n’ont pas su entièrement coordonner leurs vues sur l’organisation politique du Proche-Orient, ni y délimiter à la satisfaction commune leurs intérêts respectifs. Leur position vis-à-vis de la Turquie en a été immédiatement affaiblie.
Les Alliés, ayant laissé échapper le moment favorable à l’imposition de leur volonté à la Turquie, se sont trouvés bientôt en butte à de sérieuses difficultés dans loi pays de leurs mandats, tandis que l’opinion publique dans les métropoles se prononçait avec une insistance toujours croissante pour une paix immédiate dans le Proche-Orient, et contre tous sacrifices militaires et financiers dans les pays mandatés. Cette situation, au lieu d’amener une unité d’action plus complète des Alliés sur le front diplomatique, a engendré dans leur camp des tactiques différentes. La France et l’Italie ont cru devoir conclure des accords séparés avec la Turquie, tandis que l’Angleterre a tâché de continuer la lutte, en soutenant la Grèce et en essayant de détacher la Russie bolchéviste des Kémalistes. Ces tactiques séparées et divergentes des Alliés n’ont fait que fortifier l’esprit de résistance d’Angora à resserrer ses liens avec Moscou.
Les propositions communes que les Alliés ont faites à la Turquie depuis la Conférence de Londres et jusqu’à celle de Lausanne se présentent comme une succession de concessions enregistrant les défaites de l’armée grecque et donnant ainsi aux Turcs le sentiment que chaque victoire sur la Grèce en était en même temps une sur les Puissances.
Cet esprit de concessions semble avoir été en même temps inspiré aux Alliés par le souci des répercussions possibles de leur politique envers la Turquie sur leurs sujets musulmans. Ce souci était certainement très naturel et très légitime, en tant qu’il interdisait aux Alliés tout acte susceptible de blesser le sentiment religieux musulman. Il semble toutefois que cette louable préoccupation ait parfois dépassé chez les Alliés le domaine religieux et que la crainte s’y soit mêlée de voir une Turquie, mécontente de leur politique générale, prendre la tête d’un mouvement panislamiste. Or, à ce sujet, deux hypothèses auraient dû être envisagées par les Puissances. Tout d’abord, il s’agissait de s’assurer si la Turquie kémaliste serait vraiment qualifiée pour assumer le rôle de porte-flambeau de l’Islam, voire si elle voulait l’assumer. La suppression du Sultanat par l’Assemblée nationale d’Angora, le 1er novembre 1922, autorisait déjà des doutes à cet égard. En tout cas, cette Assemblée, en ne maintenant au Calife que le pouvoir spirituel, retirait elle-même la base religieuse à toute agitation dans les pays musulmans en faveur de l’inviolabilité du territoire turc, qui ne se trouvait plus sous le pouvoir temporel du Chef des Croyants[438].
En second lieu, même en supposant que la République radicale d’Angora aurait pu se servir, dans ses buts politiques, du Calife pour une propagande panislamiste, c’était totalement méconnaître la psychologie turque que de douter que toutes concessions trop larges des Alliés, faites dans un but de conciliation et de bonne entente, ne fussent interprétées comme dues à leur seule faiblesse et ne donnassent le signal non pas à la cessation, mais au renforcement même de cette propagande, dans le seul but d’obtenir des concessions nouvelles.
Quoi qu’il en soit, le 2 mars 1924, l’Assemblée Nationale d’Angora, en abolissant le Califat, a démontré de la manière la plus éclatante la vanité des craintes et la fausseté des calculs des gouvernements alliés.
La France surtout a été desservie par la tactique trop conciliante qu’elle croyait conforme à sa politique visant à l’instauration de bons rapports avec la voisine de la Syrie et à la conservation de l’immense patrimoine moral et matériel, accumulé pendant des siècles en Turquie. Cette tactique a été, en effet, interprétée par les Turcs comme un signe de faiblesse et de lassitude et merveilleusement exploitée au plus grand dam des intérêts français[439]. Et en même temps l’Angleterre, dont la tactique envers la Turquie a été infiniment plus raide, a fini par arriver à ses buts, dans la plupart des questions l’intéressant particulièrement.
En résumé, les facteurs qui ont conduit les Puissances alliées au traité de Lausanne peuvent être ramenés à la conclusion d’un armistice défectueux, à la carence d’un contrôle effectif sur l’exécution des clauses mêmes de cet armistice, à l’absence d’une politique unie envers la Turquie et à un certain nombre de fautes de tactique et d’erreurs d’ordre psychologique.
Après avoir caratérisé les facteurs qui ont déterminé le recul successif des Puissances victorieuses devant la Turquie vaincue, nous arrivons maintenant à la question capitale : Toutes les négligences, fautes et erreurs, commises par les Puissances entre l’armistice de Lemnos et la paix de Lausanne leur ont-elles conféré le droit d’inclure le sacrifice de l’Arménie dans le nombre de leurs autres concessions à la Turquie ? Etaient-elles aussi libres à ce sujet que pour l’abandon de leurs propres intérêts ?
La réponse à cette question dépend de la conception que l’on se fait du droit de conservation de l’État. Ce droit est sans nul doute en même temps un devoir sacré[440]. Mais si l’on veut déduire de ce devoir un droit de nécessité et comprendre sous ce dernier « le droit pour un État de poursuivre par tous les moyens, même par des moyens attentatoires aux droits d’un autre État, la réalisation de ses fins particulières ou de ses intérêts particuliers »[441], on arrivera à une négation complète de tout droit international. Certes, il peut se présenter des cas où un État semblerait justifié à invoquer des « intérêts vitaux » ou la clause rebus sic stantibus pour se dégager d’un devoir international[442]. Mais, à notre avis, la constatation de l’état de nécessité en pareille occurrence ne saurait être abandonnée à l’appréciation arbitraire de l’État intéressé lui-même[443]. C’est le droit international seul qui devrait fournir le critère objectif pour la délimitation des intérêts en présence, et seule une instance internationale serait qualifiée pour la constatation d’un état de nécessité[444].
Le préambule du Pacte de la Société des Nations semble d’ailleurs avoir tranché la question dans cet esprit même. Après avoir proclamé solennellement la nécessité « d’entretenir au grand jour des relations internationales fondées sur la justice et l’honneur », les membres de la Société des Nations ne pourront plus, sous peine de contrevenir au Pacte, invoquer leurs « intérêts vitaux » ou d’équivalentes formules vagues et élastiques pour se soustraire arbitrairement à l’empire du droit.
En appliquant ces principes à la question qui nous préoccupe, il nous semble impossible de justifier l’attitude des Puissances envers la nation arménienne par un prétendu « état de nécessité ».
En premier lieu, ces Puissances n’étaient pas qualifiées pour constater un pareil état en dehors de tout critère objectif. Elles ne pouvaient pas faire figure de juges pour décider si leurs propres intérêts devaient primer ou non ceux de l’Arménie. Mais même si l’on fait abstraction de ce vice de forme et si l’on apprécie l’attitude des Puissances quant au bien fondé de la délimitation d’intérêts à laquelle elles ont procédé, cette délimitation semble contraire aux principes de « justice » préconisés par le Pacte.
Certes, dans les circonstances actuelles, au même degré que les Puissances alliées, l’historien qui doit apprécier leur conduite manque d’un critère objectif, fixé par le droit international positif, pour juger s’il y a eu vraiment nécessité dans l’abandon de l’Arménie. Il existe cependant une circonstance qui semble, en toute justice, autoriser l’avis que cet abandon a été du moins prématuré et même précipité.
Des erreurs et des fautes politiques, que nous nous sommes efforcés d’exposer impartialement, ont amené les Puissances alliées à une situation qui leur semblait rend indésirable au plus haut degré une prompte paix avec la Turquie vaincue. Cet intérêt d’une paix immédiate leur paraissait primer beaucoup d’autres de leurs intérêt essentiels qu’elles ont par conséquent sacrifiés à l’intérêt considéré comme supérieur. On peut, comme nous, trouver ces sacrifices exagérés et inopportuns, mais on ne saurait contester aux gouvernements le droit de fixer la hiérarchie de leurs propres intérêts, droit ne relevant que du contrôle des représentations nationales respectives. La question change cependant d’emblée dès qu’il s’agit des intérêt d’un tiers, dans l’espèce de ceux de la nation arménienne, formellement garantis par les gouvernements alliés.
La première excuse qu’invoqueront certainement les apologistes de l’attitude des Puissances dans la question arménienne devant le tribunal de l’Histoire sera l’impossibilité de continuer la guerre contre la Turquie, sans provoquer de graves crises à l’intérieur, les peuples de l’Entente, sortis totalement épuisés de la terrible tourmente, s’opposant à tous nouveaux sacrifices de sang et d’argent. Excuse dont la valeur ne saurait être appréciée en toute impartialité que sur la base d’un examen minutieux de tous les facteurs politiques et sociaux en présence et sur lesquels la lumière complète ne nous paraît pas encore avoir été projetée. Mais pour notre part, nous n’avons nullement besoin d’entrer ici dans ce redoutable examen des conséquences sociales d’un prolongement de la guerre avec la Turquie. À notre humble avis, cette guerre n’était nullement nécessaire pour amener les Kémalistes à composition. Un blocus économique et financier de la Turquie, terriblement affaiblie par la guerre, l’aurait, sans nul doute possible, amenée au sentiment des réalités. Il est, en effet, certain que ce n’est pas le gouvernement soviétiste, lequel avait conduit la malheureuse Russie elle-même à la famine, qui aurait pu pendant longtemps approvisionner et financer une Turquie retranchée du monde civilisé. Et il est également certain qu’un pareil blocus économique et financier n’aurait pu mettre en danger des « intérêts vitaux » des Alliés. Les inconvénients économiques passagers qui en auraient résulté pour les Puissances bloquantes n’auraient pu, en tout cas, devant l’histoire impartiale, être invoqués comme primant le droit à la vie de la nation arménienne garanti par les Alliés. La disproportion des intérêts en présence est trop évidente pour tout juge de bonne foi. Les Alliés étaient à coup sûr libres de préférer, pour des raisons d’opportunité politique, le sacrifice de leurs propres intérêts non seulement à la guerre, mais même au blocus. Mais les Puissances étaient certainement tenues d’essayer du moyen du blocus pour faire honneur aussi bien à leurs traditions glorieuses dans le passé qu’à leurs promesses et aux principes inscrits au préambule du Pacte.
On arrive ainsi forcément à la conclusion qu’en abandonnant l’Arménie à son sort, sans même avoir essayé d’une pression économique et financière sur la Turquie, les Puissances ont délibérément sacrifié l’intérêt supérieur de l’Arménie, non pas au devoir sacré de leur propre conservation, mais à des intérêts d’une valeur incontestablement inférieure. Par conséquent, l’excuse de l’état de nécessité ne nous semble pas pouvoir être invoquée utilement dans la question arménienne par les Puissances alliées.
Confrontée avec le redoutable problème arménien, qui pose en entier celui des rapports entre le droit et la politique, la première Assemblée de la Société des Nations a pris une attitude où se reflétait une exagération manifeste de son impuissance. Elle n’a non seulement donné aucune suite à la proposition roumaine d’une intervention armée internationale en faveur de l’Arménie, mais elle a même refuse de courir les risques de l’admission de l’Arménie dans son sein, risques qui ne comportaient cependant pour ses membres aucune action militaire, mais uniquement l’application éventuelle à la Turquie kémaliste d’un blocus économique et financier. Il est néanmoins infiniment probable, sinon certain, que la proclamation d’un pareil blocus aurait produit sur le gouvernement de Moustapha Kémal l’effet le plus salutaire et l’aurait amené en tout cas à certaines concessions. Plus encore, la Société des Nations aurait pu avoir recours à un boycottage moral et proclamer hautement que la Turquie ne serait pas reçue dans son sein avant d’avoir réparé ses crimes envers l’Arménie, en lui rendant son indépendance. La Turquie kémaliste a eu beau, à plusieurs reprises, feindre son indifférence ou même son hostilité pour la Société des Nations, il est certain qu’une pareille exclusion l’aurait atteinte dans sa dignité et l’aurait, ne fût-ce qu’avec le temps, amenée à composer avec l’Arménie. En tout cas, pareil avertissement aurait été dans le rôle d’une Société créée pour « entretenir au grand jour des relations internationales, fondées sur la justice et l’honneur ».
La Société des Nations s’est toutefois ressaisie au fur et à mesure qu’elle prenait conscience de son incomparable force morale qui ne lui était peut-être pas apparue clairement au moment même de sa naissance. La seconde et la troisième Assemblées de la Société ont, en effet, énergiquement insisté sur la nécessité d’un foyer national pour l’Arménie et la cinquième Assemblée a adopté, à la date du 25 septembre 1924, une résolution qui a éclairé les cœurs arméniens d’une nouvelle lueur d’espérance.
Chargé d’exposer à l’Assemblée l’opinion de la cinquième Commission sur la question des réfugiés arméniens soumise à l’attention de la Société par le gouvernement hellénique, le Rapporteur M. de Brouckère (Belgique) trouva les accents les plus émouvants pour élever le problème arménien au-dessus d’un niveau purement philanthropique.
« Ce problème, dit-il, n’est pas celui du secours aux réfugiés arméniens : c’est celui du rétablissement sur son sol, dans la plénitude de ses droits, dans la plénitude de sa sécurité, de la nation arménienne, qui a droit à l’existence nationale.
« Je dis qu’elle a droit à l’existence nationale : elle y a droit comme toutes les autres nations ; elle y a peut-être, vis-à-vis de nous, un droit particulier : la Société des Nations a la garde de tous les peuples, mais elle a pris, vis-à-vis des Arméniens, des engagements précis.
« Lorsque le Conseil suprême a demandé à la Société des Nations d’accepter le mandat pour l’Arménie, la Société des Nations, n’ayant pas la possibilité d’assurer un protectorat matériel, a, tout au moins, assumé un protectorat moral, et je ne rappellerai pas ces résolutions que toutes nos Assemblées successives ont prises, affirmant le droit de l’Arménie à retrouver un foyer arménien.
« A ces résolutions, nous demeurerons fidèles ! (Applaudissements.)
« La seule chose qui nous reste à voir, c’est la manière dont nous parviendrons à dégager notre promesse.
« Ramener les Arméniens chez eux ! Où cela ? On a d’abord songé au Caucase. Le rapport que vous avez sous les yeux vous indique pourquoi la cinquième Commission estime qu’on ne peut, sans nouvel examen, sans nouvelle étude, décider l’envoi au Caucase d’un nombre considérable de réfugiés arméniens.
« Il y a là un problème technique extrêmement compliqué. Le Caucase arménien paraît déjà surpeuplé et rien ne prouve qu’il se trouve aujourd’hui dans des conditions de sécurité suffisantes ; rien ne prouve que l’établissement là-bas d’un nombre, même minime, de réfugiés n’absorberait pas des sommes si considérables que nous n’en puissions pas disposer.
« En pareille matière, il faut être prudent et la cinquième Commission vous propose de conclure simplement à une étude — non pas pour écarter la question ou en retarder la solution, mais simplement pour pouvoir vous apporter cette solution d’une façon plus ferme et plus éclairée.
« Etablissement des réfugiés arméniens au Caucase ! Etablissement des réfugiés arméniens dans le reste du domaine arménien ! Où est-il ? Quelles en sont les limites ?
« Ah ! mesdames et messieurs, nous aurions pu croire, il y a peu de temps, que ces limites étaient tracées : elles avaient été tracées par une haute autorité, par ce Président Wilson dont nous conservons tous pieusement la mémoire.
« Nous sommes bien obligés de reconnaître aujourd’hui qu’elles ne sont plus tracées, mais tout au moins convient-il d’affirmer bien haut qu’elles ne sont pas tracées, qu’elles n’ont été fixées ni en faveur des Arméniens ni contre eux et que le problème reste ouvert.
« Il y a là un problème politique que je me garderais bien d’examiner car je me souviens que le rapport est présenté au nom de la cinquième Commission et pas au nom de la sixième Commission.
« Nous reconnaîtrons tous qu’il semble que le moment ne soit pas venu de tenter la solution politique du problème : les circonstances ne paraissent pas favorables.
« Il faut donc attendre. Mais il y a deux manières d’attendre : attendre dans l’inaction , attendre en préparant.
« C’est cette seconde manière d’attendre que recommande la cinquième Commission. Elle vous invite à attendre en prenant les mesures préparatoires nécessaires pour que les Arméniens retrouvent un jour leur foyer.
« Pour qu’il soit possible d’atteindre ce but, il faut d’abord que les Arméniens demeurent un peuple.
« Nous pourrions nous contenter de demander à l’organisation que dirige, avec l’autorité à laquelle on a justement rendu hommage, le docteur Nansen, de prendre en faveur des Arméniens quelques mesures humanitaires, d’essayer de leur trouver quelque nourriture et quelque travail. Au bout d’un certain nombre d’années, les Arméniens se trouveraient disséminés dans différentes parties du monde. Ils se perdraient dans la masse humaine et cesseraient de former une nation.
« Cette solution ne serait pas digne de la Société des Nations. Elle ne nous dégagerait pas de notre promesse.
« Nous devons, au contraire, faire en sorte que le peuple arménien garde sa nationalité. Ce serait un crime contre l’humanité, un crime contre les principes qui nous réunissent ici, que de permettre la disparition d’un peuple. Jaurès a prononcé un jour ces belles paroles qui doivent nous faire réfléchir : “Nous en sommes venus au temps où l’humanité ne peut plus vivre avec, dans sa cave, le cadavre d’un peuple assassiné”. (Applaudissements.)
« Si nous voulons le maintien de la paix, souvenons-nous des leçons de l’histoire. On ne fait pas disparaître un peuple pour jamais. Un peuple assassiné ressuscite. Mais il ressuscite au milieu des convulsions. Depuis un siècle, rien n’a entraîné en Europe plus de guerres que l’effort des peuples victimes de l’oppression, qui voulaient renaître et reprendre leur existence nationale.
« Préparons donc le retour normal, pacifique, des Arméniens à leur existence nationale. En prenant soin de leur conservation matérielle, pensons à leur conservation nationale. Plaçons-les dans des conditions qui leur permettent de mener non seulement leur vie humaine, mais aussi leur vie d’Arméniens. Si nous ne pouvons leur garantir l’exercice de tous leurs droits politiques, pensons au moins à leur conserver leurs droits civils ; efforçons-nous de les protéger chaque fois que se posent les innombrables problèmes juridiques à l’occasion desquels nous pouvons agir. Faisons en sorte qu’ils puissent parler arménien, cou server leurs institutions et leurs traditions arméniennes.
« Ainsi, nous n’aurons pas fait seulement un acte d’humanité, nous aurons préparé un acte de justice. Nous aurons dit à ce peuple qui souffre : “Prenez patience ! La Société des Nations ne vous abandonne pas. Pour vous aussi, l’heure de la justice sonnera et vous retrouverez en toute sécurité votre existence nationale au foyer qui vous a été promis” ». (Vifs applaudissements.)
Le Comte Tosti di Valminuta, délégué de l’Italie, prononça à son tour un discours où se reflétait « toute la sympathie agissante du peuple italien » pour la race arménienne : « Le premier point à envisager, dit-il, est celui qui concerne la dispersion et le dénuement actuel du peuple arménien.
« Une race très ancienne, décimée par un martyre séculaire, est contrainte de quitter les terres de ses aïeux, foyer de traditions glorieuses, de tenaces vitalités et d’efforts héroïques, et elle transporte de pays en pays les signes de son indicible douleur et de ses souffrances infinies.
« C’est une nation qui se meurt. Si la solidarité internationale n’est pas un vain mot, il faut la sauver. Il faut que les peuples fassent preuve de leur volonté unanime d’assistance réciproque en accourant à l’aide d’une des races qui a tant contribué à la civilisation du monde. Voici l’occasion de démontrer que cette solidarité internationale n’est pas une formule dont on abuse trop souvent, mais est, au contraire, une vivante et merveilleuse réalité.
« La Société des Nations ne s’est d’ailleurs jamais désintéressée du sort du peuple arménien. Dans chacune de ses sessions, notamment à partir de 1921, l’Assemblée a insisté sur la nécessité de donner une solution à ce problème angoissant.
« En vertu du Pacte et des principes essentiels de justice et d’humanité qui l’inspirent, la Société des Nations est appelée à prendre soin des nations faibles et menacées et, dans l’espèce, à porter secours aux débris de cette race noble et ancienne que l’on a laissée aller à la dérive après la grande tourmente.
« Je crois devoir ajouter que le problème des secours aux Arméniens ne se pose pas seulement du point de vue humanitaire et philanthropique. Ce peuple malheureux a aussi qualité pour invoquer le droit à l’existence, qui est sacré et imprescriptible.
« Je ne saurais retenir trop longuement l’attention de cette Assemblée, qui va être saisie sous peu d’un aspect plus précis de ce même problème, et je me bornerai à rappeler en passant le traité de Sèvres dans lequel l’Arménie était reconnue comme une Haute Partie contractante. Ce traité n’a pas été ratifié et a cessé par là d’avoir une valeur juridique. Il s’y reflétait pourtant une situation de fait dont quelque chose subsiste encore en ce qui concerne le peuple arménien. (Applaudissements.)
« Je ne saurais non plus oublier que le Président Wilson avait consacré au sort de ces malheureux une attention soutenue au point de tracer les frontières du territoire qu’il comptait leur réserver et qui dépassait de beaucoup les limites actuelles de la République d’Erivan.
« Différents projets ont été mis à l’étude : quelques-uns apparaissent comme étant d’une réalisation à peu près impossible et les résultats de certains autres semblent devoir être bien douteux. L’attention des intéressés s’est concentrée jusqu’à présent sur deux de ces projets ; la création d’un Foyer arménien au Caucase, en dehors des limites actuelles de la République d’Erivan et le transfert de 50.000 réfugiés arméniens dans le territoire de Sardarabad, qui devrait être préalablement assaini par de grands travaux d’irrigation et par la construction d’habitations rurales.
« Pour des raisons de tous ordres, je ne crois pas que ces projets puissent donner l’espoir d’une application facile, et moins encore rapide.
« Je suis tout à fait d’accord, à cet égard, avec l’éminent rapporteur. L’Assemblée sera d’ailleurs appelée à se prononcer aujourd’hui même sur ce point spécial.
« Dans la crainte que les deux projets sus-mentionnés ne puissent recevoir une réalisation pratique, sauf dans un avenir très éloigné, il semble nécessaire d’apporter sans délai aux réfugiés arméniens tous les secours dont nous pouvons disposer.
« Deux voies se présentent à l’activité de la Société des Nations. En premier lieu, il est possible de rapatrier un certain nombre de réfugiés arméniens qui étaient fixés auparavant dans le territoire reconnu à la Turquie.
« Il nie paraît incontestable que les articles 37 à 45 du traité de Lausanne donnent à la Société des Nations le pouvoir d’assister les minorités ethniques dans les démarches que les réfugiés, appartenant à ces minorités, pourraient entreprendre dans le but de rentrer dans leur pays.
« Il m’est impossible de douter que, sur ce point, on ne puisse compter non seulement sur le zèle éprouvé des organes de la Société des Nations mais aussi sur la bonne volonté du gouvernement ottoman.
« Je ne fais pas de propositions concrètes à cet égard, m’en rapportant aux avis que le Conseil, dans sa sagesse, croira devoir adopter.
« Une seconde tâche de la Société des Nations consiste dans le placement de la main-d’œuvre arménienne dans les pays où les réfugiés se seront fixés, dans une mesure compatible avec la capacité d’absorption de ces pays… ».
Finalement l’Assemblée vota la résolution suivante :
« L’Assemblée, tenant compte des résolutions adoptées en faveur des Arméniens par les première, deuxième et troisième Assemblées, ainsi que par le Conseil ;
Désireuse de manifester sa sympathie envers ces malheureuses populations ;
Ayant examiné les propositions formulées en vue de l’établissement des réfugiés arméniens au Caucase et dans d’autres régions ;
Estimant qu’il est toutefois inopportun d’exprimer une opinion quelconque sur ces propositions avant qu’elles n’aient fait l’objet d’études approfondies et impartiales ;
Invite le Bureau international du Travail, en collaboration avec le directeur Nansen, à procéder à une enquête qui aura pour but d’étudier la possibilité d’établir en grand nombre les réfugiés arméniens au Caucase ou ailleurs ;
Et ajoute, à cet effet, un crédit supplémentaire de 50.000 francs au budget des réfugiés pour l’année 1925, étant entendu que, par ce vote, les Membres de la Société des Nations ne prennent aucun engagement quant à l’exécution d’un projet quelconque à ce sujet.
L’Assemblée déclare, en outre, qu’en attendant que puisse être constitué un Foyer national arménien, il importe que toutes facilités soient accordées aux réfugiés pour leur permettre de se procurer des emplois productifs dans d’autres pays, afin de maintenir et de sauvegarder leur existence nationale.
Enfin, l’Assemblée propose de remercier et de féliciter le gouvernement et le peuple helléniques pour les efforts admirables qu’ils ont accomplis en faveur des Arméniens, et d’exprimer aux États-Unis et aux autres pays sa vive gratitude pour la générosité dont ils n’ont jamais cessé de faire preuve à l’égard des Arméniens. Elle propose, en outre, d’inviter ces pays à continuer à cette malheureuse population une aide qui lui est précieuse et indispensable dans la dure épreuve qu’elle traverse actuellement »[445].
La cinquième Assemblée de la Société des Nations a ainsi solennellement confirmé les résolutions antérieures de ses devancières en faveur d’un Foyer national arménien et a proclamé la nécessité de maintenir et de sauvegarder l’existence nationale des Arméniens en attendant que ce foyer pût être constitué.
Si l’on devait considérer comme définitive la solution purement négative que la question arménienne a trouvée à Lausanne, cette question ne devrait certainement pas être marquée d’une pierre blanche dans l’histoire de l’évolution du droit international. Car, contrairement à tous les précédents de l’intervention d’humanité et contrairement aux promesses formelles et officielles des Puissances, l’Arménie a été abandonnée à la merci du nationalisme turc triomphant, abandonnée sans qu’en justice on puisse excuser cet abandon par un véritable intérêt de conservation des Puissances. Intervenu presque immédiatement après la constitution de la Société des Nations, le sacrifice de l’Arménie, s’il devait être considéré comme définitif, ne manquerait pas de jeter un discrédit sur la sincérité de ceux qui, par les principes élevés du Pacte, semblaient promettre aux peuples une nouvelle ère de paix et de justice.
Les hommes d’État de l’Europe se sont d’ailleurs parfaitement rendus compte de la signification morale que pourrait prendre, sous ce rapport, un abandon définitif de l’Arménie. Déjà à la première Assemblée de la Société des Nations, lord Robert Cecil avait déclaré que la Société ne pourrait pas être « le défenseur de la moralité publique » si elle ne faisait pas tout son possible pour empêcher le renouvellement du martyre des Arméniens. M. Motta, à la troisième Assemblée, a affirmé que « ne pas résoudre enfin la question de l’Arménie serait sans exagération une souillure, une honte pour la civilisation humaine ». Lord Curzon enfin, a appelé la question arménienne, en plein Conférence de Lausanne, « l’un des grands scandales du monde ». Nous ne doutons pas que beaucoup d’autres hommes d’État européens ne partagent ces sentiments au sujet d’une situation due, non pas certes à la mauvaise volonté des Puissances, mais à une série de fautes politiques et d’erreurs psychologiques.
En effet, l’abandon définitif de l’Arménie par les Puissances signifierait la consécration implicite de la solution qu’a donnée à la question arménienne la Turquie : la solution par l'extermination d’une minorité inopportune. Ce serait le triomphe brutal en Proche-Orient de la politique sur le droit, alors qu’autrefois le droit y a très souvent imposé des trêves à la politique. Ce serait la reconnaissance implicite d’un droit général pour tous les peuples d’affermir et de consolider leur existence par la destruction ou l’assimilation violente d’autres nations, droit qui, en effet, a été exercé très librement au cours de l’histoire jusque dans des temps modernes, mais qu’on croyait définitivement condamné depuis l’avènement d’une Société des Nations et la conclusion des traités de minorités.
Mais c’est justement dans la constatation des conséquences fatales qu’entraînerait l’abandon définitif de l’Arménie que nous puisons la conviction que pareil abandon n’est pas possible. La question arménienne n’est pas terminée.
Elle ne saurait l’être tout d’abord, pour la nation arménienne elle-même. Car, malgré toutes les persécutions, cette nation existe toujours et possède encore, quoique sous la férule soviétique, un territoire national — la République d’Erivan. Mais ce territoire (28.000 km. carrés dont 9.000 de terres cultivables) est malheureusement trop étroit pour sa population de 1.260.000 âmes (dont 1.200.000 Arméniens, y compris les réfugiés). Il arrive à peine à nourrir les deux tiers de cette population. Il est donc impossible d’y transporter les 7 ou 800.000 réfugiés qui sont éparpillés dans d’autres parties de la République soviétique, en Grèce, en Syrie, en Bulgarie, en Perse et ailleurs. Il s’ensuit que l’Arménie d’Erivan est, par la force des choses, poussée à l’élargissement de ses frontières et que les aspirations des Arméniens du monde entier sont orientées vers le même but. Or, le nombre total de ces Arméniens est évalué environ à 3.000.000. Ce chiffre assez considérable semble donner raison à lord Robert Cecil qui, nous l’avons vu, à la troisième Assemblée de la Société des Nations, indiqua que la question arménienne était non seulement une question d’humanité, mais aussi une « question de politique pratique ». Car la grande masse de ces Arméniens, pour parler toujours avec le noble lord, « n’auront de cesse qu’on n’ait garanti leur sécurité et leur situation nationales ».
Il est évident que, pas plus que pour la nation arménienne, la question n’est liquidée en ce qui concerne la Turquie, ni au point de vue politique, ni au point de vue moral.
Au point de vue politique, les Turcs ont tout avantage à s’entendre avec les Arméniens et à terminer définitivement leur longue et sanglante lutte. Les dernières demandes des Arméniens sont forcément plus que modérées, se limitant à une restitution à l’Arménie des districts de Kars et de Sourmali, et à la création d’un Foyer national arménien en Turquie. Une solution encore plus radicale et plus sincère de la question serait naturellement la cession à la République arménienne, non seulement des districts cédés par le traité de Kars, mais d’un territoire supplémentaire nécessaire pour recueillir et faire vivre les réfugiés éparpillés à l’étranger. Mais ce sacrifice aussi ne serait certainement pas trop lourd pour la Turquie, les vastes territoires qui lui sont restés en Asie n’étant que faiblement peuplés.
Au point de vue moral, en tout cas, pareille réparation présenterait pour la Turquie un avantage incalculable. Personne ne saurait nier le droit de la Turquie à une vie nationale absolument indépendante . Mais l’énergie farouche avec laquelle s’est affirmé le nationalisme turc depuis la guerre ne reste légitime qu’en tant qu’il se montre respectueux des justes aspirations des autres nations. Et jusqu’ici l’un des plus faibles points du Kémalisme a été précisément la négation complète des droits à la vie de la nation arménienne, non moins sacrés certes que ceux de la nation turque. Si aujourd’hui, par un geste équitable, la Turquie sortie de la grande guerre voulait réparer les torts immenses causés à l’Arménie, elle montrerait, d’un trait, à l’univers, qu’elle aspire vraiment à devenir une nouvelle Turquie, aussi éloignée de celle d’Abdul-Hamid que de celle des Talaat et Enver.
A défaut d’un pareil acte de justice spontané de la part de la Turquie, que pour le moment, malheureusement, rien ne fait présager, les Puissances alliées adopteront nécessairement, tôt ou tard, à l’égard de l’Arménie, une attitude à la fois plus conforme à leurs engagements formels, aux traditions de l’intervention d’humanité et aux principes de justice proclamés par le Pacte. Car l’abandon de l’Arménie à la Conférence de Lausanne, par ces Puissances, n’est certainement pas caractéristique de leur attitude générale d’après-guerre envers les races opprimées de la Turquie. Les Syriens et les Arabes qui ont eu infiniment moins à souffrir des Turcs que les Arméniens ont été cependant émancipés de la domination ottomane et placés sous le mandat de puissances civilisées. Il semble donc téméraire de considérer dès à présent la défaillance de Lausanne comme le signe précurseur d’une nouvelle régression du droit humain et du droit international. Il paraît plus juste de n’y voir qu’une dérogation temporaire à l’un et à l’autre. D’autre part, nous croyons avoir établi que le sacrifice du droit à la politique consommé par cette déplorable dérogation avait été inutile. Il n’a été consenti par les Puissances qu’à la suite d’une surestimation de l’importance mondiale du mouvement nationaliste turc ainsi que d’une sous-estimation de leurs propres moyens d’action sur la nouvelle Turquie. De pareilles erreurs d’optique politique ne sauraient évidemment durer. Les Turcs eux-mêmes, en abolissant le Califat, ont dessillé les yeux des moins clairvoyants. Ce serait faire injure aux Puissances alliées que de douter qu’elles ne considèrent l’abandon de l’Arménie que comme purement provisoire et qu’elles ne saisissent à l’avenir toute circonstance propice pour ajuster leur politique arménienne à leurs glorieuses traditions dans le Proche-Orient, pour libérer leur parole engagée et pour rendre un nouvel hommage au Pacte.
II est également hors de doute que le facteur russe sera appelé à jouer un grand rôle dans l’avenir de l’Arménie. La Russie émergée de la terrible tourmente bolchéviste qui, depuis sept ans, l’a remuée jusqu’à des profondeurs jamais encore atteintes, ne pourra être qu’une Russie puisant sa force dans une véritable harmonie de tous ses éléments allogènes avec le grand noyau russe. Une telle Russie aura également soin d’asseoir sur la large base d’accords conclus entre égaux, et en tenant compte des intérêts mutuels, ses relations avec les nouveaux États qui, pendant la période des troubles, se sont constitués sur ses confins, sans empiéter sur les terres voulant rester russes. En particulier, une telle Russie saura établir ses rapports futurs avec la libre République arménienne sur des bases conventionnelles autrement sincères que celles posées par les dictateurs bolcheviks. Enfin, une telle Russie ne tardera pas à se souvenir que c’était un gouvernement russe qui avait pris en 1914 l’initiative des réformes en Arménie turque et que c’est envers l’État russe que la Turquie s’était engagée à les réaliser. C’est pourquoi il semble certain qu’un des premiers signes extérieurs d’une résurrection morale et politique du peuple russe sera une action vigoureuse de sa part en faveur de l’infortunée nation qui a tant souffert de l’absence tragique de la vraie Russie.
Enfin il n’est pas permis de douter que toute action en faveur de l’Arménie ne trouve un appui chaleureux auprès de la Société des Nations. On peut même prévoir que, si cette action se faisait attendre trop longtemps, cette Société, sortie des hésitations et des tâtonnements de ses premières heures, prendra une initiative féconde pour une solution équitable du problème arménien. À notre point de vue, le refus à la Turquie de l’accès de la Société avant une pareille solution aurait dû être le premier moyen employé, moyen conforme à la haute idée morale qu’incarne cet organisme international et qui peut-être aurait, à la longue, exercé une influence heureuse sur le gouvernement turc. Mais, puisqu’il en a été décidé autrement, on ne peut douter que la Société des Nations n’emploie dorénavant tout son prestige auprès de son futur nouveau membre en faveur de l’Arménie. Les délibérations et les décisions de la 5e Assemblée en sont un indice sûr. La solution négative du problème arménien qui a prévalu à Lausanne est tellement monstrueuse que la Société des Nations ne saurait s’en accommoder trop longtemps. Et comme heureusement l’œuvre admirable déjà accomplie par la Société, malgré tous les obstacles semés sur sa route, pèse de plus en plus dans la balance mondiale, on doit espérer que son action bienfaisante contribuera à la réparation de l’injustice dont le poids immense écrase la nation arménienne.
V. Mandelstam, Le sort de l’Empire ottoman, 1917, p. 414 et suiv., 456-462, 570-575 ; et Mémoire sur la délimitation des droits de l’État et de la Nation d’après la doctrine du Président Wilson, 1919, p. 24-29.
Nous croyons que cette doctrine est celle qui se dégage de l’ensemble des différentes déclarations du Président Wilson (V. notre Mémoire sur la délimitation des droits de l’État et de la Nation d’après la doctrine du Président Wilson). Le point 2 du discours présidentiel de Mount-Vernon (4 juillet 1918) semble, il est vrai, aller très loin dans la voie de la reconnaissance du libre arbitre des nationalités, car il pose, comme l’un des buts de guerre des Alliés, « le règlement de toute question concernant soit les territoires, soit la souveraineté nationale, soit les accords économiques ou les relations politiques, sur la base de la libre acceptation de ce règlement par le peuple immédiatement intéressé et non sur la base de l’intérêt matériel ou de l’avantage de toute autre nation ou de tout autre peuple qui pourrait désirer un règlement différent en vue de sa propre influence extérieure ou de son hégémonie ». Mais cet article doit être interprété aussi bien à la lumière du discours du 11 février 1918 qu’à celle du Message du 27 septembre 1918 qui prouvent tous les deux que le Président Wilson, tout en étant le champion très résolu des droits des nationalités, les a cependant subordonnés aux intérêts supérieurs de la paix du monde.
Le point 4 du Message au Congrès du 11 février 1918 porte, en effet : « Toutes les aspirations nationales bien définies devront recevoir la satisfaction la plus complète qui puisse être accordée sans introduire de nouveaux, ou perpétuer d’anciens éléments de discorde ou d’antagonisme, susceptibles avec le temps de rompre la paix de l’Europe et par conséquent du monde. »
Le point 2 du discours du 27 septembre 1918 dit : « Aucun intérêt individuel ou spécial d’une nation quelconque ou d’un groupe quelconque de nations ne pourra inspirer une partie de l’arrangement qui ne correspondrait pas à l’ensemble des intérêts de tous ».
Ce sont ces deux dernières déclarations qui nous semblent en plein accord avec la doctrine générale du Président, orientée non pas vers la dissolution, mais vers la consolidation de l’Humanité, doctrine avec laquelle un droit anar-chique de chaque nation a disposer d’elle-même serait en contradiction flagrante.
Sur le rôle transactionnel du Fédéralisme dans la solution des conflits entre État et nationalités, V. Le Fur, Races, nationalités, États, p. 133-144, et Philosophie du droit international, dans la Revue gén. de droit int. public (1921), p. 583-584. M. Le Fur démontre qu’« il ne faut pas attacher un excès d’importance à la pleine souveraineté politique. Les petites nationalités devront savoir parfois renoncer à l’indépendance politique pour s’attacher surtout au développement de leur autonomie morale (religion), intellectuelle (culture, langue), administrative et, autant que possible, économique. De son côté, la grande nation impérialiste devra restreindre l’exercice de ses droits au contrôle de quelques matières communes indispensables (affaires extérieures, armée, marine et finances communes, souvent aussi une entente douanière qui est dans l’intérêt de tous) ».
Louis Le Fur, Philosophie du droit international, dans la Revue gén. de droit intern. public, 2e série, t. in (1921), p. 579.
Le préambule du Pacte déclare, dans un autre paragraphe, qu’il importe « de faire régner la justice et de respecter scrupuleusement toutes les obligations des traités dans les rapports mutuels des peuples organisés ».
C’est à ce seul point de vue que se place un remarquable document intitulé la « Proposition d’un don pour la liquidation définitive des questions arméniennes soulevées par la guerre ». Ce document, daté de « septembre 1924 », est adressé au premier ministre de la Grande-Bretagne (M. Ramsay Macdonald) et porte la signature de deux anciens Premiers Ministres (M. Asquith et M. Stanley Baldwin). Les deux hommes d’État expriment l’avis qu’il est du devoir de la Grande-Bretagne de donner une aide substantielle au projet d’établissement des réfugiés arméniens dans l’Arménie du Caucase. Et ils motivent cet avis par les considérations suivantes :
1. — Les Arméniens ont été encouragés, par des promesses de libération, à soutenir la cause des Alliés, et ils ont souffert tragiquement pour cette cause.
2. — Pendant la guerre et depuis l’armistice, des hommes d’État appartenant aux Puissances alliées et associées se sont engagés à plusieurs reprises à assurer la libération et l’indépendance de la nation arménienne.
3. — La Grande-Bretagne est responsable en partie de la dispersion finale des Arméniens ottomans après le sac de Smyrne en 1922.
4. — La somme de livres sterlings 5 millions (or turc) déposée par le gouvernement turc à Berlin en 1916 et prise par les Alliés après l’armistice était en grande partie (et peut-être entièrement) de l’argent arménien.
5. — Les conditions actuelles des réfugiés sont instables et déprimantes et constituent un reproche pour les Puissances occidentales.
Ce document, que nous reproduisons plus loin, [lien], en traduction française dans une annexe, constitue un appui officiel précieux à une partie de notre argumentation. Nous regrettons d’autant plus d’être en désaccord complet avec la conclusion à laquelle arrivent les deux éminents hommes d’État britanniques. Ils estiment, en effet, que leur projet « est destiné à être une liquidation finale de la responsabilité des Alliés envers les Arméniens ». Il nous semble qu’un don en argent accordé aux réfugiés ne saurait jamais dégager les Puissances de la réalisation de leurs promesses solennelles d’assurer à l’Arménie une existence nationale.
La République de Turquie, proclamée une année après l’abolition du Sultanat (29 octobre 1923), a d’ailleurs, dès ses débuts, fait au Calife une situation assez précaire dans le domaine même du spirituel. Un des plus fougueux et zélés défenseurs du Califat, le Prince Agha Khan, chef des Musulmans des Indes, a récemment adressé à ce sujet (conjointement avec son ami Ameer Ali) à Moustapha Kémal et à Ismet Pacha une lettre qui a eu un énorme retentissement dans tout le monde de l’Islam (V. The Times du 14 décembre 1923, p. 10).
Dans cette lettre les signataires attirent l’attention de la Grande Assemblée Nationale de Turquie sur les effets troublants que la situation imprécise actuelle du Calife-Imam produit sur les vastes populations qui appartiennent à la communauté sunnite. L’Agha Khan et Ameer Ali ne veulent nullement amoindrir l’autorité des représentants du peuple. Mais ils demandent le maintien intégral, en conformité avec le Chéri, de l’institution religieuse se trouvant à la tête du monde sunnite. Dans notre opinion, disent-ils, une diminution quelconque du prestige du Calife, ou une élimination du Califat, comme facteur religieux, de l’organisation politique turque (elimination of the Caliphate as a religious factor from the Turkish body politic) auraient pour résultat la désintégration de l’Islam et sa disparition pratique comme force morale dans le monde. Si l’Islam, disent-ils encore, doit conserver sa place, la position et le rang (dignity) du Calife ne devraient, en tout cas, être nullement moindres que ceux du Pape. Enfin, l’Agha Khan et Ameer Ali, en véritables amis de la Turquie, prient l’Assemblée Nationale et ses grands dirigeants de prendre on considération la nécessité de maintenir la solidarité morale et religieuse du Califat-Imamat sur une base qui inspirerait la confiance et le respect de toutes les nations musulmanes et, de cette façon, communiquerait à l’État turc une force et un ascendant sans pareil.
Voici comment s’exprime à ce sujet la voix autorisée de l’Asie française : « A quelque point de vue que l’on se place, on doit constater, le cœur gros — mais ne convient-il pas de regarder la vérité bien en face ? — comme résultat de la paix de Lausanne, une diminution très sensible, un recul de l’influence française dans le Levant » (article de M. Froidevaux, Asie française, août-septembre 1923, p. 265).
Sur le droit de conservation, V. Paul Fauchille, Traité de droit international public, t. I, Ire partie, p. 410-427.
Définition de M. Paul Fauchille, op. et loc. cit., p. 421.
M. Le Fur, Philosophie du droit international, dans la Revue gén. de droit intern. public (1921), p. 588, admet un droit de nécessité « non pas, dit-il, au sens allemand (l’observation des traités n’est jamais que conditionnelle, elle cesse dès que la lutte pour la vie les remet en question), mais dans le sens traditionnel, en tenant compte de la hiérarchie des intérêts en jeu, honnêtement appréciés » .Encore ajoute-t-il que la clause rebus sic stantibus ne pourra jouer par voie de décision unilatérale qu’à titre d’ultimum subsidium, en cas de refus injustifié ou de mauvaise foi de l’autre contractant.
En tant qu’il s’agit de l’action arbitraire de l’État invoquant la nécessité contre le droit, nous souscrivons entièrement aux belles paroles de M. Paul Fauchille (op. et loc. cit., p. 420) : « A notre avis, le prétendu droit de nécessité doit être repoussé. Il excuserait les pires injustices, les violations les plus odieuses de l’indépendance et de l’égalité des États. C’est un expédient imaginé par quelques politiques pour essayer de légitimer les usurpations et l’arbitraire. Avec lui il ne saurait plus être vraiment question d’un droit international ».
M. Mercier, dans son discours prononcé, en 1919, devant l’Union juridique internationale, après avoir démontré le caractère contradictoire d’un droit de nécessité dit avec raison : « Si l’on admet l’état de nécessité, il faut en fixer le critère objectif. On ne saurait en abandonner l’appréciation au subjectivisme individuel. Sinon, l’état de nécessité deviendrait la négation du droit » (Paul Fauchille, op. et loc. cit., p. 419).
Un tel critère objectif de l’état de nécessité devrait, évidemment, non seulement être fixé, mais aussi appliqué par des instances internationales.
Pour l’invocation des intérêts vitaux, comp. les réflexions de M. Emile Giraud dans son intéressant article : De la valeur et des rapports des notions de droit et de politique dans l’ordre international, dans la Revue gén. de droit intern. public (1922), p. 506-514.
M. Giraud dit fort bien : « Il n’y a pas d’intérêt vital au-dessus du droit ; si le droit n’accorde pas son aide à un soi-disant intérêt vital, c’est que la protection qu’il lui refuse serait illégitime » (p. 509).
Compte rendu de la cinquième Assemblée de la Société des Nations, dix-neuvième séance plénière, jeudi 25 septembre 1924, à dix heures.