Si le discours reste le même, la tactique a évolué. Les autorités turques se sont rendu compte que les pamphlets ou prétendues études publiés par des auteurs turcs manquaient d'efficacité. En une seconde étape, elles ont utilisé des prête-noms européens inconnus. C'était encore peu convaincant.
La propagande turque a alors réussi à se créer une cour d'historiens occidentaux, connus et reconnus, qui propagent ces thèses négationnistes sans peut-être se rendre compte qu'ils dégradent ainsi leur image scientifique. Le plus célèbre d'entre eux est Bernard Lewis, aux Etats-Unis, qui a fait l'objet d'un procès en France pour avoir, lors d'une entrevue parue dans Le Monde du 13 novembre 1993, qualifié le génocide de « version arménienne de cette histoire » ; il fut condamné au civil le 21 juin 1995. Son retournement est clair : en 1961 le même auteur, dans la première édition de son livre The Emergence of Modern Turkey, évoquait « le terrible holocauste de 1916, où périrent un million et demi d'Arméniens ». La phrase a été modifiée dans les éditions suivantes. Un autre négationniste américain, Heath Lowry, a été pris en flagrant délit dans le rôle de consultant auprès de l'ambassade de Turquie à Washington, rédigeant pour l'ambassadeur les réponses à donner aux publications américaines parlant du génocide.
En France aussi cette instrumentalisation a marqué des points : la plupart des turcologues y sont au mieux des turcophiles, au pire des inconditionnels de la Turquie et de sa politique. Pratiquement aucun turcologue français ne se risquera à parler explicitement du génocide des Arméniens. Les uns choisissent d'esquiver le sujet sous divers prétextes, les autres sombrent dans le négationnisme le plus explicite.