Yektan Turkyilmaz est à ce jour le seul universitaire turc qui a eu accès aux archives d'Etat arméniennes, un “privilège” qui s'explique selon lui par des raisons toutes simples. « Il n'existe tout simplement personne en Turquie qui puisse travailler à partir de ces archives », a expliqué dans un arménien parfait le jeune doctorant, qui affirme ne connaître aucun autre universitaire turc ayant une maîtrise suffisante de la langue arménienne, qui constitue donc selon lui le principal obstacle à une étude de ces archives dont on affirme en Turquie qu'elles sont fermées pour motifs politiques. Turkyilmaz, qui a appris l'arménien auprès d'un enseignant arménien d'Istanbul, prépare un doctorat d'histoire à l'université de Caroline du Nord, sur le thème de la genèse et des activités des partis nationalistes turcs, kurdes et arméniens, au cours des dernières décennies de l'Empire ottoman. Il a commencé l'étude des documents afférents conservés aux Archives nationales d'Arménie le 2 mai, et affirme n'avoir rencontré aucune difficulté pour y avoir accès et les photocopier.
« Il est intéressant de noter qu'en Turquie, on croit que les archives arméniennes sont fermées et tout particulièrement aux citoyens turcs », indique Turkyilmaz, une rumeur infondée que vient d'ailleurs infirmer son travail. Une telle rumeur est véhiculée au plus haut niveau de l'Etat turc, puisque le premier ministre Recep Tayyip Erdogan lui-même, dans sa campagne visant à justifier le refus de son pays de reconnaître le génocide des Arméniens, avait appelé ces dernières semaines l'Arménie à suivre l'exemple de la Turquie, qui avait ouvert ses archives de l'époque ottomane.
L'Arménie, pour sa part, n'a jamais cessé de clamer que ses archives avaient toujours été ouvertes aux chercheurs turcs, comme aux autres chercheurs étrangers.
« A ce jour, de nombreux universitaires étrangers les ont étudiées, et aucun d'entre eux n'était turc », avait ainsi déclaré le porte-parole du ministère arménien des affaires étrangères peu après l'arrivée de Turkyilmaz à Erevan. Le directeur des archives arméniennes, Amatuni Virabian, a réaffirmé cette semaine que tout chercheur turc désireux d'étudier les 12 000 documents relatifs au génocide renfermés dans ces archives pouvaient y avoir accès. La plupart de ces documents contiennent des informations sur les dizaines de milliers de rescapés du génocide qui ont trouvé refuge en Arménie entre 1915 et 1918.
Turyilmaz confirment les déclarations de Virabian et d'autres officiels, en se félicitant même de l'aide qu'ils lui ont apportée dans ses recherches.
L'inverse n'est pas vrai pour les universitaires arméniens, sceptiques pour la plupart quant à la sincérité de la Turquie dans ses intentions affichées d'ouvrir ses archives ottomanes. Ils estiment par ailleurs que les archives turques ont été expurgées depuis longtemps des pièces à charge qui pourraient établir les preuves de la culpabilité des autorités ottomanes. Sans compter qu'un Etat coupable de génocide n'en consigne généralement pas les faits par écrit, comme l'a montré le IIIe Reich, qui avait pris soin de ne laisser aucune trace écrite de sa politique d'extermination.
Turkyilmaz se sent investi d'une mission particulière auprès des « jeunes générations turques qui, ne savent hélas rien à ce sujet », « hormis la version nationaliste des faits telle qu'elle apparaît dans les manuels scolaires ». « Faute d'avoir été informés sur la réalité des événements survenus à cette époque, les Turcs croient que leur pays fait l'objet d'un complot de la part des Arméniens » ajoute le chercheur turc. Celui-ci n'est pourtant guère optimiste quant à une reconnaissance prochaine du génocide arménien par la Turquie dans un proche avenir. Mais il ne désespère pas que « les générations futures pourront aborder le sujet de façon plus dépassionnées et rationnelle ».
Armenews (Nouvelles d'Arménie) , 13 mai 2005