Henry Morgenthau III (petit fils de l'ambassadeur Henry Morgenthau), qui vit à Cambridge, est l'auteur Mostly Morgenthaus, biographie familiale.
Les Mémoires de l'Ambassadeur Morgenthau viennent d'être publiés en avril 2006 en Turquie grâce à l'éditeur Ragip Zarakolu.
Henry Morgenthau (1856-1946)
Ambassadeur des Etat-Unis en
Turquie ottomane (1913-1916)
Les Mémoires de l'Ambassadeur Morgenthau [Ambassador Morgenthau's story], le récit de mon grand-père du massacre des Arméniens de Turquie en 1915, fut publié juste avant la fin de la Première Guerre Mondiale en novembre 1918. Chronique personnelle de son service en tant qu'Ambassadeur des Etats Unis en Turquie Ottomane pendant 26 mois, le livre a été publié le mois dernier pour la première fois en turc, une étape importante pour l'information du peuple turc de ce qui est arrivé dans leur pays il y a plus de 90 ans.
Le terme génocide n'avait pas encore été inventé quand mon grand-père a écrit ce livre. Aussi, Morgenthau désigne-t-il « la destruction de la race arménienne » par « le meurtre d'une nation ». Ce fut la voix isolée de Henry Morgenthau qui alerta le monde sur les atrocités préméditées des dirigeants Jeunes Turcs et la complicité de leurs alliés allemands.
La raison pour laquelle Morgenthau choisit de protester en faveur des Arméniens est une question plus complexe que la façon dont il l'a fait. Depuis presque le moment où il est arrivé à New York en tant qu'immigré juif allemand âgé de 10 ans, il a envisagé le service public comme sa vocation suprême. Quand l'occasion s'est présentée, il s'est accroché à l'étoile montante Woodrow Wilson et fut nommé ambassadeur américain en Turquie.
A la fin de l'année 1914, craignant des représailles contre les Juifs dans les territoires turcs, Morgenthau déconseilla aux leaders sionistes internationaux de donner libre cours à leur indignation. Puis il prit sur lui d'appeler au secours la marine américaine. En janvier 1915, le U.S.S. Tennessee reçut l'ordre de se diriger vers Alexandrie en Egypte, pour soi-disant protéger les citoyens américains. En fait, cela rendit possible l'évacuation des réfugiés juifs appauvris, parmi lesquels se trouvaient David Ben Gourion et Itzhak Ben-Zvi, qui devinrent respectivement le premier Premier Ministre d'Israël et son second Président.
Morgenthau n'a jamais pu effectuer le sauvetage des Arméniens avec l'efficacité dont il a fait preuve en sauvant les Juifs, quoique ce ne fût certainement pas faute d'avoir voulu essayer. Il y avait des différences fondamentales entre les situations arménienne et juive. Les Arméniens étaient une minorité située à l'intérieur des frontières de la Turquie Ottomane et de la Russie Tsariste. Les Juifs, quant à eux, étaient largement dispersés à travers l'Europe occidentale et orientale, et les Etats Unis, et à une bien moindre mesure au Proche Orient, y compris la Terre Sainte. En Europe de l'Ouest et aux Etats Unis, les Juifs s'étaient élevés à des positions de pouvoir et avaient appris à établir un réseau international de contacts. La diaspora arménienne n'avait pas encore atteint un tel statut et ne pouvait donc pas mobiliser ses membres pour soutenir sa parentèle persécutée.
Lorsque Morgenthau fit appel à Enver Pacha, le Ministre turc de la Guerre, pour qu'il autorise les missionnaires U.S. à nourrir les Arméniens qui mouraient de faim, la réponse fut froidement cynique: « Nous ne voulons pas que les Américains nourrissent les Arméniens… C'est leur conviction qu'ils ont des amis dans d'autres pays qui les conduit à s'opposer au gouvernement et à faire tomber ainsi sur eux tous les malheurs ». Le Ministre turc de l'Intérieur était aussi dur: « La haine entre les Turcs et les Arméniens est maintenant si intense que nous devons absolument les éliminer. Si nous ne le faisons pas, ils vont projeter leur vengeance ».
Les mémoires de mon grand-père sont une chronique basée sur les faits d'une période importante de l'histoire. Pourtant, 91 ans plus tard, l'Etat turc persiste à affirmer que le génocide des Arméniens ne s'est pas produit. Pourquoi la Turquie protège-t-elle les meurtriers du passé ? C'est là une question qui nécessite d'être posée encore et encore, jusqu'à ce que la vérité soit reconnue.
Puisque la Turquie cherche à adhérer à l'Union Européenne, elle est incitée à ouvrir sa société et à adopter la liberté d'expression.
Le code pénal turc a entraîné plusieurs écrivains turcs à être convoqués devant leurs propres tribunaux pour avoir parlé du génocide arménien. Un pays moderne comme la Turquie a besoin de traiter ses citoyens avec plus de respect. La liberté d'expression ne peut pas être déniée, spécialement dans un pays qui cherche à adhérer à l'Union Européenne. Quels que puissent être les motifs des officiels turcs à dénier le génocide depuis plus de 90 ans, une certaine lumière semble apparaître maintenant au bout du tunnel. Le gouvernement US, qui a cédé pour soutenir la politique turque de dénégation, appelle maintenant à accepter les réalités de l'histoire.
Les Turcs ont le droit de connaître leur propre histoire, bonne ou mauvaise, sans interférence de l'Etat. Un crime nié est un crime qui se répète. Les grandes nations de l'histoire ont reconnu les méfaits de leurs gouvernements précédents. Il est temps que la Turquie rejoigne les rangs de ces grandes nations.
Titre original : «Turkey finally hears its past »
Paru originellement dans le BostonGlobe du 24 avril 2006 puis repris dans le International Herald Tribune du 25 avril 2006.
Traduction : Louise Kiffer