Yves Ternon, Mardin 1915 (RHAC IV - 2002) ► Livre I ►Première partie, entre Tigre et Euphrate.
Le découpage administratif de l’Empire ottoman en eyalet correspond au premier recensement moderne de l’empire entrepris en 1831. Ce découpage est ensuite modifié pour être remplacé en 1864 par une division en vilayet. Chaque vilayet est une entité administrative et correspond à une province. Il est divisé en sandjak – départements –, les sandjak en caza – cantons –, les caza en nahié –, communes. Le vilayet est administré par un vali – gouverneur général – dont dépendent les administrateurs du sandjak, mutessarif – gouverneurs. Le mutessarif contrôle les kaïmakam – sous-gouverneurs du caza – et les mudir – maires des nahié. Pour les musulmans, le détenteur de l’autorité religieuse est le mufti ou un cadi qui siège dans chaque centre administratif, ou un imam pour les villages. Les Arméniens apostoliques ont un évêque à Diarbékir, les Arméniens catholiques un archevêque à Mardin et un évêque à Diarbékir. Les syriens catholiques ont leur patriarche à Mardin et un évêque à Diarbékir. Les jacobites ont leur patriarche à Deir-al-Zaafaran et deux évêques, l’un à Diarbékir, l’autre à Mardin. Les chaldéens ont un archevêque à Diarbékir et un à Mardin. Les nestoriens ne sont pas présents dans ce vilayet.
Limité au nord par le vilayet de Kharpout, à l’est par ceux de Bitlis et de Van, au sud par ceux de Mossoul et d’Alep – entre eux le sandjak de Deir-es-Zor –, le vilayet de Diarbékir est divisé en trois sandjak : le sandjak de Diarbékir – merkez-sandjak ; le sandjak d’Arghana, au nord, qui comprend trois caza ; le sandjak de Mardin, au sud-est, qui comprend cinq caza [Mardin – merkez-caza ; Nisibe, Djezireh, Midiat, Savour]. Au total, le vilayet réunit sur une surface de 46 800 km2, 3 200 bourgs et villages. Les trois-quarts des terres de ce vilayet sont cultivables1. Il n’y a pas de hautes montagnes, mais des collines plus ou moins élevées, dont la hauteur s’abaisse du nord-ouest au sud-est pour descendre au niveau de la plaine de Mésopotamie. Les seuls sommets sont les derniers contreforts du Taurus avant qu’il se relève brutalement à l’est, dans le vilayet de Van : le Karadja Dagh, à l’ouest, couvert de hautes forêts ; les monts de Mardin, à l’est, et les monts Djoudi et Kiaveh, près de Djezireh. Les routes sont dans un état désastreux. Il n’y a que trois cents <p.46> kilomètres de routes carrossables dans tout le vilayet : deux cents d’Arghana à Nisibe et cent de Sévérèk à Diarbékir.
Le recensement ottoman officiel commencé en 1881 et achevé dix ans plus tard dénombre dans le vilayet de Diarbékir 471 462 habitants dont 328 644 sont musulmans et 135 549 chrétiens – les 9 000 restants sont éparpillés en de petites minorités, dont les Kurdes Yézidis2. Ces chiffres ne sont pas fiables, d’abord parce que les tribus nomades ne sont pas recensées, mais aussi parce qu’ils ont pour but de mettre en évidence le caractère minoritaire des chrétiens. Les chiffres donnés par le patriarcat arménien ne le sont guère plus. Selon la statistique établie en 1912 par le patriarcat de Constantinople, le vilayet de Diarbékir comptait 296 000 <p.47> habitants dont 131 000 musulmans et 165 000 chrétiens. Les musulmans étaient répartis en 45 000 Turcs et 86 000 Kurdes3. Relevant les estimations démographiques données par tous les auteurs du XIXe siècle, Michel Chevalier donne pour les trois villes de Diarbékir, de Mardin et de Djezireh, des chiffres variant, dans leurs valeurs moyennes, du simple au double, avec des extrêmes absurdes4. On ne peut donc retenir que des moyennes approximatives.
Le vilayet de Diarbékir est entièrement situé dans le Kurdistan occidental, au sud-est du Hakkari, zone de peuplement kurde depuis le XVIe siècle. Cette population d’origine iranienne a sans doute pénétré d’abord dans le Bohtan – une région située sur la rive gauche du Tigre, entre ce fleuve et son affluent, le Bohtan Sou – à une période antérieure à l’ère chrétienne. De cette aire originelle, les Kurdes se sont étendus plus à l’est, vers le haut bassin du Grand Zab et les monts du Hakkari. Converties à l’islam depuis le Xe siècle, les tribus kurdes s’avancent vers le plateau arménien, au nord, où elles apparaissent dès le XIe siècle et, plus tardivement, vers l’ouest et le sud, dans le vilayet de Diarbékir. Cette expansion s’accompagne de l’absorption dans l’ethnie kurde d’autres éléments : iraniens, arabes, turcs, chrétiens arméniens, jacobites ou nestoriens5. Après le traité de 1639 qui met fin à un siècle de guerres entre les deux empires perse et ottoman, la plupart des tribus kurdes, en majorité de religion sunnite, se replient dans les montagnes du Kurdistan sur un territoire long de mille km et large de deux cents. Les principautés kurdes assurent jusqu’au XIXe siècle la couverture militaire de l’Empire ottoman face à la Perse.
La base de la vie kurde est tribale. Certaines tribus sont nomades, d’autres semi-nomades, mais un grand nombre sont sédentarisées. Les nomades pratiquent la transhumance de leurs troupeaux sur une grande distance, de la plaine de Mésopotamie aux pâturages du Taurus et ils ont à juste titre la réputation de guerriers et de pillards. Mais, sur cette structure tribale, se greffe jusqu’au XIXe siècle une construction féodale en principautés dirigées par un émir, entités qui ne correspondent qu’imparfaitement aux tribus6. Dans la première moitié du XIXe siècle éclatent des révoltes suscitées par des émirs qui cherchent à constituer des <p.48> monarchies indépendantes. La plus importante est celle de Bedir Khan, émir du Bohtan. Au cours de cette révolte, qui dure de 1844 à 1847, 10 000 nestoriens environ sont tués par les Kurdes dans le Hakkari : Bedir Khan détruit Tiari (1 000 morts), la résidence du patriarche à Tkouma (800 morts). Les campagnes militaires ottomanes mettent un terme à ces principautés et entraînent un morcellement de cette structure féodale, un retour du système tribal et, avec lui, de l’autorité de cheikhs alliant les pouvoirs temporel et religieux et s’appuyant sur les confréries musulmanes. L’écrasement de ces révoltes kurdes a également pour effet de déplacer le peuplement kurde vers l’ouest, un déplacement qui se fait aux dépens des Arabes et des chrétiens. Ainsi, l’ouest du Tur Abdin est presque entièrement kurde en 1850 et le plateau est peuplé aux deux tiers de Kurdes dont les tribus sédentaires sont imbriquées avec les villages chrétiens7. En 1880 le caza de Savour est entièrement kurde.
La société kurde se fragmente alors en petites unités « capitalisant les fidélités ancestrales, mais aussi les inimitiés anciennes »8. Les chrétiens sont leurs victimes désignées. Les aghas kurdes ont leurs villages chrétiens desquels ils exigent le paiement d’un tribut. Les rapports sont ceux de suzerain à serf, un schéma qui se superpose à celui de dhimmi et qui rend la vie impossible aux villageois chrétiens. L’intervention des puissances occidentales dans la politique ottomane transforme peu à peu les rapports entre les communautés chrétiennes et les tribus kurdes. Loin d’appliquer dans ces provinces lointaines les réformes qu’elle s’est engagée à faire, la Porte joue de l’antagonisme entre ces deux populations. Elle réveille le fanatisme religieux des Kurdes et leur accorde une impunité qui va en s’accroissant, de telle sorte que, entre Kurdes et chrétiens qui avaient jadis vécu sinon en bonne intelligence du moins en équilibre, se développe progressivement un climat de méfiance et de rivalité.
Comme le fait remarquer Sébastien de Courtois, une confusion s’est opérée entre les trois groupes de tribus kurdes. Les Kurdes sédentaires vivent dans leurs villages et sont, comme leurs voisins des villages chrétiens, des agriculteurs, des éleveurs ou des artisans. Les tribus semi-nomades partagent l’année entre une période estivale où elles conduisent leurs troupeaux dans les pâturages des montagnes et une période d’hivernage où elles résident dans leurs villages. Les tribus nomades, elles, suivent un rythme ancestral de migrations. Ce sont ces tribus qui acquièrent une réputation de violence : elles se livrent volontiers au vol, au rapt, au pillage et au massacre. La terreur qu’elles font régner ne s’exerce pas seulement contre les chrétiens, mais aussi contre d’autres tribus kurdes. <p.49> La Porte, tout en luttant contre le nomadisme et en réprimant certains excès, s’efforce de dériver la violence kurde vers les chrétiens9. A la fin du XIXe siècle, les communautés chrétiennes du vilayet de Diarbékir vivent dans un climat d’insécurité aggravé par l’incurie de l’administration ottomane. Les rapports entre Kurdes et chrétiens se radicalisent et prennent, avec la création des régiments hamidié, une forme explosive.
Quel que soit son chiffre exact, la population chrétienne du vilayet de Diarbékir est répartie selon un double clivage : celui des grandes hérésies et celui de l’union avec Rome. C’est dans ce vilayet que ces chrétientés sont le mieux réparties et que s’entremêlent les cercles d’expansion et de repli des communautés arménienne et syriennes. Les relations entre ces trois communautés – chacune d’elles comprenant deux groupes – sont marquées, chez les non-catholiques, par la référence à la séparation originelle. Arméniens apostoliques et jacobites ont toujours été anti-nestoriens. Il partagent la même origine anti-chalcédonienne, même si leur séparation ne s’est pas faite dans les mêmes circonstances. Enfin l’uniatisme – l’union avec Rome – rapproche chaldéens, syriens catholiques et Arméniens catholiques, un rapprochement que matérialise au XIXe siècle la création d’un patriarcat arménien catholique qui coiffe ces trois communautés.
Les Arméniens sont nombreux dans le nord du vilayet, dans le caza de Lidjé – qui dépend du merkez-sandjak de Diarbékir et dans le sandjak d’Arghana, en particulier dans le caza de Palou, proche du vilayet de Kharpout. Le sud du vilayet marque la limite méridionale d’expansion des Arméniens et en même temps celle de l’activité missionnaire catholique sur la communauté arménienne, de telle sorte qu’au XIXe siècle presque tous les Arméniens du sandjak de Mardin sont catholiques alors que ceux du sandjak de Diarbékir – où ils représentent la première communauté chrétienne – sont apostoliques, une démarcation qui laisse supposer des tensions entre Arméniens catholiques et apostoliques, mais qu’aplanit le fait qu’à Diarbékir comme à Mardin la grande bourgeoisie chrétienne est en majorité arménienne.
Les nestoriens sont absents du vilayet de Diarbékir. Tous les syriens orientaux sont là des chaldéens, proches des deux autres communautés catholiques, en particulier des Arméniens avec lesquels, dans les villages sans prêtres chaldéens, ils célèbrent les offices religieux. La séparation avec les nestoriens s’est opérée naturellement aux XVIIIe et XIXe siècles, les <p.50> chaldéens restant dans la plaine, les nestoriens dans la montagne. En outre, l’expansion de l’église jacobite dans le Tur Abdin a peu à peu supprimé les derniers couvents nestoriens qui demeuraient sur le flanc sud du plateau. C’est ainsi que Mar Awgin devint jacobite au début du XVIIe siècle.
Dans le vilayet, Arméniens apostoliques et jacobites restent proches. « Ce rapprochement a été facilité par un réflexe de protection des confessions restées fidèles à l’orthodoxie, solidaires face à l’arrivée des catholiques et des protestants »10. Cependant, bien qu’autorisés par Bar Hebraeus, les mariages mixtes entre Arméniens grégoriens et jacobites restent rares, alors qu’ils sont courants entre Arméniens catholiques et syriens catholiques11. Les jacobites n’ont pas les moyens d’afficher, comme le font les Arméniens, leur identité. Ils restent une communauté religieuse et ils ne se perçoivent pas comme une nation. Ils ne conçoivent donc pas d’étirer, encore moins de rompre, le lien qui les attache à l’Empire ottoman et ils ne représentent pas pour la Porte une menace, même potentielle. Par contre, la rupture est plus grave entre jacobites et syriens catholiques. Le sandjak de Mardin est le territoire des jacobites, le Tur Abdin leur montagne refuge. La conversion au catholicisme des jacobites est perçue par cette « communauté en péril »12 comme une menace immédiate et vitale. L’image négative que les voyageurs et les missionnaires donnent des jacobites laisse à penser que cette église en déshérence peut être entièrement ralliée à Rome, comme l’a été dans la province l’église nestorienne. C’est donc une lutte aussi désespérée que maladroite que mène les jacobites contre les syriens catholiques, dans l’indifférence des autorités ottomanes. A Mardin, les syriens catholiques se ont trouvé dans les Arméniens, tous catholiques, des alliés naturels. Les deux bourgeoisies tiennent la banque, le commerce et les professions libérales, et les mariages mixtes sont fréquents entre les familles des deux communautés.
La présence catholique est appuyée par l’installation en 1856, à la demande du Saint-Siège, d’un vice-consulat français à Diarbékir, création qui attire, en réplique, celle d’un consulat anglais dans cette ville. Les diplomates ne partagent cependant pas la ferveur des missionnaires et certains considèrent que les communautés chrétiennes du Taurus, qu’ils estiment comme « sauvages », « ne méritent pas l’attention d’une conversion » 12. L’activité des missionnaires en Mésopotamie est ambiguë, marquée par le conflit souvent aigu qui oppose catholiques et protestants. <p.51> Le mémoire du Comte de Challaye, consul de France à Erzeroum, rédigé en 1834, sur « l’état actuel et l’avenir de la religion catholique et des missions lazaristes et protestantes en Perse » avait montré comment l’Europe « utilisait sans vergogne le zèle proprement pastoral des missionnaires des différentes religions à des fins politiques »13. Il révélait aussi quel était alors « l’effroyable degré de mépris… [des] missionnaires occidentaux pour les chrétiens d’Orient et, parmi les missionnaires, des catholiques à l’égard des protestants et réciproquement »14. Certes catholiques et protestants s’affrontent de façon plus vive en Perse, où les missions protestantes américaines bénéficient d’une protection ouverte de l’Angleterre, que dans l’Empire ottoman, où la position de la France est solide, mais le mémoire du consul, rédigé avant l’ouverture du vice-consulat français de Diarbékir, reflète la tension entre les deux groupes de missionnaires qui se poursuivra tout le siècle.
Les églises protestantes anglicanes d’Angleterre et épicopaliennes des états-Unis s’attachent surtout à convertir les jacobites. Au lieu de les prendre de front comme le font les missionnaires catholiques, les protestants fournissent une aide financière au patriarcat jacobite et l’Angleterre lui assure son soutien diplomatique dans sa demande de reconnaissance d’un millet jacobite indépendant du millet arménien15. Les missions protestantes soutiennent également les églises non-catholiques et leur influence se développe parmi les Arméniens apostoliques et les jacobites, en particulier dans le Tur Abdin. Alors qu’en 1884, la mission dominicaine de Mossoul ouvre deux maisons en pays jacobite – l’une à Midiat, l’autre à Djezireh –, les protestants ouvrent dans les années quatre-vingts un centre à Midiat16. La concurrence diplomatique entre la France et l’Angleterre se reflète au niveau des missions, les religieux catholiques comme protestants étant les informateurs et les soutiens de leurs diplomates nationaux. En dépit de la politique de laïcisation <p.52> de la IIIe République, les institutions religieuses françaises se maintiennent et se développent en Haute-Mésopotamie. « L’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation », dit Gambetta. Dans une circulaire confidentielle, Aspera rerum conditio (22 mai 1888), Léon xiii maintient la protection française au Proche-Orient17.
Les informations sur une région aussi éloignée et aussi isolée sont fournies par l’administration ottomane, les diplomates, les religieux et les rares voyageurs. Les géographes, comme Vital Cuinet, se bornent à rapporter les données produites par les rapports ottomans. Les consuls en poste à Diarbékir sont la source la plus fiable. Ils sont là pour donner à leur ambassadeur un état régulier des lieux et leurs rapports soulignent les priorités. Ils révèlent ainsi le rôle essentiel joué par un fonctionnaire du gouvernement titulaire du poste de vali, de mutessarif ou de kaïmakam, qui peut plonger le territoire qu’il contrôle dans l’anarchie ou, au contraire, apaiser les troubles et éloigner les menaces. Ces diplomates rapportent les faits divers qui émaillent la vie quotidienne de ces sociétés en mutation. Ils font part de leur inquiétude devant l’aggravation de la situation économique et la dégradation des relations entre les communautés kurdes et chrétiennes. Peu à peu les chrétiens ottomans, ici comme dans les autres provinces, las de voir leurs doléances exposées au patriarcat arménien de la capitale ignorées par le pouvoir ottoman, s’adressent aux diplomates occidentaux, directement ou par l’intermédiaire de leur hiérarchie. La relation de leur détresse croissante est confirmée par les rapports des missionnaires catholiques aux maisons de <p.53> leurs ordres. émaillés de propos acerbes sur leurs concurrents protestants – qui leur renvoient le service –, mais aussi sur les jacobites et les Arméniens apostoliques, ces rapports sont néanmoins beaucoup plus précis que ceux des consuls puisque ces religieux sont sur place, en relation constante avec leurs fidèles, dont ils sont la voix. Les voyageurs, eux, ne saisissent qu’un lieu et un instant, mais ils montrent par la surprise de leur découverte ce qui, dans ces sociétés, paraît important à un étranger.
A la fin du XIXe siècle, la population de ce sandjak est, de source ottomane, de 193 022 habitants, dont 122 000 sont musulmans – les deux tiers Kurdes, le tiers restant « musulmans proprement dit » – dont 3 300 Circassiens et 3 300 Arabes. Les chrétiens ne représentent que 70 000 habitants18. Ces chiffres sont à l’évidence erronés. La population de la ville de Mardin est estimée par cette statistique de 1891 à 25 000 habitants, dont 15 700 musulmans – avec une proportion de Kurdes inversée : 4 000 contre 10 000 « musulmans proprement dit », que l’on peut considérer comme Turcs, et 1 700 Arabes. L’administration dénombre donc 8 720 chrétiens, un chiffre qui ne correspond pas aux estimations bien supérieures des missionnaires et des recensements antérieurs. En 1835, un recensement fait par le gouverneur, Assad Mohamed, fait état de 2 943 musulmans, 3 190 chrétiens et 50 Juifs19. A la même époque, deux voyageurs apprécient la population de Mardin, l’un à 12 500, l’autre à 18 000. Ce chiffre augmente progressivement pour atteindre 25 000 dans un rapport du père Rhétoré de 1874 (8 500 chrétiens, dont 4 200 Arméniens catholiques, 1 500 jacobites, 1 200 syriens catholiques, 600 chaldéens). En 1900, Marc Sykes chiffre cette population à 35 000 dont la moitié sont chrétiens – 10 000 syriens occidentaux et 6 200 Arméniens20.
La ville de Mardin monte en escarpements vers le rocher de la citadelle à laquelle elle doit son nom signifiant « forteresse imprenable » en syriaque. La pente est si raide que l’issue arrière d’une maison se fait au niveau du toit d’une maison de la rue sous-jacente. Chaque maison a <p.54> ainsi une vue imprenable sur la plaine de Mésopotamie. Plusieurs maisons sont en pierre taillée d’une belle couleur blanche ou jaune. Mardin compte vingt mosquées, quarante-cinq chapelles musulmanes, trois écoles coraniques, neuf églises, trois couvents et un temple protestant, sept cents boutiques et magasins et cinq mille maisons individuelles. Minarets – le minaret de la grande mosquée Al-Latif est la construction la plus élevée – et dômes des églises se mêlent aux terrasses des maisons en un ensemble harmonieux. On parle kurde et arabe dans la ville. Chrétiens et musulmans, rapportent les voyageurs, y entretiennent de bonnes relations. Mardin est considérée comme une cité tolérante où les chrétiens ont le droit de monter à cheval, de porter des vêtements de couleur verte et de saluer les musulmans d’un « Salam aleïkum » sans les offenser21. « La richesse humaine de Mardin, écrit Sébastien de Courtois, vient du fait qu’elle est un mélange de plusieurs héritages et de confessions, turcs, kurdes, arabes et chrétiens. De cette cohabitation forcée, longtemps pacifique, naîtra une certaine tolérance et ses mœurs résisteront plus longtemps que dans d’autres villes à la montée du fanatisme musulman, caractéristique de la seconde moitié du XIXe siècle »22. Cependant l’isolement géographique de Mardin explique son déclin progressif. Jadis rivale d’Ourfa (Edesse), de Mossoul et d’Alep, célèbre pour ses manufactures d’étoffe et de cuir, Mardin ne fabrique plus guère au XIXe siècle que des articles destinés à la consommation locale. Mais elle reste un riche centre agricole, producteur de céréales, de raisins, de fruits et de produits de l’élevage.
Le caza de Mardin – qui regroupe 105 villages – est également remarquable par la présence du monastère de Deir-al-Zaafaran et celle des ruines de Dara. De vastes citernes souterraine voûtées et des grottes taillées dans le roc où l’on trouve des sarcophages caractérisent ces ruines où, l’hiver, séjournent des nomades kurdes.
Au sud de Mardin, le caza de Nisibe est divisé en huit nahié et comprend 240 villages. Sa population, aux deux tiers musulmane, est de 30 000 habitants, dont 15 000 Kurdes. Nisibe a 10 000 habitants dont la moitié sont chrétiens. Les vastes prairies de ce canton sont surtout destinées à l’élevage, car, faute d’une bonne irrigation – les anciens canaux n’ayant pas été nettoyés –, l’agriculture se développe mal.
A l’est de Mardin, le plateau du Tur Abdin déborde le caza de Midiat. Celui-ci est partagé en 21 nahié et compte 410 villages, près de la moitié des villages du sandjak. Sur les 45 000 habitants du caza les Kurdes représenteraient la grande majorité des musulmans – 16 500 sur 21 000 – et le <p.55> reste serait jacobite. Le nombre des jacobites du Tur Abdin au XIXe siècle est d’autant plus difficile à apprécier que ce plateau n’est pas une unité administrative – puisqu’il s’étend sur les caza de Midiat et de Djezireh – et que le recensement ottoman de 1891 est, pour ces caza, manifestement incorrect23. Sébastien de Courtois a tenté d’estimer cette population en confrontant les sources occidentales et syriaques orthodoxes, c’est-à-dire jacobites, et en tenant compte du fait que les prêtres jacobites « minorent le poids de leur communauté ». Il parvient à un maximum de 26 000 jacobites pour le seul plateau du Tur Abdin – sur 65 000 jacobites pour le sandjak24. Midiat est une petite ville de 6 000 habitants aux belles maisons de pierre blanche.
Le caza de Djezireh, plus à l’est, est divisé en neuf nahié et comprend 210 villages. Il compte 35 000 habitants dont 25 000 musulmans – 14 500 sont Kurdes. Djezireh a 10 000 habitants, la moitié sont chrétiens.
Plus petit, le caza de Savour (Awina) est situé au nord-ouest du sandjak. Il est divisé en cinq nahié et contient 97 villages. Sa population est de 25 000 habitants dont la moitié sont Kurdes. Le chef-lieu, Savour, très isolé, est un petit bourg de 3 900 habitants.
Les gouverneurs nommés à Mardin au XVIIe siècle ne restent guère en poste, mais conduisent tous une persécution des chrétiens. Aussi ceux-ci sont-ils nombreux à se convertir à l’islam pour s’y soustraire. A partir de 1647, Mardin dépend de Bagdad. En 1735, Mahmud Ier nomme un pacha kurde gouverneur de Mardin et la fonction devient héréditaire. Mais les Mardiniens se soulèvent en 1777 et le pouvoir ottoman le remplace25. Les chefs de la tribu kurde des Milli sont gouverneurs de Mardin. La situation restant toujours aussi instable, le gouverneur de Bagdad, Suleïman, se rend à Mardin et fait crucifier un notable kurde dans le marché des farines. En 1806, des bandes d’irréguliers kurdes s’emparent de la ville, détruisent les remparts qui restaient, pillent le marché et les maisons et massacrent pendant trois jours. Un nouveau gouverneur, Hussein, exécute des chefs kurdes et, selon la tradition, envoie leurs têtes au gouverneur de Bagdad. En 1815, un musulman venu d’Erbil est nommé gouverneur. Il se heurte à une conspiration kurde. Les gouverneurs se succèdent, tous incapables de rétablir l’ordre dans la ville. En 1817, le gouverneur, Ahmed agha, fait arrêter le <p.56> patriarche jacobite. L’avocat arménien qui le défend, Elias Chadi, obtient sa libération moyennant une forte rançon. Les jacobites doivent vendre les biens du couvent des quarante martyrs de Sébaste26, de celui de Mar Michaël27 et de l’église de Mar Choumni28. Ils demandent aux syriens catholiques de les aider à sauver le patriarche. Alors que la somme requise est versée, le nouveau gouverneur, Abdel Kader, demande à Elias Chadi de payer à nouveau. L’avocat tente de mettre les musulmans de la ville à contribution, mais ils refusent. En 1831, un nouveau gouverneur, Osman, arrête Elias Chadi et le fait assassiner. Son corps est traîné dans les rues de la ville et ses biens sont vendus. En fait, jusqu’en 1836, le pouvoir réel est exercé dans la ville par des beys kurdes de la tribu des Milli qui refusent de se soumettre à l’autorité de la Porte. En 1839, Mardin cesse de dépendre de Bagdad et est rattachée à Mossoul, puis, en 1845, à Diarbékir. C’est l’époque de la répression des soulèvements kurdes. En juillet 1839, le missionnaire américain Asahel Grant – envoyé auprès des nestoriens du Hakkari – est pris dans le déchaînement xénophobe qui suit, dans l’Empire ottoman, la victoire d’Ibrahim pacha sur les Turcs29. Il est à Diarbékir et il se réfugie à Mardin avec le pasteur Holmes, qu’il est venu chercher pour le ramener à Mossoul. La ville est en pleine anarchie. Les Kurdes ont assassiné le gouverneur et des fonctionnaires ottomans et ils ont massacré des chrétiens. Ils cherchent les deux missionnaires pour les tuer. Heureusement, ceux-ci sont sortis de la ville et se sont réfugiés au monastère de Deir-al-Zaafaran. Mardin est ensuite reconquise par le pacha de Mossoul qui réinstalle un ancien gouverneur, le Kurde Ali bey. Celui-ci se révolte et il est démis30. La situation des chrétiens de Mardin ne cesse de se détériorer dans les années suivantes. De 1868 – date à la quelle le mutessarifat est institué – à 1891, où Aniz pacha devient mutessarif, ce ne sont pas moins de dix-huit gouverneurs qui sont en poste pour le sandjak de Mardin31. <p.57>
Au XVIIe siècle, des carmes viennent à Mardin entreprendre la conversion des Arméniens et des jacobites. Ils opèrent quelques conversions et envoient à Rome de nouveaux convertis arméniens pour les préparer à la prêtrise. En 1681, des jésuites venus à Mardin sont emprisonnés à la demande des jacobites. Ils doivent payer une rançon pour repartir à Alep. Ils reviennent comme médecins un peu plus tard, toujours sans succès. Les jacobites veillent et un carme, le père Joseph, venu de Bagdad en 1690, est chassé de Mardin32. Par contre les capucins parviennent à ouvrir une mission dans la ville en 1685. Des Arméniens grégoriens continuent à se convertir au catholicisme, grâce au missionnaire Melkon Tazbazian, mais celui-ci est envoyé en prison à Constantinople.
En 1770, les carmes parviennent à construire une maison à Mardin. Ils ont de bons rapports avec les jacobites et ils participent en 1782 à l’intronisation d’Ignace III Michel Jarweh, comme patriarche de tous les syriens occidentaux – c’est-à-dire jacobites et syriens catholiques –, à Deir-al-Zaafaran. Mais c’est, comme on l’a vu33, une période de schisme dans l’église jacobite. Un autre patriarche, Ignace XXIX Mathieu est investi, tandis que Michel Jarweh se rallie à Rome en 1783. Il est proclamé patriarche des syriens catholiques et son siège apostolique est à Mardin – il reprend la lignée des patriarches syriens catholiques interrompue depuis 1721. La séparation des syriens catholiques et des jacobites n’est effective qu’avec l’élection au patriarcat catholique de Monseigneur Antoine Semheri (1853-1864)34.
L’implantation des missions catholiques se poursuit à Mardin et dans le Tur Abdin au XIXe siècle. En 1838, les capucins de la province de Lyon ouvrent une école dans leur mission de Mardin. En 1876, la mission s’adjoint un établissement de filles, tenu par les franciscaines de Lons-le-Saulnier. Les premiers capucins sont des Italiens, mais la population chrétienne préfère généralement les missionnaires français. C’est ainsi que le supérieur italien des capucins de la mission de Mardin demande à la « Propagande » que cette mission soit transférée à une province française de l’ordre. Les capucins ont aussi des démêlés avec l’administration ottomane. Un de leurs frères, le frère Salvador, s’est installé comme médecin dans la ville. Avec l’argent qu’il gagne, il achète des terres et des maisons. Son supérieur lui ordonne de revenir au couvent. Il refuse et demande l’aide du patriarche jacobite, Ignace XXXIV Pierre IV (1872-1894), qui l’ordonne prêtre jacobite et lui obtient la citoyenneté ottomane. <p.58> A sa mort, en 1893, le patriarche jacobite – Pierre iv, puis son successeur, Abdulmessiah ii – tente de faire attribuer ses biens à l’église jacobite, mais le gouvernement s’en empare35.
A la fin du XIXe siècle, les Arméniens de Mardin sont tous convertis au catholicisme et, depuis, le siège de l’archevêché arménien de Mardin est occupé en permanence. La cathédrale, où réside l’archevêque, est dédiée à saint Georges – c’est une ancienne église construite au Ve siècle. En 1891, l’archevêque de Mardin, Monseigneur Melkon Nazarian, fait construire l’église de Saint-Joseph. Les Arméniens ont alors à Mardin deux écoles de garçons36.
Les chaldéens ont leur évêque, qui dépend du patriarcat fixé à Diarbékir. La petite communauté chaldéenne de Mardin est, à la fin du XIXe siècle, réduite à 200 familles, pour la plupart de riches familles de marchands – la plus célèbre est celle des Chouha. Leur église est une ancienne cathédrale construite au Ve siècle. Le siège de l’évêché chaldéen reste vacant pendant sept ans de 1883 à 1890 avant l’élection de Monseigneur Jean-élie Mellus (1890-1908).
Les communautés arménienne catholique et chaldéenne constituées, l’activité des missionnaires se concentre sur la conversion des jacobites de Mardin. Ils sont, selon les statistiques, de 3 000 à 8 000. L’objectif des missionnaires est clair : soutenir le zèle prosélyte des syriens catholiques dont le nombre est passé de 1 000 à 6 000 au cours du siècle. L’une des raisons de ces conversions massives est la publication du firman qui offre au patriarcat catholique arménien un statut indépendant et qui lui confie la juridiction des autres églises catholiques de l’empire. Les syriens occidentaux espèrent qu’en rejoignant Rome ils se placeront sous la protection des consuls européens. La cathédrale construite en 1860 par le patriarche Antoine Semheri est dédiée à l’Immaculée Conception. Le couvent Saint-Ephrem, bâti en 1884 par le patriarche Georges Schelhot (1874-1891) abrite 15 religieux37.
A Mardin, placés au cœur de l’église jacobite, les missionnaires espèrent profiter de sa décrépitude pour ramener tous ses fidèles à l’uniatisme. « Les jacobites véhiculent une image très négative, surannée et conservatrice, porteuse de nombreux stéréotypes, qui voudrait faire de l’église syriaque orthodoxe [jacobite] une institution différente voire <p.59> inférieure aux autres églises chrétiennes »38. Les visiteurs européens du Tur Abdin partagent ces préjugés : les religieux jacobites sont illettrés ; ils mènent une vie indolente au milieu d’une masse de fidèles ignorants, sous la tutelle d’une hiérarchie plus soucieuse de percevoir sa dîme que d’instruire ses ouailles. Une lettre du père Rhétoré adressée le 7 juillet 1881 au père Duval, supérieur de la mission de Mossoul, lors d’un voyage de Djezireh à Mardin, reflète le point de vue des missionnaires sur cette « secte » d’hérétiques : « Le village près duquel nous campions était habité par des jacobites. Ces braves gens vinrent nous rendre visite, ainsi que quelques notables. Il est difficile de se faire une idée de l’ignorance de ces pauvres prêtres hérétiques et de leurs croyances à toutes les superstitions et absurdités qui ont cours dans ce pays »39.
Une affaire survenue à Mardin au début des années 1880 montre bien la situation précaire de l’église jacobite et son incapacité à réagir aux coups portés par les syriens catholiques. Une enfant de confession jacobite est mariée de force à 10 ans. Les évêques catholiques arménien et chaldéen soutiennent l’évêque syrien qui condamne cet enlèvement. Le mutessarif est chargé d’arbitrer le différend. L’enfant est remise à sa famille qui, pour se protéger, rejoint l’église syrienne catholique. Devenue une jeune fille, Martha, « avec son plein et libre consentement », épouse un jeune catholique syrien. Les jacobites protestent : ils considèrent que le premier mariage est toujours valide. Le patriarche Pierre IV présente sa cause à Constantinople. La Porte conduit une enquête minutieuse et, en avril 1882, déclare nul le premier mariage, une décision qui réjouit les catholiques de Mardin et humilie les jacobites40. En dépit de ses efforts, l’église syrienne catholique ne pénètre guère les villages du Tur Abdin où les jacobites restent attachés, sinon à leur foi, du moins à leurs structures sociales.
Des missionnaires protestants s’installent à Mardin au milieu du XIXe siècle. Ils achètent une maison et commencent à évangéliser les jacobites. Le pasteur américain Alpheus Andrus occupe le poste de Mardin depuis 1868. Au début du XXe siècle, les protestants ont à Mardin quatre temples, six écoles, pour environ un millier de fidèles, des moyens qui déclenchent la fureur des catholiques. « Les ressources inépuisables qu’elle [la mission américaine de Mardin] distribue à profusion ont permis à la secte [sic] de pénétrer partout. Dans une terre pauvre comme la <p.60> nôtre, les protestants ont beau jeu. L’influence que donne l’argent crée un obstacle insurmontable à la conversion au catholicisme des malheureux que leur déplorable propagande a séduits », écrit en 1914 un prêtre chaldéen de Mardin, Joseph Tfinkdji41. Et il ajoute : « Le protestantisme attire à ses écoles et à ses ouvroirs les enfants catholiques par l’appât du bien matériel qu’ils promettent. Malgré tous les efforts des missionnaires, il s’insinue partout, faisant une guerre à outrance aux catholiques, profitant de la misère occasionnée par les guerres continuelles de la Turquie, pour attirer des âmes ». Ce sont donc souvent des convertis récents au catholicisme qui rejoignent le protestantisme. Ces divisions des églises chrétiennes sont exploitées par le pouvoir ottoman. En 1895 comme en 1915, il frappe sur un terrain miné par de graves dissensions. Le moins que l’on puisse dire est qu’à la veille des catastrophes qui les guettent les chrétiens sont plus préoccupés par leurs querelles que soucieux de s’unir afin de mieux se protéger. <p.61>
1) Vital Cuinet, La Turquie d’Asie. Géographie administrative statistique descriptive et raisonnée de chaque province de l’Asie Mineure, 4 vol., Paris, Ernest Leroux, 1891, vol. II, pp. 407-409.
2) Ibid., p. 412.
3) Population arménienne de la Turquie avant la guerre. Statistiques établies par le patriarcat arménien de Constantinople, Paris, Imprimerie Turabian, 1920, pp. 11 et 21-22.
4) M. Chevalier, Les Montagnards chrétiens du Hakkâri, op. cit., pp. 279-282.
5) Il existe encore au XIXe siècle des tribus mélangées de Kurdes, de Turcs et d’Arméniens.
6) M. Chevalier, op. cit., p. 58.
7) S. de Courtois, mém. cit., p. 70.
8) Gérard Chaliand, Le Malheur kurde, Paris, Seuil, 1992, p. 58.
9) S. de Courtois, mém. cit., pp. 71-73.
10) Ibid., p. 65.
11) M. Chevalier, op. cit., p. 74.
12) S. de Courtois, mém. cit., p. 46.
13) Jean-Michel Hornus (pasteur), « Un rapport du consul de France à Erzeroum sur la situation des chrétiens en Perse au milieu du XIXe siècle (1854) », Cahiers d’études chrétiennes orientales, 8-11, 1970-1973, p. 27.
14) Ibid.
15) S. de Courtois a trouvé une source indiquant qu’en 1882 un tel millet aurait été créé. Mais cette information n’est pas confirmée (mém. cit., p. 41, note 27). On ignore donc si les intérêts de l’église jacobite cessent d’être représentés par le patriarche arménien de Constantinople.
16) Le père Duval, préfet de la mission dominicaine de Mossoul, nomme comme supérieur de la mission de Djezireh le père Bernard et de celle de Midiat le père Galland. Celui-ci est dévalisé peu après son arrivée par des Kurdes. Le père Duval y voit un coup monté par « les ennemis de nos missionnaires » pour les obliger à « lâcher la position » (Rapport du vice-consul de France à Diarbékir, Félix Bertrand, adressé le 19 août 1889 au comte de Montebello, ambassadeur de France à Constantinople [cité par S. de Courtois, mém. cit., Annexe iii]).
17) F. Charles-Roux, La France et les chrétiens d’Orient, Paris, Flammarion, 1936, p. 232 (pour les deux citations).
18) V. Cuinet, La Turquie d’Asie, op. cit., vol. II, pp. 494-519.
19) Les Juifs auraient été nombreux en Arménie, notamment dans la région de Van jusqu’au IVe siècle, époque où ils auraient été exterminés ou déportés par les Sassanides, notamment par Sapor II. Le Kurdistan reste néanmoins parsemé de communautés juives, parlant pour la plupart le même dialecte araméen, le soureth, que les nestoriens. Il y a peut-être 50 000 Juifs dans le Kurdistan au XIXe siècle. Dans le vilayet de Mardin, le dernier centre important est Nisibe qui, en 1914, compte 600 Juifs sur 2 000 habitants ( M. Chevalier, op. cit., p. 77-78).
20) M. Chevalier, (op. cit., p. 281) donne trente références de 1764 à 1914, avec des chiffres moyens variant du simple au double : 15 000 à 30 000.
21) S. de Courtois, mém. cit., p. 54.
22) Ibid.
23) On ne saurait en effet retenir l’estimation de l’administration ottomane de 1891. Sur 22 400 chrétiens du caza de Midiat, 3 000 seulement seraient jacobites ( V. Cuinet, op. cit., vol. II, p. 515), une estimation contraire à toute vraisemblance.
24) S. de Courtois, mém. cit., pp. 60-61.
25) Al qouçara [tr. B], p. 13.
26) Ce couvent, centre de la vie jacobite à Mardin, date de 659, mais il est reconstruit au XIIIe siècle. Les quarante martyrs de Sébaste (Sivas) ont été jetés dans un lac glacé sous l’empereur Licinius (308-324). L’un d’eux céda à la tentation d’un bain chaud dans une maison près du lac et il perdit ainsi la couronne de martyr. Il fut remplacé par un soldat romain converti par les trente-neuf autres ( H. Hollerweger, Lebendiges Kulturerbe, op. cit., p. 319).
27) Mar Michaël [Saint-Michel] se trouve sur un petit à-plat, au-dessous de la ville. Ce serait la plus ancienne église de Mardin. Son clocher est ajouté au XIXe siècle.
28) Cette église à trois nefs date du XIIe siècle. Située dans la partie sud-ouest de la ville, elle est entourée de hauts murs qui délimitent une cour intérieure.
29) Le 24 juin 1839, l’armée ottomane est anéantie par celle d’Ibrahim Pacha – le fils de Méhémet Ali – à Nézib, sur la rive droite de l’Euphrate.
30) Asahel Grant, Les Nestoriens ou les tribus perdues, Paris, Librairie Delay, 1843, p. 17.
31) S. Aydin, Mardin, p. 241.
32) Al qouçara [tr. B], p. 36.
33) Cf. supra, p. 41.
34) Le patriarche Semheri se rend en Europe et il rencontre à Paris Napoléon III.
35) Al qouçara [tr. B], p. 38.
36) Joseph Tfinkdji, « Le catholicisme à Mardin », Les Missions catholiques, 1914, pp. 29-31. Je remercie Sébastien de Courtois qui m’a remis cet article important qui m’avait échappé. Saint-Joseph, construite en 1887 et ouverte au culte en 1894, est dans le quartier de Char.
37) Le patriarche syrien catholique réside le plus souvent à Beyrouth. L’évêque de Mardin est alors « vicaire patriarcal ».
38) S. de Courtois, mém. cit., p. 40.
39) Ibid., p. 36.
40) Lettre du père Joseph, capucin français, adressée le 3 mai 1882 à son supérieur. Une copie est également adressée au vice-consulat de France à Diarbékir (cité par S. de Courtois, mém. cit., p. 35, note 5, et pp. 38-40 pour le récit).
41) J. Tfinkdji, art. cit., p. 30.