sont les pires ennemis de la Turquie
Le groupe turc nommé « Grand Projet 2006 », composé de personnalités politiques, militaires, universitaires..., projette d'honorer Talaat pacha, le maître d'œuvre du Génocide arménien.
Harut Sassounian, l'auteur de cet article daté du 26 janvier 2005, est rédacteur en chef du journal California Courier.
Pendant 90 ans, les Turcs et les Arméniens ont été en conflit au sujet du Génocide arménien. L'ordre établi en Turquie a essayé par tout ce qui était en son pouvoir de nier et de falsifier les faits de ce crime contre l'humanité. Les Arméniens, de leur côté, ont employé tous les moyens possibles pour s'assurer que le monde n'oublie pas le meurtre de masse de leurs ancêtres.
Progressivement, au cours des deux dernières années, un nouveau front s'est créé sur lequel les Turcs ont été confrontés les uns les autres au Génocide arménien.
Pendant des décennies personne n'avait discuté en Turquie de la question du Génocide arménien, pour la simple raison que la plupart des Turcs n'en savaient rien. Les livres scolaires turcs ne couvraient pas ce chapitre tragique de leur histoire. Et ceux qui étaient au courant de ce sujet tabou n'osaient pas en souffler mot, encore moins poser des questions sur la position négationniste officielle de leur gouvernement.
Avec le temps, comme de plus en plus d'étudiants turcs allaient dans les universités occidentales, ils tombaient parfois sur des étudiants arméniens qui accusaient avec colère les Turcs d'avoir tué leurs ancêtres en 1915. De telles confrontations conduisirent quelques étudiants turcs, après avoir surmonté le choc initial, d'examiner ces accusations et de découvrir ce qui s'était passé exactement plusieurs décennies avant leur naissance.
Au début des années 70, comme quelques jeunes Arméniens s'étaient mis à assassiner des diplomates turcs, Ankara ne pouvait plus continuer à étouffer cette question. Les media internationaux disséminaient largement les informations sur ces meurtres et rapportaient qu'ils étaient commis en représailles pour le Génocide arménien. Le Gouvernement turc tenta de riposter à cette « publicité négative » en attribuant des millions de dollars à différents « universitaires » turcs, européens et américains, les chargeant d'écrire des livres qui feraient connaître au public le « côté turc » de l'histoire. Ces matériaux de propagande furent publiés en dizaines de milliers d'exemplaires, dans une multitude de langues, et distribués à des bibliothèques, des points de vente de média, et à des fonctionnaires des gouvernements à travers le monde.
Au lieu de convaincre tout un chacun qu'il n'y avait pas eu de génocide, ces dénégations turques, paradoxalement, propagèrent l'idée, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Turquie, qu'il y avait eu vraiment un problème grave que les gouvernements turcs successifs avaient caché à leurs propres citoyens et à l'opinion publique internationale.
Pour empirer les choses, comme une poignée de Turcs écrivains, journalistes et activistes des droits humains se mettaient à écrire des textes sur les atrocités commises envers les Arméniens, ces Turcs furent poursuivis en justice et jetés en prison. Ces actions despotiques ne servirent qu'à orienter les projecteurs non seulement sur le Génocide arménien, mais sur les graves questions soulevées sur le bien-fondé du désir de la Turquie de devenir membre de l'Union Européenne.
Tout Turc qui ose contester la position négationniste de ce qu'il est convenu d'appeler « l'Etat profond » est immédiatement accusé d'être un traître, et poursuivi en justice. Même les professeurs turcs des Etats Unis ne sont pas à l'abri des fanatiques turcs au bras long qui les harcèlent, les menacent et les terrorisent, pour avoir exprimé leurs points de vue d'étudiants indépendants, dans un cadre universitaire.
La vérité est que les Turcs qui contestent les politiques négationnistes de leur Etat ne sont ni anti-turcs, ni pro-arméniens. Soit ils essaient d'apprendre ce qui s'est produit réellement en 1915, soit ils pensent qu'affronter les faits historiques, si déplaisants fussent-ils, libérerait leur patrie du trauma de mentir au sujet de son passé, donnant ainsi à la Turquie la possibilité de rejoindre les rangs des nations civilisées et devenir éligible pour l'adhésion à l'Union Européenne.
Paradoxalement, comme de plus en plus d'universitaires, d'états et d'opinions publiques dans le monde reconnaissent le Génocide arménien, les autorités turques continuent à ne pas se rendre compte du fait que leurs mesures draconiennes et négationnistes sont en train de se retourner contre la Turquie.
Elles persistent aveuglément à réunir des comités d'experts et à établir des lobbies bien financés pour contredire les faits du Génocide arménien.
Pas plus tard que la semaine dernière, un nouveau groupe négationniste a été formé, comprenant 50 membres du Parlement turc, des généraux en retraite, des ex-ambassadeurs, des dirigeants de partis politiques, des présidents d'université, des professeurs, des éditeurs, des organisations non-gouvernementales, et une ancienne reine de beauté ! Le groupe s'étant nommé « Grand Projet – 2006 » a à sa tête Rauf Denktash, l'ex-dirigeant de la soi-disant République turque de Chypre du Nord. Ses membres ont tenu leur première réunion à Istanbul la semaine dernière et annoncé que leur activité inaugurale se déroulerait à Berlin les 18-19 mars sous la bannière de « L'Opération Talaat Pacha ». Ils projettent d'honorer Talaat, le maître d'œuvre du Génocide arménien, pour le 85ème anniversaire de son assassinat par Soghomon Tehlirian à Berlin. L'honneur rendu à Talaat par les Turcs est aussi méprisable que les honneurs à Hitler par les néo-Nazis !
Les Turcs fanatiques ne semblent pas se rendre compte que leurs actions, plutôt que de défendre la cause turque, déshonorent leur propre peuple, et aident à faire connaître encore plus le Génocide arménien au monde entier. Ces Turcs sont les pires ennemis de la Turquie !
Titre original : « Turks Planning To Honor Talaat Are Turkey's Worst Enemies »
Par Harut Sassounian.
California Courier,
26 janvier 2006
La photographie a été intégrée à l'article.
Traduction : Louise Kiffer