Ce récit, extrait de Témoignages des survivants témoins oculaires du génocide des Arméniens, a été recueilli par Verjine Svazlian, ethnologue
Eliazar Garabédian, né en septembre 1886 à Daron, Sassoun , raconte :
En 1908, le Hürriyet,(la liberté) accorda la liberté à tous les prisonniers politiques, en conséquence, l'Arménien, le Turc, le Kurde, tous devaient avoir les mêmes droits. Les « Jeunes Turcs », conformément au pacte fraternel avec le parti « Tashnagtsagan » mettaient fin au combat du Front de Libération arménien, tous les peuples habitant en Turquie, unissant leurs forces devaient, emplis d'un esprit patriotique, défendre fidèlement l'Empire ottoman, les frontières qu'il avait créées et le nouveau gouvernement ayant établi des lois d'avant-garde. Par un décret spécial, les Fedays furent invités à Mouch. La troupe des Haïdouks se rendit sans armes sous la direction de Roupen. Partout retentissaient des cris d'allégresse. Selon la loi de « liberté » avaient pris fin le statut d'infériorité des Arméniens, les coups, les insultes, les saccages, les pillages et le mépris. Quiconque se conduisait de cette façon s'exposait aux sanctions les plus sévères, même à la pendaison. Les deux peuples éprouvaient la même totale confiance. Les Arméniens avaient reçu le droit de s'exprimer librement, de choisir et d'élire leurs représentants. Dans la vie de ces Arméniens occidentaux, c'était une renaissance. Le Parlement nouvellement élu, lors de sa première séance, établit une série de lois, parmi lesquelles l'admission des Arméniens dans les rangs de l'armée ottomane.
Le Sultan Hamid était encore sultan de Turquie lorsque le 31 mars 1909, en Cilicie, 30000 Arméniens furent massacrés. Le 9 avril, le sultan Hamid fut détrôné et son frère aîné Muhamet Rechad monta sur le trône. Un nouveau gouvernement fut placé à la tête du pays, composé d'Enver, de Talaat, Kemal Nazim, qui considérèrent comme nulles les lois promulguées par le sultan Hamid et créèrent les forces armées « bachibouzouks ». Paix, Egalité, Fraternité, ce rêve séculaire du peuple arménien était devenu réalité. Les comités centraux des deux partis arméniens Hentchag - Tachnag eurent alors des relations très proches et amicales. De part et d'autre, les dirigeants se réunissaient tous les jours à propos de la Constitution et prononçaient de beaux discours patriotiques. Les dirigeants turcs et arméniens s'invitaient mutuellement à des repas, des réjouissances, des visites des rues, des villes et des institutions arméniennes. Les Arméniens bénéficiaient de nombreuses autorisations, il s'occupaient même d'affaires judiciaires, de contestations complexes. Le Révérand Mihran annonça la nouvelle de la Première Guerre Mondiale. Le 3 août eut lieu l'éclipse de soleil.
Le parent d'Enver Pacha, Servet Pacha était venu chercher tout ce dont l'armée avait besoin, et cela avec des méthodes effrayantes et cruelles. Vis à vis des Arméniens qui vivaient sous domination turque, la haine commença à devenir plus profonde. La fureur ne se limitait pas aux troupes volontaires arméniennes qui s'étaient jointes à l'armée russe et qui combattaient contre les Turcs.
Dans le but d'attiser davantage la rage des Turcs contre les Arméniens, le gouvernement publia une nouvelle affaire encore plus troublante, affirmant que les soldats arméniens et les spahis servant dans l'armée, profitant d'une occasion favorable lors des combats, abandonnaient le front, s'enfuyaient, passaient du côté russe, trahissaient, transmettaient des secrets, tournaient casaque et se battaient contre les Turcs. Ainsi s'accumulèrent les vieilles rancunes et désirs de vengeance. La Turquie, délimitée et dirigée par Talaat et Enver, décida, par l'épée et le feu, de briser et déraciner du pays la population arménienne qui avait toujours été soumise et l'avait fait prospérer. Il fut ordonné de désarmer les Arméniens qui servaient dans l'armée turque, et de les réunir dans des bataillons non-combattants. Les soldats de tous les corps d'armée durent rendre leurs fusils et sortir des rangs, pour construire des routes, transporter des fardeaux , former des groupes de travail et accomplir des tâches cruelles dans le froid de l'hiver.
A partir du jour du début de la guerre, l'attitude du gouvernement turc envers les Arméniens fut hostile et désespérante. Il considérait les Arméniens comme des ennemis. . Et dans le village de Koms, les coups de feu des fugitifs du moulin à eau dans l'incendie duquel 13 gendarmes avaient trouvé la mort, allaient peser lourd sur le sort des Arméniens.
La nuit du 20 février, 80 représentants de 15 villages étaient invités à se réunir dans le monastère apostolique Sourp Arakel pour réfléchir aux préparatifs de leur autodéfense. Les habitants de Sassoun avaient 1500 fusils. Le 22 février, on entendit des coups de feu dans le monastère apostolique.
Le 13 mars, le Cheik Hazret était au marché de Mouch, puis auprès de Servet Pacha et Hadji Moussapeg.
Il siégea avec les dirigeants Jeunes-Turcs pour se concerter, et ils décidèrent de massacrer les Arméniens.
Le 7 avril, entre le gouvernement turc et les Arméniens, ont commencé les luttes inégales à Van.
Ahmed Pacha fut tué par des Fédays au cours des combats près de la chapelle de la Sainte Vierge du monastère Sourp Arakel. Le Mutasserif de Sassoun, Servet Pacha, dans son discours prononcé sur la tombe d'Ahmed Pacha, déclara : « Ahmed, mon enfant, repose en paix, moi je jure sur ta tombe qu'autant d'Arméniens doivent être tués que tu as de cheveux sur la tête ». Ce furent les dernières paroles et le dernier serment sortis du fond du coeur du Mutesserif Pacha plein d'impatience et de désir de vengeance. Il n'allait jamais oublier ce saint serment qu'il allait réaliser dans un proche avenir.
Le 22 avril 1915, les Kurdes se précipitèrent sur les Alivans arméniens de Sassoun et, brisant tout, près de mille homme armés de Sametz, de Mouser, de Bakran, sous le commandement d'Avtul Aziz, entreprirent leur expédition sur les 20 villages de Psank.
Ils commencèrent à tuer sauvagement et à piller les Arméniens. Ceux-ci, désarmés, après avoir essayé brièvement de résister, et ne pouvant supporter une telle force, laissèrent tout ce qu'ils avaient pour sauver leur vie. Femmes et enfants s'enfuirent dans les montagnes. Les Kurdes se précipitèrent, mirent le feu et saccagèrent tout le village. Une partie des villageois, 150 hommes, femmes et enfants, n'ayant pas trouvé moyen de se sauver, entrèrent dans le monastère Komats sous la protection du Père Stépan Vartabed et du propriétaire du troupeau du village Aghtché, et s'y réfugièrent.
Avtul Aziz, ayant compris que les Arméniens étaient là, s'approcha avec ses Kurdes, entoura le monastère et continua la lutte interminable. Les Kurdes n'arrivaient pas à entrer dans l'enceinte du monastère, mais par contre ils réussirent à couper l'eau des canalisations qui débouchaient à l'extérieur, pour obliger les Arméniens à se rendre.
Pendant presque quinze jours, les Arméniens furent privés d'eau et furent plongés dans un grand désespoir. A cette occasion, une femme kurde, du nom de Sossé, connue à Aghtché, ayant appris qu'on avait coupé l'eau aux Arméniens assiégés, est allée la nuit en secret et a ouvert les vannes de la conduite qui aboutissait au monastère. Cet événement imprévu causa une grande surprise chez les Arméniens et fit régner une immense joie. Jusqu'au matin, ils remplirent d'eau tous les seaux et récipients.
A l'aube, les Kurdes s'aperçurent de l'ouverture, et la refermèrent. Les Arméniens, assiégés, coupés de toute communication avec l'extérieur, luttèrent et se défendirent pendant un mois ; mais à la fin, quand ils s'aperçurent que la situation empirait, et qu'il n'y avait plus aucun espoir d'être délivrés, avec l'aide du révérend Père et d'un jeune homme nommé Aghtchen Sahag, réussirent à sortir du monastère par un passage secret purent ainsi faire parvenir une lettre à Antog, dans laquelle ils décrivaient leur pénible situation et priaient les habitants soit de leur venir en aide le plus vite possible, soit de leur donner des conseils d'insoumission. Roupen répondit par courrier qu'il ne pouvait pas les aider mais qu'il n'y avait désormais plus de raison de rester là, par conséquent, si vous trouvez moyen de sortir immédiatement du monastère, venez vous joindre à nous.
Après avoir été assiégés pendant 30 jours, les Arméniens, une nuit, franchirent l'enceinte et tous ensemble s'enfuirent vers les rochers de Dalvorig et de là au mont Antog.
Les Kurdes se battaient entre eux pour s'emparer des biens et du bétail des Arméniens. Ils luttaient pour tuer les Arméniens et arriver avant les autres pour piller leurs biens.
A partir du 2 mai, les « Achirats » de Khiyan et de Patkan, dans le village de Parka, sous la direction du Mutur l'Agha Souleyman le Borgne, se précipitèrent tous les jours sur les villages de Dalvorig dans le but de s'emparer de l'Antog, de faire fuir les Arméniens qui s'y étaient réfugiés, et enlever le butin. Mais ayant subi des pertes, ils ne purent s'en approcher.
Svazlian, Verjiné. (1999). The Armenian Genocide in the Memoirs and Turkish-Language Songs of the Eyewitness Survivors. Yerevan, "Gitutiun" Publishing House of the NAS RA.
Traduction : Louise Kiffer
Bibliographie de Verjine Svazlian :
Svazlian, Verjiné. (1984). Moussa Ler. " Hay azgagrutyun ev banahyusutyun" [Moussa Dagh. " Armenian Ethnography and Folklore" ]. Vol. 16, Yerevan, Publishing House of the AS ASSR (in Armenian).Svazlian, Verjiné. (1994). Kilikia. Arevmtahayots banavor avandutyune [Cilicia. The Oral Tradition of the Western Armenians]. Yerevan, "Gitutiun" Publishing House of the NAS RA (in Armenian).Svazlian, Verjiné. (1995). Meds Yeghern. Arevmtahayots banavor vkayutyunner [The Great Genocide. Oral Evidences of the Western Armenians]. Yerevan, "Gitutiun" Publishing House of the NAS RA (in Armenian).Svazlian, Verjiné. (1997). Meds Yegherne arevmtahayots hooshapatumnerum ev toorkalezu ergerum [The Great Genocide in the Memoirs and Turkish-Language Songs of the Western Armenians]. Yerevan, "Gitutiun" Publishing House of the NAS RA (in Armenian).Svazlian, Verjiné. (1997). Genotsid v vospominaniiakh i turkoiazychnikh pesniakh zapadnykh armian [The Genocide in the Memoirs and Turkish-Language Songs of the Western Armenians]. Yerevan, "Gitutiun" Publishing House of the NAS RA (in Russian).