Le traité de Paris du 30 mars 1856 mit un terme à l'intervention séparée de la Russie en faveur des Chrétiens de Turquie. Mais les mêmes Puissances qui avaient fait la guerre à la Russie pour empêcher la prédominance de son influence dans l'Empire ottoman s'empressèrent de placer cet Empire sous la surveillance collective des grands Etats européens. Il devenait, en effet, de plus en plus clair que les réformes turques étaient inefficaces et qu'au cas où l'Europe se désintéresserait complètement de l'état intérieur de l'Empire ottoman, celui-ci irait aux pires catastrophes qui auraient de fatals contre-coups sur la paix mondiale.
Les privilèges des Principautés danubiennes et de la Serbie furent donc placés sous la garantie collective des puissances[13].
En même temps, le traité de Paris, tout en admettant la Sublime Porte «à participer aux avantages du droit public et du concert européen» et en engageant les Puissances «à respecter l'indépendance et l'intégrité territoriale de l'Empire ottoman», enregistra une nouvelle charte, octroyée par le Sultan à ses sujets, le célèbre Hatti Houmayoun.Voici comment l'article 9 du traité s'exprimait à ce sujet :
«S.M.I. le Sultan, dans sa constante sollicitude pour le bien-être de ses sujets, ayant octroyé un Firman qui, en améliorant leur sort sans distinction de religion ni de race, consacre ses généreuses intentions envers les populations chrétiennes de son Empire, et voulant donner un nouveau témoignage de ses sentiments à cet égard, a résolu de communiquer aux Puissances contractantes le dit Firman, spontanément émané de sa volonté souveraine.
«Les Puissances contractantes constatent la haute valeur de cette communication. Il est bien entendu qu'elle ne saurait, en aucun cas, donner le droit auxdites Puissances de s'immiscer, soit collectivement, soit séparément, dans les rapports de S. M. le Sultan avec ses sujets, ni dans l'administration intérieure de son Empire.»
Le Hatti-Houmayoun, promulgué par le Sultan quelques jours avant l'ouverture du Congrès de Paris, le 18 février 1856, à la suite de délibérations entre la Sublime Porte et ses alliés, se présente comme un développement des principes du Hatti-Chérif de Gulhané et une affirmation plus solennelle encore de l'égalité entre les Musulmans et les Chrétiens[14]. Il faut reconnaître que le désir courtois de ménager l'amour-propre de la Porte a amené les rédacteurs de l'article 9 du traité de Paris à donner à l'entérinement de cette nouvelle charte ottomane une forme assez ambiguë. Il est cependant évident que, malgré les termes employés, la promesse de non-intervention dans l'administration intérieure de l'Empire est la contre-partie de la communication du Firman soi-disant «spontané» du Sultan : autrement, les Puissances n'en auraient pas constaté «la haute valeur». En tout cas, l'histoire a démontré que telle a été la pensée des Puissances; car l'article 9 du traité de Paris est devenu le point de départ de l'intervention collective régulière des Puissances dans les affaires intérieures de la Turquie.
Cette intervention se fit pressante peu d'années après la conclusion du traité. Le 5 octobre 1859, les représentants des Puissances garantes adressaient au Grand Vizir un Mémorandum où ils exprimaient «le regret de voir que la Turquie ne s'aidait pas par elle-même, qu'elle ne procédait pas à une application graduelle et soutenue des réformes, qu'une suffisante impulsion ne se manifestait pas pour atteindre le but marqué par le Firman de 1856»[15]. En 1860, la Russie demanda une enquête internationale sur la situation des rayas de Bulgarie, de Bosnie et d'Herzégovine ; cette demande n'eut d'ailleurs comme suite qu'une enquête grand-vizirielle insuffisante et sans résultats. De son côté, l'ambassadeur d'Angleterre, sir Bulwer, consulta les consuls anglais sur l'état intérieur du pays. Ceux-ci lui signalèrent entre autres choses que la mauvaise situation des Chrétiens était surtout imputable à l'administration : «Nulle part, d'après eux, le fanatisme musulman ne procède par explosions spontanées; il n'éclate en violences qu'après avoir été encouragé par les dispositions des agents de l'autorité publique». Là-dessus sir Bulwer élabora un projet de réformes qui allait jusqu'à revendiquer, pour les ambassades, le droit de déférer au jugement de la Porte des fonctionnaires turcs dont elles auraient à se plaindre[16].
Il faut noter que les projets de réforme des ambassades, quoique principalement inspirés par le désir d'améliorer le sort des Chrétiens, préconisaient toujours une réforme générale de l'administration du pays telle que l'avait annoncée le Hatti-Houmayoun de 1856. Cependant la Porte, malgré cette ingérence continuelle des ambassades qui lui démontrait le véritable sens de l'article 9 du traité de Paris, ne trouvait pas le courage nécessaire pour une véritable régénération de l'Empire. Dès lors, les Puissances se voyaient réduites au système des interventions limitées aux provinces ottomanes où, à tour de rôle, l'incurie administrative et le fanatisme turcs provoquaient des explosions mettant en danger la paix du monde.
Les troubles du Liban en 1860 provoquèrent la première de ces ingérences bienfaisantes. Les Druzes musulmans ayant procédé à un nouveau massacre des Maronites chrétiens,la Porte, impuissante à rétablir l'ordre, dut consentir à une occupation de la Syrie par un corps de troupes européennes, dont la moitié fut fournie par la France[17].
Cette intervention d'humanité aboutit en 1861 à l'autonomie du Liban, sur la base d'un règlement élaboré par une Commission internationale et communiqué officiellement par la Porte aux représentants des cinq Grandes Puissances[18].
La grande insurrection crétoise qui éclata en 1866 donna également lieu à une intervention de l'Europe, laquelle, cependant, pour des raisons politiques, ne fut pas très, énergique. Elle se termina par la déclaration des Puissances qu'il ne leur restait plus qu'à dégager leur responsabilité en abandonnant la Porte aux conséquences possibles de ses actes[19]. Cette fois, du moins, la Porte, après avoir réprimé la révolte, sut profiter de la leçon libanaise en octroyant de son propre chef à l'île de Crète une constitution assez libérale.
L'année 1867 fut marquée par une nouvelle enquête sur les effets du Hatti-Houmayoun de 1856, à laquelle se livrèrent les consuls de France, d'Angleterre, d'Autriche et de Russie. Cette enquête fut nettement défavorable à la Turquie. Certes, des lois et des codes se rapprochant des législations des peuples civilisés avaient été promulgués, mais sans réussir à dépouiller l'Etat turc de son caractère de théocratie musulmane. A son actif, on pouvait inscrire seulement la liberté du culte chrétien, ainsi que le maintien des immunités des communautés non musulmanes. Mais l'égalité des Chrétiens devant la loi restait un vain mot; leur témoignage devant la justice était sans valeur; ils pouvaient être emprisonnés sans ordre écrit, et n'obtenaient presque jamais justice contre un Musulman. La vénalité des juges et des fonctionnaires était toujours la même. Les tribunaux mixtes fonctionnaient rarement. La loi sur les vilayets de 1864 appelait, il est vrai, les non-Musulmans à la participation au choix des membres électifs des conseils provinciaux et des juges ; mais la composition de ces conseils et tribunaux, où certains fonctionnaires turcs entraient de plein droit, y assurait une prépondérance invariable à l'élément musulman. Les Chrétiens n'étaient pas admis dans l'armée, leur service était remplacé par des contributions pécuniaires. Dans le service civil, ils ne sortaient que très exceptionnellement des situations subalternes[20].
Pendant une courte période qui suivit ces enquêtes, période qu'on a surnommée la période française du Tanzimât[21], la Porte sembla vraiment être arrivée à une plus juste appréciation des nécessités du pays. Sous l'impulsion de ses alliés de la guerre de Crimée, et surtout de la France, elle introduisit quelques réformes utiles. Ainsi fut fondé le lycée français de Galata-Serai, centre de culture européenne qui rapprochait Musulmans et Chrétiens et où la science était libérée des entraves de la loi religieuse. La séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire fut introduite par la création d'un Conseil d'Etat, sur le modèle français, ainsi que d'une Cour suprême de justice. Mais cet état d'esprit ne se maintint pas pendant longtemps à Constantinople. La guerre franco-allemande de 1870 fit péricliter l'influence française dans le Proche-Orient et ébranla l'équilibre entre les Puissances. La porte fut laissée plus ou moins libre pendant quelques années de suivre sa propre inspiration. Nous n'avons qu'à nous reporter à l'année 1875 pour nous rendre compte de l'esprit réactionnaire dans lequel le gouvernement turc avait usé de cette liberté inespérée.
La formidable insurrection qui éclata en cette année contre le régime turc en Herzégovine démontra aux Grandes Puissances l'impérieuse nécessité d'une nouvelle intervention commune. La Porte se hâta de publier un nouveau Firman, octroyant des réformes générales pour tout l'Empire et qui n'était qu'une réédition des promesses restées stériles du Hatti-Houmayoun de 1856[22]. Mais cette fois-ci l'Europe ne s'en contenta pas. Une Note du chancelier d'Autriche Comte Andrassy (30 décembre 1875) aux Puissances signataires du traité de Paris insista sur la nécessité de demander à la Porte la mise en application des réformes; elle demandait surtout: l'égalité devant la loi des Chrétiens et des Musulmans ; l'abolition du fermage des impôts; l'amélioration du sort des paysans; et l'établissement d'un contrôle des réformes qui serait confié à une Commission de notables chrétiens et musulmans[23]. La Porte, pressentie au sujet des propositions du Comte Andrassy, finit par les accepter. Mais les Herzégoviniens les repoussèrent, ne voulant plus se fier aux promesses de la Turquie. Vers le même temps, se produisit un mouvement insurrectionnel à Philipople, mouvement qui fut réprimé avec la plus grande sauvagerie par les Turcs: 20.000 villageois bulgares furent massacrés sans distinction de sexe, ni d'âge[24]. De leur côté, les Serbes et les Monténégrins, congénères des Herzégoviniens, entrèrent en guerre contre la Turquie.
En présence de ces faits, les trois Cours impériales de Saint-Pétersbourg, de Vienne et de Berlin rédigèrent le Mémorandum dit de Berlin (13 mai 1876) où elle prévoyaient des mesures coercitives contre la Porte pour le cas où elle s'opposerait à leurs efforts tendant à pacifier le pays. D'ailleurs, l'accord se fit bientôt entre toutes les Puissances signataires du traité de Paris, et une Conférence se réunit vers la fin de l'année 1876, à Constantinople, où le Sultan Abdul-Hamid II venait de monter sur le trône.
A cette Conférence, les plénipotentiaires des six Grandes Puissances apportaient des propositions qui démontraient qu'elles avaient reconnu l'inanité des projets de réformes destinées à tout l'Empire ottoman et dont l'exécution serait abandonnée au bon vouloir de la Porte. A leur place, les représentants présentaient des projets de règlements organiques pour la Bosnie et l'Herzégovine et pour les deux vilayets bulgares[25], comportant de larges autonomies et dont l'application devait être surveillée par une Commission internationale.La porte répondit à ces propositions par un coup de théâtre. A la première séance de la Conférence, des salves d'artillerie annoncèrent la promulgation de la Constitution ottomane, devant, selon les paroles de Safvet Pacha, «inaugurer une ère nouvelle pour le bonheur et la prospérité de ses peuples». Les plénipotentiaires turcs opposèrent ensuite une résistance opiniâtre aux propositions des Puissances, lesquelles, selon eux, portaient une grave atteinte à l'indépendance de l'Empire et à l'esprit aussi bien qu'à la lettre, du traité de Paris. De leur côté, les plénipotentiaires des Puissances n'attachèrent qu'une médiocre valeur à la promulgation de la Constitution et prévinrent la porte dans les termes les plus énergiques contre les suites fâcheuses de son obstination[26].
Cependant, la Porte ne céda pas, et la Conférence de Constantinople se sépara sans résultat. Dès lors, la Russie, dont l'opinion publique demandait hautement la délivrance des Slaves du joug turc, dut recourir à la force. La Conférence de Londres de 1877 fit un dernier effort pour ramener la Porte à la raison. Le protocole de Londres du 31 mars 1877 ne rappelle en rien le ton courtois de l'article 9 du traité de Paris. « Les Puissances, y est-il dit, se proposent de veiller avec soin, par l'intermédiaire de leurs représentants à Constantinople et de leurs agents locaux, à la façon dont les promesses du gouvernement ottoman seront exécutées. Si leur espoir était encore une fois déçu et si la condition des sujets chrétiens du Sultan n'était pas améliorée de manière à prévenir le retour des complications qui troublent périodiquement le repos de l'Orient, les Puissances croient devoir déclarer qu'un tel état de choses serait incompatible avec leurs intérêts et ceux de l'Europe. En pareil cas, elles aviseraient en commun aux moyens qu'elles jugeraient les plus propres à assurer le bien-être des populations chrétiennes et la paix générale »[27].
Mais les Turcs protestèrent contre ce qu'ils appelèrent «la tutelle humiliante» de l'Europe[28], et l'Empereur de Russie donna ordre à l'armée russe de franchir la frontière «pour obtenir, dit-il, par la force ce que les efforts unanimes des Puissances n'avaient pas réussi à obtenir par la persuasion ». La Russie fut victorieuse, et le traité préliminaire de San Stefano du 19 février 1878, qu'elle imposa à l'Empire ottoman, libéra la majeure partie des Chrétiens de la Turquie d'Europe.
Le traité de Berlin du 13 juillet 1878, encore qu'il ait, pour des raisons d'opportunité politique, replacé sous la domination ottomane une partie des populations libérées par le traité de San-Stefano, marque cependant une énorme étape dans l'histoire de l'affranchissement des nations non-turques de l'Empire ottoman. Il proclame l'indépendance de la Serbie, de la Roumanie, du Monténégro; il érige la Bulgarie en principauté vassale et la Roumanie orientale en province autonome, en subordonnant à l'assentiment des Puissances la confirmation par la Porte du Prince de Bulgarie librement élu par la population ainsi que la nomination du gouverneur de la Roumélie. Le traité stipule la surveillance par les Puissances des réformes en Arménie, et engage la Porte à appliquer scrupuleusement le règlement octroyé en 1868 à la Crète. Il institue une Commission européenne pour élaborer, d'accord avec la Porte, l'organisation de la Roumanie orientale et oblige la Porte à introduire dans les autres parties de la Turquie d'Europe des règlements analogues, après avoir pris l'avis de ladite Commission.
Toutes ces stipulations du traité de Berlin se présentent comme des manifestations d'une intervention collective d'humanité. Mais cette intervention ne se borne pas seulement à la libération ou à l'amélioration du sort de certaines provinces ottomanes. L'article 62[29] contient une sorte de charte des droits de l'homme. Malheureusement, tandis que la réalisation des réformes particulières est assurée par la surveillance des Puissances, cette garantie fait défaut à l'article 62 qui stipule l'égalité des droits de tous les sujets de l'Empire[30].
A la séance du 2 juillet 1878 du Congrès de Berlin, le second plénipotentiaire de Russie, Comte Schouvalow, a déclaré « que la guerre a été la conséquence de la violation constante et journalière de dispositions convenues et notamment des obligations contractées par la Porte, en 1856, au Congrès de Paris »[31]. Il serait difficile de constater la justesse de ces paroles. Quelques motifs politiques qu'on puisse se plaire à substituer à la tendance naturelle de la Russie d'émanciper ses frères slaves de la domination ottomane, quelques vastes visées d'expansion qu'ait pu nourrir l'Autriche dans le Proche-Orient, on ne saurait jamais refuser à la guerre russo-turque le caractère d'une véritable guerre d'humanité. Le Congrès de Berlin a certainement satisfait les visées territoriales ou politiques de quelques puissances: il a permis à l'Autriche d'occuper les provinces serbes de Bosnie et d'Herzégovine; il a donné à la Russie les territoires d'Ardahan, de Kars et de Batoum. Mais il n'en reste pas moins vrai que la guerre n'aurait pas été possible si les Turcs avaient réalisé les réformes annoncées par le traité de Paris. Le traité de Berlin reste donc, avant tout, une sanction pour la violation de celui de Paris. Et cette sanction constitue une des plus éclatantes manifestations de l'intervention d'humanité en faveur des races opprimées de l'Empire ottoman.
Articles 22 et 28 du traité de Paris
Le Hatti-Houmayoun confirme les garanties de l'acte de Gulhané relatives à la sécurité des personnes, des biens et de l'honneur de tous les sujets ottomans, sans distinction de classes ni de religion; il proclame la liberté des cultes et maintient les privilèges spirituels des communautés chrétiennes, tout en prescrivant certaines réformes sur la base d'un accord entre elles et la Porte. Les affaires judiciaires entre Musulmans et Chrétiens sont déférées à des tribunaux mixtes qui statueront selon des lois spéciales; le témoignage des Chrétiens reçoit la même valeur que celui des Musulmans. Tous les sujets sans distinction de culte sont admis aux emplois publics et astreints au service militaire. Tous sont égaux devant les impôts. Le Hatti-Houmayoun abolit une fois de plus le système de l'affermage des dîmes et introduit la perception directe. Il ordonne la réforme du système pénitentiaire, l'abolition de la torture, la réorganisation de la police, l'application égale des lois contre la concussion; il prescrit, enfin, la création de banques, l'établissement d'un budget et des travaux d'utilité publique (V. le texte du Hatti-Houmayoun, Noradounghian, Recueil, t. III, p. 83).
Engelhardt, La Turquie et le Tanzimat, t. I, p. 161.
Engelhardt, op. cit., t. I, p. 170-172.
Voici le texte de l'acte signé à cette occasion par la Porte et par les Puissances et qui démontre clairement le caractère purement humanitaire de l'intervention de ces dernières:
1° Protocole pour le rétablissement de la tranquillité en Syrie et la protection des Chrétiens, signé à Paris, le 3 août 1860.
«Les plénipotentiaires de l'Autriche, de la France, de la Grande-Bretagne, de la Prusse et de la Russie, désirant établir, conformément aux intentions de leurs Cours respectives, le véritable caractère du concours prêté à la Sublime Porte aux termes du protocole signé le même jour, les sentiments qui leur ont dicté les clauses de cet acte et leur entier désintéressement, déclarent de la manière la plus formelle que les Puissances contractantes n'entendent poursuivre ni ne poursuivront, dans l'exécution de leurs engagements, aucun avantage territorial, aucune influence exclusive, ni aucune concession touchant le commerce de leurs sujets et qui ne pourrait être accordé aux sujets de toutes les autres nations.
«Néanmoins ils ne pourront s'empêcher, en rappelant ici les actes émanés de S. M. le Sultan, dont l'article 9 du traité du 30 mars 1856 a constaté la haute valeur, d'exprimer le prix que leurs Cours respectives attachent à ce que, conformément aux promesses solennelles de la S. Porte, il soit adopté des mesures administratives sérieuses pour l'amélioration du sort des populations chrétiens de tout rite dans l'Empire ottoman.
«Le plénipotentiaire de Turquie prend acte de cette déclaration des représentants des Hautes Puissances et se charge de la transmettre à sa Cour, en faisant observer que la S. Porte a employé et continuera à employer ses efforts dans le sens du vœu exprimé ci-dessus» (V. Noradounghian, Recueil, t. III, p. 125).
L'article 1 du règlement du 9 juin 1861 porte: «Le Liban sera administré par un gouverneur chrétien nommé par la S. Porte et relevant d'elle directement». Un protocole sous la même date stipule que le règlement, promulgué par le Sultan sous la forme d'un Firman, sera communiqué officiellement aux représentants des grandes Puissances; il porte en outre que, trois mois avant l'expiration du mandat du gouverneur, nommé pour trois ans, la Porte, avant d'aviser, provoquera une nouvelle entente avec les représentants des Grandes Puissances.
En 1864, le Règlement du Liban a été révisé à la suite d'une entente entre la Porte et les Puissances. A cette occasion un nouvel acte stipula le maintien du protocole de 1861 (V. Noradounghian, Recueil, t. III, p. 144-149 et 223-228).
Comp. Rougier, op. et loc. cit., p. 2.
Comp. les pages remarquables consacrées aux enquêtes de 1867 par Ed. Engelhardt, La Turquie et le Tanzimat, t. I, p. 237 et suiv.
Sur cette période V. Engelhardt, op. cit., t. II, p. 1-86.
Engelhardt, op. cit., t. II, p. 141-143
Engelhardt, ibid., p. 145-148.
Ce furent les fameuses « atrocités bulgares» stigmatisées par Gladstone.
On peut juger de l'esprit de ces règlements par les traits suivants :
Les Valis (gouverneurs généraux) placés à la tête de chacune de ces provinces sont nommés pour un terme de 5 ans par la Sublime Porte avec l'assentiment des Puissances garantes. L'assentiment des Puissances est également prévu pour la nomination du Président et des membres de la Cour d'appel siégeant au chef-lieu de chaque vilayet. Les Valis administreront.les provinces avec le concours d'Assemblées provinciales. Les gouverneurs et sous-gouverneurs sont musulmans ou chrétiens, selon la majorité de la population du sandjak ou kasa. Enfin, des Commissions internationales seront nommées par les Puissances garantes afin de veiller à l'exécution des règlements (Noradounghian, Recueil, t. III, p. 411-422).
V. protocoles de la Conférence de Constantinople de 1876 (Noradounghian, Recueil, t. m). «Si cette Conférence, dit le plénipotentiaire de la Grande-Bretagne, lord Salisbury, se sépare par le motif que le Sultan et ceux auprès de S. M. Impériale ne veulent point écouter les conseils des six Puissances garantes, la position de la Turquie vis-à-vis de l'Europe aurait subi un changement complet et serait fort périlleuse. Il sera désormais reconnu dans tous les pays que la Porte, après avoir joui pendant vingt ans de la sécurité qui lui a été assurée par l'accord des Puissances chrétiennes, refuse de prêter l'oreille à leurs réclamations contre les épreuves que subissent les sujets chrétiens de Sa Majesté Impériale».
«La conscience de l'Europe sera émue de la conviction qu'elle n'exerce plus aucune influence dans les Conseils de la Sublime Porte, et qu'elle ne peut plus s'acquitter de la responsabilité que lui imposent les efforts qu'elle a faits pour sauvegarder la Turquie.... La Grande-Bretagne est résolue à ne donner sa sanction, ni à la mauvaise administration, ni à l'oppression, et si la Porte, par opiniâtreté ou inertie, résiste aux efforts qui se font actuellement dans le but de placer l'Empire ottoman sur une base plus sûre, la responsabilité des suites qui en résulteront reposera uniquement sur le Sultan et ses Conseillers» (Séance du 3/15 janvier 1877, Noradounghian, Recueil, t. III, p. 480).
Le général Ignatieff, plénipotentiaire de la Russie, dit de son côté: «Ne pouvant nous prononcer d'avance sur la valeur de la Constitution récemment promulguée, dont nombre de nouvelles lois doivent encore compléter les dispositions et déterminer le véritable caractère, je crois devoir prémunir la Sublime Porte contre les atteintes qui pourraient être portées aux stipulations du Hatti-Houmayoun de 1856 et aux prescriptions du Firman du 12 décembre 1875, et qui constitueraient une violation des engagements contractés à l'égard de l'Europe» (Séance du 8/20 janvier 1877, Noradounghian, Recueil, t. III, p. 492)
Engelhardt, op. cit., t. II, p. 178
Circulaire de Safvet Pacha du 9 avril 1877, Engelhardt, op. cit., t. II, p. 179.
Article 62 du traité de Berlin: «La Sublime Porte ayant exprimé la volonté de maintenir le principe de la liberté religieuse en y donnant l'extension la plus large, les Parties Contractantes prennent acte de cette déclaration spontanée. Dans aucune partie de l'Empire ottoman la différence de religion ne pourra être opposée à personne comme un motif d'exclusion ou d'incapacité en ce qui concerne l'usage des droits civils et politiques, l'admission aux emplois publics, fonctions et honneurs ou l'exercice des différentes professions et industries. Tous seront admis, sans distinction de religion, à témoigner devant les tribunaux. La liberté et la pratique extérieure de tous les cultes sont assurées à tous, et aucune entrave ne pourra être apportée soit à l'organisation hiérarchique des différentes communions, soit à leurs rapports avec leurs chefs spirituels...»
Il est vrai qu'à la séance du Congrès du 10 juillet 1878 le Prince Gortchakow, plénipotentiaire de Russie, proposa de déclarer la totalité des articles du traité de Berlin «comme formant un ensemble de stipulations dont elles (les Hautes Parties Contractantes) s'engagent à contrôler et à surveiller la mise en vigueur». Mais cette proposition ne fut pas acceptée par la majorité du Congrès qui ne voulut pas blesser les susceptibilités de la Turquie. Le Congrès se contenta des déclarations du premier plénipotentiaire turc Carathéodory Pacha portant que la Turquie se regardait «comme positivement et strictement tenue à mettre à exécution les engagements qu'elle aura souscrits au même titre que toutes les autres Puissances signataires du traité» (Noradounghian, Recueil, t. IV, p. 154 et p. 160-161).
Noradounghian, Recueil, t. IV, p. 102.