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Novembre 1915
L'Assassinat de l'Arménie
LE PROGRAMME TURC D'ANNIHILATION DÉCRIT PAR
DES REPRÉSENTANTS DU GOUVERNEMENT, DES ENSEIGNANTS, DES
MISSIONNAIRES ET PAR D'AUTRES TÉMOINS DIRECTS.
Les massacres de Chrétiens les plus cruels,
les plus impitoyables, les plus inexcusables, et à l'échelle la
plus étendue au cours de ce dernier millénaire font couler en
Arménie un déluge du sang d'hommes, de femmes et d'enfants. La
population de tous les villages est anéantie par le feu, l'épée
et la déportation. Il semble évident que ce mouvement contre les
Arméniens fait partie d'un plan concerté dirigé contre tous les
habitants non-turcs et chrétiens de Turquie. On estime que le
nombre des tués par les Turcs et les Kurdes en " guerre sainte "
est de 800 000. Au cours des massacres de 1895-96 sous le règne
du sultan Abdul Hamid II, selon des statistiques scrupuleusement
évaluées, 88 243 Arméniens, dont près de 10 000 étaient
protestants, ont été assassinés, plus de 500 000 ont été spoliés
de tous leurs biens, 2 493 villages et villes ont été pillés,
568 églises, dont 50 étaient protestantes, ont été vidées et
détruites, et 282 autres converties en mosquées. En beaucoup
d'endroits, les victimes qui avaient le choix entre la mort ou
l'Islam n'ont pas hésité à choisir de mourir plutôt que de
renier leur foi. En 1909, peu après que les Jeunes Turcs aient
accédé au pouvoir, plus de 5 000 ont été tués à Adana, dans un
massacre dans lequel le gouvernement a nié toute responsabilité.
Aujourd'hui, par contre, le gouvernement Jeune Turc est
responsable d'un programme systématique d'extermination.
L'Allemagne n'est-elle pas, elle aussi, responsable – si ce
n'est pour incitation à passer à l'acte, au moins pour n'avoir
pas exigé de son alliée, la Turquie, qu'elle mette fin,
immédiatement, à cette boucherie. La Turquie n'oserait pas
continuer dans une voie qui pourrait provoquer la perte du
soutien militaire et financier que lui apporte l'Allemagne.
Le texte qui suit est celui de l'ordre
gouvernemental correspondant. Art. 2d. " Les commandants de
l'armée, de corps d'armée indépendants, et de division, peuvent,
en cas de nécessité militaire, et au cas où ils suspectent des
actes d'espionnage ou de trahison, déplacer individuellement ou
en masse, les habitants de villages ou de ville, et les
installer en d'autres lieux ".
Les ordres aux commandants ont pu être à
l'origine raisonnablement humains; mais leur exécution a été
dans la plupart des cas cruellement sévère, accompagnée dans
beaucoup de cas par des brutalités horribles sur les femmes et
les enfants, sur les malades et les vieux. La totalité des
habitants de villages ont été déportés sous préavis de une
heure, sans qu'il leur soit possible de se préparer pour le
voyage, sans même dans certains cas, la possibilité de
rassembler tous les membres de la famille; c'est ainsi que
quelques enfants se sont retrouvés abandonnés.
La lecture des comptes-rendus relatifs aux
peines de l'Arménie est difficile. Beaucoup des faits ont déjà
fait l'objet de publication. Nous en reprenons ici de nombreux
afin de susciter auprès des lecteurs de la Revue une prière ou
une aide financière pour les veuves ou orphelins qui ont
survécu.
Pour des raisons évidentes, les noms des
divers intervenants ne sont pas donnés pour l'instant. Ils sont
connus de l'American Committee, qui se porte garant pour
eux et pour leurs déclarations. Dans la plupart des cas, il est
nécessaire de dissimuler le lieu où les déclarations ont été
écrites, et même le nom des localités et des villes mentionnées,
afin que l'auteur ou ses intérêts ne soient pas exposés à des
atteintes irréparables.
Preuves Documentées
Nous citons quelques-uns des documents qui
sont en possession de l'American Committee:
Les rapports de persécution, de pillage et
de massacre des Arméniens dans les régions intérieures du pays
ont commencé à arriver dès le mois d'avril; l'éparpillement de
ces gens innocents, leur grand nombre, sont manifestement les
indices d'une campagne d'extermination.
10 juillet. Persécution des Arméniens dont
on pense qu'elle atteint des proportions sans précédent. Des
rapports qui en font état, dans des régions très éloignées les
unes des autres, font penser à une tentative systématique
tendant à éradiquer les paisibles populations arméniennes, et
décrivent des arrestations arbitraires, des tortures terribles,
des expulsions et déportations à grande échelle, d'un bout de
l'empire à l'autre, accompagnées dans bien des cas par le viol,
le pillage, l'assassinat tournant au massacre, afin de les
réduire à la misère et à la destruction. Il ne s'agit pas là
d'une réponse à des demandes fanatiques ou populaires; ce sont
des actes purement arbitraires, et organisés depuis
Constantinople. Misère, maladie, famine et perte de vie,
indicibles, se poursuivront sans retenue…
16 juillet. " Déportations de paisibles
Arméniens et abus sur leur personne se multiplient, et à la
lecture des atroces comptes-rendus de témoins oculaires, il
apparaît que l'extermination d'une race est en cours ". Les
protestations et les menaces sont vaines et incitent
probablement le gouvernement ottoman à recourir à des mesures de
plus en plus radicales, déterminé qu'il est à rejeter toute
responsabilité, et ignorant absolument les capitulations, et je
pense que la seule réponse qui convienne à cette situation
serait la force réelle, une force à laquelle les États-Unis ne
sont guère en position d'avoir recours.
31 juillet. " Des Arméniens, femmes et
enfants pour la plupart, déportés de la région d'Erzéroum, ont
été massacrés près de Kemakh, entre Erzéroum et Kharpout ". Des
comptes-rendus similaires nous parviennent d'autres sources,
selon lesquels probablement peu de ces réfugiés atteindront leur
destination…
Dans beaucoup de cas les hommes (ceux en
âge d'être incorporés étaient presque tous dans l'armée) étaient
fermement ligotés les uns aux autres par des cordes ou des
chaînes. Des femmes avec des petits enfants dans les bras, ou
dans les derniers jours de leur grossesse, étaient escortés au
fouet comme du bétail. Trois cas différents m'ont été rapportés
dans lesquels la femme jetée sur la route, poussée à marcher
plus vite, était morte d'une hémorragie. Je connais également un
cas où le gendarme impliqué, une personne empreinte d'humanité,
avait permis à la pauvre femme qu'elle se repose pendant
plusieurs heures, puis procuré une charrette pour qu'elle y
monte. Quelques femmes étaient épuisées et désespérées à tel
point qu'elles abandonnèrent leurs enfants au bord de la route.
Beaucoup de femmes et de filles ont été outragées. En un
endroit, le commandant de gendarmerie dit ouvertement aux hommes
sous ses ordres qu'ils étaient libres de faire leur choix parmi
les femmes et les filles…
Pratique de la Torture
Le problème a commencé pour les Arméniens,
comme pour toutes les autres nationalités, avec la mobilisation
des soldats. Le gouvernement a accaparé tous les hommes pour le
service militaire. Des centaines de soutiens de famille durent
quitter leur maison, forcés d'abandonner à leur sort femme et
enfants. Dans beaucoup de cas, les derniers sous étaient
dépensés pour équiper le soldat sur le départ, laissant la
famille dans un dénuement pitoyable. Un certain nombre
d'Arméniens aisés payèrent la somme prévue pour être exemptés
des obligations militaires. Un nombre plus grand d'entre eux s'y
sont soustraits d'une façon ou d'une autre, en sorte qu'il
restait dans les villages, après le départ des soldats, plus
d'Arméniens que de Turcs. Cela rendit le gouvernement
soupçonneux et l'effraya. La découverte de complots arméniens
contre le gouvernement dans d'autres lieux rajouta à ce
sentiment. Les problèmes arméniens s'aggravèrent au début du
mois de mai. Au milieu de la nuit, près de vingt chefs de partis
politiques nationaux arméniens furent rassemblés et envoyés dans
les prisons où ils sont encore. En juin, le gouvernement
commença à rechercher les armes. Quelques-unes furent saisies
chez les Arméniens et par la torture, on fit avouer qu'une
grande quantité d'armes étaient détenues par certains Arméniens.
Une deuxième inquisition commença. On recourait fréquemment à la
bastonnade, ainsi qu'au supplice du feu (plusieurs cas de yeux
arrachés ont été rapportés). Beaucoup de fusils furent déposés,
mais pas tous. Les gens avaient peur, s'ils rendaient les armes,
d'être massacrés comme en 1895. Les armes avaient été
conservées avec la permission du gouvernement après la
déclaration de la constitution, et ne servaient qu'à
l'auto-défense. La torture continuait de régner, et sous son
influence, des faits firent leur apparition en leur temps. Du
fait de la tension nerveuse et des souffrances physiques,
beaucoup de choses furent dites qui étaient en fait sans aucun
fondement. Ceux qui infligeaient la torture disaient à la
victime qu'ils espéraient qu'elle avoue, puis les battaient
jusqu'à ce qu'elle le fasse. Le mécanicien du collège avait créé
un "boulet" en fer pour les jeux athlétiques, et il fut
terriblement battu pour avoir entrepris la fabrication de bombes
au collège. Quelques bombes furent découvertes au cimetière
arménien, ce qui chauffa à blanc la fureur des Turcs. Il
faudrait dire qu'il est très probable que ces bombes avaient été
enterrées du temps d'Abdul Hamid…
Grâce à l'intervention d'un Turc, et
moyennant le paiement d'une somme de 275 livres turques, on
parvint à libérer ceux des enseignants du collège qui avaient
été arrêtés et à obtenir une suspension des procédures engagées
contre tous les enseignants et employés, Ce même Turc dit plus
tard qu'il pourrait obtenir l'exemption totale du collège
moyennant le paiement d'une somme supplémentaire de 300 livres.
L'argent fut promis, mais après quelques négociations, d'où il
ressortit qu'aucune exemption n'était définitivement assurée, on
en resta là…
Panique et agression
La panique qui régnait dans la ville était
extrême. Les gens avaient le sentiment que le gouvernement était
décidé à exterminer la race arménienne, et qu'ils n'avaient pas
les moyens d'y résister. Les gens étaient sûrs que les hommes
avaient été tués et les femmes kidnappées. Beaucoup des détenus
dans les prisons avaient été libérés, et les montagnes autour de
…. étaient pleines de bandes de hors-la-loi. On craignait que
les femmes et les enfants soient emmenées à distance de la ville
et livrés à ces hommes. Quoi qu'il en soit, il y a des cas
prouvés de kidnapping de jeunes filles attrayantes par les
officiels turcs de …. Un musulman a rapporté qu'un gendarme lui
avait offert deux filles pour un medjidieh [pièce de
monnaie ayant cours en Turquie ndt]. Les femmes pensaient que
leur sort serait pire que la mort, et beaucoup gardaient du
poison dans leur poche pour le cas où ce serait nécessaire.
Quelques-uns portaient pioches et pelles pour enterrer, ils le
savaient à l'avance, ceux qui aller mourir sur le bord des
routes. Dans cette ambiance de terreur, il était dit qu'il était
facile d'en réchapper; que quiconque acceptait l'Islam serait
épargné dans sa maison. Les bureaux des avocats qui
enregistraient les candidatures étaient investis par des gens
désireux de devenir des mahométans. Beaucoup le firent pour
préserver leur femme et leurs enfants, pensant que le calme
reviendrait au bout de quelques semaines.
Cette déportation se poursuivit à
intervalles d'à peu près deux semaines. Il est estimé sur les
12 000 Arméniens à peu près vivant à …, il ne restait que
quelques centaines. Même ceux qui avaient accepté l'Islam
avaient été emmenés…
Déportation forcée
28 juin 1915
Je veux vous informer de la situation ici.
C'est très grave et s'aggrave de jour en jour. Je suppose que …
vous a informé des choses horribles qui se passent à …. Le même
règne de la terreur a commencé à s'installer ici aussi. Chaque
jour, la police cherche des armes dans les maisons des
Arméniens, et même s'ils n'en trouvent aucune, ils emmènent les
hommes les plus honorables et les emprisonnent; certains d'entre
eux sont déportés, d'autres torturés au fer rouge pour avouer où
ils cachent des armes hypothétiques. Il y a quatre semaines, ils
ont déporté 15 hommes et leur famille, les conduisant à… dans le
désert, à trois journées de marche d'ici vers le sud.
La gendarmerie semble avoir en totalité le
contrôle des affaires et c'est le mutessarif [gouverneur,
nommé par le gouvernement central et placé sous son autorité,
ndt] qui les dirige. Environ 100 des meilleurs citoyens de la
ville sont en prison; le chef de la gendarmerie a appelé
aujourd'hui l'évêque arménien et lui a dit que sauf à remettre
les armes et à dénoncer les révolutionnaires se trouvant parmi
elle, il avait des ordres pour déporter la totalité de la
population arménienne de… comme avait été déportée la
population de….
Le récit d'une veuve
Une semaine avant que rien ne se soit
produit à …, les villages tout autour avaient été vidés de leurs
habitants, livrés aux gendarmes et aux bandes de brigands en
maraude. Trois jours avant le départ des Arméniens de …, après
avoir été emprisonné pendant une semaine, l'évêque de … a été
pendu, avec sept autres notables. Après ces pendaisons, sept ou
huit autres notables ont été tués dans leur propre maison, ayant
refusé de s'en aller de la ville. Soixante et dix à quatre-vingt
autres Arméniens, après avoir été battus en prison, ont été
emmenés dans les bois et tués. La population arménienne de … a
été expulsée en trois groupes; je faisais partie du troisième
groupe. Mon mari est mort il y a huit ans, me laissant avec
notre fille âgée de huit ans et avec ma mère dont l'importante
fortune nous permettait de vivre confortablement. Depuis que la
mobilisation a été décrétée, le commandant de … vit gratuitement
dans ma maison. Il m'a demandé de ne pas m'en aller, mais j'ai
pensé qu'il était de mon devoir de partager le sort de mon
peuple. J'ai pris avec moi trois chevaux chargés de provisions.
Ma fille avait autour du cou quelques pièces de cinq livres, et
je portais sur moi quelques vingt livres et quatre bagues
serties de diamants. Tout le reste de ce que nous avions a été
abandonné derrière nous. Notre groupe s'est mis en route le 1er
juin (ancien calendrier); quinze gendarmes nous accompagnaient.
Le groupe était constitué de cinq à six cents personnes. Nous
n'avions pas quitté notre maison depuis seulement deux heures,
que des bandes de villageois et de brigands en grand nombre,
armés de fusils, de pistolets, de haches etc., nous entourèrent
sur la route et s'emparèrent de tout ce que nous avions. Les
gendarmes m'ont pris les trois chevaux qu'ils ont vendus aux
mouhadjirs [Musulmans réfugiés des
Balkans, ndt] turcs, empochant l'argent. Ils ont pris mon
argent et celui que ma fille portait autour du cou, et aussi
toutes nos provisions. Après cela, ils ont séparés les hommes,
et les ont abattus un à un, tous, en six ou sept jours – tous
ceux de sexe masculin au-delà de quinze ans. Ces bandits se sont
emparé de toutes les femmes belles et les ont emportées sur leur
cheval. Très nombreuses étaient les femmes et les files qui
furent emmenées dans les montagnes, et parmi elles se trouvait
ma sœur, dont ils jetèrent le bébé d'un an; un Turc l'a pris et
emporté je ne sais où. Ma mère a marché jusqu'à ne plus pouvoir
aller plus loin, et se laissa tomber au bord de la route au
sommet d'une montagne. Nous avons trouvé sur la route beaucoup
de ceux partis du village de … avec les groupes précédents;
quelques femmes étaient parmi les tués, avec leur mari et leurs
enfants. Nous avons également rencontré quelques personnes âgées
et enfants, encore vivants mais dans un état pitoyable,
incapables de parler. Il ne nous était pas permis de dormir la
nuit dans les villages; nous étions abandonnés dans leurs
alentours. Dans la nuit, des actes indescriptibles étaient
commis par les gendarmes, les brigands et les villageois sous
couvert de l'obscurité. Beaucoup parmi nous moururent de faim et
d'attaques d'apoplexie. D'autres étaient abandonnés au bord de
la route, trop faibles pour continuer.
Un matin, nous avons vu un convoi de
cinquante à soixante chariots avec environ trente veuves turques
dont les maris avaient été tués à la guerre; et elles étaient en
route pour Constantinople. Ces femmes voulaient bien prendre ma
fille avec elles, mais elle refusa de se séparer de moi.
Finalement, ayant promis de devenir musulmanes, on nous fit
monter toutes les deux dans leurs chariots. Aussitôt montées à
bord du araba [voiture hippomobile, en arabe ou en turc,
ndt], elles commencèrent à nous apprendre comment se comporter
en musulmanes, et changèrent nos noms en … et … .
Le Sort des Exilés
S'il ne s'agissait que d'être obligé de
s'en aller d'un endroit pour aller à un autre, ce ne serait pas
si grave, mais tout le monde sait qu'en réalité, il s'agit
d'aller à sa mort. S'il subsistait un seul doute sur ce point,
il aurait disparu à l'arrivée de plusieurs convois, comptant
plusieurs milliers de personnes, partis d'Erzéroum et d'Erzingan.
J'ai visité plusieurs fois leur campement et parlé avec certains
d'entre eux. On ne peut imaginer une scène aussi pitoyable. Ils
sont, presque sans exception, exténués, affamés, et malades.
Cela n'est pas surprenant, lorsqu'on sait que pendant presque
deux mois, ils étaient sur la route, sans qu'il leur soit
possible de changer de vêtements, de se laver, sans un endroit
pour s'abriter et avec peu de nourriture. Le gouvernement leur a
donné ici quelques maigres rations. Je les ai observés une fois
lorsque leur nourriture a été apportée. Des animaux sauvages ne
se comporteraient pas autrement. Ils se sont rués sur les gardes
qui portaient la nourriture et les gardes les ont fait reculer à
coups de matraque, les frappants quelquefois assez fort pour les
tuer. À les voir, on pourrait difficilement croire que ce sont
des êtres humains.
Tandis qu'on se déplace dans le camp, les
mères montrent leur enfant et demandent qu'on veuille les
prendre. En fait, les Turcs ont choisi parmi ces enfants et ces
filles, ceux qui leur serviront d'esclaves ou ceux qu'ils
destinent à un sort pire encore. En fait, ils ont même fait
venir leur docteur pour examiner les filles et les aider dans
leur choix.
Il y a très peu d'hommes parmi eux, la
plupart d'entre eux ayant été tués sur la route. Tous racontent
le même récit des attaques et des vols par les Kurdes. Pour la
plupart, ils avaient été attaqués encore et encore, et un grand
nombre d'entre eux, spécialement les hommes, avaient été tués.
Des femmes et des enfants aussi avaient été tués. Beaucoup
étaient morts, inévitablement, de maladie et d'épuisement le
long de la route, et il y a parmi eux des morts chaque jour
depuis qu'ils sont arrivés ici. Plusieurs groupes différents une
fois arrivés, après être restés sur place un jour ou deux, ont
été forcés de reprendre la route sans destination apparente.
Ceux qui sont parvenus jusqu'ici ne représentent qu'une faible
proportion, cependant, de ceux qui ont été forcés de prendre a
route. En continuant à traiter ces gens de cette façon il sera
possible d'en être débarrassé dans un temps relativement court.
Un Plan pour Intervenir
Le Vicomte Bryce, anciennement ambassadeur
britannique aux États-Unis, a adressé, par l'intermédiaire d'Associated
Press, un vigoureux appel à l'Amérique pour qu'elle tente
d'arrêter le massacre des Arméniens. Lord Bryce n'est pas de
ceux qui présentent les faits de façon erronée ou exagérée.
Entre autres choses, il a dit : " À Trébizonde, où les Arméniens
étaient plus de dix mille, des ordres sont venus de
Constantinople pour arrêter tous les Arméniens. La troupe les a
arrêtés, les a conduits sur la côte, les a embarqués, jetés
par-dessus bord et tous noyés – hommes, femmes et enfants. Cela
a été vu et rapporté par le Consul italien ".
Les déclarations de Lord Bryce sont
confirmées par des rapports issus directement de ceux qui les
ont recueillis en premier.
Du peuple arménien dans son ensemble, un
tiers au moins a disparu, et ce tiers inclut les dirigeants de
tous les domaines de la société, les marchands, les
professionnels, les pasteurs, les évêques, et les
fonctionnaires. Rien n'est sûr pour ceux qui sont libres pour
l'instant. Ce n'est qu'au moyen de mesures provisoires, telles
que corruption ou faveurs spéciales, que de tels sursis ont pu
se produire.
" Il semble possible de faire quelque chose
pour sauver ceux qui restent. Un permis a été obtenu récemment
par l'intermédiaire de l'Ambassade allemande pour ceux en
relation avec la Mission allemande, enseignants et leur famille,
orphelins et employés, une centaine de personnes, pour qu'ils
restent. Il est temps que l'Amérique prenne les dispositions
possibles pour obtenir par l'intermédiaire de l'Ambassade
américaine un permis pour le reste des Arméniens de rester dans
leur maison ou se réfugier sans armes dans un territoire plus
hospitalier.
Intérêt des Missions Américaines
L'Amérique a plus d'intérêts en Turquie
que n'importe quel autre pays, peut-être même plus que toute
l'Europe ensemble. Cet intérêt n'est pas politique, mais
humanitaire. En 1819, l'American Board of Commissionners for
Foreign Missions [ Conseil Américain des Administrateurs de
Missions à l'Étranger] a commencé à travailler dans l'Empire
ottoman, et depuis bientôt un siècle, poursuit ses travaux avec
vigueur et avec autant de prévoyance et de vision qu'aurait un
homme d'état. Les missionnaires ont apporté dans ce pays presse
et littérature périodique, médecine moderne et hygiène, hôpital
moderne, industries nouvelles et entreprises commerciales,
éducation occidentale, jusqu'aux établissements d'enseignement
secondaire et supérieur. Quelques-unes de ces institutions sont:
le Syrian Protestant College à Beyrouth avec ses écoles
supérieures; le Robert College de Constantinople; et le
Constantinople College for Girls, constituée chacune en
société commerciale aux USA et valant chacune plus d'un million
de dollars. À côté de ces institutions de réputation
internationale, il en existe d'autres, comme l'International
College à Smyrne, l'Anatolia College à Marsovan, le
Teacher's College à Sivas, l' Euphrates College à
Kharpout, le Van College à Van, l'Aintab
College à Aintab, le Central Turkey College of Women
à Marash, l' American Collegiate Institute for Girls à
Smyrne, le St Paul’s College à Tarse, et, en outre,
trois fois ce nombre en établissements secondaires et académies
avec leur écoles intermédiaires et préparatoires sur tout le
territoire depuis Smyrne jusqu'à la Perse, et depuis la Mer
Noire jusqu'à l'Arabie.
Parmi les nombreuses institutions en
difficulté, il y a l'American Mission College à
Kharpout. L'un des correspondants dignes de foi écrit: " Les
deux tiers environ des élèves filles, et les six septièmes des
garçons ont été pris pour mourir, pour être déportés ou enfermés
dans la maison de Musulmans. Parmi nos professeurs, quatre sont
partis et il en reste trois.
" Le professeur Tenekejian, qui était le
représentant protestant des Américains auprès du gouvernement, a
été arrêté le 1er mai. Aucune accusation n'était portée contre
lui, mais les cheveux sur sa tête, les poils de sa moustache et
de sa barbe ont été arrachés dans une tentative vaine de le
faire avouer. Il a été privé de tout et pendu par les bras
pendant une journée et une nuit entière et battu à plusieurs
reprises. Vers le 20 juin, il a été emmené vers Diyarbékir et
tué dans un massacre collectif sur la route.
" Le professeur Nahiguian, qui a étudié à
Ann Arbor, a été arrêté vers le 5 juin et a subi le même sort
que le professeur Tenekejian sur la route.
" Le professeur Vorperian, un citoyen de
Princeton, a été arrêté pour lui montrer un homme qui a été
battu presqu'à mort devant lui. Il est parti sous escorte pour
la déportation avec sa famille, vers le 5 juillet, et a été tué
juste après Malatya.
" Le professeur Boujicanian, diplômé
d'Edinburgh, a été arrêté en même temps que le professeur
Tenekejian; il a subi les mêmes tortures, les ongles de trois
doigts lui ont été arrachés depuis la racine, pour être ensuite
tué au cours du même massacre.
" Parmi les enseignantes, il a été rapporté
que l'une d'entre elles avait été tuée à Chunkoosh, et il a été
rapporté qu'une autre avait été enfermée dans un harem turc; on
n'a plus entendu parler de trois d'entre elles; quatre sont
parties en déportation, et dix sont libres.
Le peuple Arménien a répondu sans réserves
à l'appel de l'éducation moderne. La majorité des 25 000
étudiants dans les écoles au nord de la Syrie étaient issus de
cette race historique et énergique. Ils ont suivi les cours aux
États-Unis par milliers. On peut dire que l'Amérique a découvert
la race arménienne et l'a accompagnée dans le monde occidental.
Il convient donc éminemment, qu'en ces temps de lutte à mort,
d'Amérique soit la première à élever la voix pour protester, et
la plus prête à intervenir pour sauver cette nation de
l'annihilation.
Il y a actuellement quelques quatre cents
Américains en Turquie liés avec différents conseils et
institutions. En outre, dix fois plus nombreux sont ceux qui,
originaires du pays, en majorité Arméniens, Grecs, et Syriens,
s'étaient attachés à apporter à ce pays la bénédiction de la
civilisation chrétienne. Ces Américains restent à leur poste,
s'efforçant de toutes les façons en leur pouvoir d'apaiser et
sauver leur peuple.
Selon certains, les Juifs subiront à leur
tour le sort des Arméniens et des Grecs. Dans l'ensemble, les
Turcs n'éprouvent pas, envers les Arméniens et les Grecs, des
sentiments hostiles; les indications à cet égard sont
nombreuses; s'ils n'étaient pas forcés d'exécuter ces mesures
drastiques d'extermination, ils ne le feraient pas. Certains se
sont exprimés pour dire que ces mesures ne sont pas dans
l'esprit mahométan et contrarient les préceptes de leur
religion.
Dans beaucoup d'endroits, les autorités
locales turques ont vigoureusement protesté. Le Gouverneur de …
a été rappelé à Constantinople pour répondre à l'accusation de
n'avoir pas obéi aux ordres d'exécuter les mesures drastiques du
gouvernement central. D'autres ont dit aux missionnaires que les
mesures étaient des plus cruelles, inutiles et même désastreuses
pour le pays, mais qu'ils étaient à la fin forcés d'obéir; les
gouverneurs qui traînaient les pieds ou refusaient d'obéir
étaient déplacés, comme celui de …, remplacé par le Gouverneur
de …, qui avait déjà exécuté avec vigueur l'ordre de massacre et
d'extermination.
Jusqu'ici, comme on peut le démontrer, les
deux officiers turcs Enver pacha et Talaat bey, sont la source
de ces mesures. Nombreux sont ceux qui croient (et parmi eux
sont en grand nombre les missionnaires et d'autres) qu'Enver
pacha est aux ordres du Kaiser.
Qui sont les Arméniens ?
Au sens strict du terme, il n'y a pas
actuellement, d'Arménie. Ce nom n'est employé ni politiquement,
ni géographiquement pour définir un territoire précis. Lorsqu'on
l'emploie, le nom renvoie en général à une région centrée sur le
lac de Van en Turquie asiatique, et s'étendant de là vers le
nord et le sud-ouest. L'ancienne Arménie était un pays dont les
frontières changeaient continuellement en fonction des fortunes
de la guerre. La partie la plus étendue de la région fait à
présent partie de l'Empire ottoman, et est également appelée
Kurdistan,. Cette région ne comporte qu'une fraction de la race
arménienne. Elle est habitée par des Turcs, des Arméniens, des
Russes, des Perses, des Kurdes, des Circassiens, des Grecs, des
Nestoriens, des Yézidis, des Syriens, et des Juifs.
Le début de l'histoire des Arméniens est à
ce point mélangé avec le mythe et la légende que la vérité est
difficile à trouver. Au cours des périodes assyriennes et
médiques régnait dans le bassin du Lac de Van une monarchie
organisée, avec une puissance militaire forte. De temps à
autres, ils étaient des opposants formidables aux Mèdes. Ce pays
était bien connu des Assyriens déjà au neuvième siècle avant JC.
Il était peuplé de quatre races – les Maïri, les Urarda, les
Minni et les Hittites.
Ces races semblent avoir maintenu leur
indépendance jusqu'au règne d'Assurbanipal vers 640 avant JC,
lorsque le dernier roi de leur dynastie tomba sous le joug
assyrien.
Mais, au temps d'Hérodote, tout semble
indiquer qu'un peuple étrange soit entré dans ces terres,
apportant avec lui une langue nouvelle, de nouveaux noms et
coutumes, et une religion nouvelle. La source dont il était issu
est incertaine. Hérodote et Stephen croient qu'il vient de
Phrygie, bien que leur langage et leur religion suggèrerait
plutôt la Médie. Une chose est certaine: les anciens touraniens
avaient cessé de régner, et la race arménienne avait été formée,
sans doute issue d'un mélange de tribus aryennes avec les
populations primitives touraniennes. (Le mot " Arménie ",
employé dans Isaïe 37:38 et 2 Kings est une traduction
incorrecte pour " la terre d'Ararat ". Les preuves selon les
normes actuelles de l'histoire arménienne qui décrit les
événements de quelques seize siècle ne sont pas connues. Selon
elle, le premier souverain d'Arménie est Haïk, fils de Torgamah,
fils de Gomar, fils de Japheth, fils de Noé. L'histoire
arménienne rapporte également qu’à l’époque de la captivité
d’Israël, un certain nombre d'Hébreux s’enfuirent vers les
montagnes d’Arménie et que des mariages eurent lieu entre les
deux peuples. Plus tard, le roi arménien Kikran (Tigrane) était
ami et allié de Cyrus. Son successeur était Vahakn, célébré dans
des chansons et des récits pour ses grandes victoires, déifié
après sa mort.
En 67 avant JC, l’Arménie devint une alliée
de Rome, mais s’étant rebellé, leur roi, Ardavaz, fut capturé
par Pompée et décapité à Alexandrie par Cléopâtre, en 30 avant
JC, et le pays devint tributaire de Rome. Le pays sombra alors
dans les troubles au cours des deux siècles et demi qui
suivirent. Les constants efforts de la Perse tendaient à imposer
aux Arméniens, au lieu de sa religion chrétienne, le Mazdéisme à
sa place. À cette fin, des persécutions cruelles furent
commises, et des incursions fréquentes eurent lieu. Entre 632 et
859 après JC, l’Arménie était le cadre de combats presque
incessants entre l’Empire de l’est et les Mahométans, et elle
devint tour à tour soumise à l’un et à l’autre. Elle maintînt
son indépendance jusqu’à 1375, lorsque le dernier roi arménien
Léon VI, fut capturé par les égyptiens et banni.
À partir de là, l’Arménie perdit son
existence nationale distincte. La plus grand partie de son
territoire fut annexée à la Turquie, tandis que la partie située
à l’est resta soumise à la Perse et la partie nord-est à la
Russie. La Russie étendit son emprise à une autre partie
importante de l’Arménie en 1878.
S’agissant de qualités morales, l’Arménien
se compare favorablement avec les autres races de l’orient. Les
Arméniens sont des cultivateurs, des artisans, des marchands et
des banquiers. Ils sont persévérants, et avisés dans le domaine
financier. En Turquie asiatique, seuls les Grecs soutiennent la
comparaison avec eux dans le négoce, les techniques, le sens des
affaires, et l’intelligence en général. En dépit de la
progression de la pauvreté partout en Turquie, les Arméniens,
jusqu’aux massacres de 1895-96, s’en tiraient mieux que les
autres races. Le nombre d’Arméniens dans le monde est estimé à 2
à 3 millions, dont les deux tiers résident en Turquie. Les
autres sont en Russie, en Perse, aux Indes, en Chine, en
Afrique, en Europe, en Amérique du nord et du sud, et dans
d’autres pays. Jusqu’à présent, la nation a préservé sa
spécificité à un niveau remarquable, ressemblant en cela, comme
en d’autres caractères, aux Juifs. Avec leur dispersion à
travers le monde, cependant, les Arméniens se marient avec les
autres races, et une tendance à la désintégration de la race est
clairement apparue.
L’Église et la foi arméniennes
Les auteurs arméniens soutiennent que
l'Église arménienne remonte au temps du Christ. D’après Moïse de
Khorène, l’historien arménien, un Agbar ou Agbarus, roi d’Édesse
aurait été converti après avoir entendu les merveilleux prêches
de Jésus, et aurait été baptisé par Thaddée, l’un des soixante
et dix disciples qui furent les premiers envoyés comme
missionnaires. Cet Agbar est tenu par les Arméniens pour avoir
été leur roi, bien que Tacite lui ait donné le titre de roi des
Arabes.
Mais ce n’est pas avant le quatrième siècle
que la nation arménienne dans sa totalité, a accepté le
christianisme. C’est au début de ce siècle que Grégoire
l’Illuminateur, prédicateur à la cour d’Arménie, obtînt que
dorénavant, le Christianisme soit la religion des Arméniens.
Pour cette raison, l’Église arménienne est souvent
appelée " Église grégorienne ". Les Arméniens eux-mêmes,
cependant, l'appellent " Église de l'Illuminateur " ( Loussavorchagan
).
La persécution, comme habituellement, ne
servit qu'à renforcer le sentiment religieux du peuple, qui à
partir de cette époque, s'est identifié à sa nationalité. Sous
la domination turque, chaque communauté religieuse était
assimilée à une communauté politique. L'Église arménienne est en
ce moment un peu plus que cela. Elle est par conséquent,
inséparablement identifiée à la race, et tient en grande partie
du Christianisme oriental.
Parmi les caractéristique essentielles de
la foi des Arméniens, on trouve :
1.
Ils croient que l'Esprit procède seulement du Père.
2.
Ils acceptent sept sacrements, bien qu'en pratique, le
baptême, la confirmation, et l'onction soient entremêlées.
3.
Ils baptisent les enfants dès huit jours ou même avant
par immersion à trois reprises, leur offrant immédiatement la
communion.
4.
Ils acceptent la transsubstantiation et le culte des
éléments consacrés de Dieu.
5.
Ils ont le pain sans levain, qui est trempé dans le vin
et donné aux fidèles du peuple en communion, qui le reçoivent
dans la bouche des mains du prêtre.
6.
Ils prient pour les défunts, mais n'admettent pas le
Purgatoire.
7.
Ils pratiquent la confession auriculaire recueillies par
le prêtre, qui impose pénitence et donne l'absolution, mais ne
dispense pas les indulgences.
8.
Ils prient la Vierge et les Saints, et ont foi en leur
médiation. Comme les Grecs, ils rejettent les images et
acceptent les portraits.
9.
Ils croient en la virginité perpétuelle de Marie, " Mère
de Dieu ".
10.
Ils voient dans le baptême et la régénération une seule et même
chose, et n'ont pas le concept pratique de naissance nouvelle.
Ils sont tous sauvés s'ils ont reçu les sacrements, fait
pénitence, observé les fastes de l'Église, et œuvré comme il
convient.
11.
Le pêché originel est absous par le baptême, et les pêchés réels
par la confession et la pénitence.
Les messes sont
dites dans les églises tous les matins à l'aube, et tous les
soirs au coucher du soleil, toute l'année. L'autel est
invariablement tourné vers l'est. Le sacrement du Souper du
Seigneur est observé deux fois par semaine, mais le peuple n'y
prend habituellement part que deux fois par an. La messe est
considérée comme l'un des rites formels de l'Église. La
confession par un prêtre est une préparation nécessaire à sa
participation.
À l'origine,
l'Église était sous l'autorité spirituelle d'un Catholicos
unique, qui était vicaire général. Il résidait alors à Sivas,
mais des contestations apparurent et avec elles des divisions,
en sorte que cette charge fut désormais dévolue à trois
dignitaires. Seul le Catholicos a le pouvoir d'ordonner les
évêques et de consacrer l'huile sacrée employée dans les
diverses cérémonies de l'Église.
Aux côtés du
Catholicos, il y a en Turquie deux patriarches, l'un résidant à
Constantinople et l'autre à Jérusalem. Ces fonctions ont été
établies par l'autorité mahométane à des fins purement
politiques. Le patriarche doit avoir un siège épiscopal, mais à
sa dimension spirituelle est adjointe un rôle politique
considérable envers le gouvernement, s'agissant des questions
civiles qui concernent les Arméniens grégoriens. Le Patriarche
de Constantinople est reconnu, en vertu de sa mission, comme le
chef civil de l'Église arménienne en Turquie. Les prêtres sont
mariés, et doivent avoir une épouse au moment de leur
ordination, mais ne peuvent en aucun cas se remarier. Le prêtre
ne peut pas devenir évêque à moins que sa femme ne décède.
Missions
Évangéliques en Arménie
Les obstacles au
travail de missions évangéliques parmi les Arméniens ont été
nombreux. Parmi ces obstacles, (1) l'idée que l'église est
consubstantielle avec la race arménienne, en sorte que quiconque
se retire de l'Église perd sa nationalité. (2) L'Église est déjà
et nominalement chrétienne, mais la vie chrétienne a peu de
relations avec la confession chrétienne. (3) La paupérisation et
l'oppression imposées aux Arméniens, et la rudesse de la vie
orientale. (4) L'attirance opérée par l'Occident sur les jeunes,
comme un refuge contre l'oppression et les massacres, et
l'émigration des meilleurs d'entre les jeunes qui en résulte.
Il y a eu
cependant quelques encouragements spécifiques au travail parmi
les Arméniens : La nature religieuse de la race, et le fait
qu'ils acceptent la Bible comme l'expression de Dieu. (2) Le
désir général d'éducation. (3) La relation particulière des
Arméniens avec les quatorze millions de citoyens d'autres races
avec lesquels ils cohabitent, et qui peuvent être approchés par
l'Église évangélique arménienne. (4) Depuis que le travail des
missions a commencé avec les Arméniens, on a vu le rejet graduel
de leurs superstitions et de leur croyance dans les rites, et un
éveil marqué vis-à-vis de l'éduction. (5) Ces années récentes,
du fait de la demande pressante du peuple pour le prêche de
l'Évangile, les évêques et quelquefois les prêtres et les
professeurs, prêchent, et leurs sermons sont souvent à caractère
évangélique et pleins de conseils sains. Quelques vingt mille
Arméniens en Turquie sont membres des Églises chrétiennes
évangéliques et beaucoup d'autres ont reçu la lumière grâce au
travail des missionnaires protestants.
http://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=mdp.39015010805615#view=1up;seq=7
QUI PEUT SAUVER L'ARMÉNIE ?
30 octobre, 1915
QUE FAIRE au sujet des atrocités arméniennes? La
question agite les pensées de beaucoup. Le gouvernement
a fait des démarches informelles auprès de la Turquie
par l'intermédiaire de l'Ambassadeur Morgenthau
" insistant sur le mauvais effet sur l'opinion
américaine du traitement des Arméniens ", mais au-delà
de cela, indique la dépêche de Washington, rien de plus
ne peut être fait. Un télégramme venu de Londres nous
informe que Lord Bryce aurait dit que " seule une
puissance peut arrêter les atrocités arméniennes, et
c'est l'Allemagne ". La presse allemande, cependant,
avertit précisément les États-Unis que " non seulement
les Allemands n'interféreront pas avec le massacre d'
'infidèles' par les Turcs, mais qu'ils ne toléreront
aucune interférence des États-Unis ". Le Frankfurter
Zeitung relève, avec une logique qui n'appartient qu'à
lui, que l'affaire des Arméniens ne regarde pas plus
l'Allemagne que ne la regardait le lynchage des Nègres.
Un auteur du Vossische Zeitung ajoute que:
" La question arménienne est une discussion purement
théorique sur l'humanité. Nous avons actuellement des
combats à mener pour assurer notre existence même.
L'instinct politique des hommes d'état américains
devrait le leur dire tout autant, en particulier dans la
situation politique aujourd'hui, très différente de ce
qu'elle était il y a deux mois. En conséquence, la
Quadruple Entente devrait remporter les mêmes succès,
avec l'hypocrisie des boules puantes et la calomnie
lancées actuellement, que ceux remportés jusqu'à présent
en Europe Occidentale par le recours à des armes
honorables ".
Lorsque la presse allemande décide que ce qui est apparu
aux yeux des Américains comme un crime contre l'humanité
est 'une discussion purement théorique', observe le
Syracuse Post Standard, 'nous avons appris à nous
attendre à ce que ses opinions soient reprises par
chaque intellectuel de ce pays qui se prétend le seul à
pouvoir être qualifié de neutre'.
" Une attente qui ne sera pas déçue. H. L. Mencken,
l'auteur de deux livres excellents sur la philosophie de
Nietzsche natif d'Amérique, explique toute l'affaire
arménienne dans un paragraphe:
" L'industrie du secours à la Belgique s'étant
graduellement tarie, en sorte qu'il est à présent
presque impossible de tirer de l'argent de livres [sur
ce sujet], les professionnels de la levée de fonds qui
s'y étaient engouffrés vont employer leur talent à
collecter des fonds pour les Arméniens massacrés. Cet
engouement arménien a été initié et entretenu suivant un
schéma classique, par le bureau de presse londonien. Les
mêmes Arméniens qui étaient exterminés en 1896 sont à
présent exterminés de nouveau. La seule différence est
que dans le cas présent, l'accommodant Secrétaire
Lansing a ranimé les dénonciateurs d'atrocités en
adressant une note morale au gouvernement turc. La mise
en circulation de telles notes constitue l'une des
principales tâches du Département d'état ".
Des agences dans ce pays, à côté du gouvernement,
s'efforcent de relever les atrocités en Allemagne et en
Turquie au nom des peuples frappés. Un citoyen privé
lance un appel pressant d'adresser à l'Empereur allemand
en personne des lettres " protestant contre le fait
qu'il tolère l'assassinat de femmes et d'enfants par ses
alliés ". Cela ne coûte rien en dehors des cinq cents
que coûte le timbre. " Cinq mille lettres à cinq cents
chacune peuvent sauver cinq cent mille femmes et enfants
d'une mort des plus horribles. Qui les écrira? La
première est partie ". Une réunion a été récemment tenue
au Century Theater de New York, sous les auspices d'un
comité d'Américains de premier ordre et d'Arméniens bien
connus, à l'issue de laquelle les résolutions suivantes
ont été votées.
" Attendu que le monde civilisé a été choqué par une
suite de massacres et de déportations d'Arméniens dans
l'Empire turc, et
" Attendu que ces crimes et outrages qui ont été commis
sur un peuple diligent, économe et pacifique, ne
trouvent, à la lumière du droit ou de l'humanité, aucune
justification, et
" Attendu que ceux des Arméniens qui survivent ont
besoin d'aide et de secours, qu'il soit
" Résolu qu'en tant que citoyens américains, nous
élevons la protestation la plus solennelle devant ces
pratiques inhumaines et implorons toutes les personnes
officielles ou ayant de l'influence dans l'Empire
ottoman afin qu'il soit mis fin à ces méfaits et aider
par tous les moyens l'Ambassadeur américain et les
autres qui pourraient secourir et rapatrier un peuple
qui par son histoire et ses réalisations, a apporté sa
contribution à l'Empire.
" Résolu en outre que la guerre, où qu'elle soit engagée
et quelle que soit la nation engagée, ne procure aucun
blanc-seing pour des actes [la commission d'actes ]
inhumains à l'encontre de personnes innocentes. Les
massacres de personnes non-combattantes, d'enfants, où
qu'ils soient commis, ont donné aux lieux les plus bénis
du monde l'apparence de l'enfer. Au nom du Dieu des
nations et de celui de notre humanité commune, nous
appelons les nations en guerre à cesser ces crimes
contre la civilisation et la morale. "
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