La chute de l'URSS en 1991 a laissé indépendante la république ex-soviétique d'Arménie, petite fraction du territoire arménien historique, bien isolée et vulnérable. Elle a également débarrassé les républiques turcophones ex-soviétiques de la tutelle de Moscou, sous laquelle elles ne pouvaient pas avoir de lien réel avec Ankara.
Dans cette nouvelle donne, le panturquisme est naturellement revenu à l'ordre du jour. Aussi bien Ankara que Bakou n'attendent qu'une occasion pour liquider définitivement la petite république d'Arménie, dont la suppression, quelques décennies après la destruction de l'Arménie occidentale, réaliserait enfin la continuité du monde turc.
La Turquie soutient l'Azerbaïdjan dans sa guerre contre la république d'Arménie. L'enjeu en est le Karabagh, un territoire que les autorités soviétiques ont attribué à l'Azerbaïdjan alors qu'il était peuplé de 95 % d'Arméniens. Les progroms de Soumgaït et Kirovabad (1988) puis de Bakou (1990), perpétrés par les Turcs d'Azerbaïdjan à l'encontre des Arméniens, ont réveillé le spectre de 1915.
C'est dans cette optique de renaissance du panturquisme qu'il faut analyser le récent retour de balancier dans la réécriture turque de l'histoire. La grande exposition londonienne du début de 2005, intitulée « Turcs : un voyage de mille ans, 600-1600 », prend le contre-pied de la thèse kémaliste sur le caractère autochtone des Turcs : en lieu et place de la pseudo-ascendance hittite (le mot n'est même pas mentionné) et ourartéenne, la Turquie y est présentée comme l'aboutissement d'une longue migration vers l'ouest, de la Chine aux Balkans. C'est là un retour à la vérité historique, à ceci près que tout se serait déroulé pacifiquement, quasiment sans affrontements. Le siège de Vienne de 1529 est à peine mentionné, la bataille navalle de Lépante de 1571 a disparu, et pour cause : le but de l'exposition est de montrer que, durant des siècles, les Turcs ont assimilé toutes les cultures qu'ils ont traversées, présentant maintenant une brillante civilisation prête à enrichir l'Europe.