parution : 3 avril 2003
« La mémoire de ma mémoire n'est pas ce que j'ai vécu mais ce dont j'ai hérité. L'écho d'un passé. Elle est la partie immergée de mon histoire. L'amont nocturne de ma saga. Le caillot que j'avais dans le poing au jour de ma naissance et dont, enfant, on m'a transmis la tragédie. Et que j'ai voulu oublier. » Centré sur le drame vécu par les Arméniens de l'Empire ottoman entre la fin du XIXe siècle et les lendemains de la Première Guerre mondiale, ce récit d'une rare puissance mêle l'Histoire, les dits de la mémoire familiale, les images et les vestiges qu'en drainent leurs héritiers. Jamais ce qu'on a dénommé le premier génocide du XXe siècle n'avait trouvé une expression aussi épique ni aussi universelle.
Gérard Chaliand, poète, géostratège et spécialiste des conflits, a longtemps refusé de porter le poids du génocide de 1915 dont a été victime la famille de ses grands-parents. Depuis vingt ans, il écrivait par bribes ce texte qu'il publie aujourd'hui.
Le livre de Gérard Chaliand est sans ornements. Il s'oppose, par la force des choses, aux longues, aux opulentes épopées familiales. Ici, les âges de la vie et ceux de la mort se confondent. Ici, l'on épelle le nom des défunts avant celui des vivants. Et, lorsque l'on remonte les générations, c'est pour rencontrer un homme, une femme ou des enfants massacrés. L' "amont nocturne" de l'histoire ne peut être effacé. Il faut encore et toujours en témoigner : date des massacres, des épreuves et des tortures sans nombre, des déportations, étapes de cette vie rendue impossible des persécutés, exils, épisodes glorieux aussi, de résistance et de vengeance... Et dans cette nuit, comme dans ces trouées de lumière, Chaliand retrouve le visage des siens, tant il est vrai que "cette histoire collective s'est désormais coagulée en histoire personnelle". (Patrick Kéchichian, Le Monde, 06/06/2003)
«La mémoire de ma mémoire n’est pas ce que j’ai vécu mais ce dont j’ai hérité. L’écho d’un passé. Elle est la partie immergée de mon histoire. L’amont nocturne de ma saga.»
Gérard Chaliand est d’origine arménienne. Longtemps il a refusé de porter le poids du génocide de 1915 dont ont été victimes les familles de ses grands-parents. Mais la douleur était au fond de lui et, depuis vingt ans, il écrivait par bribes ce texte qu’il publie aujourd’hui. Il y a mêlé sa rigueur d’historien, sa ferveur, sa compassion filiale et la violence épique de son inspiration poétique. On trouve rarement dans la littérature contemporaine des pages aussi intenses que celles que Chaliand consacre ici à la fureur de la destruction et à l’ivresse des massacres.
«Il y a de longues années que je porte ces pages sans pouvoir me résoudre à les écrire. Maintenant que tout le monde est mort depuis longtemps déjà et que ma fin elle-même n’est point si lointaine, il est grand temps de rappeler ce meurtre collectif. (…)
Longtemps j’ai rejeté cet héritage. Pourquoi devais-je endosser le manteau de douleur? Me complaire dans le rôle de victime par transmission? Commémorer les dates marquant le désastre?
Tout cela appartenait au passé. Je n’en voulais pas, j’étais dans un autre univers, le mien, dans une autre langue, la mienne, avec une autre histoire, que je partageais, qui fondait ma façon de voir le monde, de le comprendre. (…)
Et il y avait le monde à explorer, à parcourir, d’autres luttes, immédiates, un présent qu’on pouvait peut-être changer, des conflits où s’impliquer, l’odeur de poudre et d’espoir d’un monde en train de se faire tandis que des peuples se libéraient.
Quand mon père, puis ma mère sont morts et que les circonstances s’y sont prêtées, j’ai désiré, après tant d’autres luttes auxquelles j’avais participé, m’incliner enfin devant ce passé dont je n’avais pas voulu et qui longtemps ne m’a plus occupé. Il est juste, enfin, d’accepter l’originelle blessure et d’en assumer la douleur, pour un dernier adieu.»
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