Un Chaldéen, Hanna, arrivé de Diarbékir à Constantinople au commencement de l’hiver 1918, avait perdu son frère et ses parents, victimes de la barbarie turque. Il assista aux massacres de Diarbékir et voici la narration qu’il fit à M.Latif Bey Tabib, notable chaldéen de Constantinople.
C’est Hamid Bey qui gouvernait d’abord le vilayet de Diarbékir.
Entre autres méfaits importants, Hamid Bey fit fusiller les pauvres villageois chaldéens du village de Carabache, situé près de Diarbékir, sous le prétexte fallacieux, qu’ils s’étaient enfuis sans permis du vilayet d’Erzeroum. Or, ceci était absolument faux, ces malheureux n’ayant pas quitté leurs demeures depuis le décret d’enrôlement.
La fusillade fut si barbare et si nourrie que les corps des villageois furent déchiquetés. Pour comble d’atrocité, on obligea des <p.153> chrétiens à charger les victimes sur des tombereaux et à les transporter au cimetière. Le vali Hamid Bey et l’inspecteur civil Nadji Bey, assistaient avec joie à cette exécution.
Entre temps Hamid Bey ayant reçu un ordre de Constantinople, dut quitter précipitamment son poste au mois de mars 1915. Cette fugue donna lieu à des craintes légitimes dans la population chrétienne, ce qui poussa l’archevêque à demander au gouvernement la cause de ce départ. Pour toute réponse, le gouverneur lui dit : « Vous le saurez plus tard. »
Ce fut le docteur Réchid Bey qui succéda à Hamid. Le nouveau venu s’installa au gouvernorat ayant pour cops de gardes une quarantaine de « Tchétas », vrais bandits, tous circassiens comme lui.
Le premier soin de Réchid Bey fut d’organiser une soi-disant milice composée de notables indigènes et voici quelques noms :
Réchid, le gouverneur.
Yassin Agha Zadé Chewki, commandant de la milice.
Djémil Paha Zadé Moustafa Bey, lieutenant-colonel de la milice.
Hadji Baki effendi, capitaine de la milice.
Le fils d’Ali Haïto Saïd, sous-lieutenant de la milice.
Le fourrier Moussoulli Zadé Mehmed. <p.154>
Direkdji Tahir Effendi, capitaine de la milice.
Attar Zadé Hakki Effendi, président du Comité Union et Progrès.
Djerdjis Zadé Youssouf, le borgne.
Djerdjis Zadé Abdul Rahin Effendi.
Tahir Agha Zadé Azize.
Le député Feïzi Bey, un des membres les plus influents du Comité, provocateur principal des massacres.
Le fils de Véli Baba, Véli Bey qui se trouve à Constantinople.
Le circassien Réchid, commandant les convois de déportés.
Pirrindji Zadé Sidki Effendi, le plus cruel de tous et parent du député Féïz Bey.
Le commissaire de police, le redoutable Memdouh Bey, auteur de milliers de crimes.
L’adjoint du vali Bedri Bey.
Kelle Rédjo.
Tcharkhi Zadé, commissaire de police.
Mehmed, le commissaire.
Emin Agha, le tyran du village chaldéen de Tcharokhia.
Abdul Latif, commissaire adjoint.
Yahia Effendi, l’extermineur des habitants du même village chaldéen.
Kassab Hadji, Suleiman (boucher).
Séedli Bakal Hayo.
Mardilli Emin Effendi (police).
Sarradj Youssouf Aga.
Hâfize, con fils (police).
Hâfize, le commissaire.
Zaza Alo Effendi.
Le Vali décréta, à la suite d’un conseil tenu par les misérables plus haut mentionnés, que toutes les armes que les chrétiens détenaient chez eux devaient être livrées dans un délai de trois jours, faute de quoi ceux-ci seraient passibles de peines sévères. Chacun livra tout ce qu’il détenait en fait d’armes. On transporta une grande quantité d’armes et de dynamite du sérail et des casernes du vilayet pour s’en servir contre les chrétiens. Les bandits faisaient les photographies de cette mise en scène et les reproduisaient dans des brochures faisant ainsi de la propagande en faveur de leurs néfastes projets.
Pour leur faire avouer qu’ils avaient des armes cachées chez eux, on soumit les chrétiens à de terribles supplices. On leur arrachait les ongles et on leur ferrait les talons comme s’il se fut agi de chevaux.
Le second acte cruel commença par la rafle des soldats chrétiens. On fit publier un avis notifiant que les soldats qui connaissaient une profession seraient employés en vile et les simples ouvriers admis à la <p.156> construction des routes. Les dits professionnels quittèrent donc leurs demeures et allèrent effectuer des travaux qu’on leur avait indiqués.
Quinze cents individus furent ainsi engagés et un mois après impitoyablement massacrés. Pas un n’échappa à la mort. Les lieux de leur calvaire s’appellent Kara Djoroun et Kara Bagh à deux heures de distance de Diarbékir. Tous les meurtriers étaient des gendarmes de Diarbékir dont, entre autres, le contrebandier Emin Gazal et Halil Tchaouch fruiter à Tahta-Kalé. Ces hécatombes eurent lieu au mois de juillet de l’année 1915.
Je connais les noms de plusieurs Chaldéens massacrés :
Kériakos Tadjer.
Boudros Nedjmé.
Boutros, fils de Amsih.
Stéfane, le forgeron.
Hanna Boroudji, de Séert.
Hadji Viérim, fils de Joseph, horloger.
Chamoun, fils de Stéfane, directeur de l’école chaldéenne du vilayet.
Riz Kalla, fruitier, etc., etc.
Ceux qui n’avaient pas été envoyés à la réfection des routes furent arrêtés chez eux et dirigés, menottes aux mains, sur le café Tachnak. Avant d’être conduits à l’abattoir comme des moutons, ces malheureux furent inspectés par le Vali. Ils furent incarcérés avec les <p.157> notables chrétiens du pays, soit 700 personnes environ.
Un des individus les plus sanguinaires, le député de Dirabékir, Fevzi Bey, exigeant coûte que coûte que les chrétiens fussent massacrés, se rendit, accompagné du vali Réchid Bey, au bureau du télégraphe, demander par dépêche, au siège central de l’Union et Progrès, l’extermination de ces malheureux.
Il parvint à obtenir l’ordre de massacre prétextant que si les chrétiens n’étaient pas punis, les musulmans apeurés et barricadés dans les mosquées n’oseraient se rendre chez eux pour vaquer à leurs affaires.
La présence sur le Tigre de plusieurs kelleks (radeaux) préparés d’avance avait fait naître de l’inquiétude parmi la population chrétienne, mais les Turcs expliquaient hypocritement que ces kelleks devaient être chargées de blé pour le vilayet de Mossoul.
Ce n’était là que mensonges. L’heure fatale arriva, hélas ! Par une nuit sombre, les 700 personnes plus haut mentionnées furent embarquées et dirigées vers une localité nommée Pélikan… Là, on se hâta de les débarquer en les assurant qu’elles seraient emmenées saines et sauves à Djéziré et de là à Mossoul. Pendant qu’elles étaient en marche, une fusillade commandée par le chef en tua un grand nombre et pour <p.158> exterminer le reste on employa une ruse. Le commandant fit dire que cette fusillade était due à une maladresse. « Sue personne ne perde son sang-froid et que l’on se remette en marche. » Les survivants, croyant à cette astuce, se levèrent et des qu’ils reprirent leur marche une seconde fusillade extermina tout le convoi. Alors les assassins tombèrent comme des bêtes fauves sur leurs victimes et les dévalisèrent. Le butin fut riche, car avant le départ du convoi on avait fait dire aux chrétiens qu’ils devaient se munir de leur argent et de leur or pour pouvoir subvenir aux frais de leur long voyage.
Dans leur cruelle rapacité, ils firent télégraphier aux parents des massacrés pour que ceux-ci leur vinssent en aide pécuniairement. Cette ruse rapporta quelques sommes encore aux bourreaux.
Cette hécatombe accomplie, les assassins retournèrent en ville pour compéter la série des crimes qu’ils allaient perpétrer contre le reste de la population chrétienne.
On commença par diviser les quartiers arméniens et chaldéens en zones, et chaque zone fut laissée à la garde de bourreaux désignés à cet effet.
Les maisons de chaque quartier furent assiégées et on fit dire aux femmes et aux vieillards, qu’ils devaient s’empresser de <p.159> partir avec les enfants, en n’oubliant pas d’ajouter que ceux qui voudraient payer pourraient prendre des voitures. Ceux qui ne pourraient louer des voitures, c’est-à-dire les pauvres, seraient chargés à dos d’âne. Les Kurdes des villages appartenant au président de la municipalité de la ville, Chukri Bey, étaient chargés de la constitution de ces caravanes lugubres. Ils recommandaient aux pauvres victimes de charger autant qu’il leur serait possible d’objets et d’ustensiles de maison, car en route on en aurait besoin. Ce qui fut fait.
Mais leur triste sort fut vite accompli. Une grande partie des convois fut massacrée dans les villages de Chukri et le reste près du pont de la ville. Naturellement les objets restèrent entre les mains des assassins. Ces scènes tragiques se répétèrent plusieurs fois. Entre temps une amnistie du siège central de Constantinople était décrétée en faveur des Assyro-Chaldéens. Hélas ! les amnistiés n’en purent profiter que pour une petite partie. L’archevêque chaldéen, Mgr Suléïmah, voyant que les familles chaldéennes étaient, malgré l’amnistie, déportées pour être livrées aux bourreaux, avec beaucoup de courage, déploya des efforts inouïs pour arrêter les courroux de ces derniers. Malgré le danger qu’il courait il s’adressa au Vali et au député Zoulfi Effendi. Ce <p.160> dernier lui assura hypocritement qu’aucune mesure n’était prise contre sa nation. Malheureusement la besogne néfaste se poursuivait toujours. Le dit député Zoulfi Effendi m’extorqua 200 livres en or, pour sauver mon frère Joseph, qui fut quand même livré aux bourreaux. Ces hécatombes continuèrent pendant 4 mois consécutifs. Le sinistre Vali Réchid resta à son poste pendant une année. Le jour de son départ on fit ramasser 150 débiteurs de l’Etat et pour que son départ fut éclatant on les fit massacrer à « Siran Tépé », localité située à quelques minutes de la caserne de Diarbékir.
Parmi eux il y avait plusieurs Chaldéens de ma connaissance, entre autres Hanna et Riz Kallah.
Les objets volés aux malheureuses victimes étaient amassés dans de vastes maisons des chrétiens, entre autres dans celle de la famille Kazazian afin d’être répartis entre les bandits. Un grand nombre de jolies jeunes filles furent envoyées dans les harems.
L’Archevêque, Mgr Seuleiman, désirant profiter de l’amnistie, remit au dernier moment, pour sauver la vie des survivants de sa nation, une somme de 1.500 Ltqs, au sanguinaire Réchid. Tout ce qu’il put obtenir par ce dernier effort, ce fut qu’une partie de sa communauté, au lieu d’être massacrée, fut <p.161> envoyée dans un endroit voisin de la ville Fisckia, où l’on employa les hommes à la réfection des routes. Bien entendu, l’archevêque devait payer de sa poche la ration de pain des ouvriers que l’on faisait travailler en corvée.
Les églises des villages chaldéens furent toutes saccagées, pillées et ruinées. Celles qui furent épargnées en ville furent transformées en hôpitaux ou en écuries.
Le dit vali Réchid envoya, dit-on, à Constantinople quatre-vingt ballots d’objets enlevés aux chrétiens ; le reste fut donné par Réchid à des amis, entre autres aux députés Féizi et Zulfi.