Sur la déportation des Arméniens
de Trébizonde et d'Erzeroum

Par un officier turc. 26 décembre 1916

Compte-rendu de première-main d' un officier de l'armée turque sur la déportation des Arméniens de Trébizonde et d'Erzeroum


Adressé au roi et au cabinet de guerre - [26 décembre 1916]
LES MASSACRES ARMENIENS
Rapport d'un témoin oculaire, Lieutenant Sayied Ahmed Moukhtar Baas

En avril 1915, j'ai été cantonné à Erzeroum. Un ordre est venu de Constantinople que les Arméniens habitant dans les villes frontalières et les villages soient déportés à l'intérieur. On disait que c'était seulement une mesure de précaution. Je vis à ce moment-là de longs convois d'Arméniens qui traversaient Erzeroum. C'étaient, pour la plupart, des vieillards, des femmes et des enfants. Certains des hommes valides avaient été recrutés dans l'armée turque, et beaucoup s'étaient enfuis en Russie. Les massacres n'avaient pas encore commencé. En mai 1915, je fus transféré à Trébizonde. En juillet, un ordre parvint de déporter à l'intérieur tous les Arméniens du vilayet de Trébizonde. Etant membre de la Cour martiale, je savais que les déportations signifiaient massacres.

L'évêque de Trébizonde reçut l'ordre de se rendre sous escorte à Erzeroum pour répondre aux accusations lancées contre lui. Mais au lieu d'Erzeroum, il fut conduit à Baipourt et de là à Gumuch-Khana. Le gouverneur de cette place était alors le Colonel Abdul-Kadar Aintabli du personnel du Général. Il était célèbre pour ses atrocités envers les Arméniens. Il fit tuer l'évêque pendant la nuit. L'évêque d'Erzeroum fut aussi tué à Gumush-Khana.

Outre l'ordre de déportation mentionné ci-dessus, un "Iradeh" (ordre, ndt) fut promulgué, ordonnant que tous les déserteurs soient arrêtés, et fusillés sans procès. L'ordre secret précisait "Arméniens" au lieu de "déserteurs". L'Iradeh du Sultan était accompagné d'un "fatwa" du Sheikh-ul-Islam déclarant que les Arméniens avaient versé le sang musulman et que leur meurtre était légal. Puis, les déportations commencèrent. Les enfants furent d'abord écartés. Le Gouvernement ouvrit une école pour les grands et le Consul américain de Trébizonde créa un asile pour les petits. Quand les premiers groupes d'Arméniens arrivèrent à Gumush-Khana, tous les hommes valides furent mis de côté sous prétexte qu'on allait leur donner du travail. Les femmes et les enfants furent envoyés plus loin sous escorte, avec l'assurance par les autorités turques que leur destination finale était Mossoul, et qu'aucun mal ne leur serait fait.

Les hommes restés derrière furent emmenés hors de la ville par groupes de 15 à 20, alignés au bord de tranchées préparées à l'avance, fusillés et jetés dans les tranchées. Des centaines d'hommes étaient abattus chaque jour de la même manière. Les femmes et les enfants furent attaqués en route par les "("shotas") des bandes armées organisées par le Gouvernement turc, et qui les attaquaient en en saisissant un certain nombre. Après avoir pillé et avoir commis les outrages les plus méprisables sur les femmes et les enfants, ils les massacrèrent de sang froid.
Ces attaques se produisirent quotidiennement jusqu'à ce qu'ils furent débarrassés de toutes les femmes et tous les enfants. Les escortes militaires avaient des ordres stricts de ne pas intervenir auprès des "Shotas".

Les enfants que le Gouvernement avait pris en charge furent également déportés et massacrés.

Les jeunes enfants confiés au Consul américain de Trébizonde furent emmenés sous prétexte qu'ils allaient être envoyés à Sivas où un asile avait été préparé pour eux. Ils furent emmenés en mer dans de petits bateaux. A une certaine distance, ils furent poignardés à mort, mis dans des sacs et jetés dans la mer. Quelques jours plus tard, leurs petits corps furent rejetés sur le rivage à Trébizonde.

En juillet 1915, j'ai reçu l'ordre d'accompagner un convoi de déportés arméniens. C'était le dernier groupe de Trébizonde. Il y avait dans ce convoi 120 hommes, 700 enfants et environ 400 femmes. De Trébizonde, je les ai emmenés à Gumush-Khana. Là, les 120 hommes furent éloignés, et, comme je l'appris plus tard, furent tous tués. A Gumush-Khana, je reçus l'ordre d'emmener les femmes et les enfants à Erzinjian. En route, j'ai vu des milliers de corps d'Arméniens non enterrés. Plusieurs bandes de "shotas" nous croisèrent en chemin et me demandèrent de leur remettre les femmes et les enfants. Mais j'ai refusé catégoriquement. J'ai abandonné en route environ 300 enfants dont des familles musulmanes voulaient prendre soin et éduquer. Le "Mutessarrif" d'Erzinjian m'ordonna de continuer avec le convoi vers Kamack.
Dans cet endroit, les autorités refusèrent de prendre en charge les femmes et les enfants. Je suis tombé malade et je voulais retourner, mais on m'a dit que tant que les Arméniens dont j'étais chargés seraient vivants, je serais envoyé d'un lieu à un autre. Cependant, je me suis arrangé pour inclure mon groupe dans celui des Arméniens déportés venus d'Erzeroum. La charge de ce groupe incombait à l'un de mes collègues Mohamed Effendi de la Gendarmerie.
Il me raconta plus tard qu'après avoir quitté Kamach ils étaient arrivés dans une vallée où coulait l'Euphrate. Un bande de shotas surgirent et arrêtèrent le convoi. Ils ordonnèrent à l'escorte de s'en aller, et ils abattirent chacun des Arméniens et les jetèrent dans le fleuve.

A Trébizonde, les Musulmans furent prévenus que s'ils abritaient des Arméniens, ils seraient passibles de la peine de mort.

Les officiels du gouvernement de Trébizonde choisirent quelques-unes des plus belles Arméniennes des meilleures familles. Après avoir commis sur elles les pires outrages, ils les firent tuer.
Des affaires de viols de femmes et de jeune filles, même publiquement, ont été très nombreuses. Elles étaient systématiquement tuées après les atrocités.

Les Arméniens déportés d'Erzeroum sont partis avec leur bétail et tous les biens qu'ils pouvaient emporter. Lorsqu'ils atteignirent Erzinjian, ils eurent des doutes en voyant que tous les Arméniens avaient déjà été déportés. Le Vali d'Erzeroum dissipa leurs craintes et leur assura le plus solennellement qu'aucun mal ne leur serait fait. Il leur dit que le premier convoi allait partir pour Kamach, et les autres resteraient à Erzeroum jusqu'à ce que leurs amis leur envoient un mot les informant de leur arrivée en sécurité à destination. Et c'est ce qui se passa.
Le courrier arriva disant que le précédent convoi était arrivé sain et sauf à Kamach. Ce qui était plutôt vrai. Mais les hommes avaient été arrêtés à Kamach et abattus, et les femmes avaient été massacrées par les Shotas après avoir quitté cette ville.

Les officiels turcs chargés de la déportation et de l'extermination des Arméniens étaient:
A Erzeroum: Bihas Eddin Shaker Bey
A Trébizonde: Nalil Bey, Tewfik Bey Monastirli, Colonel de Gendarmerie, et le Commissaire de police.
A Kamach: Le membre du Parlement pour Erzinjian. Le quartier général des Shotas se trouvait aussi à Kamach. Leur chef était le Kurde Murzabey qui se vantait d'avoir à lui seul tué 70 000 Arméniens. Mais plus tard, les Turcs pensèrent qu'il était dangereux pour eux, et le jetèrent en prison sous prétexte qu'il avait tué un gendarme. Il fut probablement exécuté en secret.

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