La doctrine allemande | La politique allemande |
Avant les massacres | Les massacres | Les responsabilités |
La doctrine allemande du pangermanisme, telle que l'ont établie ses philosophes et ses apôtres militaires ou civils, est assez connue pour qu'il ne soit pas nécessaire de l'analyser longuement1
Le salut de l'Etat étant la suprême loi, on ne saurait concevoir une opposition quelconque entre la politique et la morale. Contre le peuple prédestiné « la volonté des autres peuples n'a point de droit. » La race allemande étant élue par Dieu pour dominer le monde et pour lui apporter une forme supérieure de civilisation, de « Kultur , » tout ce qui peut faire obstacle à son règne, générateur de progrès et de bonheur pour l'Humanité, est condamné à disparaître ; tout ce qui peut en hâter l'avènement est, par là même, juste et bienfaisant : c'est le Bien. D'ailleurs, les races inaptes ne sont-elles pas appelées à disparaître et n'est-ce pas un devoir d'ordre supérieur de collaborer avec la nature à son oeuvre de sélection et d'élimination ? L'humanité, dans sa marche vers un état plus parfait, ne saurait s'arrêter aux individus ou aux nations trop faibles, qu'elle écrase en passant sans même daigner les voir. Que ne se sont-ils sacrifiés eux-mêmes, comme les Hindous de Jaggernaut, dans un élan mystique de vénération et d'amour ! Leur suppression est dans le dessein de l'histoire, dans le plan divin. La pitié n'est que duperie ou faiblesse : place aux forts, place à l'Allemagne « au-dessus de tout. »
Telle est la doctrine. C'est avec un tel appareil philosophique que la science allemande voile au peuple allemand les réalités sanglantes de sa récente histoire. La brutalité sauvage des instincts, le déchaînement forcené des passions dominatrice, s'autorisent de la rigueur spécieuse des thèses impérialistes et se glorifient même de servir à les réaliser. Derrière toutes ces théories, on trouverait surtout, peut-être, en dernière analyse, la réalité plus simple d'un âpre besoin de vendre et de faire des affaires. L'impérialisme allemand, dans sa forme actuelle, est avant tout un mercantilisme.
On juge l'arbre à ses fruits et la valeur d'une doctrine à ses conséquences. Le premier châtiment des faux prophètes, c'est leurs disciples, qui, dépassant les bornes, font apparaître toute la force corrosive, tout le venin caché des systèmes, les condamnent et commencent de les ruiner à mesure qu'ils les réalisent. La politique et la guerre allemandes se chargent de traduire en actes les dangereuses théories de la spéculation allemande. Les massacreurs de Belgique et de France ont mal servi les intérêts germaniques en décelant trop tôt l'aboutissement pratique du système.
Mais les soldats de l'empereur Guillaume ont trouvé des disciples qui les ont surpassés. Les Turcs, qui ont perpétré les horreurs d'Arménie, ajoutent un terrible poids de responsabilités sanglantes sur les épaules, déjà chargées, de leurs maîtres allemands, car si l'exécution est turque, la méthode est allemande.
La suppression des Arméniens, Méthode allemande - Travail turc
René Pinon
1916 - Perrin éditions