L'historien britannique Arnold J. Toynbee (1889-1975), l'une des grandes figures intellectuelles du XXe siècle, a vingt-six ans lorsqu'il rédige, à la demande du gouvernement britannique, un rapport sur la politique de déportation et d'extermination des Arméniens mise en œuvre par les autorités turques en 1915. Si le terme de génocide n'existe pas encore, Toynbee, à travers les faits qu'il décrit, en formule déjà le concept et en établit les mécanismes. Cinquante ans plus tard, devenu célèbre par sa monumentale Étude de l'histoire consacrée à l'essor et au déclin des civilisations, Toynbee reviendra dans ses Mémoires sur ce crime contre l'humanité dont l'impunité ne pouvait qu'encourager la répétition : « Les déportations furent délibérément conduites avec une brutalité calculée pour provoquer le maximum de victimes en route. Là est le crime ; et l'étude que j'y consacrai laissa dans mon esprit une impression qui ne fut pas effacée par le génocide commis avec encore plus de sang-froid, et sur une plus grande échelle, pendant la Seconde Guerre mondiale par les Nazis. »
A l’heure où l’historiographie de la Première Guerre mondiale se concentre, non plus seulement sur les aspects militaires, politiques et diplomatiques, mais aussi sur la brutalisation de la société et les violences de guerre, montrant comment ce premier conflit total fut la matrice d’un XXe siècle fertile en crimes de masse, Les Massacres des Arméniens, où Arnold J. Toynbee décrypte de façon synthétique, bien avant sa définition juridique, les causes et les mécanismes du génocide, apporte un éclairage pionnier. Ce livre est en effet l’un des premiers, sinon le tout premier publié en Occident sur ce crime contre l’humanité qui fit un million de victimes. En 1915-1916, le gouvernement Jeune-Turc décida et mit en œuvre la déportation et l’extermination des Arméniens. À la demande du gouvernement britannique, le jeune Toynbee, alors âgé de 26 ans, rédigea un rapport sur la situation. Cinquante ans plus tard, il écrivit : "Les déportations furent délibérément conduites avec une brutalité calculée pour provoquer le maximum de victimes en route. Là est le crime [...] ; et l’étude que j’y consacrai laissa dans mon esprit une impression qui ne fut pas effacée par le génocide commis avec encore plus de sang-froid, et sur une plus grande échelle, pendant la Seconde Guerre mondiale par les Nazis." Certes, ce livre fait partie de ce que l’on appelait très officiellement la "propagande de guerre" qui, comme les documents sur les atrocités allemandes en Belgique occupée servant de modèle, vise à souligner la barbarie de l’ennemi et, en contraste, la légitimité morale de la lutte des Alliés de l’Entente. Toynbee lui-même l’a reconnu ultérieurement, sans pour autant nier l’authenticité des faits qu’il avait décrits. L’instrumentalisation des crimes de l’autre pour des buts politiques ne signifie pas que ces crimes n’ont pas eu lieu, comme voudraient le faire croire les historiens officiels de la Turquie.
L’historien britannique Arnold J. Toynbee (1889-1975) - à ne pas confondre avec son oncle, Arnold Toynbee (1852-1883), créateur du concept de révolution industrielle - est considéré comme l’une des grandes figures intellectuelles et humanistes du XXe siècle. Après des études classiques et un début de carrière d’enseignant d’histoire grecque et byzantine, n’ayant pu participer au service actif pour raisons de santé, il fut affecté aux Renseignements politiques du Foreign Office en 1915 et participa en 1919 à la Conférence de Paix. Entre 1925 et 1955, il fut directeur de recherche au Royal Institute of International Affairs et professeur d’histoire des relations internationales à l’Université de Londres. Auteur prolifique, il est surtout connu pour sa monumentale Étude de l’histoire en 12 volumes (1934-1961), oeuvre comparatiste panoramique sur l’essor et le déclin des civilisations. Les Éditions Payot ont notamment publié de lui La Grande Aventure de l’humanité (1994) et L’Histoire (1996).
Les Massacres des Arméniens a paru pour la première fois en France aux Éditions Payot en 1916. Il a été réédité en 1987. La présente édition, augmentée d’une préface et d’un appareil critique, a été établie par Claire Mouradian. Directrice de recherche au CNRS (Centre d’études du monde russe, soviétique et post-soviétique), historienne, spécialiste de l’Arménie et du Caucase, celle-ci a notamment publié De Staline à Gorbatchev, histoire d’une république soviétique : l’Arménie (Ramsay, 1990) et L’Arménie (PUF, 2002, 3e éd.). Elle a également dirigé, avec G. Bensoussan et Y. Ternon, le numéro de la Revue d’histoire de la Shoah intitulé « Ailleurs, hier, autrement : connaissance et reconnaissance du génocide des Arméniens » (2003).
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