On peut conclure la partie textuelle de cette étude en attirant l’attention sur les déclarations de deux présidents de la République de Turquie, y compris de son principal fondateur, Mustafa Kemal (Atatürk), et de l’un de ses plus éminents et prodigieux historiens. Ces déclarations, dont l'origine et l'idée maîtresse sont éminemment viscérales, constituent à la fois une justification et un phare pour l'entretien d'un syndrome négationniste turc éternel, recouvrant d'aveuglement futile et corrosif trois quarts de siècle d’auto-satisfaction turque.
L’attitude de Mustafa Kémal dans cette affaire, censée servir aux buts de gestion interne des risques, est expliquée par un professeur turc émigré, Tahsin Celal. Il révèle qu'Ahmed Refik, l’historien turc prolifique qui avait pu observer personnellement, durant la guerre, les préparatifs du génocide arménien à la Direction II (renseignements et lutte contre la guérilla) du Bureau de la Guerre ottoman, à laquelle il était affecté en tant qu’officier de réserve, avait eu une altercation avec le président Mustafa Kémal au sujet du génocide arménien, et des parties de son livre qui en parlaient. Le président ordonna que son livre fût « broyé » et l’auteur interdit de vie publique.
La réaction d’un autre président de la République moderne de Turquie, Celal Bayar (1950-60) à l’exposition publique du crime contre les Arméniens est archivée, et catégorique. Commentant les révélations faites en 1919 par le Ministre de l’Intérieur Cemal au sujet des 800 000 victimes arméniennes « tuées au cours des déportations », le président Bayar les décria comme « la manifestation la plus odieuse et la plus inutile de servilité vis-à-vis des Alliés victorieux ». Egalement sinon plus significative est la réaction de Bayur, le premier historien turc de l’ère moderne. Il jugea bon de dénoncer, dans la même veine, le Ministre turc qui avait fourni « des preuves et des armes à nos ennemis ».
Ni le crime des meurtres de masse organisés, ni le chiffre officiel qui y est associé, soit 800 000 victimes arméniennes, ne sont contestés ou réfutés le moins du monde dans ces attaques émotives. Au contraire, un Ministre de l’Intérieur turc est stigmatisé pour avoir divulgué un secret d’Etat par un personnalité de premier rang qui renforce encore ces stigmates en y injectant du fanatisme religieux. En effet, Süleyman Nazıf, gouverneur de province pendant la guerre, et rédacteur en chef du journal Hadisat après la guerre, évacua son indignation à ce sujet en déclarant : « Cet acte est indigne d’un ministre musulman » ; il était bouleversé à l'idée que des publics non-musulmans aient été informés du secret et de ses ramifications.
Ces faits en disent plus long que plusieurs tomes sur la réalité envahissante du génocide en question, et des efforts quasi pathétiques, sinon pathologiques, déployés pour cacher cette réalité.