Historien français. Yves Ternon est docteur en histoire à l'université de Paris IV (La Sorbonne) .Il a d'abord été chirurgien, interne des hôpitaux de Paris. Il s'est ensuite consacré à la recherche sur les crimes contre l'humanité et, tout particulièrement, sur les génocides juif, arménien et du Rwanda, à propos desquels il a écrit de nombreux ouvrages. Il a aussi participé à la Commission d'enquête citoyenne sur l'implication de la France au Rwanda en tant que vice-président.
Yves Ternon relit ici notamment les trois grands génocides qui ont marqué le siècle écoulé : celui des Arméniens, celui des Juifs, celui du Rwanda. Il dévoile l’alchimie complexe qui mène au massacre. Et pose une question centrale aujourd’hui : la guerre a-t-elle définitivement triomphé du droit ?
Le XXe siècle, siècle des génocides ? Les années qui viennent de s’écouler, malgré la mise en œuvre d’une justice pénale internationale, ne permettent guère l’optimisme. Après tout, les années 1990 resteront marquées du sceau des violences commises en ex-Yougoslavie et du génocide des Tutsi au Rwanda.
Le moment est donc venu de s’interroger : les guerres majeures de notre temps conduisent-elles nécessairement au génocide ? La guerre n’est-elle qu’un accélérateur des crimes de masse ou bien doit-on chercher à les expliquer autrement ?
Les recherches sur le génocide sont régulièrement remises en question par des déclarations intempestives. La plus fracassante est bien celle faite par le président Ahmadinejad qui, en 2006, affirme que le génocide des Juifs n'a pas eu lieu et invite les historiens iraniens à démontrer que le premier génocide de l'histoire est celui des Perses par les Juifs. À un tel niveau d'incohérence, le négationnisme a de beaux jours, et les génocides du XXe siècle n'ont pas fini d'agacer les médias. Dans un autre registre, les modalités de la lutte contre le négationnisme suscitent des controverses. Le vote par l'Assemblée nationale, le 12 octobre 2006, d'une loi sanctionnant la négation du génocide arménien - une négation imposée par le Code pénal en Turquie - soulève une vague de protestations dans le monde universitaire \ français et déclenche les foudres d'Ankara. Le duel politicojudiciaire entre la France et le Rwanda à propos du déclenchement du génocide des Tutsi est relancé en novembre 2006 par l'ordonnance du juge Bruguière. C'est ainsi que l'histoire des génocides fait des retours inattendus dans l'actualité.
Inlassablement, l'historien poursuit son travail. Confronté à un événement aussi complexe qu'un génocide, il dépouille des archives, vérifie ses sources, interprète ses conclusions. Au-delà de l'établissement des faits et de l'administration de la preuve de la planification du crime - indispensable à la qualification de l'infraction spécifique qu'est le génocide -, il s'interroge sur la genèse d'un tel désastre. En remontant le cours de l'Histoire, à l'échelle d'un empire, d'un continent ou seulement d'un royaume, il tente d'identifier un terreau génocidaire : conquêtes, défaites, révolutions; mutations culturelles élaborant des passions nationalistes, des mythes, des préjugés; travail souterrain de sape des acquis de la raison et des Lumières; racisme, peur de l'autre engendrant des haines et des exclusions. Ces études sur le crime de génocide s'adossent avec profit aux autres secteurs des sciences de l'homme et elles bénéficient d'une approche comparative. La comparaison des génocides impose au chercheur une discipline rigoureuse. Il lui faut avoir une connaissance assez exacte des événements mis en parallèle pour identifier les similitudes comme les différences, sans remettre en cause la singularité de la Shoah, crime sans précédent dans l'histoire de l'humanité, mais non le seul génocide perpétré au XXe siècle.
Il manquait une clé à cette analyse comparative, une clé qui ouvre l'espace entre l'intention et le passage à l'acte. Pour que, sur un terrain fécondé par les passions génocidaires, le désir de quelques fanatiques se réalise, pour que tout un peuple participe plus ou moins activement, mais sans résistance, à la mise à mort de ses concitoyens, il faut qu'une menace soit perçue comme vitale, il faut que la nation soit plongée dans un climat de violence extrême. La~ guerre, guerre totale, de tous contre tous - ennemis extérieurs et intérieurs -, la guerre, nationale, internationale ou civile, libère les pulsions meurtrières. Le séisme rompt les barrières morales. Le potentiel de destruction accumulé au cours des décennies par un État contre un groupe se déchaîne brusquement. Des hommes ordinaires sont placés devant l'alternative du diable: tuer pour ne pas être tués. Les maîtres de l'État n'ont plus qu'à canaliser ces forces, à les encadrer par des sicaires et à programmer le meurtre de masse. Les alchimistes d'une violence génocidaire trouvent dans la guerre le creuset où élaborer un poison sans remède qui non seulement tue des êtres humains, mais dépouille assassins et victimes de leur humanité. C'est ce lien implicite, mais encore mal individualisé, entre guerre et génocide dont ce livre examine la trame, dans le cadre d'un XXe siècle volontiers appelé siècle des génocides.
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