La situation actuelle du peuple arménien crie vengeance au ciel et l'indifférence criminelle, dont font étalage à son égard les politiques qui dirigent à l'heure présente les destinées du monde, est une opprobre sans-égale.
Aucune des nations principales n'est innocente du sang arménien qui a rougi les plaines et les montagnes de l'Asie Mineure et, si le problème angoissant de la délivrance de la race martyre n'est pas résolu à brève échéance, si des massacres nouveaux viennent s'ajouter aux exterminations anciennes, l'histoire marquera d'un signe d'infamie ceux qui sont restés sourds aux appels poignants qui viennent vers eux.
Aussi, j'admire le calme, la pondération, la modération du mémoire auquel j'ai été sollicité d'ajouter quelques lignes d'introduction, car je n'ai pu lire ce bref et substantiel résumé sans éprouver une indignation incompressible. Ce que je demande à ceux, sous les yeux desquels il sera placé, c'est de le lire comme moi sans omettre une ligne, sans omettre surtout de lire les ordres d'un cynisme outrancier et d'une cruauté froide formulés par le sinistre ordonnateur des tueries de 1915.
Comment, après une telle lecture, ne pas sentir en soi sourdre une pitié infinie et se dresser une volonté irréductible et ferme de faire enfin justice et de mettre un terme au plus horrible drame de tous les temps! Il y va de l'honneur de l'humanité.
Et que l'on s'abstienne de mesurer avec une aune étroite le territoire qu'il importe d'attribuer au peuple arménien. Rentré sur le sol patrial, qui fut le sien pendant des siècles, il ne lui faudra pas de multiples générations pour le peupler à nouveau comme il le fut jadis; les femmes arméniennes sont des mères admirables et elles se feront un devoir de reconstituer une nation forte par le nombre et vigoureuse en esprit. Comment ne pas avoir confiance, en effet, dans les descendants de ceux qui, au milieu des pires détresses, n'ont jamais désespéré. Le monde a pour devoir sacré de ne pas tarder lorsqu'il s'agit de réparer les iniquités qu'il a laissé commettre. On n'est que trop tenté à considérer le désir de certains d'attribuer à la Turquie une trop large part du territoire de l'Arménie ancienne, comme inspiré par la préoccupation de faciliter au gouvernement turc le paiement des intérêts de sa dette envers les paysans et les banquiers des pays occidentaux d'Europe. Un calcul sordide de ce genre ne pourrait justifier le refus de satisfaire les justes revendications du peuple arménien. Aucun gouvernement n'oserait se réclamer d'un tel argument ; il s'infligerait à lui-même une flétrissure indélébile.
Une prompte et stricte justice doit donc être rendue et partout des voix doivent s'élever pour exiger que l'on ne tarde plus. Les pays civilisés sont toujours armés jusqu'aux dents; les flottes qui ont été maintenues sont toujours formidables. Les gouvernements ont, pour sanctionner le droit, une force de contrainte devant laquelle la Turquie devra s'incliner. Il importe, du reste, de désarmer celle-ci et, en tous cas, les gouvernements auront à se concerter pour ne plus lui livrer ni armes, ni munitions. On ne fournit pas des instruments de meurtre à ceux que l'on sait avoir des âmes d'assassins.
L'heure est solennelle. Les gouvernements ont une dernière occasion d'échapper au jugement sévère des générations futures. Le salut de l'Arménie sera le signe manifeste de la probité internationale.
H. La Fontaine, Sénateur de Belgique.
L'Heure de l'Arménie
par A. KRAFFT-BONNARD
Société générale d'imprimerie. 18, Pélisserie Genève.
Mars 1922