Le 17 décembre 2004, les 25 chefs des exécutifs de l'Union européenne ont décidé d'ouvrir des négociations pour l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. C'est là incontestablement une victoire pour le premier ministre Erdogan, issu de la mouvance intégriste et non kémaliste, jadis emprisonné pour avoir récité des poèmes d'inspiration islamiste dont l'auteur était Ziya Gökalp, un des théoriciens du panturquisme. Erdogan a habilement réussi à éviter toute concession au sujet du génocide des Arméniens comme de la reconnaissance de la république de Chypre, un membre de l'Union européenne dont elle occupe depuis 1974 le tiers septentrional du territoire. Les choses sont toutefois loin d'être jouées, car les autorités turques n'ont toujours pas trouvé de parade pour se sortir du « bourbier arménien » dans lequel leurs ambitions européennes les fourvoient.
Ainsi quand, en février 2005, une délégation parlementaire française mit Erdogan en garde contre un éventuel rejet par référendum de l'adhésion de la Turquie en cas de persistance dans la négation du génocide, le premier ministre turc répondit par l'ironie : il ignorait, dit-il, que 400 000 Arméniens en France avaient un tel pouvoir. La réponse est intéressante à plus d'un titre car elle confirme plusieurs constatations : la Turquie ne raisonne toujours qu'en termes de rapport de forces, elle refuse de sortir la question du cadre arméno-turc, et elle avoue ne pas avoir encore trouvé de solution à ce qu'elle est désormais contrainte de reconnaître comme un problème.
La Turquie pourra-t-elle maintenir éternellement ses positions ? Le mouvement international de reconnaissance du génocide a pris trop d'ampleur pour qu'Ankara puisse éviter d'en tenir compte, mais la marge de manoeuvre du gouvernement turc est limitée par les deux piliers de la république, l'armée et le kémalisme, qui considèreraient une telle décision comme une trahison.
L'Europe a en ce moment une chance historique de contraindre les autorités turques à reconnaître le génocide des Arméniens, à renoncer à leur politique de négationnisme d'état et à abandonner toute réécriture mensongère de l'histoire.