Témoignage d'un officier allemand
Mustapha Chalil, le beau-frère de Talaat, était le commandant de Bitlis. Lors d’une tuerie, en juin 1915, les hommes arméniens furent abattus, 900 femmes et enfants transportés en direction de Diarbekir et jetés dans le Tigre.
La ville de Mouch fut conquise par les canons. Les Arméniens fuyaient de quartier en quartier. Finalement, les hommes étaient tellement acculés qu’ils pouvaient voir comment on violait leurs femmes. Une grande famille se donna la mort par absorption de poison.
Près d’Angora, 500 personnes furent assassinées dont beaucoup eurent d’abord le nez et les oreilles coupés et les yeux crevés.
Les misérables restes du peuple, ayant survécu à cet enfer, se dispersèrent en Syrie et en Palestine. Parmi les hommes en état de travailler, un certain nombre trouva un emploi dans l’entreprise de construction du chemin de fer de Bagdad occupée fiévreusement à l’achèvement du tunnel du Taurus. Lorsque je passai la montagne, en février 1916, un ouvrier arménien me montra un champ près d’Osmanie où, peu avant, on avait enterré 1 000 hommes, femmes et enfants.
Avec l’arrivée d’ouvriers spécialisés allemands et de soldats, ces bestialités n’étaient plus possible. Un petit reste de honte et peut-être de bon sens empêchait encore bien des choses, après que le pire cependant eût été accompli. Mais est-il besoin de dire que les gardes-chiourme turcs, dès qu’ils ne se sentaient pas observés, traitaient les ouvriers arméniens avec brutalité. Sur les centaines de milliers d’Arméniens chassés par-dessus la montagne, des dizaines de milliers périrent dans la plaine par l’apparition d’épidémies, dont la plus meurtrière fut celle du typhus exanthématique.
F.R. Nord décrit d’une manière émouvante le « grand trépas » dans le jardin d’Alep. Près d’Islahie, j’ai vu des hordes de femmes et d’enfants se précipiter sur notre train, tel des nuées de mouches. C’étaient des squelettes habillés de haillons, des êtres sauvages aux yeux hagards. Jusqu’à Jérusalem au sud et à Mossoul à l’est, se répandit le flot de ces tourmentés. Je sais que dans les ruelles de Damas, on relevait, certains matins, jusqu’à cinquante squelettes d’enfants, morts de faim, pour les emmener sur des charrettes à la fosse commune.
Près de Meskene sur l’Euphrate (à l’est d’Alep), se trouvait un grand camp de concentration où on laissait mourir de faim les Arméniens. Selon l’estimation turque, 55000 personnes auraient été enterrées à cet endroit. Sur les 66 000 Arméniens amenés à Deïr-es-Zor, presque personne n’a survécu. Petit à petit, les victimes furent emmenées par groupes de quelques centaines et achevées dans le désert. À Bab, 1 029 Arméniens moururent de faim en l’espace de deux jours et demi.