RHAC III ► Partie II : La légion d'Orient, le mandat français et l'expulsion des Arméniens (1916-1929).
La ratification du Traité de Lausanne, signé le 23 juillet 1923, a constitué pour le mouvement kémaliste l’aboutissement triomphal de sa lutte nationale. Cette conférence a, en effet, donné une confirmation officielle et internationale à l’établissement de la République de Turquie, dont la naissance était l’aboutissement d’une lutte militaire et politique, déclenchée au lendemain de la fin de la Première Guerre mondiale par Mustapha Kémal et ses partisans, dans un pays qui se classait pourtant parmi les grands vaincus de la guerre et dont le vaste territoire était en grande partie occupé par les armées des forces alliées.
Durant la guerre turco-arménienne de 1920, les armées nationalistes turques ont obtenu de flagrants succès militaires en reprenant à la République d’Arménie les régions anciennement ottomanes de Kars et d’Ardahan, perdues aux dépens de l’Empire des Tsars en 1878. Sur le front de Cilicie, les kémalistes sont sortis victorieux dans leur combat contre l’armée française. La France, à laquelle avait été attribuée le mandat sur la Cilicie, cède finalement sous la pression des forces armées turques. Un traité est conclu à Angora, en octobre 1921, entre les représentants de la France et de la Turquie et, conformément à cet accord, toute la région de la Cilicie et les territoires situés au nord du chemin de fer de Bagdad passent sous autorité turque. Enfin, la tâche la plus difficile du mouvement national turc, dans ses premières années d’existence, a, sans aucun doute, été la guerre menée contre les armées grecques, dans l’est de l’Anatolie. Les combats qui ont eu lieu de 1920 jusqu’à la fin de 1921, après tant de péripéties, ont finalement abouti au triomphe de l’armée turque; une victoire qui a ouvert, devant la nouvelle République de Turquie, le chemin de la Conférence de Lausanne, où elle allait, cette fois-ci, remporter une victoire politique, concrétisant ainsi tous ses succès militaires successifs.
Pour toutes ces raisons, il est tout à fait logique de considérer la Conférence de Lausanne comme une date charnière dans l’évolution qui a abouti à la naissance de la Turquie moderne. En revanche, dans une perspective tout à fait différente, la place de cette Conférence est aussi importante en ce qui concerne les questions relatives aux minorités nationales et religieuses de ce nouvel état, dans la mesure où, au lendemain de Lausanne, la Turquie se voit libérée des prérogatives de certaines puissances mondiales en matière de protection des droits des minorités vivant sur le territoire turc.
à partir de 1921, les autorités turques prennent donc le contrôle de la Cilicie. L’armée française évacue la région, accompagnée de dizaines de milliers de réfugiés arméniens, qui quittent la Cilicie pour s’installer notamment en Syrie et au Liban. Après la défaite totale de l’armée grecque, en 1922, la Conférence de Lausanne tranche également la question des populations grecques et turques, vivant respectivement en Turquie et en Grèce. Un accord d’échanges de populations est conclu durant cette même conférence entre les représentants de ces deux pays, celui-ci est mis en application au cours des années suivantes.
à la veille de la Conférence de Lausanne, l’unité territoriale de la Turquie est presque achevée et la souveraineté du nouvel état s’étend sur la quasi-totalité du territoire considéré par le nouveau régime turc comme étant indiscutablement turc. Le rêve de Kémal de créer un état turc homogène dans lequel l’élément turc serait le maître absolu, était en train de se réaliser. En effet, la conquête de la Cilicie par l’armée turque a fait disparaître la plus grande partie des derniers vestiges d’une population d’Arméniens qui vivaient regroupés en Anatolie orientale. La population arménienne de peur d’être massacrée par les Turcs, quitte la Cilicie, en même temps que l’armée française, et se réfugie principalement dans les pays du Levant. En ce qui concerne la présence de la population grecque dans l’ensemble de l’Anatolie, le problème est également résolu au cours de la Conférence de Lausanne avec l’accord d’échanges de populations conclu entre les deux belligérants.
En ce sens, au lendemain de l’accord de Lausanne, il est généralement admis que l’Anatolie orientale est pratiquement vidée de sa population chrétienne qui au préalable vivait regroupée. Cette Conférence enterre les espoirs de certaines minorités nationales de l’ancien Empire ottoman, ceux des Grecs, des Arméniens, des Kurdes, des Assyro-Chaldéens, visant à la création d’entités indépendantes ou autonomes sur les territoires de la Turquie moderne; revendications qui avaient trouvé une issue nettement favorable avec la signature du Traité de Sèvres, en août 1920. Au lendemain de Lausanne, la population grecque est à son tour en voie de disparition des territoires turcs, suivant l’accord d’échange. Les rares populations chrétiennes du pays sont désormais concentrées dans les grandes métropoles de l’ouest de la Turquie.
La période post-Lausanienne, relative à la question des minorités, est généralement vue comme étant celle de l’émergence en force du problème national kurde. Considérés dans la plupart des cas comme les alliés des kémalistes, durant les différents combats militaires que les forces nationalistes se sont livrées dans les années 1920-1922, les Kurdes deviennent désormais la cible de la campagne de turquification menée par le pouvoir central d’Angora.
Après la reconnaissance de la Turquie par les grandes puissances et l’instauration de l’autorité turque sur la majeure partie du pays, on distingue un revirement net dans la politique du nouveau régime turc à l’égard de la population kurde de Turquie. Tant que le califat, symbole d’un état musulman multinational, était en place, la plupart des dirigeants kurdes pouvaient encore espérer que le régime kémaliste accomplirait les promesses faites en vue de la sauvegarde et du développement de l’identité kurde dans le pays, voire même l’instauration d’une autonomie kurde1. Un coup fatal est cependant porté à toutes ces espérances, lorsqu’en mars 1924, Kémal abolit le califat. Le mouvement national kurde, déjà fortement présent dans les provinces orientales de Turquie, commence dès lors à réagir contre la campagne de turquification menée avec diligence par le pouvoir central d’Angora. Ces agissements aboutissent à la première grande insurrection kurde dans l’histoire de la Turquie moderne, celle du Cheikh Saïd, en 1924-1925.
La question de la minorité kurde et la répression des révoltes successives menées par les Kurdes en Turquie, durant les années 1920-1930, sont dès lors la principale préoccupation du régime d’Angora dans le cadre de sa politique à l’égard des minorités du pays. Toutefois, cette période de l’histoire de la Turquie est également marquée par un autre problème de minorité. C’est le cas des derniers vestiges des populations minoritaires, en grande majorité chrétienne, de Cilicie et des régions avoisinantes. Par rapport aux Kurdes, ces minorités représentent à cette époque une importance numérique et politique moindre dans l’espace turc. Tout au long des années 1920, elles seront la cible d’une politique systématique d’intimidation menée à leurs égards par les autorités d’Angora pour les forcer à l’exode.
Quelles étaient ces minorités qui vivaient encore sur les territoires de l’Anatolie orientale lieu de déportation et de massacre en masse de chrétiens, au cours de la Première guerre mondiale? Quel était l’objectif poursuivi par le nouveau régime turc, en incitant ces populations à l’exode? Quelles ont été les différentes étapes et les différentes formes de cette politique commandée par les autorités d’Angora, notamment dans les années qui ont suivies la signature du traité de Lausanne? Tout au long des années 1920, le régime turc a-t-il appliqué une stratégie commune à l’égard de toutes ces communautés minoritaires, ou bien sa politique a-t-elle été différente suivant le caractère de la minorité, la zone géographique ou la période chronologique? Ces questions seront étudiées tout au long de cet article.
En ce qui concerne les sources de cet article, outre les ouvrages en français, en anglais, en arménien et en arabe, on a largement utilisé le fond d’archives du Ministère des Affaires étrangères français, qui conservent des informations riches et précieuses relatives à ces événements. La France, à l’époque puissance mandataire sur la Syrie et le Liban, était en effet directement concernée par l’exode des minorités car ces derniers, choisissaient les territoires syriens comme lieu de refuge. Une correspondance régulière est donc entretenue entre Beyrouth, siège du Haut-Commissaire français, et Paris, et on y trouve en détail les dates d’arrivée des convois de réfugiés, les circonstances de leur exode, les lettres de protestation des dignitaires qui appartenaient à ces communautés, etc.
Le 15 septembre 1923, le Consul de France et le chef de la mission française en Cilicie, Barthe de Sandfort, informe le ministère des Affaires étrangères à Paris sur la situation des Grecs-orthodoxes d’origine syrienne de Cilicie. D’après son message, le gouvernement d’Angora se prépare à expulser les membres de la communauté syrienne de Cilicie, « en prenant prétexte qu’ils appartiennent au rite grec-orthodoxe, pour les englober dans les échanges de populations»2.
Cette affaire intervient donc quelques mois après la signature du Traité de Lausanne, durant laquelle les parties grecques et turques se sont mises d’accord sur un échange de populations grecques et turques, respectivement de la Turquie et de la Grèce. Cette convention3 a été signée le 30 janvier 1923, en marge des séances de la Conférence de Lausanne. Dans l’article premier de cette convention on lit :« Il sera procédé dès le 1er mai 1923 à l’échange obligatoire des ressortissants turcs de religion grecque orthodoxe établis sur les territoires turcs et des ressortissants grecs de religion musulmane établis sur les territoires grecs. Ces personnes ne pourront venir se rétablir en Turquie ou, respectivement, en Grèce, sans l’autorisation du Gouvernement turc ou, respectivement, du Gouvernement hellénique »4.
La petite communauté grecque-orthodoxe d’origine syrienne de Cilicie devient donc la victime surprise de cet article contradictoire de l’accord. En effet, la Convention gréco-turque ignorait complètement les critères national et linguistique, et mettait l’accent uniquement sur le critère religieux pour désigner ainsi les ressortissants turcs d’origine grecque5. Ce manque de précision dans le texte du Traité a encouragé le gouvernement d’Angora à déclencher une vive polémique, tout au long des années 1920, autour de la présence de Grecs-orthodoxes d’origine syrienne dans les territoires turcs.
Qui étaient ces Grecs-orthodoxes d’origine syrienne de Cilicie ?
En général, ils appartiennent à des familles de grands propriétaires et de riches marchands, que les affaires avaient conduit, tout au long du XIXe siècle, à s’installer en Cilicie, dans les villes portuaires à développement rapide. Selon tous les témoignages les concernant, ils possédaient des intérêts mobiliers et immobiliers considérables dans la région.
Il nous est difficile de donner des chiffres très précis sur leur nombre avant ou après la Première guerre mondiale. Le Chancelier de France à Mersine et le délégué de la Mission française en Cilicie, Graulle, dans une dépêche datée du 14 février 1924, avance le chiffre de 1 000 familles d’origine syrienne de rite grec-orthodoxe vivant en Cilicie, en 1921, avant l’évacuation de cette région par les troupes françaises et l’entrée des armées turques. En 1924, le même Graulle donne les informations suivantes sur l’état numérique de cette communauté : 120 familles dans la ville de Mersine (l’actuel Içel), soit 940 personnes, une vingtaine de familles dans les villes de Tarse et d’Adana, soit 110 personnes6. Un total d’environ 1 050 personnes vivant encore en Cilicie sous le régime d’Angora. Sandfort, dans un autre communiqué, daté du 20 février 1924, fait mention, cette fois-ci, de 800 « Syriens » de rite grec-orthodoxe7.
Dans les chiffres fournis par V. Cuinet ou par les différentes statistiques réalisées à l’époque ottomane, il est impossible de faire la différence entre les Grecs et les Syriaques de rite grec-orthodoxe. Selon Cuinet, dans la province ottomane d’Adana, qui englobait la plus grande partie de la Cilicie, il y avait 46 200 « Grecs-orthodoxes »8, dont 2 700 dans le caza de Mersine9. Bien que la distinction basée sur les origines nationales des deux groupes concernés soit absente dans les chiffres de Cuinet, en revanche, dans certains passages de son livre, on trouve des mentions directes de la présence des Arabes grecs-orthodoxes. Par exemple, il rapporte que les «Arabes orthodoxes» du vilayet d’Adana sont principalement installés à Tarse et à Mersine, et que cette dernière ville possède une majorité arabe, musulman et chrétien confondus10. Il signale également la présence d’écoles arabes à Mersine et à Tarsous11.
Les chiffres des statistiques ottomanes ne peuvent guère nous aider davantage à faire une distinction entre les deux groupes de population. Le recensement ottoman de 1912 dénombre 14 825 «Grecs» dans le vilayet d’Adana12. Ce chiffre est contesté par une autre statistique émanant du Patriarcat grec, publiée à l’époque de la guerre gréco-turque de 1920-22, où les « Grecs » y sont évalués à 90 20813.
à partir de la fin de 1923, la volonté du gouvernement d’Angora d’englober les Grecs-orthodoxes d’origine syrienne de Cilicie dans le processus d’échanges de populations entre la Turquie et la Grèce devient donc évidente ; projet qui devait en principe conduire en Grèce ces éléments non-grecs. Parmi les premières mesures coercitives prises à l’encontre des membres de cette communauté, les autorités turques leur interdisent la vente ou la mise en hypothèque de leurs biens et une liste est dressée comprenant les membres de la communauté syrienne grecque-orthodoxe, en vue d’un éventuel échange14.
Les premières protestations contre le projet turc ne se font pas attendre. Dans une lettre adressée au Président de la Commission mixte d’échange à Mersine, le chef de la communauté des Grecs-orthodoxes originaires de Syrie-Liban, le P. Boulos Mattar, fait la distinction entre les deux groupes de population : « [...] Nous sommes originaires de la Syrie et nous sommes sous la dépendance spirituelle du Patriarche d’Antioche, n’ayant aucune affinité avec les Grecs. Notre langue maternelle est l’arabe, dans notre église les prières se font en arabe, l’école et notre paroisse enseignent l’arabe; nous n’avons aucun rapport avec l’église et l’école grecque-orthodoxe de Mersine où l’on prie et enseigne en langue grecque, et chacune de ces communautés fait mention dans ses prières du Patriarche duquel elle dépend.
Le Patriarche d’Antioche résidant à Damas, est élu par des évêques syriens; il a toujours eu un délégué particulier à Constantinople pour ses relations avec le Gouvernement Central, prouvant ainsi son indépendance. Cependant le Patriarche du Phanar, comme l’indique le paragraphe relatif à son élection, Article 3, page 906 du Code Civil, 2e édition, imprimée à Constantinople en 1289 [1871], ce Patriarche est élu par les évêques des circonscriptions habitées par des Orthodoxes de race grecque. Si donc nous sommes des orthodoxes, nous ne pouvons pas être assimilés aux Grecs visés par la convention de l’échange de populations »15.
Dans les archives françaises on trouve également trois lettres de protestations signées par Grégoire IV, Patriarche Grec-Orthodoxe d’Antioche et de tout l’Orient et adressées respectivement au Général Weygand16, au général Sarrail17 et à Henri Ponsot18, qui ont occupé successivement le poste de Haut-Commissaire de la République Française en Syrie et au Liban, dans les années 1920. Dans sa deuxième lettre, le Patriarche, en faisant la comparaison entre les Grecs-Orthodoxes d’origine grecque et syrienne, écrit : « Ils n’ont rien de commun entre eux sauf le dogme religieux, comme le dogme musulman, commun à toutes les nations du Globe qui ont adopté l’Islamisme, qu’ils soient arabes, turcs, africains, indiens, chinois, etc... chez qui la communauté du dogme n’influe en aucune façon à la Nationalité. Les Chrétiens Orthodoxes de Cilicie, ce sont des émigrés Syriens que le hasard commercial a attirés en Cilicie où ils se sont installés, où ils ont acquis des immeubles comme il y a aussi des émigrés turcs en Syrie et au Liban, et que le hasard commercial a attirés en Cilicie où ils se sont installés, où ils ont acquis des immeubles. Les Chrétiens Syriens Orthodoxes de Cilicie parlent l’Arabe et ignorent le Grec. Du temps de la Turquie, ils étaient sujets Turcs en Cilicie, ils continuent à être sujets turcs. Leurs certificats d’immatriculation en font foi. D’ailleurs, justement parce qu’ils étaient sujets turcs, on les a mobilisés lors de l’insurrection kurde »19.
La plupart des riches familles grecque-orthodoxes de Cilicie étaient alliées à leurs homonymes du Liban et de Syrie, comme les Sursok ou les Toueyni, qui étaient très influents dans les cercles politiques et économiques libanais et syriens. C’est vraisemblablement sous la pression de ces familles que des voix s’élèvent au sein des cercles politiques locaux de Syrie et du Liban, pour protester contre les projets d’Angora visant la communauté syrienne de rite grec-orthodoxe en Cilicie. Des motions sont déposées aux Conseils Représentatifs du Grand Liban, le 20 mars 192420, et de l’état d’Alep, le 26 avril 192421. Le Président de la Fédération des états de Syrie, Soubhi Barakat, adresse une lettre de protestation au Haut-Commissaire de Syrie et du Liban, datée du 26 avril 1924, en demandant l’aide de la France dans le règlement du problème des compatriotes syriens de Cilicie22.
Cependant, le gouvernement d’Angora resta intransigeant dans ses intentions vis-à-vis des Syriaques grecs-orthodoxes de Cilicie. Alors que les membres de la Commission Mixte étaient disposés à exclure les ressortissants d’origine syrienne des opérations d’échanges, son représentant turc refusait toute concession en ce sens et insistait sur l’application à la lettre du premier article de la Convention23. En mai 1924, 45 Syriaques grecs-orthodoxes venant de Cilicie débarquent à Beyrouth24. Sous la contrainte des autorités turques, d’autres arrivent en Grèce, avec la population d’origine grecque de la province d’Adana25. Cet exode se poursuit tout au long des années 1920. En juin 1925, les autorités turques procèdent, en Cilicie, à la liquidation judiciaire des biens des émigrés Syriaques ou de ceux qui sont simplement absents. Les personnes concernées par ces mesures ne pouvaient pas défendre leurs intérêts sur place, puisque les autorités d’Angora avaient mis plusieurs obstacles au retour des personnes originaires de Syrie en Cilicie26. En novembre 1925, les propriétés des habitants grecs-orthodoxes d’origine syrienne de Mersine ou d’Adana se situant à Ceyhan sont saisies, sous le prétexte que leurs propriétaires ne résident pas dans le lieu même où se trouvent ces terres27.
Le Traité d’amitié et de bon voisinage signé à Angora entre la Syrie sous mandat français et la Turquie, le 30 mai 1926, allait apporter une solution radicale à la polémique liée à la présence des Grecs-orthodoxes d’origine syrienne en Cilicie. Le gouvernement d’Angora, après entente avec les autorités mandataires françaises, avait laissé aux Grecs-orthodoxes d’origine syrienne de Cilicie la faculté d’opter soit pour la nationalité turque, soit pour la nationalité syro-libanaise de leur pays d’origine. Dans ce dernier cas, ils devraient évacuer la Turquie dans un délai s’achevant en février 192828. Alors que la majorité des Grecs-orthodoxes d’origine syrienne, par crainte d’être considérée comme «échangeable», avaient déjà opté pour la nationalité syro-libanaise, la Commission Mixte d’échanges de populations, malgré l’opposition de son représentant turc, prend, le 27 décembre 1927, à Constantinople, une décision venue tardivement, relative aux Grecs-orthodoxes d’origine syrienne de Cilicie :
« La Commission Mixte décide que ne sont pas visées par la Convention d’échange les personnes relevant au point de vue religieux : 1) des Patriarcats autres que le Patriarcat Œcuménique du Phanar, tels les Patriarcats d’Antioche, de Jérusalem et d’Alexandrie; 2) des églises autocéphales, telles que l’église de Chypre, l’église du mont Sinaï, l’église Serbe, l’église Roumaine, l’église Monténégrine, l’église d’Autriche-Hongrie, l’église Russe et l’église Albanaise, ainsi que l’église schismatique Bulgare »29.
En revanche, cette même Commission, sur l’insistance d’Angora, décide que cette nouvelle mesure n’est pas applicable aux personnes qui ont déjà quitté la Turquie30.
On ne connaît pas avec précision le sort final réservé aux rares membres de la communauté grecque-orthodoxe d’origine syrienne de Cilicie qui ont opté pour la nationalité turque. La plupart de ses membres, lassés et abattus par les pressions incessantes exercées sur eux par les autorités d’Angora et la presse turque, se résignèrent et partirent pour le Liban et la Syrie. Pour les rares personnes restées sur place, les autorités turques ont mis en application de mesures sévères qui leur rendaient la vie difficile. Par exemple, pour se rendre de Mersine à Tarse, une distance d’environ 25 km, un optant turc grec-orthodoxe devait être muni d’un permis spécial délivré seulement après avis d’Angora31. La presse turque, même après la décision de la Commission Mixte, continuait à publier des articles très hostiles à l’encontre des Grecs-orthodoxes d’origine syrienne de Cilicie, les présentant toujours comme une population « échangeable »32.
La plupart des membres de ces trois communautés ont quitté la Cilicie avec le départ des troupes françaises, vers la fin de l’année 1921. Les seules personnes restantes se trouvaient principalement dans la ville de Mersine qui, en 1925-1926, comptait une cinquantaine de Maronites et une quarantaine d’Arméniens catholiques. à Tarse, il restait une douzaine de Grecs-catholiques et un nombre égal de Maronites. Signalons que les Maronites de Cilicie étaient originaires du Liban et ont émigré en Cilicie notamment dans les années 1859-60. Avant l’entrée des troupes de l’armée turque dans la région, ils présentaient la majorité de la population à Ekbez, dans le caza de Hassa, appartenant au sandjak de Djebel Bereket33.
Quel intérêt pouvaient avoir les autorités turques en menant une politique d’intimidation et de persuasion, pour forcer à l’exode ces minorités très faibles sur le plan numérique ? Les différents agissements des autorités turques vis-à-vis de ces minorités de Cilicie, dans les années 1920, nous amènent à dire, que le problème pour Angora résidait surtout dans la suppression de toute base de vie communautaire, dans le but d’empêcher un éventuel retour des membres de ces minorités dans ces régions, tout en contraignant ceux qui demeuraient encore sur place à s’exiler.
En ce sens, la principale cible des autorités turques était les biens immobiliers appartenant à ces minorités : église, presbytère, école, etc. à Tarse, les communautés maronites et grecque-catholiques possédaient chacune un presbytère et une église. Les autorités turques ont prescrit l’évacuation immédiate de ces immeubles, en application d’une circulaire du ministère de l’Intérieur précisant que « les biens abandonnés appartenant à des personnes morales » revenaient à l’état. L’administration turque a profité de l’absence de tout chef communautaire dans cette ville, pour mener sans entrave ses visées à l’égard de ces minorités. En effet, depuis le départ des troupes françaises, il n’y avait aucun prêtre grec-catholique à Tarse, et en ce qui concerne les Maronites, leur prêtre de cette ville, Mgr Antonin Tayyah, était mort en juin 192434. Les démarches faites par l’évêque maronite de Mersine, Mgr Elie Tayyah, auprès de l’administration de Tarse, en vue d’empêcher la saisie des biens de sa communauté, n’aboutissent à rien. En effet, le kaïmakam de Tarse « lui aurait opposé que ces propriétés appartiennent en réalité à la communauté maronite, laquelle ne comptant plus de 50 membres, est considérée légalement, comme inexistante, l’église et les dépendances reviennent donc à l’ état turc »35.
Pour ce qui concerne les Arméniens catholiques, la politique d’intimidation des autorités turques se heurta à quelques obstacles, en la personne de certains religieux arméniens restés sur place, malgré le départ de la majeure partie de leurs fidèles. Après la signature de l’accord franco-turc d’Angora et devant l’alerte générale des chrétiens de Cilicie, Franklin-Bouillon, le signataire de l’accord, vient en personne dans la région, en octobre 1921, pour rassurer les habitants et les dissuader de partir. Ces tentatives échouent complètement, et, comme on l’a vu, la population chrétienne, dans sa grande majorité, quitte la Cilicie. Les rares Arméniens qui restent sur place, sont des vieillards infirmes ou sans argent, des femmes et des enfants abandonnés et sans famille. En outre, on comptait parmi ceux qui étaient restés quelques obstinés, en l’occurrence Mgr Keklikian, prélat des Arméniens catholiques de Cilicie, qui pensait que le nouveau régime turc serait plus humain que leurs prédécesseurs à l’égard des minorités. Celui-ci décide ainsi de poursuivre son mandat de prélat à Adana, ayant à ses côtés, deux curés arméniens catholiques, l’Abbé Jean Khalkovian et l’Abbé Paul Kiredjian, qui deviennent respectivement curé de Mersine et d’Adana36.
Les difficultés pour ces religieux ne tardent pas à se manifester. Le 21 novembre 1922, la police locale de Mersine réquisitionne, sans aucune formalité, tous les bancs et les tables des écoles appartenant à la communauté arménienne catholique. En même temps, le journal local de Cilicie, Yeni Adana, déclenche, par une série d’articles, une campagne virulente, contre la personne de l’Abbé Khalkovian, en l’accusant de faire de la propagande anti-turque et d’avoir commis des injustices à l’encontre des Turcs, lors des événements d’Adana, en 1909. En août 1925, les autorités locales annoncent la confiscation de toutes les propriétés de l’église arménienne catholique à Mersine, en expliquant que cette communauté n’a plus de membre dans cette ville et que, dans de pareilles circonstances, ces propriétés peuvent être considérées comme des biens abandonnés. L’Abbé Khalkovian présente immédiatement la liste des fidèles se trouvant encore à Mersine; mais les autorités ne lui laisseront que l’église et le presbytère. En mai 1926, les autorités locales demandent à l’Abbé cent livres turques au titre de taxe à l’instruction publique. Khalkovian, étant incapable de payer immédiatement une pareille somme, est donc emprisonné, le 17 juin 1926, puis relâché, le 26 juin, après avoir payé l’argent exigé37. Ces tracasseries administratives se poursuivent de plus en plus vigoureusement. Un mois après sa libération, la police locale lui annonce qu’il est soupçonné d’avoir commis des crimes contre les Turcs, à Marach, pendant la présence des troupes françaises en Cilicie. Le 11 septembre, l’Abbé Khalkovian est arrêté sous l’inculpation d’espionnage au profit des Français et exilé à Castamouni. Après un mois de séjour forcé dans cette ville, il obtient l’autorisation de quitter la Turquie et part définitivement pour Beyrouth38.
Le lendemain du départ de l’Abbé, l’évêque de Cilicie, Mgr Keklikian, qui résidait depuis 1924 chez les Jésuites d’Adana, quitte cette ville et arrive en personne à Mersine pour remplacer le curé exilé. Cependant, il lui sera interdit de célébrer la messe et, en janvier 1927, sous l’ordre du vali d’Adana, les dernières propriétés de l’église catholique de Mersine sont confisquées et désaffectées39. L’évêque, à son tour, quitte la Turquie.
Le récit du curé d’Adana, l’Abbé Kiredjian, est plus court. Le 20 janvier 1924, les autorités d’Adana confisque au profit du gouvernement toutes les propriétés diocésaines de cette ville. Demeuré sans propriétés et sans ressources, l’Abbé Kiredjian, demande à ses supérieurs son transfert ailleurs. Le 11 octobre 1924, il part pour Kütahya, en Anatolie occidentale40.
Tout en restant dans le cadre des affaires concernant la communauté arménienne catholique, mais dans une zone géographique et à une date relativement éloignée, on est informé par une lettre émanant du patriarcat arménien catholique de Beyrouth, datée du 2 juin 1929 et adressée à la SDN, que le curé de la ville de Dyarbékir, le Père Joseph Amirkhanian, est assassiné dans sa ville, durant la nuit du 10 au 11 avril 1929. à la veille de ce meurtre, le jour de Pâques, le curé arménien adresse une lettre de protestation à Mustapha Kémal, contre l’interdiction par l’autorité locale de la ville de tout office religieux chez les chrétiens de Dyarbékir. Durant la nuit, quatre individus accompagnés de deux agents de police s’introduisent dans la maison du curé et le tuent41.
Avec le départ des troupes françaises de Cilicie, la grande majorité des chrétiens, comme on l’a déjà vu, quitte la région et se réfugie en Syrie et au Liban. L’afflux de ces réfugiés vers les frontières syriennes se poursuit dans les années ultérieures à 1921, année de la conquête de la Cilicie par les troupes turques. Des milliers de réfugiés, qui, pour différentes raisons, n’avaient pas pu fuir avant ou avec le retrait des Français, demandent l’asile aux autorités mandataires de Syrie. De 1922 à 1923, selon certaines sources françaises, le chiffre de réfugiés installés en Syrie est évalué à 30 000 personnes42. Dans une étude faite par le commandant Terrier, on trouve un chiffre d’environ 34 000 réfugiés, pour cette même période historique43. Il faut dire que ce nombre inclut également des chrétiens en dehors de Cilicie qui ont fui, en cette même période, leurs foyers en Turquie et se sont installés ensuite en Syrie. Parmi ces réfugiés on trouvait par exemple des habitants de Kharpout, Malatia ou Dyarbékir44. Ajoutons également que durant cette période de deux ans, de 1922 à 1923, des dizaines de milliers de réfugiés grecs sont à leur tour arrivés en Syrie venant de l’Anatolie orientale. Mais cette catégorie de réfugiés a été directement dirigée sur la Grèce45.
En 1924, c’est le tour des villes de Cilicie et de ses environs d’être touchées par cette vague d’exode. C’est surtout le cas des Syriaques et des Chaldéens. Ces deux communautés des grandes villes d’Anatolie orientale, contrairement à leurs coreligionnaires ruraux, ont relativement été épargnées par les massacres et les déportations perpétrés par les dirigeants ottomans, contre l’élément chrétien en général et contre les Arméniens de l’Empire en particulier.
Cette situation « privilégiée » perdure, tant bien que mal, jusqu’au début de 1924, lorsque se manifestent les premiers signes d’une politique d’intimidation menée par le régime turc à l’égard des Syriaques et des Chaldéens habitant des villes comme Urfa, Mardine, Dyarbékir et Malatia. Le 22 février 1924, le Patriarche d’Antioche pour les Syriaques catholiques, Mgr Rahmani, lance un appel au Haut-Commissaire de Syrie et du Liban, le général Weygand, en l’informant de la situation précaire de sa communauté en Turquie, laquelle soumise aux mauvais traitements du régime. Selon les nouvelles parvenues au Patriarcat, à Beyrouth, les vexations des autorités turques ont commencé depuis trois semaines et ont pris comme cibles principales les villes d’Urfa, de Mardine et ses environs : « [...] à Ourfa les chrétiens sont officiellement avisés de leur prochaine expulsion. Ils ne doivent rien prendre avec eux. Tous leurs biens meubles et immeubles deviennent propriété du fisc. Quelques familles sont déjà arrivées en Syrie, nous attendons les autres.
à Mardin, la situation des nôtres est tout à fait intenable. Vexations de toutes sortes, refus de reconnaître les chefs religieux comme tels, privations des chrétiens de leurs droits de citoyens, emprisonnement de notre Vicaire, réquisition de notre Cathédrale, du Patriarcat, du Presbytère, du couvent de St-Ephrem et des écoles »46.
Bientôt, des vagues de réfugiés affluent aux frontières turco-syriennes, au nord d’Alep, demandant s’installer en Syrie et au Liban. La principale ville visée est Urfa, où, en 1924, habitent encore environ 5 000 chrétiens, dont environ 3 000 Syriaques orthodoxes et les autres repartis entre les communautés syrienne catholique, chaldéenne, protestante et arménienne grégorienne. Ces derniers, rescapés du génocide, feront partie des premiers convois de déportés d’Urfa, mise en route au cours de l’année 1924. Ces exilés sont contraints de signer une déclaration de départ volontaire et leurs numéraires en métal précieux (or) sont transformés en papier monnaie, sur la base d’une livre turque or pour une livre turque papier. C’est la raison pour laquelle ces réfugiés arrivent en Syrie dans le plus grand dénuement47. Le trajet principal emprunté par ces convois suit la ligne Urfa-Sürüç-Garäblus-Alep.
On trouve dans les archives du Quai d’Orsay les témoignages de quelques réfugiés qui ont fait des déclarations à leur arrivée en Syrie, sur l’itinéraire suivi en Turquie et sur la situation générale de leur ville. Le premier de ces témoignages ici-présenté émane d’un Arménien, Sarkis Mesrobian, qui a dirigé le convoi parti d’Urfa le 20 février 1924. D’après celui-ci « le convoi comprenant environ 250 personnes a quitté Ourfa, le 20 février, pour Alep par Seroudj-Djerablous ». Ce groupe de déportés était composé d’Arméniens, accompagnés de deux ou trois Syriaques. Dans le récit de Mesrobian on lit : « Monsieur Sarkis Mesrobian expose le motif qui incite la population à fuir la Turquie : le président de la municipalité Hadji Moustapha Kamil, qui est chef du parti Kémaliste ne cesse de prendre des mesures contre la communauté arménienne.
Ces derniers temps, par exemple, on leur a réclamé 1 500 fusils laissés, d’après les Turcs, entre leurs mains par les troupes françaises lors de l’évacuation. Ils durent ainsi payer 40 livres or. Les notables de la communauté dont monsieur Sarkis Mesrobian ont reçu l’invitation du président de la municipalité de quitter Ourfa dès que possible. Le valy ayant même attitude que le président de la municipalité, la communauté arménienne a décidé d’émigrer. Les Turcs, afin d’éviter des protestations auprès des puissances européennes ont obligé les chefs de la communauté à remplir des demandes où ils ont du spécifier que l’exil était volontaire. Le modèle de ces demandes fut fourni par les Turcs. Dès que le départ de la communauté arménienne orthodoxe fut décidé, le président de la municipalité se retourna contre les autres communautés syriaques, invoquant les mêmes motifs (armes laissées par les troupes françaises) pour les inquiéter. Au départ de monsieur S. Mesrobian, la communauté syriaque avait déjà payé 1 000 livres or »48.
L’autre témoignage émane d’un notable chaldéen d’Urfa, Antoine Nouayem. D’après son récit, il fut convoqué chez le même Hadji Moustapha Kamil, qui lui demanda de lui remettre, dans un délai de 24 heures, les 500 fusils que, d’après lui, les troupes françaises leur avaient laissés à leur départ. étant incapable de fournir ces fusils inexistants et de payer, en contrepartie, un lourd tribut, Antoine Nouayem vit ses biens mobiliers et immobiliers mis en séquestre. Condamné à une telle situation, le notable chaldéen s’enfuit et se réfugia en Syrie. Nouayem ajoute également que le vali d’Urfa a publiquement déclaré que les chrétiens étaient désormais indésirables dans cette ville49.
Ainsi commence l’exode des chrétiens d’Urfa vers la Syrie. Le premier convoi, formé de 170 réfugiés, arrive le 19 février. Il sera suivi par un convoi de 210 personnes, arrivé le 24 février50. Du 11 au 16 avril, on signale l’arrivée de 308 autres réfugiés d’Urfa51. Cet exode touche également d’autres villes de la région, comme Malatya, Harpout, Dyarbékir, El-Aziz52. Dans un rapport officiel français, daté du 23 mai 1924, on voit que le nombre de Syriaques orthodoxes expulsés de différentes régions de Turquie et réfugiés en Syrie, s’élève à 1 800 personnes, au mois de mars 1924. Pour les Syriaques catholiques et pour les Chaldéens ce chiffre s’élève respectivement à 250 et 130 personnes53.
Une politique analogue à celle mise en œuvre à Urfa est donc pratiquée par les autorités turques dans les autres villes de l’Anatolie orientale, pour inciter les populations chrétiennes à l’exode. En février 1924, comme on l’a vu, le vicaire syrien catholique de Mardin est arrêté et les établissements religieux de cette communauté sont réquisitionnés. En mai, le Haut-Commissariat de Syrie et du Liban est informé de l’arrivée prochaine de 160 familles chrétiennes qui résidaient encore dans la ville de Malatya, au nord d’Urfa. à Dyarbékir, les biens immobiliers des chrétiens sont saisis par les autorités locales; les chrétiens, avant leur départ en masse, ne parviennent à vendre que leurs biens mobiliers, en égard aux vexations auxquelles ils sont soumis54.
Comme on l’a déjà dit au début de cet article, on n’analysera pas ici le cas de la minorité kurde de Turquie, qui avec ses révoltes successives des années 1920, a été le centre de gravité des préoccupations du régime turc. Cependant, il faut souligner un fait important concernant les Kurdes, à savoir que les autorités d’Angora n’ont pas appliqué à l’égard de cette minorité une politique de déportation massive à l’extérieur des frontières du pays, comme ce fut le cas des autres minorités citées dans cette étude. Il est vrai qu’aucun pays n’était prêt à accueillir une telle masse de réfugiés kurdes dans le cas où une telle politique aurait été appliquée par Angora. En outre, de pareilles mesures radicales auraient pu immédiatement avoir comme effet le renforcement de l’unité kurde dans sa lutte contre le régime turc. On peut à cet égard se demander si la dimension religieuse n’a pas été un facteur dissuasif pour Angora, compte tenu du fait que toutes les minorités dont il a été question jusqu’à présent, et à l’encontre desquelles une politique systématique de déportations a été appliquée, étaient chrétiennes.
Pour éclairer ce point, une analyse du sort fait à une autre minorité musulmane, celle des Arabes alawites de Cilicie, quoi que numériquement plus faible que les Kurdes, peut s’avérer révélatrice.
Il y a très peu de sources qui traitent l’histoire des Arabes alawites en Cilicie. L’installation des membres de cette communauté musulmane dans cette région a très probablement commencé à partir de la moitié du XIXe siècle. Cependant, une source alawite fait remonter la date de leur première apparition massive en Cilicie jusqu’au temps de Saladdin, à l’époque où le régime ayyoubite persécutait les musulmans non-sunnites, à l’intérieur de ses territoires et la religion alawites qui est considérée comme une branche du shiisme, n’a pas été épargnée par cette vague de violence55. Les Alawites de Cilicie sont en grande partie originaires de la région de Djabal al-Alawiyyin, qui était anciennement connue sous le nom de Djabal Ansariyye, située au nord-ouest de la Syrie, au bord de la Méditerranée.
En Cilicie, les Alawites étaient notamment installés dans et autour des villes côtières d’Adana, Mersine et Tarse. La majorité d’entre eux était agriculteur, d’où le nom de fellah traditionnellement utilisé pour les désigner. Plusieurs membres de cette communauté avait cependant réussi à s’enrichir dans le commerce et à s’intégrer ainsi parmi les grands notables de la région. Les chiffres sur la population alawite vivant en Cilicie à la fin de la Première Guerre mondiale varient entre 70 000 et 100 000 âmes56. Leur communauté fut, lors de l’occupation de la Cilicie, en excellents termes avec l’administration française57. La France caressait même le projet de faire de cette minorité l’un des pivots de sa politique dans la région, compte tenu de sa double identité arabe et alawite, en opposition à l’élément turc sunnite de Cilicie58. Cependant la présence française dans cette zone fut éphémère et les Alawites sont en grande partie restés en Cilicie après le départ des troupes françaises et la récupération de cette région par la Turquie.
Dans les archives françaises, les premières informations relatives à la situation des Alawites de Cilicie, sous le nouveau régime turc, datent de 1924. Le 11 avril 1924, dans un court message télégraphié, le Haut-Commissariat alerte Paris de ce que « les Alaouites seraient menacés d’expulsion de la Turquie »59. Dans les semaines suivantes, les informations sur le sujet se multiplient. Le gérant du consulat de France à Adana informe Paris de l’existence d’un projet visant à la déportation des Alawites de Cilicie, confirmé par le directeur général de la Police devant une délégation arabe présente à Angora60. Comme on le faisait pour les autres minorités, une virulente campagne de presse est déclenchée à leur encontre dans certains journaux locaux et, nous dit-on, « des mesures arbitraires sont prises et les sentences rendues par les tribunaux contre les Arabes aboutissent le plus souvent à une spoliation complète »61. Dans ces conditions, les grands propriétaires alawites commencent à vendre leurs propriétés et transfèrent leurs fonds en Europe.
Cependant, un élément majeur semble indiquer que la situation des Alawites de Cilicie était bien spécifique et se distinguait nettement de celle des autres minorités déjà citées. Les informations émanant du consulat français à Adana sont révélatrices à cet égard. En effet, cette communauté donnait alors des signes apparents de mécontentement et semblait disposée à menée une éventuelle résistance, dans le cas où les mesures déjà prises à leur encontre par les autorités locales deviendraient plus excessives. à Tarse par exemple, ville abritant 20 000 habitants alawites, ces derniers étaient en possession « de Lebel, de Mauser et une centaine de cartouches par personne »62. Malgré des divergences claniques au sein de la communauté alawite de Tarse, ils étaient bien décidés à résister à toute tentative de répression organisée à leur égard63. L’organisation communautaire alawite à Adana était encore plus vigoureuse. Les Alawites de cette ville était en grande partie groupés autour d’un notable, Ibrahim Sadek, qui était capable de mobiliser 20 000 hommes armés de 10 000 fusils avec leurs munitions. La région qui s’étendait entre Adana et Karatach était à son tour capable d’absorber 10 000 hommes et 6 000 fusils. Enfin, dans un entretien avec le gérant du consul de France à Adana, les notables arabes lui ont ouvertement déclaré « qu’ils s’empareraient de la Cilicie plutôt que de soumettre à la déportation, mais que si le sort des armes leur était défavorable, ils demanderaient asile au gouvernement syrien »64.
Les archives françaises de l’époque du mandat qui signalent très minutieusement le passage des réfugiés chrétiens de Turquie en Syrie, dans les années 1920, ne mentionnent pas des cas de réfugiés alawites en provenance de Cilicie. Peut-on en conclure alors que la déportation des Alawites de Turquie, dans les années 1920, n’a pas eu lieu? évidemment, une déportation en masse des Alawites aurait suscité l’attention de l’administration mandataire et leurs archives officielles auraient nous laisser des traces et, comme on l’a vu, la motivation de cette communauté pour la résistance a été une raison principale qui a finalement conduit le régime turc à abandonner son projet de déporter cette population arabe en appliquant des mesures radicales et directes. Cependant, on ne peut pas exclure l’hypothèse de l’arrivée de centaines voir même de milliers d’Alawites de Cilicie, fuyant les pressions exercées du régime turc. Dans ce cas, il ne faut pas s’étonner au fait que les archives françaises passent sous silence devant un tel événement. En fait, il faut prendre en compte que la plupart des Alawites de Cilicie avaient des parents et même des propriétés dans leur pays d’origine, c’est-à-dire le Djabal al-Alawiyyin, situé en Syrie. Donc, il est plausible que des Alawites soient arrivés dans leur pays d’origine et qu’ils soient intégrés rapidement dans leur milieu d’origine, sans gêner l’administration mandataire, pour laquelle l’arrivée de réfugiés de Turquie créait avant tout un problème d’aménagement de territoire, de campement, etc. à l’inverse de la plupart des autres réfugiés en provenance de Turquie, les Alawites ne suscitaient pas un tel problème pour l’administration locale, d’où peut-être l’intérêt de ne pas se préoccuper de leurs arrivées en Syrie et leur installation sur leur territoire d’origine.
Dans l’histoire moderne de la Turquie, l’année 1925 est notamment marquée par la révolte kurde de Cheikh Saïd, qui ébranle les fondements même du nouvel état et oblige le régime à mobiliser et à y concentrer une partie considérable de ses effectifs militaires, en vue de la répression de ce mouvement insurrectionnel. La révolte englobe les provinces kurdes situées à l’ouest du lac de Van et au sud d’Erzeroum. Bien que de courte durée, le régime turc ait eu du mal à vaincre le mouvement insurrectionnel. Après être parvenue à écraser la révolte, l’administration turque, soutenu par la présence de forces armées, commence à consolider ses positions dans ces provinces à forte population kurde, qui, depuis l’instauration du nouvel état turc, échappait en grande partie au contrôle des autorités centrales d’Angora.
Parmi les provinces, qui, à partir de 1925, voient le renforcement de l’administration turque, il faut notamment citer Siirt, Mardin, Batman et certaines parties du Dyarbékir. Notre intérêt dans ces provinces consiste dans le fait qu’elles abritent à cette époque une population compacte d’Arméniens et de Syriaques, qui cohabitent avec une majorité kurde.
Les autorités turques déclenchent alors une campagne de démilitarisation de la région, qui englobe également le plateau montagneux du Tour ’Abdin, situé près des frontières septentrionales de la Syrie et connu comme étant le grand centre du peuplement syriaque. Cette communauté chrétienne, tout comme ses voisins kurdes, avait réussi à garder depuis des siècles un certain degré d’autonomie par rapport aux autorités centrales de l’Empire ottoman. Les Syriaques avaient développé dans cette montagne une structure clanique et de lignage qui était semblable au système tribal des Kurdes locaux voisins, d’autant que quelques-uns uns de ces clans et lignages locaux avaient noué des alliances avec certaines confédérations tribales et leaders kurdes. Cette association avec les Kurdes avait permis aux Syriaques de jouir d’une égalité relative de statut. En revanche, les querelles intertribales en milieu kurde avaient des effets immédiats au sein de la société syriaque, de sorte que les alliés syriaques d’une tribu kurde donnée en conflit avec une autre, devenaient automatiquement les rivaux d’un autre clan syriaque, allié lui-même à la tribu kurde ennemie. Un tel mode de vie a développé chez les montagnards syriaques du Tour ’Abdin une tradition guerrière, qui s’exprimait par le port d’arme et sa participation aux guerres intertribales et interclaniques de la région65.
Lors de la Première Guerre mondiale, des villages syriaques du Tour ’Abdin furent touchés par les actes de destruction, de pillage et de massacre anti-chrétiens organisés par le régime ottoman. D’autres, résistèrent avec succès en défendant leur village, les armes à la main, jusqu’à la fin de la guerre. Azekh, par exemple, fait partie des villages syriaques qui furent assiégés durant la guerre par des tribus kurdes et des unités de l’armée régulière ottomane. Mais la résistance des villageois d’Azekh fut telle que les assaillants ne réussirent jamais à envahir le village.
C’est donc dans une telle région qu’en 1926, après avoir vaincu la révolte de Cheikh Saïd, l’armée turque fit une entrée en force. Pour le ministre turc des Affaires étrangères, Tewfik Rouchdy, il s’agissait « de mesures prises par les autorités pour retirer les armes prohibées se trouvant tant entre les mains des musulmans qu’entre celles des chrétiens. [...] [Une] opération de désarmement [qui] fut appliquée, sans exception, à toute la population de la Turquie »66. Rouchdy ajoute que cette même « opération de désarmement n’a rencontré aucune difficulté [...] dans les villages de Meddo, de Bessak, de Hipsta, de Kowak67, etc. »
Les éclaircissements de Rouchdy sont en réaction à une série de lettres de protestation adressées à la SDN par certains dignitaires syriaques qui condamnait les mesures d’intimidation exercées par les autorités turques, à l’encontre de la population syriaque du Tour ’Abdin. En effet, en avril 1926, les représentants des communautés syrienne orthodoxe, chaldéenne et syrienne catholique, adressent un appel écrit au président de la SDN, pour lui informer de la situation alarmante des Syriaques du Tour ’Abdin. Ils annoncent dans leur lettre « que les notables chrétiens de Midiat, Ain-Warde, Enhel, Mzizakh, Meddo, au nombre de 150, avaient été déportés dès le 4 janvier et que 357 hommes d’Azekh, également chrétiens, venaient de l’être récemment, dans des conditions de misère extrême »68. Les 150 notables sont dirigés sur Mardin d’abord et Urfa ensuite. Ils étaient accusés de trahison contre la souveraineté de la Turquie et d’être des agents travaillant au profit des intérêts britanniques en Irak. En ce qui concerne les événements d’Azekh, l’actuel Idil, l’armée turque intervint dans ce village, le 10 février. Sur les ordres du commandant de l’armée, les villageois durent rendre leurs armes, au total 1361 fusils69. Après avoir quitté le village en emportant les armes réquisitionnées, l’armée y retourna et arrêta 257 personnes parmi les habitants d’Azekh. Environ 700 personnes parvinrent à s’enfuir et à échapper aux arrestations. Les autres furent envoyés à Midyat où ils restèrent emprisonnés. Une grande partie d’entre eux fut relâchée en mai 1926 et le reste des prisonniers transféré à Harput, où les autorités turques organisèrent leur procès. Ils seront finalement libérés en août 192670.
En décembre 1927, 12 notables d’Azekh sont de nouveau arrêtés par les autorités locales et sont dirigés sur Dyarbékir. Ils sont jugés et condamnés à dix-huit ans de prison ferme pour complicité avec l’ennemi. Après un an et demi d’emprisonnement, ils sont amnistiés par un décret de Mustapha Kémal et rentrent dans leur village71.
Dans sa lettre du 29 août 1926, Rouchdy annonce que les mesures prises à l’encontre du village d’Azekh sont dues aux agissements de ces villageois, qui « faisaient cause commune avec le perturbateur musulman Hadjo ». Notons que ce dernier était le fameux chef kurde des Haverkanis qui, en mars 1926, mena un mouvement insurrectionnel dans la région frontalière entre la Syrie et la Turquie. Cette révolte fut rapidement réprimée et Hadjo, accompagné de centaines de membres de sa tribu, dont des Syriaques chrétiens, traversa la frontière pour aller s’installer dans la Haute-Djazira syrienne. Cependant, la plus grave accusation de Rouchdy est le fait que les villageois d’Azekh possèdent des fusils britanniques et que certains d’entre eux « avaient porté les armes contre la Turquie avec l’autorisation officielle d’un Gouvernement étranger »72. Le ministre turc fait référence au gouvernement britannique qui a alors le mandat sur l’Irak, et qui, dans une lettre datée du 25 novembre 1926, nie toute ingérence dans les affaires intérieures de la Turquie. En ce qui concerne la présence des armes britanniques au Tour ’Abdin, une lettre officielle d’origine britannique l’attribue au fait que des anciens soldats syriaques, qui ont appartenu à des contingents irakiens et avaient été recrutés dans des camps de réfugiés en Irak, ont, une fois leur service achevé, emporté leurs armes, et il est probable qu’une partie d’entre eux serait originaire du Tour ’Abdin73.
Lorsqu’on analyse les événements du Tour ’Abdin durant ces années dans le contexte de la politique d’Angora à l’égard des chrétiens de Cilicie et de ses environs, on remarque plus clairement que les actes d’intimidations et de vexations se sont heurtés à certains obstacles sur ce plateau montagneux. Alors qu’en 1924, les autorités turques réussissent facilement à inciter à l’exode les habitants citadins syriaques, leurs coreligionnaires du Tour ’Abdin se montrent moins résignés face aux exigences d’Angora. Le régime turc n’applique donc pas des mesures rigoureuses contre ces montagnards. On peut se demander aussi si cette réserve du régime turc à l’égard de l’expulsion des Syriaques du Tour ’Abdin n’a pas également un rapport avec la révolte du chef kurde Hadjo, déclenchée au mois du mars, dans cette même région. Il est effectivement remarquable lorsqu’on suit la chronologie des événements que la position des autorités turques face aux montagnards syriaques s’assoupit considérablement, après un début brutal, notamment en janvier et en février 1926. Il est vraisemblable qu’en maintenant la population syriaque sur place, le régime turc avait l’intention de créer un certain équilibre entre les populations kurdes et non-kurdes, toutes les deux de caractère guerrier. Le facteur économique peut avoir, à son tour, joué un rôle dans le changement d’attitude d’Angora. En effet, à partir de 1925-26, l’administration française en Syrie met en application un projet de développement économique dans la Haute-Djazira; cette politique mandataire se faisait au détriment des intérêts économiques des régions turques situées juste au nord de la frontière de la Haute-Djazira. Les autorités françaises accordent des facilités d’installation et de travail aux Syriaques du Tour ’Abdin, qui arrivent nombreux, avec l’espoir de trouver des avantages économiques et une stabilité politique durable. Il est à noter que le patriarche des Syriaques orthodoxes qui siégeait à Dayr al-Za’faran, dans le Tour ’Abdin, est, à son tour, installé à cette époque sur les territoires syriens, puisqu’il est interdit de séjour en Turquie.
Toutes ces considérations politiques et économiques ont vraisemblablement joué un rôle important pour que Angora n’applique pas sa politique d’incitation à l’exode à l’égard des Syriaques du Tour ’Abdin74.
La population arménienne des régions situées au sud-ouest du lac de Van, plus précisément l’ensemble du vilayet ottoman de Dyarbékir et le sandjak de Siirt qui appartienne au vilayet de Bitlis, a été systématiquement déportée ou massacrée pendant la Première Guerre mondiale, sur les ordres des autorités ottomanes. Cependant, jusqu’à la fin des années 1920, on voit encore dans la zone géographique définie ci-dessus, la présence de vestiges de cette population, rescapés du génocide.
Comment ces Arméniens ont-ils pu échapper aux massacres?
Pour analyser cette situation particulière, il nous faut nous situer dans le même contexte socio-historique que celui des Syriaques du Tour ’Abdin, bien qu’il soit important de prendre en compte quelques nuances distinctives dans l’étude de ces deux groupes. En effet, les Arméniens de cette région ont également coexisté avec une majorité kurde. Cependant, à la différence des Syriaques de la montagne du ’Abdin, les Arméniens habitent à cette époque la plaine où ils pratiquent généralement l’agriculture et l’artisanat. Du fait de leur éloignement avec les provinces ottomanes à forte population arménienne et suite à une coexistence séculaire avec les Kurdes, une proportion considérable d’Arméniens de ces régions ignore l’arménien et a adopté, à la place, la langue et les traditions kurdes. Leur unique lien d’importance avec leurs origines nationales reste alors la religion. Un autre cas de dissemblance avec les Syriaques du Tour ’Abdin est le fait que les Arméniens de ces plaines n’ont plus aucune tradition guerrière et vivent dans une situation de totale dépendance à l’égard des chefs kurdes, de sorte qu’une longue histoire de rapports du type serf-chef féodal s’est développée entre Arméniens et chefs ou aghas kurdes.
Il est tout à fait vraisemblable, qu’une partie des aghas kurdes de ces régions ont vu avec regret et amertume le massacre ou la déportation de ces Arméniens, qui labouraient leurs champs, entretenaient leurs moulins, fabriquaient des objets d’art, des armes, etc. Ce n’est donc pas par hasard que nombre de chefs et aghas kurdes, au-delà de la dimension humanitaire de leur geste, n’ont pas hésité, au cours de la Première Guerre mondiale, à cacher des Arméniens, pour leur épargner les massacres et les déportations. Jusqu’à la fin des années 1920 et même plus tard, ceux-ci continuent ainsi à vivre dans cette zone géographique de Turquie encore sous la dépendance de chefs kurdes, qui les protègent des menaces des autorités turques. La plupart d’entre eux sont des agriculteurs et vivent en milieu rural75.
Cependant, comme on l’a déjà vu, l’influence des chefs et des aghas kurdes de cette partie de la Turquie est en nette diminution depuis l’échec de la révolte du Cheikh Saïd et le renforcement de la souveraineté d’Angora dans ces régions. Dès la fin de 1928, on voit les premiers signes d’une politique gouvernementale qui tend à vider les villages en question de leurs habitants arméniens. Tout d’abord, la gendarmerie turque interdit le séjour des Arméniens dans les villages et les oblige à vivre dans les villes les plus proches, notamment à Dyarbékir, Palou, Siirt, Besiri, Mardin. Cette opération de regroupement de population avait l’intention de faciliter l’accomplissement de la deuxième phase de cette politique, qui consistait à inciter à l’exode cette même population, en dehors des frontières turques76. Dans un rapport, daté du 8 janvier 1930, et adressé au ministre des Affaires étrangères à Paris, le Haut-Commissaire de Syrie et du Liban explique : « Les témoignages concordant de tous ces réfugiés ont permis d’établir la genèse de cette nouvelle émigration, qui doit, dans la pensée des autorités turques, débarrasser définitivement la Turquie d’Asie de tout élément chrétien. Les émigrés, dont il s’agit, représentent la population chrétienne des vilayets méridionaux de la Turquie, population en grande majorité arménienne, à laquelle s’ajoutent quelques kurdes chrétiens. Ces paysans sont depuis le début de 1929 l’objet de la part des autorités locales, de persécutions systématiques. La Gendarmerie est le principal instrument de ces tracasseries qui revêtent toutes les formes possibles de vexations et restent suffisamment insaisissables pour que le Gouvernement turc puisse toujours nier qu’il a été porté atteindre à la liberté ou aux droits de ces minoritaires.
« De nombreux témoignages font état des démarches faites par les gendarmes auprès des paysans pour leur déclarer que le Gouvernement avait décidé la confiscation de leurs terres, et qu’ils devaient abandonnés leur village pour gagner les villes. Dans certaines localités, pareille sommation leur était adressé par les mokhtars. En fait, une concentration de tous les chrétiens terrorisés, dans les villes, à El-Aziz, à Mardine, à Diarbekir, s’est opérée dans le courant de l’été 1929. Jeunes filles et jeunes femmes étaient fréquemment retenus au village par les autorités locales. Les biens abandonnés étaient immédiatement attribués à des paysans turcs. Une fois parvenus dans les villes, les réfugiés se heurtaient à l’interdiction absolue faite aux habitants de leur donner du travail. Privés de tous moyens d’existence, ils acceptaient évidemment les offres que les autorités turques leur faisaient de faciliter leur départ pour la Syrie, en leur délivrant un passeport. Mais cette formalité ne représentait qu’un nouveau moyen pour les autorités de dépouiller ces réfugiés de leurs dernières ressources. Indépendamment du prix demandé pour le passeport lui-même et qui variait arbitrairement de 500 à 100 francs, cette pièce ne leur était délivrée qu’après paiement de tous les arrières d’impôts réels ou imaginaires qu’ils étaient censés devoir au fisc. Certaines réfugiés ne virent ainsi réclamer l’acquittement de taxes remontant à plus de 20 années. D’autres durent payer la taxe militaire pour les enfants mâles en bas âge qu’ils emmenaient avec eux. Les gendarmes qui accompagnaient ces émigrés jusqu’au train, se chargeaient enfin de leur arracher les quelques médjidiés qui avaient échappé à cette récupération officielle. Ils les embarquaient enfin dans un train à destination d’Alep, non sans que leur passeport, démuni de tout visa consulaire français, n’ait reçu au préalable la mention “retour en Turquie interdit”. Le cycle des spoliations légales et des expulsions déguisées était ainsi clos »77.
Dans les archives officielles françaises, la première mention de l’arrivée de ces réfugiés arméniens date d’octobre 192878. L’afflux des Arméniens vers les frontières syriennes s’accélère tout au long de l’année 1929 et se poursuit jusqu’en 1930. On remarque que les déportes ont emprunté deux chemins différents, lors de leur exode vers la Syrie. Les Arméniens des provinces de Mamouret el-Aziz et de l’ouest de Dyarbékir arrivent en territoire syrien par train et ils sont dirigés vers Alep79. Bien qu’ils soient forcés à l’exode, ces réfugiés ont relativement été épargnés par les vexations et les spoliations des autorités locales. Le cas le plus dramatique est celui des Arméniens qui habitent l’est de la province de Dyarbékir, le sud de la province de Bitlis et de la province de Mardin. Ils représentent la majeure partie des déportés des années 1928-30 et ils se réfugient principalement dans la région de la Haute-Djazira, dans le nord-est de la Syrie. Ces Arméniens, complètement démunis, arrivent en Syrie à pied, après un long parcours aventureux et pénible.
Quel a été le nombre de réfugiés arméniens de Turquie arrivés en Syrie en cette fin des années 1920 ? Certaines sources évaluent alors à 30 à 40 000 personnes le nombre d’Arméniens qui vivent encore dans les différentes parties de l’Anatolie orientale et qui sont susceptibles d’être déportés vers la Syrie80. En ce qui concerne les réfugiés qui se sont établis pendant cette même période dans la région d’Alep et principalement dans la Haute-Djazira, d’après les divers chiffres donnés dans les rapports officiels français, leur nombre peut être estimé à environ 10 000 personnes. La majeure partie de ces réfugiés ont constitué par la suite la population rurale de la Haute-Djazira.
Parmi les puissances régionales de cette période, la première intéressée par l’exode des chrétiens de Cilicie et des régions environnantes est, sans aucun doute, la France, qui avait mandat sur la Syrie et le Liban; deux pays qui ont été la principale destination des réfugiés.
Quelle a été la réaction de Paris face à la politique turque d’expulsion et de spoliation?
Le Traité de Lausanne avait mis un terme aux privilèges accordés à certaines puissances mondiales, dans leur rapport avec les minorités de Turquie. La France, par exemple, bénéficiait auparavant d’un statut spécial au sein de l’Empire ottoman, en qualité de protectrice des chrétiens d’Orient. Cette situation s’est maintenue jusqu’en 1923, jusqu’à ce que le traité de Lausanne affirme que le sort des chrétiens en Turquie dépend dorénavant exclusivement du Conseil de la Société des Nations et, bien évidemment, du gouvernement turc.
Après 1923, la situation de la France par rapport à la Turquie subit des grands changements géopolitiques. Paris est devenu la puissance mandataire sur la Syrie et le Liban et il se trouve ainsi directement associée aux affaires du Proche-Orient. Pour la France d’après-guerre, affaiblie et épuisée par les longues années de conflit, cet engagement en Orient est une lourde tâche, qui dépasse parfois ses capacités militaires. Les effectifs mis à la disposition des autorités mandataires sont, certes, en mesure de réprimer des insurrections locales, mais ils sont loin de permettre un engagement dans des opérations militaires d’envergure, à une échelle régionale. L’exemple le plus significatif à cet égard est les conditions de l’évacuation de la Cilicie. Incapable de contrer les attaques des forces armées turques, la France se retire de cette région et se contente d’exercer son mandat sur la Syrie et le Liban. En outre, ce repli stratégique ne permet pas aux autorités mandataires de se débarrasser des difficultés intérieures. En Syrie, le pouvoir mandataire français a été instauré, en 1920, par le recours à la force, en déposant le régime de l’émir Fayçal, établi dans ce pays juste après l’Armistice. Mais, tout au long des années 1920-1930, les nationalistes syriens présentent une force majeure en Syrie et ne cessent de manifester leur hostilité à l’égard des autorités françaises. Au Liban, outre la profonde hostilité d’une partie de la classe politique locale à l’encontre du système de mandat, l’autorité française est secouée par la révolte des Druzes, en 1925, qui s’étend également à certaines parties du territoire syrien. Dans la région de la Haute-Djazira syrienne la souveraineté de l’administration mandataire est pleinement établie seulement à la fin des années 1920, en raison de l’extrême prudence que les autorités françaises manifestaient dans leurs rapports avec les tribus locales et les troupes turques qui poursuivaient à contrôler une partie de ces territoires, en dépit des accords officiels.
En pareilles circonstances, la France ne peut plus se présenter en position de force devant Angora. Cet état d’esprit est évident lorsque les dirigeants français affrontent le problème de l’exode des chrétiens de Turquie vers la Syrie.
L’accord franco-turc d’Angora de 1921 garantissait la vie communautaire des chrétiens de Cilicie. Cependant, la majorité absolue de la population chrétienne quitte la région, car elle n’a guère confiance dans les clauses de cet accord. Dans le cas des Arméniens catholiques, on l’a déjà vu, Paris a été impuissant devant la spoliation des biens de cette communauté par les autorités turques, juste après l’accord d’Angora. En 1924, le nombre de groupes de réfugiés qui arrivent de Turquie est croissant et touche toutes les communautés chrétiennes. L’arrivée de cette vague de réfugiés chrétiens risque à tout moment d’envenimer la situation intérieure en Syrie et au Liban, où les tensions communautaires existent de longues dates. Certains milieux musulmans syriens et libanais font des parallèles entre l’installation des réfugiés chrétiens dans leurs pays et la colonisation de la Palestine par les Juifs. Le gouvernement français fait alors une tentative afin d’empêcher l’exode de ces chrétiens et d’améliorer, en revanche, leur situation en Turquie. Ainsi, en mars 1924, alors que l’expulsion des chrétiens d’Urfa est en plein progrès, le ministre français des affaires étrangères, dans une lettre adressée au Haut-Commissaire à Beyrouth, écrit : « Je proteste énergiquement à Paris, à Constantinople et à Angora contre l’émigration forcée des chrétiens d’Ourfa et je demande que des mesures soient prises immédiatement pour la faire cesser.
« Dans le cas où satisfaction ne nous serait pas donnée, je me propose de faire savoir au Gouvernement turc que, en m’inspirant de la convention greco-turque du 30 janvier 1923 relative à l’échange des populations, je me verrais obligé de rapatrier en Turquie des Turcs de la région d’Alexandrette en nombre égal à celui des émigrés d’Ourfa afin de pouvoir mettre ceux-ci à l’abri»81.
Cette menace est réitérée pendant tout le mois de mars, dans des échanges diplomatiques Paris-Beyrouth et Paris-Angora. Cependant, elle est vite abandonnée, pour une raison qui illustre, encore une fois, la faiblesse de Paris devant les agissements du régime kémaliste. En fait, le même ministre, dans une lettre datée du 26 mars, annonce au Haut-Commissaire qu’il « n’envisage pas pour le moment l’expulsion en masse des Turcs de la région d’Alexandrette », car « cette mesure pourrait avoir les répercussions les plus graves notamment pour nos compatriotes résidant en Turquie »82.
Ce fut, durant les années 1920, la seule initiative musclée émanant de Paris pour arrêter l’expulsion des chrétiens de Turquie. En ce qui concerne les autres puissances, on trouve plusieurs notes et mémoires déposés par les représentants de ces pays auprès du Conseil de la SDN. Cependant, les différentes démarches faites par cette organisation internationale pour la stricte application de l’article 41 du Traité de Lausanne, concernant les minorités non-musulmanes de Turquie, n’ont pas réussi à dissuader Angora dans sa politique visant à l’exode de ses ressortissants chrétiens. Le gouvernement turc s’est borné à considérer ces démarches comme des ingérences dans ces affaires intérieures, et, en outre, il a toujours nié les actes de vexation et de spoliation exercées contre la population chrétienne, en réitérant son argument selon lequel les chrétiens quittent la Turquie de leur plein gré et les témoignages relatifs à leur expulsion en masse ne sont que des récits fabriqués qui font partie, comme disait le ministre turc Rouchdy en 1929, d’une campagne de propagande anti-turque.
La situation internationale était favorable à Angora et, dans le contexte géopolitique du temps, aucune puissance envisageait sérieusement de rentrer en hostilité directe avec les autorités turques pour protéger quelques dizaines de milliers de personnes en train d’être expulsées de leur pays.
1) Il faut noter ici que, dès 1919, les Alévis kurdes du Dersim se sont rebellés contre les armées kémalistes, lorsque les nationalistes turcs faisaient leurs premiers pas en vue de l’instauration de leur autorité sur les différentes régions de l’Anatolie orientale.
2) Archives du ministère des Affaires étrangères (dorénavant citées MAE), série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 253, f° 260, Adana, le 15 sept. 1923.
3) Convention VI, concernant l’échange des populations grecques et turques et le protocole signé le 30 janvier 1923.
4) Conférence de Lausanne sur les Affaires du Proche-Orient (1922-1923), Actes signés à Lausanne le 30 janvier et le 24 juillet 1923, Paris, 1923, p. 102.
5) Pour les détails des différentes phases des négociations entre les Grecs et les Turcs concernant les critères à employer dans le premier article de la Convention, cf. Stephen Ladas, The exchange of minorities : Bulgaria, Greece and Turkey, The Macmillan Company, New-York 1932, pp. 377-379.
6) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, Vol.. 258, f° 19, rapport de Graulle au Général Weygand, Haut-Commissaire en Syrie et au Liban, daté du 14 février 1924, Mersine.
7) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, Vol.. 258, ff. 1-2, rapport de Barthe de Sandfort, Consul de France, chef de la mission française en Cilicie à Poincaré, Président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, à Paris, daté d’Adana, le 20 février 1924.
8) Vidal Cuinet, La Turquie d’Asie : Géographie administrative, II, Paris 1891, p. 5.
9) Ibidem, p. 50.
10) Ibidem, p. 9.
11) Ibidem, p. 11.
12) Justin M cC arthy, Muslims and Minorities : The population of Ottoman Anatolia and the End of the Empire, New-York University Press, New-York/Londres 1983, p. 110. Il est à noter que la désignation « Grec » est utilisée également dans les statistiques ottomanes qui concernent les vilayets de Beyrouth ou d’Alep, alors qu’il est évident que la majorité absolue de ces « Grecs » représentent les Grecs-orthodoxes libanais et syriens.
13) Ibidem, p. 91.
14) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 19, rapport de Graulle à Weygand, daté de Mersine, le 14 février 1924.
15) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 23, 9 février 1924, Mersine. Le Patriarcat d’Antioche, fait partie avec ceux d’Alexandrie et du Jérusalem, aux trois patriarcats autocéphales, qui constituent l’ église Greque-orthodoxe du Moyen-Orient et appartiennent à la communion de foi orthodoxe. Les patriarcats de Jérusalem et d’Alexandrie, à la différence de celui d’Antioche, avaient perdu depuis longtemps leurs identités moyen-orientales, le nombre de leurs fidèles avaient considérablement décru et leurs hiérarchies avaient été hellénisées. C’est l’ église d’Antioche qui a réussi à garder son indépendance vis-à-vis de l’ église œcuménique de Constantinople, reconnaissant, toutefois, sa primauté d’honneur. Le patriarcat d’Antioche a pour cadre géographique toute la région qui englobe principalement la Syrie et le Liban. Cette région a vu s’installer de colons arabes, dès les premiers siècles av. J.C., et devient largement arabisée après la conquête arabe. Les fidèles de l’ église d’Antioche, araméophone à l’origine, à l’image des transformations démographiques de cette région, s’arabisent rapidement. Cet environnement arabe est la source principale de la revendication contemporaine de ce patriarcat de se considérer comme l’ église des Arabes. Sa liturgie, bien quíelle soit de rite byzantin, est pratiquée en arabe. Dès ses origines jusqu’aujourd’hui, l’époque ottomane inclue, le clergé du patriarcat d’Antioche est recruté dans le milieu local, c’est-à-dire qu’il est formé d’Arabes. Le Patriarche, qui a son siège à Damas, est élu par les membres de cette église, sans interférence extérieure (Jean-Pierre V alognes, Vie et mort des chrétiens d’Orient des origines à nos jours, éd. Fayard, Paris 1994).
16) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, ff. 15-18, rapport du général Weygand, Haut-Commissaire en Syrie et au Liban, au Président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, daté du 6 mars 1924, Beyrouth.
17) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, ff. 148-151, lettre du patriarche Grégoire IV au général Sarrail, Haut-Commissaire en Syrie et au Liban, datée du 10 octobre 1925, Damas.
18) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 259, ff. 33-34, lettre de Grégoire IV à Henri Ponsot, Haut-Commissaire en Syrie et au Liban, datée du 21 juin 1927.
19) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, ff. 148-151, 10 octobre 1925, Damas.
20) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 45-46, rapport du Haut-Commissaire en Syrie et au Liban au ministre des Affaires étrangères, daté du 7 avril 1924, Beyrouth.
21) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 77-82, rapport du Haut-Commissaire en Syrie et au Liban au Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, daté du 9 mai 1924, Beyrouth.
22) Ibidem.
23) L adas, op. cit., p. 379.
24) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 97, télégramme de Weygand au ministre des Affaires étrangères, daté du 7 juin 1924, Beyrouth.
25) L adas, op. cit., p. 383.
26) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 135, télégramme du ministre des Affaires étrangères à l’Ambassadeur de France en Turquie, daté du 24 juin 1925, Paris.
27) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 170, télégramme de A. Ronflard, Consul de France à Adana à A. Briand, ministre des Affaires étrangères, daté du 23 novembre 1925, Adana.
28) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 259, ff. 33-34, lettre de Grégoire IV à Ponsot, datée du 21 juin 1927, Damas.
29) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 257, ff. 197-199, rapport de émile Daeschner, Ambassadeur de France en Turquie à A. Briand, ministre des Affaires étrangères, daté du 10 janvier 1928, Constantinople.
30) Ladas, op. cit ., p. 383.
31) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 256, f° 178, rapport de E. Percheau, gérant du Consulat de France à Adana et Mersine à A. Briand, ministre des Affaires étrangères, daté du 31 août 1927, Adana.
32) Dans un article paru dans Yeni-Adana, le 18 janvier 1928, les Grecs-orthodoxes d’origine syrienne de Cilicie sont qualifié de traîtres, qui ont collaboré avec les Français, durant la guerre de Cilicie : MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 257, ff. 200-204, rapport de A. Ronflard, Consul de France à Adana et Mersine à A. Briand, ministre des Affaires étrangères, daté du 19 janvier 1928, Adana.
33) Pierre Redan, La Cilicie et le problème ottoman, Paris 1921, p. 42.
34) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, ff. 136-138, rapport de A. Ronfland, Consul de France à Adana, au ministre des Affaires étrangères, daté du 24 juin 1925.
35) Service Historique de l’Armée de Terre (dorénavant cité SHAT), 4H 69, dossier 1, compte-rendu de renseignements n° 112, 26 juin 1926, Beyrouth.
36) Les Mémoires de Mgr Jean Nazlian, évêque de Trébizonde, sur les événements politico-religieux au Proche-Orient de 1914 à 1928, II, Vienne 1955., p. 224.
37) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 256, rapports de A. Ronfland, Consul de France à Adana et Mersine à A. Briand, ministre des Affaires étrangères, f° 63, daté du 20 mai 1926, Adana, f° 67, daté du 19 juin 1926, Adana ; f° 69, daté du 29 juin 1926 ; Nazlian, op. cit., pp. 219-220.
38) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 256, ff. 127-128, rapport de E. Daeschner, Ambassadeur de France en Turquie à A. Briand, daté du 19 janvier 1927, Constantinople ; Nazlian, op. cit., pp. 220-221.
39) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 256, f° 120, rapport de A. Ronfland à A. Briand, daté du 6 novembre 1926, Adana; vol. 256, f° 126, du même au même, daté du 10 janvier 1927, Adana ; vol. 256, ff. 127-128, rapport du E. Daeschner à A. Briand, daté du 19 janvier 1927, Constantinople ; Nazlian, op. cit., pp. 230-233.
40) Nazlian, op. cit., pp. 227-228.
41) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 256, ff. 193-194, lettre du patriarche arménien catholique de Cilicie, Paul-Pierre XIII Terzian et du vicaire général du patriarcat arménien catholique de Cilicie, Jean Nazlian, au Président du Conseil de la SDN, publié dans le bordereau d’envoi du ministère des Affaires étrangères à Paris, daté du 2 juin 1929, Beyrouth.
42) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 10, télégramme du général Weygand, Haut-Commissaire en Syrie et au Liban au ministère des Affaires étrangères, daté du 5 mars 1924, Beyrouth.
43) Commandant Terrier, L’Arménie et les Arméniens, Bibliothèque CHEAM (Centre des hautes études sur l’Afrique et l’Asie moderne), n° 61, février 1931. Pour l’année 1922, Terrier compte 14 766 réfugiés. Dans cette même étude on trouve 8 042 habitants pour janvier 1923. Selon Terrier, cet afflux se poursuit jusqu’en 1924, à la moyenne de 1 000 personnes par mois. A noter aussi que ces réfugiés sont tous des Arméniens.
44) SHAT, 4H 59, dossier : 2, Haut-Commissariat de la République Française en Syrie et au Liban, service de renseignements, bulletin périodique, n° 58, 26 décembre 1922.
45) Sur le nombre des réfugiés grecs arrivés en Syrie, cf. SHAT, 4H 63, dossier 1, Haut-Commissariat de la République Française en Syrie et au Liban, service de renseignements, bulletin périodique, n° 410, 4 janvier 1923, Beyrouth et annexe n° 98 du bulletin de renseignements n° 447, 13 avril 1923, Beyrouth.
46) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, ff. 6-8, rapport du Haut-Commissaire en Syrie et au Liban au Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, daté du 29 février 1924, Beyrouth.
47) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 10, télégramme de Weygand au ministère des Affaires étrangères, daté du 5 mars 1924, Beyrouth.
48) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, ff. 26-31, rapport du général Weygand, Haut Commissaire en Syrie et au Liban au Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, daté du 8 mars 1924, Beyrouth.
49) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, ibidem.
50) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 9, télégramme de Weygand au ministère des Affaires étrangères, daté du 4 mars 1924, Beyrouth.
51) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 64, télégramme de Reffye au ministère des Affaires étrangères, daté du 23 avril 1924, Beyrouth.
52) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 97, télégramme de Weygand au ministère des Affaires étrangères, daté du 7 juin 1924, Beyrouth.
53) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 92-93, télégramme de Reffye au ministère des Affaires étrangères, daté du 23 mai 1924, Beyrouth.
54) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, ff. 68-71, rapport du Haut-Commissaire en Syrie et au Liban au Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, daté du 15 mai 1924, Beyrouth.
55) Une source alawite fait même remonter cette installation en Cilicie à l’époque des Abbasides : cf. Muhamed Amin Ghaleb, Histoire des Alawites, Beyrouth 1979, p. 439 (en arabe) ; Abd al-Rahman al-Khayyir ( Œuvres du cheïkh ), « Critique du livre Histoire des Alawites», Damas 1992, pp. 40-41 (en arabe).
56) Les différentes sources qui nous renseignent sur leur nombre en Cilicie sont : l’ Encyclopédie de l’Islam (nouvelle éd.), VII, Paris-Leiden 1995, pp. 148-150 ; Ghaleb, op. cit., p. 468; SHAT, 4H 104, dossier 2, rapport sur le vilayet d’Adana adressé par le vali Abdurrahman au ministre de l’Intérieur, daté du 7 octobre 1920 ; SHAT, 4H 102, dossier 1, lettre des notables arabes d’Adana, relative à la création d’un Comité du réveil national arabe en Cilicie, adressée au col. Brémond, administrateur en chef des territoires ennemis occupés de la zone nord, Adana le 6 juillet 1919 ; SHAT, 4H 101, dossier 1, Note sur les Arabes (Fellahs) de Cilicie, du lieut.-colonel Capitrel, délégué administratif, Adana le 15 octobre 1920.
57) Ibidem, Note sur les Arabes (Fellah) de Cilicie.
58) SHAT, 4H 102, dossier 1, lettre non signée (émanant du ministère de la Guerre) au col. Brémond, datée de juillet 1919.
59) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 49, télégramme de Reffye, daté du 11 avril 1924, à Beyrouth.
60) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, ff. 88-89, lettre du gérant du consulat de France à Adana, Louis Lucas, adressée à Poincaré, datée du 14 mai 1924, à Adana.
61)MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, page 98-99, lettre du gérant du consulat de France à Adana, Louis Lucas, adressée à Poincaré, datée du 10 juin 1924, à Adana.
62) Ibidem, lettre de Lucas à Poincaré, 14 mai 1924, Adana.
63) Ibidem.
64) Ibidem, lettre de Lucas à Poincaré, 10 juin 1924, Adana.
65) E. T uran, é volutions et recompositions identitaires des populations syriaques, Mémoire de DEA présenté à l’EHESS, 1997, pp. 32-36.
66) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 256, ff. 81-91, publié dans le bordereau d’envoi du ministère des Affaires étrangères sous le titre de «Document émanant du Secrétariat Général de la Société des Nations, Protection des Minorités en Turquie, Observation du Gouvernement turc relative à la situation de la population chrétienne dans la région de Djebel Tour», daté du 14 septembre 1926, à Angora.
67) Les noms actuels de ces villages sont respectivement Midien, Bashaq, Espes et Kivach.
68) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 256, ff. 46-62, publié dans le bordereau d’envoi du ministère des Affaires étrangères à Paris, sous le titre de «Document du Secrétariat général de la Société des Nations, document C. 260-1926. I. Protection des minorités en Turquie», daté du 5 mai 1926.
69) Ce chiffre cité dans le livre de mémoire de Al-Kassy et Hadaya semble être exagéré. Rouchdy lui-même, dans son rapport, fait mention de 161 armes de guerre et de 9 000 cartouches réquisitionnés.
70) Yousouf al-K ASS et le doct. Elias H adaya, Azekh : les événements et les personnages (en arabe), éd. Dar al-Raha (Alep), s. d. (imprimé à Beyrouth), pp. 88-92.
71) Ibidem, pp. 93-95.
72) Rouchdy, op. cit.
73) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 256, ff. 121-125, publié dans le bordereau d’envoi du ministère des Affaires étrangères à Paris, sous le titre de « Document émanant du Secrétariat Général de la SDN. Document C.639.1926.I, Protection des minorités en Turquie, lettre du gouvernement britannique relative à la situation de la population chrétienne dans la région de Djebeltour », daté du 4 décembre 1926, Paris.
74) Parmi toutes les communautés chrétiennes de la région de la Cilicie et de ses environs, la seule qui existe jusqu’aujourd’hui sur place est celle des Syriaques du Tour ’Abdin, bien que leur nombre soit en décroissance considérable et continuelle.
75) Propos recueillis dans une dizaine de témoignages dans la région de la Haute-Djazira, en Syrie, auprès des Arméniens et des Kurdes. Cf. également, MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Arménie, vol. 24, ff. 15-36, rapport du délégué du Haut-Commissaire de la SDN pour les réfugiés à Beyrouth au Haut-Commissaire adjointe pour les réfugiés auprès de la SDN à Genève, daté du 2 décembre 1929, Beyrouth ; MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Arménie, vol. 24, ff. 34-38, rapport du Docteur Basmadjian et de Michel Terganian sur les émigrés arméniens, arrivés récemment et réfugiés dans les régions de Kamichli, Hassatché, Amouda et Karamani aux membres de la Société d’assistance aux réfugiés arméniens, daté du 28 février 1930.
76) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Arménie, vol. 24, ff. 15-16, le 2 décembre 1929, Beyrouth.
77) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Arménie, vol. 24, ff. 1-2, rapport du Haut-Commissaire en Syrie et au Liban au ministre des Affaires étrangères, daté du 8 janvier 1930, Beyrouth.
78) SHAT, 4H 85, dossier 3, Haut-Commissariat de la R.F., état de Syrie, service de renseignements, région de l’Euphrate, bulletin de renseignements n° 80 (10 au 15 oct. 1928).
79) Bibliothèque Nubar, dossier « Office Nansen », Correspondance générale, 1926-1930, lettre de Levon Pachalian à E. Clouzot, au Comité de la Croix Rouge à Genève, le 27 décembre 1929.
80) Zaven Messerlian, « [L’ émigration forcée des Arméniens des provinces intérieures turques], 1929-1930 », Haigazian Armenological Review III (1972), pp. 101-118.
81) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 12, télégramme du ministre des Affaires étrangères au Haut-Commissaire en Syrie et au Liban, daté du 6 mars 1924, Paris.
82) MAE, série Levant 1918-1940, sous-série Turquie, vol. 258, f° 35, 26 mars 1924, Paris.
Suite -