La cilicie - RHAC III ► Première partie ► Documents sur les massacres d'Adana (éd. par R.H.Kévorkian)
à communiquer aux villayets et aux sandjaks indépendants pour lesquels cette communication serait jugée nécessaire et à publier, si besoin est, par la voie de la presse
(AMAE, corr. pol., Turquie, n. s., vol 283, ff. 164 22 à 164 23v° )
Considérant que nous avions constaté qu’il y a eu différentes versions sur les causes qui ont produit les regrettables événements d’Adana.Considérant que cet état de choses ne pouvait que fâcheusement influer sur la bonne harmonie qui devrait régner entre les différents éléments ottomans.
Considérant que pour établir une réelle fraternité entre deux éléments qui sont les enfants d’une même patrie il faudrait dissiper entre eux toutes les suppositions et tous les soupçons et que, pour ce faire, il suffit de mettre au jour la vérité, nous avons jugé nécessaire de faire les déclarations suivantes :
Il n’est pas douteux qu’au temps de l’Ancien régime où se pratiquaient les abus du despotisme, certaines classes de la communauté arménienne travaillaient dan un but politique. Mais quelle que soit la forme dans laquelle ce travail s’opérait, il n’avait d’autre but que de s’affranchir des vexations et des méfaits insupportables d’un gouvernement despotique. Par contre, en ces derniers temps, il a été constaté que les Arméniens ont aidé beaucoup à ce que la nation obtienne la Constitution et ont de ce fait prouvé leur sincère attachement à la Patrie ottomane.
Après l’octroi de la Constitution surtout, convaincus que, hors la fidélité à la Constitution ottomane, il ne pouvait y avoir ni salut ni bonheur pour leur nation, ils ont concentré leurs efforts pour travailler d’un commun accord au bien-être de la nation ottomane. En conséquence, la mauvaise opinion qui fait soupçonner par ceux qui ignorent la vérité la communauté arménienne d’entretenir des visées politiques blâmables n’a certainement pas sa raison d’être.
Quant à l’origine des événements déplorables d’Adana, les conclusions des enquêtes poursuivies par des commissions spéciales et les circonstances dans lesquelles ces faits regrettables se sont déroulés ont démontré que l’allégresse et les sentiments de joie témoignés par les Arméniens furent mal interprétés par les gens naïfs : derniers et déplorables vestiges du temps de l’absolutisme qui voulait étouffer le sentiment de fraternité patriotique. Et la populace qui, jusqu’alors, ignorait le nom et le programme des comités « Tachnak-Zoutioun » et « Hintchak », voyant leurs membres se montrer spontanément au grand jour, s’est fait des illusions et s’est livrée à des suppositions sans fondement et à des interprétations erronées. Le contre-coup de ces interprétations a répandu la terreur parmi les Arméniens ce qui a donné lieu à des méfiances et des malentendus mutuels entre les deux éléments.
Dans de telles circonstances, le devoir essentiel des autorités locales était de chercher et de découvrir sans retard l’origine de ces malentendus, de rapprocher les différents éléments, de supprimer la méfiance mutuelle conformément aux stipulations de la Constitution qui assurent le bien-être général et aux exigences d’un gouvernement constitutionnel.
Malheureusement, par suite de la faiblesse et de l’incapacité déplorables des plus hauts fonctionnaires du vilayet, les mesures qui ont été prises par eux comme le silence qu’ils ont gardé et l’incertitude qu’ils ont apportée à l’exécution de leurs devoirs, d’une part n’ont fait qu’aggraver ce malentendu et cette méfiance et de l’autre n’ont servi qu’à enhardir la populace au mépris de l’autorité gouvernementale. Et c’est ainsi que les événements déplorables ont éclaté pour la seule raison que les fonctionnaires n’ont pas accompli, dès le début, leurs devoirs avec dévouement et abnégation — Autrement, il est incontestablement établi que la nation arménienne ne s’est pas écartée du loyalisme dont elle a toujours fait preuve à l’égard de l’Empire ottoman.
Cela étant, les vrais instigateurs de ces événements douloureux et ceux des fonctionnaires qui ont manqué à leurs devoirs seront naturellement punis conformément aux lois.
Seulement, comme nous voyons avec un vif regret que dans certaines localités on s’obstine à ces hypothèses imaginaires et sans fondement et que cette persistance ne peut être que nuisible aux vrais sentiments de fraternité qui devraient toujours exister entre différents éléments naturellement unis par des liens d’intérêt mutuels, nous devrions travailler à dissiper aussi dans ces parages les suppositions qui ne sont que le résultat que des versions et des appréciations erronées.
Et puisque le salut et la prospérité de notre chère patrie ne peuvent être assurés que par l’entente sincère et la bonne harmonie de ses enfants, c’est-à-dire des populations musulmanes et non-musulmanes qui forment la grande nation ottomane, vous êtes tenus de consacrer tous vos efforts à établir parmi les différents éléments les sentiments de fraternité patriotique et de punir sans négligence et avec toute la rigueur des lois tous les instigateurs des mouvements qui pourraient entraver la constitution sur laquelle repose notre gouvernement ottoman. En conséquence, je vous recommande de publier de nouveau ces décisions dans la circonscription de votre vilayet.
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