C'est ainsi que ma camarade de classe de Terminales turque me répondit, lorsqu'au détour d'une conversation, je lui demandais son avis (non sans avec une certaine appréhension) à propos du génocide arménien.
Comme pour s'excuser, elle développa un embryon d'argumentation en m'expliquant qu'en Turquie, certains Arméniens étaient aussi de son avis. Je lui répliquai qu'elle n'avait pas à expliquer son opinion.
En effet, pour moi, on ne pouvait pas avoir d'opinion sur une Vérité telle que la réalité d'un Génocide.
Car une Vérité s'impose à nous au regard des faits, elle n'a pas besoin d'être discutée pour être acceptée: ce n'est pas une opinion ( cf. § " Chacun ses Vérités ?. ").
Alors pourquoi certains nient-ils le Génocide, nient des faits, donc une réalité, une Vérité ?
Est-ce le mensonge ou l'ignorance des faits?
Pour ma part, j'étais convaincu que, dans le cas de ma camarade de classe, son refus relevait de l'ignorance, et, plus encore, d'une ignorance volontaire due à l'apprentissage de la négation. Ma camarade de classe était comme une enfant à qui une personne aurait délibérément bandé les yeux et convaincu du bien fondé de son geste.
Ce n'était donc pas de la responsabilité de ma camarade de classe que relevait cette négation.
Qui, donc, se trouvait responsable de cette négation ?
Le père de cette camarade de classe, qui aurait inculqué la négation du génocide arménien à sa fille?
Les médias turcs, qui ont convaincu le père de cette fille de la nécessité de la négation?
L'état turc, l'establishment, qui a, par l'éducation du dénis dans les écoles, convaincu un peuple de la négation d'un génocide ?
La cause en est bien plus profonde et on ne peut pas lui trouver de responsables aussi concrets et clairs, mais, en partant de la particularité de la Turquie, qui est une démocratie restrictive et nationaliste, on peut expliquer la négation par un sentiment caractéristique des pays nationalistes. Ainsi, je crois que c'est plutôt l'amour propre d'une nation qui est à l'origine de la négation. Ce terme est assez impropre, pour certains, à l'échelle d'une nation, et ne devrait être utilisé qu'à une échelle individuelle. Cependant, je crois que, comme une nation est un ensemble d'individus, le déni du génocide est dû à l'amour propre que ressentent certains turcs face à l'image qu'ils se font de leur nation. Cet amour propre a permis, entre autre, l'éducation du déni en Turquie et de l'image d'une Turquie triomphante, qui a enraciné le déni du génocide chez chaque turc. Car l'idée d'un génocide est comme une atteinte à l'immaculée nationalisme enseignée en Turquie, ainsi que l'atteint e à l'image que beaucoup de pays européens et américains (surtout aujourd'hui) se font de la Turquie, c'est à dire d'un pays qui a réussit à se moderniser, à s'européaniser, à s'ouvrir, et à refuser l'islamisme omniprésent dans la structure politique de nombreux pays musulmans, ce qui n'est pas totalement faux - loin de là. (quoique, pour ce dernier point, certains analystes politiques pensent qu'il y aura un regain des partis religieux sans précédent en Turquie aux prochaines élections.).
A ces " raisons " spécifique à l'amour propre national , à l'échelle du pays, vient, effectivement, s'ajouter l'amour propre individuel de chacun. Ainsi, le citoyen turc étant une entité de la nation turque, la mise en culpabilité de la nation turque revient, pour le citoyen turc, à le culpabiliser lui-même, et c'est à ce stade là qu'entre en jeu l'amour propre individuel (Remarque: l'état Turc est, en ce sens, un modèle d'état nationaliste, car il a réussit à inculquer, à chacun de ses citoyen, un amour propre national).
Pour résumer, c'est l'éducation du déni et de l'apprentissage de l'amour propre national, qui, convainquant chaque citoyen turc de la nécessité de " fermer les yeux " , est à l'origine de la négation massive des turcs face à la réalité d'un génocide: le génocide arménien.
Qu'est ce que le négationnisme ? Le négationnisme est la négation de faits, qui ont effectivement eu lieu et dont la réalité n'a plus à être éprouvée, par une ou plusieurs personnes. On peut ainsi distinguer deux sortes de négationnisme : le négationnisme d'état et le négationnisme individuel.
Dans le cas qui nous intéresse, nous pouvons citer, comme exemple de négationnisme d'état, celui de l'état Turc, et, comme négationnisme individuel, celui de l'islamologue américain réputé Lewis.
Cependant, mon propos ne s'attache pas, ici, à définir le négationnisme et énumérer les cas de négationnisme connus dans notre cas, mais, en partant d'expériences qui me sont propres, à analyser le négationnisme et ses subtilités dans le cas du génocide arménien, ainsi que les méthodes utilisées pour y parvenir.
Lorsque s'instaure une discussion tournant autour le génocide arménien avec un négationniste, la réponse du négationniste face aux faits consiste à esquiver l'énumération des faits imposant la réalité du génocide arménien. Elle intervient sous plusieurs formes: tout d'abord, une technique très utilisée par les négationnistes est l'atténuation des faits et la remise en cause de la valeur de ces faits. Ainsi, le moyen le plus utilisé est celui qui consiste à jouer avec les chiffres de morts- avec le 1 million et demi officiel. On m'a déjà servit, par exemple, un article de journal arménien qui parlait, en 1916, je crois, de centaines de milliers de morts, en me disant que nous avions plusieurs fois gonflé les chiffres depuis 1916: comme si en 1916, au début de la deuxième vague (la plus meurtrière) du génocide arménien, un petit journaliste arménien pouvait se projeter dans l'avenir, savoir quelle serait la portée du génocide et réaliser les effroyables proportions que prenait l'extermination des arméniens. A ces méthodes qui visent à atténuer les chiffres de morts, et dont la manoeuvre est d'une bassesse incroyable (cette bassesse n'a d'égale que le nombre de fois que ce procédé éculé est utilisé) , je n'ai qu'une chose à répondre : un génocide, ce n'est pas un palier de millions de morts qu'il faut franchir pour être estampillé de l'étiquette " génocide ", mais c'est le nom qu'on donne à des massacres organisés (ou prémédités) de grande envergure et systématiques effectués par une instance politique, tribale, ou ethnique, et qui vise à exterminer un peuple ou une ethnie particulière, or, que ce soit avec un million et demi ou avec un million deux cent cinquante quatre mille morts, le génocide arménien reste un génocide en ceci: des documents authentifiés attenant au parti des dirigeants en place au moment du génocide, aux écrits ou déclarations de ses dirigeants, ou aux mesures mises en place pour la déportation et le massacre organisé des arméniens attestent de la volonté à peine voilé des dirigeants jeunes turcs et des cadres de leur parti à en finir avec le " problème arménien ".
C'est ainsi, que, comme un pendant au jeu macabre des nombres successifs de mort expliqué plus haut, se greffe la discussion du terme génocide. Or le terme génocide est un terme précis et clair qui n'a rien avoir avec une querelle de chiffres : elle porte, comme je l'ai dit auparavant, sur la manière dont ces massacres sont effectués et sur l'intention de ceux qui la perpètrent (voir la définition du génocide plus haut).
Une autre manière d'esquiver les faits imposant la réalité du génocide consiste à justifier ces faits. A ce stade là, les négationnistes arrivent parfois à une contradiction, car, lorsqu'il niaient des massacres organisés auparavant, ils n'essaient plus à présent de les démentir, mais de les expliquer (ce que je trouve, personnellement, bien pire encore). Ainsi, le premier argument consiste à brandir l'épouvantail du terrorisme (petite observation personnelle: cet épouvantail ne s'est pas démodé et a bien résisté au fil des ans, comme justification à d'autres conflits), avec l'activisme du parti Dachnag avant la période du génocide. Je trouve que tuer des femmes, des enfants, des vieillards, des paysans sans histoire, des soldats arméniens de l'armée turque, ne peut être justifiée par l'activisme d'un groupe indépendantiste classique (la France ne va pas exterminer les corses parce que les multiples groupes terroristes de la région y font régner la terreur, et encore, cette compar aison est impropre, car il n'y avait, en 1915, qu'une organisation terroriste arménienne, et que, bien que très active, elle n'opérait pas par attentats aveugle, mais par des révoltes se réglant sur des " champs de bataille " . Aujourd'hui, chacun a son avis sur la question, mais, pour ma part, je pense qu'entre s'en prendre aveuglément à une vingtaine de femmes et d'enfants sans défense d'un côté, et s'en prendre à des militaires ou des hommes armés d'un autre côté, il n'y a pas de doute à avoir sur le ² terrorisme² le plus condamnable. Mais n'entrons pas dans des débats houleux et trop actuels comme celui-ci, car, si certains justifient les conflits et les occupations arbitraires en brandissant l'épouvantail du terrorisme, d'autres trouvent des excuses au recours au terrorisme aveugle).
Dans le même type d'argumentaire que ce qui a été développé précédemment, nous pouvons distinguer l'argument choc permettant de justifier le génocide comme une déportation d'individus, trop entreprenants avec l'ennemi dans un contexte de guerre, qui aurait mal tourné.
Ainsi, les arméniens auraient été déportés pour empêcher leur ralliement aux troupes tsaristes ennemies.
Premièrement, il est difficile d'imaginer les paysans arméniens de la côte syriaque (exemple non fortuit portant sur l'exemple de la tentative de déporter les arméniens de Mussa Dagh) trotter des milliers de kilomètres pour se battre dans l'armée russe, et les citadins arméniens d'Adana ou Kharpout, villes très éloignées de l'ancienne frontière turco-russe, se décider, un beau jour, de faire, en masse, les idéalistes suicidaires, et se déplacer jusqu'à la frontière russe juste pour emmerder les turcs.
Ensuite, de très nombreux arméniens se battant, pendant la première guerre mondiale, dans l'armée turque, ont été mis à l'écart et désarmés, puis montré comme des révolutionnaires arméniens aspirant à se battre dans l'armée tsariste. Ceux, qu'hier, se faisaient tuer pour la Turquie, étaient devenus, en l'espace d'un instant, des intriguants ennemis. Sans commentaires.
Enfin, nouvellement, s'est développé " l'argument ASALA" . Cet argument consiste à transformer le débat en joute oratoire dans laquelle le but est de se renvoyer nos cadavres respectifs à la gueule. Nous pouvons ainsi décrypter, sous-jacent à cet ² argument² récent, la tentative de confirmer la théorie jeune turque selon laquelle l'arménien est génétiquement, ou, du moins, culturellement conditionné à haïr le turc et qu'il est une nuisance pour chaque turc (voyez ce qu'ils continuent à faire avec le terrorisme ASALA : nuire aux turcs), et de justifier la volonté turque de l'époque de ² régler² le " problème arménien " avant qu'il ne prenne une trop grande envergure et étouffe la nation turque ( la théorie de l'abcès au pied de la Turquie, de la Bête sur la lune).
Cette généralisation volontairement outrancière et provocante, consiste à dire qu'ASALA est le fruit d'un peuple et non d'une minorité de jeunes fanatiques morveux qui s'amusaient à mélanger joyeusement le marxisme et le nationalisme arménien dans un mélange détonant et meurtrier. Je vous laisse vous-même mesurer l'invalidité d'un argument tel que celui-là (ça reviendrait à dire, par exemple, que l'OAS était le reflet de ce que pensait le peuple français- absurde).
Pour finir, un autre argument assez nouveau consiste à dénoncer une prétendue instrumentalisation du génocide arménien par les arméniens, pour empêcher, par exemple, l'entrée de la Turquie dans l'UE, ou pour ternir l'image de la Turquie dans le monde. Sous-jacent à ces dénégations, il y a une victimisation de la Turquie qui est faite et qui n'est pas seulement employée à servir d'arguments dans une discussion. Ainsi, elle sert aussi à convaincre les turcs de la nécessité de nier le génocide, car l'utilisation de ce génocide desservirait, d'après eux, les turcs. L'argument de l'instrumentalisation est même poussé jusqu'à son paroxysme, de manière plus ou moins voilée, pour essayer de convaincre qu'il n'y a jamais eu un génocide, mais que cette histoire de génocide est un complot des arméniens pour, encore une fois, nuire aux turcs. Ainsi, le citoyen français dont les grands parents ont été tués en Anatolie (et ils sont très nombreux dans ce cas en France) demanderais la reconnaissance de l'assassinat de ses grands parents pour, insidieusement, servir un complot tacite et international visant à nuire à la Turquie, encore une fois, parce que l'arménien est culturellement programmé à haïr le turc.
De plus, l'argument européen ne tient pas debout: c'est depuis 1920 que les arméniens essaient de faire reconnaître son génocide par la Turquie (et, que je sache, la Turquie n'était pas pressentie pour entrer dans l'Europe à ce moment-là, pour la simple raison qu'il n'y avait pas d'UE - c'était juste un rappel).
En définitive, les arguments négationnistes énumérés et expliqués plus haut ne sont, pour la plupart, pas seulement utilisés pendant les discussions avec des arméniens ou des personne soutenant la réalité du génocide. Elles permettent aussi de conforter (ou de bâtir) l'autoconviction de chaque turc amené à nier ces faits. Ainsi, les sites négationnistes de grande envergure mis en place sur la toile, et qui se déclinent en français, anglais, allemand et turc, servent à consolider la négation des turcs, et non à infirmer la réalité du génocide arménien. Ces sites sont l'objet de professionnels de la négation : ils usent et abusent outrancièrement des procédés éculés présentés plus haut, et leurs seules attaques contre la réalité du génocide arménien sont une riposte fleurissant depuis peu et apparut avec le soutien de l'état Turc, visant à prouver un génocide des turcs par les arméniens; le génocide d'un peuple dirigeant un empire, par un autre peuple sans pays, sans institution, éparpillé sur toute la Turquie, et désarmé en 1915. A première vue, une hypothèse pareille est risible, car aucun historien, même les rares historiens négationnistes, ne sont encore allés jusqu'à créer de toute pièce un génocide - peut être que les arméniens avaient si bien cachés leur jeu que personne n'avait trouvé, jusqu'à ce que l'état Turc s'y mette, ce génocide soigneusement dissimulé. Comment pensent-ils arriver à prouver de telles allégations ? Ils détournent des images de guerre de la première guerre mondiale, en mettant une légende qui change la réalité de la photographie, ou publient des photographies d'arméniens posant avec des armes, faites par les arméniens de Van où la révolte grondait, ou par l'état turc en 1915 pour justifier le recours au génocide (cette initiative de l'état turque de 1915 consistait à rassembler les armes en possession des arméniens, et à faire poser les hommes arméniens avec cet étalage d'arme; cet épisode bien connu qui marqua, après le r etour des soldats arméniens de l'armée turc, leur désarmement, est le prélude du génocide de 1915).
Ainsi, la négation du génocide arménien atteint, aujourd'hui, avec les professionnels du négationnisme (les sites spécialisés dans la négation du génocide), un paroxysme jamais atteint auparavant, que même les turcs qui nient les faits n'arrivent parfois pas à suivre. Ainsi, j'utilise les termes même de turcs d'un forum qui disaient , dans un commun accord, à propos d'un site négationniste, qu'il était un " mal " ou une " provocation " nécessaire pour contrecarrer les sites arméniens ou autres ( regroupant les archives et les faits confortant la réalité du génocide) qui ternissent l'image des turcs et de la Turquie et l'empêchent, aujourd'hui, d'entrer en UE .
" Chacun ses Vérités ", me répondit un jour un internaute turc sur un forum turc, coupant court à la conversation engagée sur la réalité du génocide arménien. La discussion avait emprunté le schéma classique: atténuation des faits, puis justification des faits, enfin réfutation des faits avec accusation d'instrumentaliser puis de créer de toute pièce des morts, et, en dernier lieu, inversion des statuts de victime et de bourreau en relayant la thèse crée cela fait 5 ans environ par l'état Turc, qui consistait à dire que, contrairement à ce qui avait été prouvé jusque là, ce seraient les turcs qui auraient été victimes d'un génocide perpétré par les arméniens (et non le contraire).
Enfin, le dernier message avait été sans appel: " chacun ses Vérités ".
Ainsi, au fur et à mesure que le débat avançait, cet internaute s'était cambré, mis sur la défensive, et, ne trouvant plus d'arguments, s'était tourné vers la provocation (avec les thèses de complot arménien, de génocide des turcs, etc.- ces arguments ne sont pas difficiles à trouver: les sites négationnistes en regorgent) et vers la radicalisation de son négationnisme, avant de décréter qu'il n'y avait aucune argumentation à faire, aucune discussion à avoir, car, en définitive, tout le monde resterait sur ses positions initiales et que chacun penserait tenir la Vérité.
Cette phrase, dans sa forme, était tout d'abord une capitulation au cours d'un débat, car, en coupant court à toute suite, l'internaute avait renoncé à toute possibilité de convaincre son interlocuteur (une autre réponse plus courante coupant court aux discussions consiste à affirmer: " On n'est pas des historiens, on ne pourra pas continuer le débat correctement car on n'a pas toutes les connaissances nécessaires pour nous le permettre "- je paraphrase là une autre réponse d'un internaute turc).
De plus, cette affirmation est très intéressante car elle montre, par le terme " Vérités " , que la conviction de l'internaute turc était inébranlable et aveugle, car cet internaute dit que, quels que soit l'importance et la pertinence des arguments que j'aurais utilisé, il n'aurait pas fléchit, c'est pourquoi il ne m'était pas nécessaire de continuer à soutenir ma thèse et qu'il valait mieux arrêter cette discussion (les raisons de cet aveuglement sont expliqués dans le § " Je refuse ").
Enfin, c'est surtout le " s " collé au mot Vérité qui m'a beaucoup surpris et interpellé: comment une vérité serait-elle multiple, comment se fait -t- il qu'un même problème ait plusieurs réponses. Je ne doute pas que ce mot ait été lancé sans beaucoup d'arrières pensées ni de grandes réflexions sur ce qui allait être dit, mais j'ai trouvé intéressant de comprendre pour quelle raison (peut-être inconsciente) ce ² s² était-il venu se greffer sur le mot Vérité.
Ainsi, sur un plan philosophique, et en toute rigueur, ce " s " n'a pas lieu d'être: une Vérité est unique, transcendantale et universelle. Elle n'est aucunement une opinion, qui, contrairement à elle, est multiple.
Alors pourquoi ce " s " ? Tout simplement parce que, plus qu'une erreur, ce " s " est révélateur de la conviction profonde et aveugle de cette personne, qu'il révèle l'originalité de son négationnisme, qui n'est pas un négationnisme d'intellectuel ou de responsable, mais un négationnisme d'anonyme comme on en rencontre souvent dans notre cas. Bref, ce qu'on pourrait appeler un négationnisme de " mouton " (sans connotation péjorative).
Je m'explique: cette personne là sait pertinemment qu'il y a au moins une petite part de vérité dans ce que je dis, donc sur la réalité du génocide arménien; c'est la raison pour laquelle il emploie le terme " Vérité " pour désigner ma conviction. Mais il a aussi la conviction qu'il est de son devoir d'affirmer le contraire de cette vérité, et que cette affirmation est indispensable, dans son intérêt propre: c'est de la conviction de cette nécessité que naît la deuxième Vérité, sa Vérité, c'est à dire la thèse négationniste. Cette conviction aveugle qui, d'une nécessité, a fait naître le déni d'un génocide, a été apprise, comprise, et suivie à la lettre. Même si le génocide des arméniens a une part ( même minime) de vérité, la reconnaissance de sa réalité serait nuisible pour le peuple et la personne turque, d'où cette seconde vérité présente chez chaque turc sensibilisé par cette question dérangeante, comme une nécessité contre une prétendue atteinte à l'image des turcs (envers les autres, envers eux-mêmes, et envers leur passé: voir le § " Je refuse " pour le développement des raisons de cette nécessité, qui sont l'amour propre national ; etc.).
C'est cette ambivalence entre la nécessité et le devoir d'un turc (selon les médias et l'état Turc) et la reconnaissance implicite et involontaire d'une part de réalité du génocide arménien (malgré les provocations et le radicalisme des propos tenus auparavant), qui j'ai trouvé intéressant dans cette phrase.
Ainsi, moi qui croyais que cet amour propre national arrivait à convaincre entièrement les turcs de la nécessité du déni, je me suis rendu compte que la majorité des négationnistes anonymes turcs (qui avaient débattu sur la question) n'étaient en fait convaincu que de la nécessité de ce déni, et non de sa réalité (d'où un espoir de reconnaissance de ce génocide, même si la conviction en la nécessité du déni est, comme cela est expliqué plus haut, inébranlable).
Nous avons commencé à nous demander ce qui motivait le négationnisme, quelle en était la cause, puis nous avons entrepris de voir les effets qu'il pouvait ou qu'il était amené à avoir, enfin nous l'avons analysé en tant que tel, en le démontant rouage par rouage, mais nous n'avons pas éludé une question assez importante qui est l'attitude à avoir face au négationnisme, et qui nous concerne directement. Nous allons donc essayer de répondre à une question simple: faut-il répondre aux négationnistes ? N'ayant pas un avis tranché sur la question, je vais tout d'abord développer, dans une première partie, les cas qui ne méritent pas de réponse. On peut comprendre le terme " répondre " de deux façons : la première, consiste, par exemple, à répondre aux allégations d'un négationniste en engageant une discussion, la seconde, est, de répondre à une provocation ou aux allégations d'un négationniste en, par exemple, le censurant. Dans quels cas ne doit-on pas répondre à un négationniste et est-il nécessaire de n'engager aucune discussion ? J'ai, pour ma part, été confronté à ce genre de questionnement dans les forums arméniens et dans les forums turcs, de deux façons différentes. Tout d'abord, dans les forums arméniens, cette question s'est posé lorsque des turcs (qui devaient visiblement s'ennuyer terriblement pour en être réduit à fréquenter des forums arméniens) se sont mis à intervenir dans les forums de différentes façons: fallait-il leur répondre ? Le cas de messages négationnistes le plus fréquemment rencontré était un type de message unilatéral, n'attendant pas de réponse, n'ouvrant aucune voie à une discussion ou à un débat, ne cherchant qu'à provoquer, et non à raisonner. Ces messages étaient le plus souvent des messages assez formatés, qui étaient facilement retrouvés dans les industries négationnistes du net, les sites négationnistes dont nous avons parlé auparavant: c'étaient tout simplement des "copier/coller", qui n'avaient demandé aucun effort de réflexion de la part de ces négationnistes. Il était nécessaire de ne pas construire un débat sur la base de ces "copier/coller", car ça aurait été aussi inutile que de parler à un mur qui vous renverrait invariablement votre écho. Ainsi, comment, lorsque vous vous évertuez à engager une discussion argumentée, pouvez-vous continuer lorsque votre interlocuteur, au lieu de répondre directement à vos arguments, vous met des pages d'articles n'ayant que très vaguement une relation avec vos arguments et votre questionnement ? Ce cas là de discussion était inutile, car, le négationniste, au lieu de jauger votre argumentation, y riposter, concéder sur certains points, raisonner, discuter, réfuter, était imperméable à vos efforts de discussion et y répondait par des écrits qui n'étaient pas les siens (parfois même sans avoir lu auparavant ce que vous aviez écrit). Dans ces cas-là, il était nécessaire de ne pas répondre aux messages des négationnistes, car ils étaient : - ou des provocations sans suite qui attendaient la réponse ou l'indignation légitime de la personne provoquée de la sorte, et c'était faire le jeu des provocateurs que de leur répondre - ou des débats engagés avec des ignorants rivés sur leur acquis négationnistes qui vous renvoyaient des réponses formatées et empêchaient toute discussion spontanée, ainsi que toute tentative de convaincre, ce qui est le but de tout débat, et, dans ce cas-là, il était inutile de continuer de discuter, car tout débat était, par l'attitude du négationniste, impossible. De plus, je me refuse à répondre, pendant des débats sur le génocide, à certaines personnes qui essaient de faire des amalgames ou des hors sujets, en s'envoyant allègrement dans la figure les situations respectives de la Turquie et de l'Arménie, les morts de l'ASALA, etc. autant de sujets qui sont hors sujets lorsqu'on parle du génocide des arméniens de 1915. Enfin, l'attitude de certains consiste à refuser de discuter du génocide arménien avec des négationnistes, car le génocide est, pour eux, une vérité établie sur des faits réels, une vérité ne pouvant être discutée ou niée. Mais le fait est que, s'il y a des négationnistes pour être convaincus du contraire, pour quelques raisons que ce soit, c'est que, par ignorance ou par aveuglement volontaire, on peut nier une réalité, donc la discuter, et que, si nous voulons que les négationnistes se rendent compte, ou soient amenés, par la logique des faits, à reconnaître, par la force des arguments, la réalité du génocide, il faut en discuter, c'est pourquoi, s'il y a certains cas qui ne permettent pas une discussion, et auxquels il faut refuser toute discussion, la discussion est nécessaire dans bien d'autres cas. De plus, refuser de discuter d'une vérité, c'est aussi, parfois, reconnaître que nous avons peur de la discussion, donc que nous avons peur de mettre nos convictions à l'épreuve, car elles pourraient être ébranlées, et c'est l'aveu même que la réalité d'un fait auquel nous croyons pourrait être remise facilement en cause. Il est donc nécessaire, dans la plupart des cas, de répondre aux négationnistes prêts à discuter de la réalité du génocide arménien.