Paragraphe 24
24. Toynbee a déclaré que les caractéristiques distinctives du vingtième siècle dans le développement du génocide « sont qu'il est commis de sang froid par l'ordre délibéré de ceux qui détiennent le pouvoir politique despotique, et que les criminels du génocide emploient toutes les ressources de la technologie et de l'organisation actuelles pour rendre leurs massacres planifiés systématiques et complets ». L'aberration nazie n'a malheureusement pas été le seul cas de génocide du vingtième siècle. Parmi d'autres exemples pouvant être ainsi qualifiés, citons le massacre allemand des Héréros en 190412, le massacre ottoman des Arméniens en 1915-191613, le pogrom des Juifs en Ukraine en 191914, le massacre Tutsi des Hutus au Burundi en 1965 et 197215, le massacre paraguayen des Indiens Ache avant 197416, le massacre par les Khmers Rouges au Kampuchea entre 1975 et 197817, et les tueries iraniennes contemporaines des Baha'is18. L'apartheid sera traité séparément dans les paragraphes 43-46 ci-dessous. Un certain nombre d'autres cas peuvent être cités. Il serait pédant de prétendre que quelques cas de crimes de masse ne sont légalement pas des génocides, mais d'autre part il serait contre-indiqué de dévaluer le génocide en étendant trop sa définition.
Paragraphe 73
73. « Au lieu de la loi de la jungle de "vae victis" ("malheur aux vaincus") Hugo Grotius a posé les fondements de la loi internationale au cours de la terrible Guerre de Trente Ans au dix-septième siècle avec son ouvrage De Jure Belli ac Pacis (au sujet des lois de la Guerre et de la Paix). Deux siècles après la fondation de la Croix Rouge, une série de Conventions de Genève et de La Haye furent ratifiées, cherchant à établir des normes internationales de conduite, même en temps de guerre. Il n'y avait cependant pas de sanctions ou de procédures convenues envers les criminels de guerre. Après la Première Guerre Mondiale, les Allemands vaincus organisèrent eux-mêmes des procès de crimes de guerre à Leipzig en 1922, mais ceux-ci se déroulèrent sans succès et 888 personnes parmi les 901 accusées furent acquittées. Les Turcs aussi en 1919-1920 engagèrent des procès, non pas envers des "criminels de guerre" mais envers certains des Ottomans coupables du génocide arménien. Lorsque pendant la Seconde Guerre Mondiale on se rendit compte de l'extraordinaire étendue des crimes nazis, une Commission consultative européenne sur les crimes de guerre fut mise sur pied pour tenir compte, comme disaient les Français "d'un ennemi qui avait cherché à supprimer des nations entières, qui avait élevé le meurtre en système politique, de sorte que nous n'avions plus le devoir de punir seulement ceux qui l'avaient commis, mais aussi ceux qui avaient planifié le crime".56 Dès janvier 1942 les représentants des neuf pays occupés se réunirent à Londres et publièrent la Déclaration de St James, selon laquelle "la solidarité internationale est nécessaire pour éviter la répression de ces actes de violence par de simples actes de vengeance de la part du public en général, et afin de satisfaire le sens de la justice du monde civilisé »57.
La Déclaration annonçait que la punition des crimes de guerre, par quiconque les avaient commis, était maintenant, pour les gouvernements réunis à ce colloque, le but principal de la guerre. Elle disait aussi clairement son intention de traîner en justice non seulement ceux qui avaient personnellement perpétré de tels crimes, mais aussi les dirigeants qui les avaient ordonnés. La Déclaration de St James fut approuvée par la Grande Bretagne, Les Etats Unis et l'URSS., et d'une façon significative exprima le dégoût non seulement pour les atrocités, mais pour l'idée d'une vengeance accrue. Elle impliquait le désir d'une certaine forme de processus judiciaire pour déterminer la culpabilité et satisfaire le sens de la justice. La Conférence de St James fut suivie d'une application pratique: la Commission des Nations Unies pour les Crimes de Guerre fut établie à Londres en 1943 pour collecter et rassembler l'information sur les crimes de guerre et les exterminateurs.58.
A la Conférence de Moscou, des Ministres des Affaires Etrangères, en novembre 1943, la Grande Bretagne, les Etats Unis et l'Union Soviétique avaient publié une déclaration commune condamnant les atrocités nazies dans l'Europe occupée. Celle-ci déclarait « qu'au moment d'accorder l'armistice à un gouvernement quelconque, qui pourrait être installé en Allemagne, ces officiers allemands et ces membres du parti nazi qui avaient été responsables ou qui avaient participé aux atrocités ci-dessus, massacres et exécutions, seraient renvoyés dans les pays où leurs actions abominables avaient été commises, afin qu'ils puissent être jugés et punis conformément aux lois de ces pays libérés, et des Gouvernements libres qui y auraient été instaurés ».