Dans cette deuxième partie et fin de ses Mémoires consacrés au génocide des Arméniens par le gouvernement des Jeunes-Turcs (déjà laïque en 1908-1918, on ne le dira jamais assez!), Grigoris Balakian retrace la période entre le printemps 1916, lorsque, sûr et certain de ne pas en réchapper, il s'enfuit de la caravane de déportés arrivée à Islahiyé après une harassante marche à pied du nord au sud de l'Asie-Mineure, et l'hiver 1918, lorsqu'il quitte la Turquie où il assiste à des événements qui ne lui laissent rien présager de bon pour l'avenir.
Durant ces deux ans et demi, conscient de l'extrême gravité de la situation et de la volonté des Jeunes-Turcs d'effacer toute trace des Arméniens de leur terre ancestrale, même de ceux bénéficiant de la toute relative protection des Allemands qui les emploient à la construction du chemin de fer de Bagdad, il va changer plusieurs fois de cachette et d'identité pour échapper aux recherches, puis à la déportation et à l'assassinat dont seront victimes les quelques 13.000 employés et ouvriers arméniens des chantiers des tunnels dans les montagnes de l'Amanus et du Taurus, en dépit des nombreuses protestations des ingénieurs-géomètres allemands, autrichiens et suisses adressées au quartier général allemand à Constantinople et de leurs tentatives de les sauver.
Comme dans la première partie, Grigoris Balakian ne se contente pas de rapporter les événements, il se livre avec lucidité à leur analyse, une analyse que des années, voire des décennies plus tard sera faite par des chercheurs et des historiens. Cette lucidité s'accompagne d'un franc-parler et d'un langage souvent virulent qui lui sont propres. Il ne mâche pas ses mots à l'endroit ni des Turcs, ni de leurs alliés allemands qui assistent passivement à l'extermination des Arméniens, ni plus tard des vainqueurs dont les turpitudes, les compromissions, les trahisons le révoltent dès le lendemain de l'armistice. Impartial et objectif, il stigmatise aussi les siens, les uns pour leur naïveté, les autres pour leur impéritie, d'autres encore pour leur ignoble collaboration avec les bourreaux de sa nation et contre lesquels, tout homme d'Église qu'il soit, il prononce une condamnation sans appel totalement dépourvue de pardon chrétien.
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