« Encore les Arméniens ! » pensera peut-être un lecteur. Ah, certes ! ce n'est pas leur faute, car ils ne demanderaient pas mieux que de ne pas faire parler d'eux. Ce n'est pas non plus la nôtre, car il ne s'agit pas de notre bon plaisir, mais d'une situation de fait, qui nous est imposée et qui place devant nous une responsabilité qu'il est impossible d'esquiver.
Cette responsabilité se résume en deux mots : Justice et Solidarité.
Ce sont là deux cris qui doivent être clamés à nouveau, et d'autant plus fort que, au grand espoir d'un avenir meilleur pour l'Arménien persécuté, a succédé la plus douloureuse déception, consacrée par le Traité de Lausanne, ce traité que des centaines, des milliers de victimes innocentes : les chrétiens du Proche Orient, maudissent dans leur abandon, dans leur misère et dans leur désespoir.
Toute la question arménienne est essentiellement une question de justice. Et celle-ci se présente à nous sous une double forme :
C'est d'abord une question de justice naturelle, relative au droit de tout être moral et de tout peuple conscient de sa destinée. Puis elle nous apparaît comme une justice contractuelle, par le fait des engagements pris dans des traités et des conventions obligeant deux contractants, deux signataires.
Fixons donc notre attention sur ces deux aspects de ce problème de justice.
L'un des Quatorze Points du Président Wilson rappelle le droit que possède tout peuple de disposer de lui-même. C'est le fondement sur lequel nous nous appuyons pour réclamer en faveur du peuple arménien le droit à l'existence.
Qui donc pourrait le lui contester? Ce n'est certes pas après la grande victoire de 1918, ce n'est surtout pas au moment où nous voyons appliquer peu à peu le principe si profondément chrétien que représente la Société des Nations, institution sur laquelle seule repose tout notre espoir, ce n'est pas à notre époque qui devrait être, avant tout, celle de la réaction spirituelle, du courage et de la foi, que nous allons fouler aux pieds le droit naturel d'un des plus vieux peuples connus, et qu'il revendique avec tant d'énergie depuis des siècles.
L'Arménien a derrière lui toute une culture, toute une civilisation, tout un passé de travail intelligent et persévérant, qui lui confèrent un droit imprescriptible à l'indépendance. Il possède des trésors d'art, de littérature, de poésie. Il compte par centaines des hommes illustres qui ont honoré leur race, en rendant d'éminents services au Proche Orient, comme à l'Europe et à l'Amérique.. Il serait bon de faire mieux connaître dans nos écoles supérieures et universités la belle histoire de cette antique nation, qui, depuis près de trois mille ans, est comme une avant-garde de la civilisation dans le Proche Orient.
Mais, pour aussi intéressante que soit l'histoire du vieux royaume d'Arménie, et glorieuse la renommée de tant d'hommes célèbres, il n'en demeure pas moins que le droit que nous réclamons pour ce peuple de montagnards, d'agriculteurs et d'artisans, ne repose pas sur le passé seulement, mais encore et surtout sur cette volonté de vivre, que, de génération en génération, l'Arménien a manifestée en résistant sans cesse à tant d'oppresseurs. Résistance !c'est le mot qui caractérise le plus exactement l'histoire de cette longue lutte pour sauver biens, honneur et vie. Résistance militaire, politique, sociale, chrétienne ; résistance contre les persécutions les plus perfides comme les plus cruelles ; résistance contre ces tentatives, si souvent renouvelées, de suppression de toute la nation ; résistance pour sauvegarder la foi des pères et la mission sacrée de ce peuple dont le christianisme remonte au début même de notre ère. Ces faits ont été rappelés dans tant de publications diverses durant ces dernières années quenous croyons inutile de les retenir plus longuement. Mais ce que nous demandons avec insistance, c'est qu'on n'oublie pas que la nation arménienne, à cause même de son passé, mérite le plus grand respect. Nous nous inclinons devant cette énergie individuelle et collective, devant ce dévouement et cet esprit de sacrifice poussés jusqu'aux dernières limites par tant de héros de l'indépendance arménienne.
Nous admirons cette passion de l'instruction qui a toujours provoqué, même dans les temps les plus troublés, la création d'un si grand nombre d'institutions scolaires, cette soif d'une culture supérieure, dans laquelle l'Arménien voit toujours un précieux moyen d'affranchissement. Rien n'est plus saisissant que de constater chez l'enfant d'Arménie cet amour de l'étude et cette recherche de tout ce qui peut favoriser son indépendance. Il y a vraiment chez ce peuple une vitalité, transmise de génération en génération, qui explique pourquoi, malgré les plus atroces souffrances, malgré les hécatombes et tous les malheurs qui se sont abattus sur lui, il reste encore debout et continue à faire valoir son droit à l'existence et à la liberté. Cette résistance arménienne, inspirée par une foi inébranlable, nous la trouvons résumée dans les lignes suivantes, tirées de la dernière lettre que le héros arménien, Rostom Zorian écrivait à sa femme, réfugiée à Genève. Cette lettre est datée du 20 décembre 1918, donc peu de jours après l'Armistice, à l'heure de la grande joie et de la la grande espérance :
« Quand je pense à tout le bonheur que la nouvelle génération aura, je me sens tout troublé et ce sentiment m'étouffe. Un sacrifice ne reste jamais vain et tout le sang versé par notre malheureux peuple et son long martyre nous apportent enfin la liberté. C'est à vous, les jeunes, à relever et à refaire ce qui a été détruit, à recréer une nouvelle vie. Préparez-vous pour ce travail, car nous, les vieux, nous sommes très fatigués et sur le point d'être brisés dans cette lutte qui dure si longtemps. »
Peu de jours après Zorian mourait.
Les jeunes, orphelins dans leur très grande majorité, comprennent leur devoir de répondre au mot d'ordre de leurs devanciers. Gardant le souvenir des souffrances endurées par leurs parents, ils veulent rester fidèles à l'appel de la patrie malheureuse et tenir bon malgré tout. Ceci nous rappelle ces sept petits garçons, réfugiés dans un orphelinat du Proche Orient, où il n'était donné que des leçons d'anglais et de grec, et qui se sont toujours refusé à suivre cet enseignement, aussi longtemps qu'il ne serait pas complété par celui de la langue nationale, la vieille langue arménienne.
Il y a là des valeurs morales et spirituelles, qui par leur seule présence réclament le droit à l'existence. Au nom d'une justice toute naturelle nous ne pouvons pas admettre que ce peuple soit condamné à mourir. Au gouvernement turc, qui a officiellement décrété la suppression du nom arménien, nous opposons le droit de ce peuple à vivre, parce qu'il existe, parce qu'il résiste, parce qu'il veut vivre.
La question arménienne est donc une question de justice naturelle.
Mais, quelle que soit la force avec laquelle cette justice naturelle se présente à nous, il y en a une autre, qui doit attirer bien plus l'attention de tout homme qui réfléchit, et qui place une obligation encore plus grande devant toute conscience libre et tout esprit loyal. C'est une justice que nous appelons contractuelle, précisément parce qu'elle repose sur des traités, des conventions, impliquant des promesses et des engagements, avec des signatures officielles.
Pour saisir le sens de cette justice il faut remonter jusqu'au Traité de San Stéfano, en mars 1878, dont l'article 16 promet des réformes aux Arméniens, puis au fameux Traité de Berlin du 13 juillet 1878, dans lequel se trouve l'article 61, par lequel les cinq Grandes Puissances s'engagent solidairement à protéger les chrétiens du Proche Orient. Ces engagements et ces promesses ont été renouvelés bien souvent, mais c'est surtout depuis 1914 que le contrat a pris toute sa vigueur, du fait que les Arméniens unanimes se sont rangés du côté de la coalition formée pour défendre la justice, le droit et la liberté des peuples opprimés, en acceptant toutes les effroyables conséquences de leur héroïque attitude.
Dans ce contrat bilatéral, les gouvernements, les états-majors, les politiciens ont tout promis, ont signé les engagements les plus encourageants pour l'avenir du peuple arménien. Les légions de volontaires arméniens devaient constituer les premiers éléments de la future armée nationale, ainsi que l'affirmait chaque feuille de recrutement.
L'un des contractants, c'est donc ce vieux peuple, las de son oppression et prêt à tout sacrifier pour sa libération ; l'autre contractant, c'est l'Europe occidentale, ce sont les Etats-Unis, c'est la Chrétienté..... si elle existe vraiment !
L'Arménien a tenu tous ses engagements. Sur tous les fronts, ceux qui avaient pu échapper à la persécution ou à la mobilisation turques se sont battus avec un courage auquel il a été constamment rendu hommage par les chefs militaires les plus autorisés. Partout où on a eu besoin d'eux, on n'a jamais fait appel en vain à leur dévouement et à leur collaboration militaire.
Des patriotes arméniens, assurés de la victoire de l'Entente, et pour éviter d'avoir à se présenter à la Conférence de la Paix au nom d'un peuple dispersé, ont su profiter des circonstances pour constituer rapidement, au printemps 1918, la petite République arménienne du Caucase, et c'est au nom de cet état organisé qu'ils se sont présentés à la Conférence de la Paix pour obtenir ce qu'ils estimaient avoir le droit absolu de réclamer : l'indépendance nationale dans un territoire exactement délimité. Mais, à la Conférence de la Paix, les délégués arméniens, aussi bien ceux de la petite République, que ceux qui avaient l'honneur de représenter la nation tout entière, persécutée en Turquie ou réfugiée en Europe et en Amérique, ne purent obtenir la place légitime qui leur était due. Ils firent antichambre.
Il faudra un jour faire connaître en détail l'histoire diplomatique de l'Arménie pendant ces cinq années : de la victoire de la Liberté : 11 novembre 1918 à la défaite de la Justice : Traité de Lausanne, 24 juillet 1923.
Quels espoirs et quelles déceptions ! Quels efforts et quel découragement ! Années d'angoisse, de luttes épuisantes, pendant lesquelles il fallait sans cesse voir les portes se fermer les unes après les autres, les Etats se dérober, refuser tout mandat, toute protection, tout secours efficace. Peu à peu le peuple arménien, à la suite de ses chefs autorisés, était lâché de tous, laissé à lui-même, livré à ses bourreaux, à son malheur, à son désespoir. C'est un vrai cauchemar que le souvenir de ces années, si honteuses pour notre civilisation occidentale !
Il est vrai, toutefois, que les diplomates ont préparé le Traité de Sèvres, qui contient cet article 88 : « La Turquie déclare reconnaître, comme l'ont déjà fait les Puissances Alliées, l'Arménie, comme un état libre et indépendant. »
Et cet article 89 :
« La Turquie et l'Arménie, ainsi que les autres Hautes Parties Contractantes, conviennent de soumettre à l'arbitrage du Président des Etats-Unis d'Amérique la détermination de la frontière entre la Turquie et l'Arménie dans les vilayets d'Erzeroum, Trébizonde, Van et Bitlis, et d'accepter sa décision, ainsi que toutes dispositions qu'il pourra prescrire relativement à l'accès de l'Arménie à la mer et relativement à la démilitarisation de tout territoire ottoman adjacent à la dite frontière. »
C'est le 10 août 1920 que ce Traité a été signé par les représentants des Puissances Alliées, comme par celui de l'Arménie, et ceux de la Turquie ; mais chacun sait que ce traité de paix n'a été, dès le jour même de sa signature, qu'un « chiffon de papier ».
Parallèlement au mouvement diplomatique, aboutissant au Traité de Sèvres, il y en eut d'autres qui compromirent toute la situation et empêchèrent le triomphe de la justice. Tout d'abord la haute finance provoquait dans le Proche Orient des compétitions et des rivalités, créait le désordre et l'entretenait pour pouvoir pêcher en eau trouble à qui mieux mieux. Elle paralysait tous les efforts loyaux, brouillait les alliés et entravait toute action commune.
Puis, profitant de ce désordre, c'est le nationalisme turc qui relève la tête et qui, soutenu par un mouvement de turcophilie intéressée, remporte la victoire.
Et c'est alors qu'eut lieu à Lausanne le dernier acte de l'inconcevable iniquité. Le turc victorieux, allié du bolchévik, oblige les Puissances à capituler devant lui sur toute la ligne, si bien que le nom de l'Arménie ne figure même pas dans les « Actes et Conventions » signés à Lausanne, les diplomates ottomans ayant refusé non seulement la mention de telle ou telle légitime revendication du peuple arménien, mais même celle de son nom. Les promesses ont été abandonnées, les engagements n'ont pas été tenus, le peuple arménien a été lâchement sacrifié, le contrat a été déchiré. L'injustice est complète. Tel est l'Acte consacré par le Traité de Lausanne.
Voici la protestation que le Président de la Délégation de la République arménienne a adressée, en date du 8 août 1923 aux Puissances Alliées et Associées et dont une copie a été remise à la Société des Nations :
« Monsieur le Ministre,
« Au lendemain de la Conférence de Lausanne, substituant au Traité de Sèvres un Acte nouveau, où rien ne figure de la question arménienne, la Délégation de la République d'Arménie a conscience d'accomplir un impérieux devoir en soumettant ce qui suit aux Grandes Puissances.
« La plus éprouvée des nations belligérantes, celle qui, confiante aux principes proclamés par les Alliés, sacrifia le tiers de sa population totale pour la cause de l'indépendance, voit aujourd'hui l'isolement et le silence se faire autour d'elle.
« C'est pourtant en exécution des engagements les plus solennels des Puissances envers les Arméniens, et en compensation de ses sacrifices, que furent conçues les clauses du Traité de Sèvres concernant l'Arménie. Car, parmi les peuples qui se sont battus pour la justice et la liberté, il n'en est aucun qui ait, proportionnellement? payé aussi cher son droit à l'indépendance.
« S'il est vrai que la paix générale n'a pas eu pour conséquence de résoudre tous les problèmes issus de la guerre, il n'en est pas moins certain qu'aujourd'hui la nation arménienne demeure la seule dont la situation soit aggravée au delà de toute hypothèse, la seule entièrement exclue des bénéfices de la victoire, la, seule enfin qui ait connu toutes les formes et toutes les conséquences de l'abandon.
« Sans parler du sort des Arméniens qui subsistent encore en Turquie, ni des Arméniens qui sont soumis au régime bolchévique et dont le nombre s'élève à plus de deux millions, il en existe, présentement, plus d'un million encore, disséminés à travers le monde, sans foyer, souvent sans gîte, vivant au jour le jour, en partie décimés par les maladies et les privations, dans les camps de réfugiés, en partie errants à la recherche de leur subsistance, tolérés plutôt qu accueillis dans la plupart des lieux ou le sort les a jetés, en proie aux dernières souffrances humaines. C'est à peine si un dixième de la nation jouit d'une situation normale, vivant du fruit de son travail. Le reste semble voué à la fortune des nomades, privé de statut légal et de protection. Les Arméniens originaires de Turquie ne sont point autorisés à y rentrer, ni à reprendre possession de leurs biens. Les orphelins, par dizaines de milliers sont dépossédés de tout héritage ; ainsi et quel que soit le passé de l'intéressé : homme, femme, mineur, il lui suffit d'être Arménien pour se voir mettre hors la loi. Ni réparations, ni restitutions scolaires, bibliothèques, collections d'objets antiques, dépôts en numéraire, etc., etc., et dont la valeur atteint des milliards, avec les biens des particuliers, tout a été détruit, ou pillé, ou spolié. L'administration turque s'est approprié le reste. Il importait de rappeler sommairement ces faits pour l'illustration de la tragédie arménienne, trop tôt ensevelie dans l'oubli.
« Or, toutes ces questions, ainsi que de nombreuses autres qui en découlent ou qui y sont connexes, et dont l'importance pratique n'est pas moindre, restent en suspens. Il en résulte que sous le rapport arménien, la paix de Lausaune dérive d'une fiction : elle est conclue exactement comme si les Arméniens n'existaient pas. Elle les ignore et les passe sous silence.
« Cependant, le silence, à quelque point de vue qu'on le considère, n'est pas une solution. Le Traité de Lausanne, laissant en suspens le sort des peuples d'Orient, ne sert ni la paix ni la justice.
« Dans ces conditions, la Délégation, signataire du Traité de Sèvres, fait toutes réserves quant au maintien et à la défense des droits que les Puissances ont, avant et pendant la guerre, reconnu solennellement aux Arméniens et qui furent consacrés par le susdit Traité et par des conférences subséquentes.
« Quel accueil que puisse trouver en ce moment une protestation solennelle, la Délégation, respectueuse du mandat qu'elle tient de la nation arménienne, a pour strict devoir de s'élever, de toutes ses forces, contre l'Acte de Lausanne. Elle s'en remet à l'Histoire du soin de le juger.
« Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma plus haute considération.
Le Président de la Délégation de la République Arménienne,
Avétis Aharonian. »
C'est aussi M. Aharonian qui, le 10 août 1920, a signé le Traité de Sèvres.
Ainsi donc, au nom de la justice, nous déclarons que la question arménienne reste ouverte. Il n'est pas admissible que d'un trait de plume on supprime un peuple et on annule un droit aussi évident et aussi sacré, le droit d'une nation à vivre libre, droit conquis par tout un passé de résistance morale, sociale et chrétienne, droit reconnu par des contrats et défendu jusqu'à la mort.
Il est vrai que le contractant, qui n'a pas tenu sa promesse, allègue des excuses. Nous les connaissons depuis longtemps. Il y en a qui sont grossières. Ce sont ces calomnies, si constamment répandues contre le peuple arménien que l'on ne craint pas de traiter de
peuple de voleurs, qui, par conséquent ne mérite pas l'intérêt que d'aucuns voudraient lui porter. Nous sommes las d'entendre répéter ces accusations indignes de tout homme sérieux et qui a quelque peu le sentiment de sa dignité. Ces jugements, de caractère général et qui englobent et condamnent tout un peuple, sont des jugements d'ignorants ou d'aveugles, de lâches ou de scélérats. Dans le cas particulier, ils rappellent exactement le coup de pied de l'âne. Et, pour employer une autre image, ce n'est certes pas une solution élégante que de déclarer son chien enragé dans le seul but de se donner l'air de pouvoir le noyer consciencieusement. Qu'il est mesquin de faire retomber sur un peuple entier et sur sa cause nationale les accusations — si justifiées soient-elles dans certains cas — que l'on peut porter contre des gens qui, opprimés, dans un sauve-qui-peut général, se tirent d'affaire en employant des procédés contestables et en utilisant l'arme du faible qui facilement devient la ruse ! Qu'il est lâche de faire supporter à tout un peuple — qui compte par centaines de milliers des martyrs de la foi chrétienne — la réputation, parfois très méritée, de quelques-uns de ces représentants, ayant quitté leur pays depuis longtemps, et dont les procédés commerciaux ne ressemblent que trop à ceux que pratiquent dans le Proche Orient et dans les colonies un trop grand nombre de représentants de nos propres nations, dites chrétiennes ! Pas d'hypocrisie, ni de lâcheté, lorsqu'il s'agit des Arméniens, qui sont, sans contestation possible, victimes de la cupidité, de l'affairisme, des rivalités financières et politiques de l'Europe et des Etats-Unis. Soyons francs, et reconnaissons que les Arméniens sont gênants pour toute conscience éclairée. Nous connaissons un diplomate qui, lui, fut sincère, lorsque, en présence des justes revendications arméniennes, il laissa échapper ce mot bien connu : « Ces Arméniens sont embêtants ! »... Il est vrai que nous pardonnons plus facilement le tort qu'on nous a fait que celui que nous avons fait aux autres !
Dans les milieux politiques, on reproche souvent aux Arméniens, sans doute avec quelque raison, d'être trop divisés entre eux, de manquer d'unité et de trop cultiver l'esprit de parti. Mais comme il nous sied bien, à nous occidentaux, avec nos querelles et nos divisions, de faire à ce peuple un pareil grief ! L'étude de l'histoire arménienne, surtout depuis un demi-siècle, explique du reste fort bien ces oppositions et ces luttes intérieures. Avant de juger et de condamner il faudrait au moins faire un effort de compréhension !
Mais ne perdons pas notre temps à discuter la valeur de ces excuses. En définitive, nous n'avons pas à nous occuper des qualités ou des défauts des Arméniens. Il est aussi absurde d'en faire un peuple de saints, que d'en faire un peuple de démons. Il nous suffit de savoir qu'il s'agit d'un peuple. Et tout est là. Il y a dans la question arménienne quelque chose qui nous dépasse tous, et les Arméniens et nous-mêmes. Il y a au-dessus de tous et au-dessus de tout la Justice ! Et il faut que sa voix soit entendue !