En Turquie, des intellectuels se mobilisent pour la première fois autour du sujet jusqu'alors « tabou » du génocide des Arméniens, en 1915. Un groupe d'observation récemment fondé, L'Histoire pour la paix, a lancé une campagne de protestation afin de dénoncer les nouvelles orientations de l'éducation nationale sur l'enseignement de cette période troublée. Plus de cinq cents intellectuels turcs de renom - universitaires et historiens, journalistes, défenseurs des droits de l'homme, juristes, éducateurs, artistes et écrivains (dont le romancier Orhan Pamuk) - ont déjà signé l'appel. Il a également fédéré de nombreuses organisations non gouvernementales turques, dont l'Association des droits de l'homme, l'Association des citoyens d'Helsinki ainsi que la Fondation d'histoire, une organisation indépendante d'intellectuels qui vise à approfondir la « conscience historique » pour mieux contribuer à la paix sociale et à la démocratie.
Le mouvement est né à la suite d'une circulaire du ministère de l'éducation nationale, diffusée le 14 avril 2003, qui fixe les orientations des cours d'histoire sur le génocide arménien. Privilégiant jusque-là le silence, les manuels d'histoire doivent désormais dénoncer les « prétentions infondées des Arméniens, des Grecs et des Assyriens » sur les événements tragiques de 1915. Cette décision des autorités turques intervient dans un contexte marqué par la reconnaissance du génocide arménien par le Parlement français, en janvier 2001, et la présentation mondiale du film Ararat d'Atom Egoyan en 2002 (Le Monde des 7 février 2002 et 25 mai 2002) !
Intitulé « Non à l'hostilité et à la discrimination dans l'enseignement de l'histoire ! », l'appel condamne l'approche « raciste » et « porteuse de haine » des nouveaux manuels scolaires, dans lesquels Arméniens, Grecs et Assyriens sont, selon eux, présentés comme des « ennemis », des « espions » voire des « barbares », et leurs centres religieux et éducatifs associés à des « communautés nuisibles ».
Les signataires de l'appel, qui demandent le retrait des nouveaux manuels scolaires, soulignent que l'éducation, surtout lorsqu'elle s'intéresse à des événements « sensibles » et « controversés », devrait être fondée sur les principes définis par les Nations unies, plutôt que sur un point de vue « partisan ». L'histoire, concluent-ils, doit être écrite dans un esprit de compréhension mutuelle et de confiance réciproque entre les peuples et non encourager les « préjugés », la « discrimination » et la « confrontation politique » !
Cet appel intervient en plein débat sur l'éducation nationale, alors que les milieux associatifs pro-européens s'engagent dans ce qui est désormais devenu un enjeu politique dans le processus de démocratisation du pays. La très influente Association des industriels et hommes d'affaires de Turquie (Tüsyad) – le patronat libéral turc –, avait déjà publié en 1997 un « Rapport sur les perspectives de démocratisation en Turquie » proposant l'octroi de droits culturels à la minorité kurde. Elle a présenté en 2003 un nouveau manuel d'histoire à l'usage des classes de terminale.
Traduite d'un ouvrage des éditions Hachette et incluant un chapitre sur l'histoire de la Turquie contemporaine d'après 1945 – totalement occultée par les manuels officiels –, cette édition "alternative" se veut davantage adaptée aux normes européennes dans la perspective de l'adhésion de la Turquie. Les chances de sa diffusion officielle par le ministère de l'éducation nationale s'avèrent cependant quasiment nulles.« Des intellectuels turcs dénoncent le racisme anti arménien des livres scolaires »
Auteur : Nicolas Monceau
9 janvier 2004