Durant des décennies, Lepsius, Morgenthau et Bryce ont constitué les trois piliers de la revendication de reconnaissance. S'y ajoutaient les récits de rescapés, ainsi que les télégrammes de Talaat publiés par Aram Andonian, comme celui envoyé à Alep le 29 septembre 1915, qui transmettait la décision explicite « d'exterminer entièrement tous les Arméniens habitant en Turquie ». Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cet ensemble était insuffisant. On pouvait toujours rétorquer que les mémoires d'un individu ne peuvent pas être considérés comme une preuve, que la manière dont les télégrammes ont été obtenus les rend suspects, ou encore que des récits de souffrance n'ont aucun lien avec le fait qu'il y ait eu ou non un plan général d'extermination. Il faut bien reconnaître que de tels arguments ne sont pas dépourvus de sens.
Depuis environ un quart de siècle, on a heureusement réalisé que les seules preuves imparables résident dans les documents d'archives, comme ceux de Leslie Davis. Toute une génération de chercheurs s'est mise à dépouiller les archives européennes et américaines. L'ensemble des recueils publiés est impressionnant. Manquent les archives ottomanes, dont la consultation pose problème. En attendant, la moisson effectuée, tant dans les états jadis alliés de l'Empire ottoman que chez ses ennemis, est largement suffisante pour établir l'intention et la planification de l'anéantissement d'un peuple.