Mesdames, Messieurs,
Mis à part le violent négationnisme d'Etat pratiqué en Turquie à propos de toute page sombre de son histoire tout comme celui de tout état quel qu'il soit ( France en Algérie, Grande-Bretagne en Australie, Espagne et USA envers les Amérindiens, la traite des Noirs, etc ), une chose interpelle quiconque s'intéresse à l'histoire de cette région : c'est celle du silence quasi total fait autour du génocide fait parallèlement, au même moment et dans des régions voisines (voire les mêmes), aux populations chrétiennes d'Anatolie et de Mésopotamie du nord parlant l'araméen (au moins dans leur liturgie) que l'on appelle les Süryani en turc, Suryani en arabe ou Syriaques en Occident, et qui se nomment eux-mêmes Suryoyo en araméen et Assyriens depuis le XXe siècle.
Les Syriaques/Assyriens étaient araméophones et utilisaient pour leur liturgie un dialecte de l'araméen (parlé dans toute la région avant l'arabisation) : le syriaque. Ils étaient/sont partagés en deux groupes ethnico-religieux bien distincts :
Le premier groupe de ces Assyro-Syriaques sont les chrétiens orthodoxe de rite syrien, ou syriaques à proprement parlé, que l'on appelle aussi les Jacobites (avec une dissidence uniate catholique). Ils sont les héritiers du patriarchat d'Antioche, un des quatre patriarcat du christianisme antique avec Rome, Constantinople et Alexandrie. Les Syriaques/Assyriens étaient concentrés dans le nord-ouest de la Mésopotamie du nord ( aujourd'hui Turquie et Syrie), avec pour centre névralgique la fameuse région du Tur-Abdin autour des superbes villes de Mardin et de Midyat. Leur doctrine était monophysite, considérée comme hérétique par les autorités chrétiennes byzantines et donc très durement réprimée jusqu'à l'invasion arabe, et ils formaient une grande partie des chrétiens de la Syrie historique aux temps de l'Empire byzantin face aux chrétiens "melkites" de rite grec.
Il est à noter que l'Eglise apostolique arménienne avait elle aussi adoptée la doctrine monophysite, tout comme les chrétiens d'Egypte de l'époque dont les Coptes sont les héritiers.
Le deuxième groupe syriaque/assyrien est celui un peu plus connu des chrétiens de rite nestorien. Son centre névralgique était situé dans la région du Hakkari (extrême-sud-est de l'actuelle Turquie et un peu en Iran), la région des "Sept tribus" nestoriennes où étaient concentrées ses autorités religieuses. A noter que comme pour les Jacobites il existe une forme uniate du nestorianisme qui, à la différence des Jacobites, forme la communauté nestorienne la plus importante à laquelle appartiennent une grande partie des nombreux chrétiens du nord de l'Irak actuel. Jusqu'à la conquête arabe, les Nestoriens formaient le gros des Chrétiens habitant les régions anciennement byzantines appartenant à l'empire perse (tandis que les Syriens jacobites formaient une grande partie des chrétiens des régions araméophones de l'empire byzantin).
La doctrine nestorienne - elle aussi cataloguée comme hérétique par les autorités orthodoxes byzantines - étant l'opposée de la doctrine monophysite en ce qui concerne la nature humaine ou divine de Jésus-Christ, il est dit parfois que l'Eglise apostolique arménienne a adopté la doctrine monophysite des dissidents jacobites syriens pour se démarquer à la fois de l'empire byzantin et de l'empire perse, au nord desquels l'Arménie formait un Etat tampon, qu'elle reste ensuite dans la période médievale entre empire byzantin et Etats musulmans turco-persans.
On a oublié que, parallèlement au processus d'islamisation progressive, ce sont les Chrétiens syriens (araméophones) qui ont été le pont entre les conquérants arabes et la civilisation gréco-romano-byzantine qui avait précédée ces derniers. Leurs intellectuels-traducteurs sont ceux qui ont traduit en arabe les grands écrits de la civilisation gréco-romaine. Les Nestoriens ont même essaimé dans le monde entier pour devenir au Moyen-Age la branche chrétienne la plus répandue dans le monde, jusqu'en Inde et en Mongolie. Les premiers conquérants mongols s'étaient d'ailleurs convertis au christianisme nestorien venu de Perse occidentale.
Il est sûr cependant qu'une des raison de l'"oubli" concernant les Araméens/Assyriens/Syriaques est dû au fait que c'étaient avant tout des communautés souvent rurales concentrées dans leur "régions-refuge" du Tur-Abdin et du Hakkari, même si des communautés existaient ailleurs en Mésopotamie du nord. Les Arméniens quant à eux s'étaient établis depuis longtemps dans toute les grandes villes d'Anatolie puis dans tout l'empire ottoman, ils étaient réputés pour leurs talents commerciaux et étaient même considérés par les sultans ottomans comme la "Nation fidèle" de l'empire - jusqu'au XIXe siècle.
Tout comme une grande partie des Arméniens ottomans, les Syriaques/Assyriens vivaient donc dans la partie orientale de l'empire (les Nestoriens débordant dans le nord-ouest de l'Iran autour du lac d'Ourmia). Eux aussi avaient donc pour voisins des populations musulmanes. Mis à part le Hakkari - et dans une moindre mesure le Tur-Abdin - , leurs communautés étaient éparpillées aux côtés des Arméniens, des Kurdes, des Arabes ou encore des Turkmènes dans cette mosaïque aux confins des pays turcs, kurdes, arabes et arméniens.
Tout comme les Arméniens, ils formaient une forte communauté non-musulmane à l'ouest de l'empire ottoman et furent considérés comme des "ennemis de l'intérieur" par les fanatiques qui déterminèrent la politique ottomane au tournant des XIXe et XXe siècles, obsédés qu'ils étaient par la déliquescence de l'empire encouragée par les puissances européennes.
Tout comme les Arméniens également, les Assyriens eux aussi ont été déportés et massacrés à grande échelle par les Ottomans et leurs sous-fifres locaux.
Tout comme les Arméniens de l'empire russe pendant et après la Première Guerre Mondiale, les Nestoriens de l'empire perse ont aussi été massacrés par les troupes ottomanes/turques en territoire perse, après que leurs corrélégionnaires du Hakkari aient été pratiquement anéantis. On notera que les Nestoriens uniates catholiques du nord de l'actuel Irak (appelés Assyro-Chaldéens) ont pu échapper en partie au génocide.
Tout comme les Arméniens ( et les Kurdes), les Assyriens ont revendiqué eux aussi un foyer national dans la région auprès des Alliés pendant et après la guerre, après avoir été eux-aussi encouragés par ces derniers dans ce dessein.
Tout comme les Arméniens, les survivants Araméens ont survécus dans une nombreuse diaspora qu'on estime entre 3 et 3,5 personnes de part le monde ...souvent dans les mêmes pays où se trouve une forte diaspora arménienne : outre L'Irak (1 500 000), la Syrie (700 000), la Turquie (25 000) ou l'Iran originels, ils se trouvent aux USA (400 000), en Suède (120 000), au Liban (100 000), au Brésil (80 000), en Allemagne (70 000, les survivant du Tur Abdin venus dans le flot de l'immigration turque), en Russie (70 000), en Jordanie (50 000), en France (20 000), en Australie, au Canada, aux Pays-Bas, en Belgique, etc. ...Et même en Arménie, où ils forment une des minorités nationales (15 000).
...Et tout comme les Arméniens, ce peuple méconnu dénonce aussi le génocide qu'il a subit à la même époque et dans les mêmes conditions par les autorités ottomanes.
Pourquoi ce silence ?
Courrier non signé reçu le 8 mai 2005