Krikor Beledian, Revue d'histoire arménienne contemporaine I (1995), pp. 127-197.
Le concept d’expérience (arm. ) exprime un mouvement de traversée, de percée, de passage; tout en rappelant le danger, le péril et l’obstacle que le franchissement de l’espace implique. Faire une expérience serait donc affronter un péril, s’exposer à un danger. Mais est-il possible de faire l’expérience de la catastrophe? Cette question n’est pas protocolaire: elle provoque une panique de la pensée car, d’une certaine manière, une expérience de la catastrophe suppose aussi bien la traversée de l’espace de la catastrophe que le dépassement du danger. Or, si l’expérience traverse déjà un danger, la traversée de la catastrophe implique un redoublement du danger. Ce qui suggère que l’expérience est par essence traversée catastrophique. Bien entendu, la question posée n’a d’intérêt que si l’on reste attentif à l’étymologie, qui vaut ce qu’elle vaut.
La même question remet en cause l’optimisme latent de l’expression «une expérience de la catastrophe», du fait même que la catastrophe y apparaît comme un objet ou un milieu périlleux, certes, mais traversable. Est-ce bien le cas? Est-ce qu’en thématisant une expérience de la catastrophe notre pensée se met à la hauteur de ce qu’elle doit penser? La catastrophe n’est-elle pas l’annihilation ou la désintégration de toute pensée (du moins de celle de l’être humain qui la subit), puisque, par la mort provoquée, voulue ou programmée du sujet, la catastrophe s’accomplit. La pure catastrophe est celle qui ne laisse rien de la victime, à la victime; celle qui lui enlève, par la suppression radicale de son corps vivant, toute possibilité de penser. Soit on entre dans la catastrophe, sans jamais plus en sortir: le danger nous happe, la catastrophe nous traverse et ne laisse plus de place au «nous». Soit on la traverse, on la côtoie, on lui survit, mais la catastrophe n’a alors pas été accomplie complètement. Il y a là une véritable aporie qu’il faut laisser en l'état.
L’expérience de la catastrophe est aporétique, problématique, car le péril qui lie l’expérience à la catastrophe fait de la catastrophe l’exigence par excellence de l’expérience: autrement dit, l’expérience est la catastrophe par excellence, dans la mesure où elle offre au sujet le péril majeur. En lui accordant ainsi le péril, l’expérience s’identifie d’une certaine manière à la catastrophe. Néanmoins pour qu’elle puisse rester expérience, il faut qu’elle s’en écarte, qu’elle s’en désaisisse, qu’elle refuse cette identité. L’expérience nie donc la catastrophe au moment même où elle s’ouvre à elle. Elle se détermine alors en tant qu’expérience de l’inexpérimentable.
Or, cette aporie garantit à l’expérience sa part d’inachèvement et d’incomplétude. L’inachèvement n’est pas rien. Il rend possible le discours. L’expérience a un résultat. Les témoins témoignent, les survivants parlent, les écrivains écrivent parce que, d’une certaine manière, la catastrophe n’a pas été achevée, qu’elle est demeurée en suspens, comme une limite extrême, comme un dehors inaccessible. Mais si les témoins témoignent et les survivants parlent de ce à quoi ils ont survécu, c’est que quelque chose s'est bien produit, qu'un événement a bien eu lieu. Leur expérience a trait à un vécu, un senti, une passion, un affect, une souffrance qui nourrissent le discours. Véhiculant émotion et trauma, souvenirs et images, ce discours est aussi précieux que confus et partiel. Une compréhension globale et globalisante de la catastrophe est plus affaire de concepts que d’affects. Autrement dit, l’expérience inachevée de la catastrophe rend possible le discours, mais ce discours doit alors se dépasser par un effort de connaissance.
Le travail de conceptualisation, ou l’effort pour penser la catastrophe, peuvent-ils échoir à la littérature? La littérature peut-elle revêtir une fonction cognitive? Vaste question qui déborde largement le cadre de ce travail. On oppose souvent la fonction cognitive de l’écrit à sa fonction ludique. Elle est presque une détermination de la chose littéraire. Néanmoins fonctions cognitive et ludique ne sont pas nécessairement contradictoires, dans la mesure où la fonction cognitive s’établissant dans le langage ne peut s’abstraire totalement de toute considération de forme. On peut du reste poser comme un axiome que le discours sur la catastrophe affronte constamment la mise en forme adéquate de l’expérience.
Sans instrumentaliser la littérature et sans identifier l’acte littéraire à un processus de connaissance, circonscrit dans le domaine unique de la vérité, il est légitime de penser et d’admettre que les textes littéraires peuvent se rattacher à la catastrophe, par le biais des expériences. Les données acquises par l’expérience, à savoir le trauma, l’affect, des éléments résiduels de la mémoire collective, constitueraient les matériaux susceptibles d’être élaborés, thématisés, travaillés. Autrement dit, la littérature de la catastrophe ne nous fournirait pas seulement les données brutes de l’expérience, mais également les moyens d’appréhender, de saisir, d’accéder à la catastrophe, c’est-à-dire d'intégrer tant bien que mal la catastrophe. L’expérience de la catastrophe et l’expérience écrite de la catastrophe se distribuent comme l’affect et le concept; l’écriture travaille l’expérience et ce travail d'écriture contribue à son tour à rendre possible la formation du champ de ce que j’ai appelé ailleurs «une poétique de la catastrophe».
La poétique de la catastrophe ne relève pas de la littérature elle-même, mais de l’étude des procédures, des moyens et des modalités mis en œuvre par la littérature pour dire la catastrophe. L’objet de la littérature n’est pas d’élaborer des idées et des concepts, de conceptualiser ou de formaliser des expériences. Elle a plutôt pour fonction de montrer, de faire fonctionner et travailler la catastrophe dans le discours, mais ne vise pas nécessairement à sa conceptualisation, c’est-à-dire à élaborer le procès de la vérité.
On ne peut concevoir les relations entre la chose littéraire et la catastrophe sur le seul mode de la thématisation explicite: à savoir récits et souvenirs d’événements donnés comme thème ou comme sujet. Ces relations peuvent toutefois s’établir sur le mode d’une thématisation implicite, sur le silence ou encore sur certaines formes du discours: fragmentation, émiettement, morcellement de celui-ci, refus de la totalité, de l’intégration. Tout le jeu de l’intégral et du fragmentaire, de la totalité et de la rupture peut servir de théâtre à l’expérience catastrophique. La prise en charge, par le sujet, du matériau littéraire, de la langue, en tant que champ à investir, en tant que champ où il est loisible d’opérer, de mettre en relief des effets catastrophiques, constitue à mon avis l’une des formes les plus élaborées et les plus difficiles de l’expérience catastrophique. Car, ici, expérience littéraire et expérience catastrophique se recouvrent, et la seconde retrouve la fonction ludique dont elle se défait quand elle se réduit au thème.
On n’interpelle ici que des textes littéraires écrits en arménien. Ces textes, comme tout texte, mémorisent des événements contemporains à leurs auteurs ou des événements ayant marqué la mémoire collective. Le fait qu’ils aient été rapportés par écrit n’est pas rien, même si l’écrit ne s’oppose pas à l’oral. D'autant que les textes pris chez les historiographes médiévaux ne s’appuient pas forcément sur des documents écrits, mais aussi sur la tradition orale, et que ces auteurs ne sont pas tous contemporains des événements rapportés. Peu importe, puisqu'ils sont les dépositaires d’une somme d’expérience et constituent une tradition.
Les questions qui contribuent à baliser une poétique de la catastrophe peuvent se résumer ainsi: quels sont les thèmes révélateurs d'une expérience de la catastrophe? Comment la catastrophe est perçue, conçue ou vécue dans les textes interrogés? — même si une poétique de la catastrophe ne peut mettre entre parenthèses l’écriture elle-même, à savoir «le milieu» qui recueille cette expérience — Quelles sont les difficultés auxquelles se trouve confronté l’écrivain qui se donne pour objectif d’écrire sur la catastrophe? Quels sont les stratégies mises en oeuvre et les procédés employés? L’écriture peut-elle fournir une représentation de la catastrophe? Comment l'expression de la catastrophe s’articule à l’indicible, se trouve polarisée autour de l’indicible de l’expérience catastrophique? Enfin, pourquoi écrit-on la catastrophe? Quelle est la visée ou la finalité de l’écrit? Peut-on considérer l’écrit comme un simple «milieu» d’expression? Peut-on concevoir le fait de dire ou de tenter de dire la catastrophe comme un moyen possible de structuration, d’intégration et de transmission de la catastrophe? Ce qui se trouve engagé ici relève tout à la fois de l’histoire et de la mémoire.
Or, il y a une radicalité de l’écriture de la catastrophe, dans la mesure où elle est le lieu précis de rencontre entre la mémoire individuelle et collective de l’écrivain et l’histoire. L’écriture est ce qui relie la mémoire à l’histoire en recueillant les données de l’expérience et en les transcrivant dans un acte unique. De ce fait, elle se trouve à l’intersection du souvenir et de la narration qu’elle convoque, de l’archive et du récit oral, du silence et de la parole qu’elle suscite, du balbutiement et de la logorrhée. Toutes les questions qui ont été formulées convergent vers l’articulation des concepts, de l’écrit et de la catastrophe, le premier étant ce par quoi le second se donne et/ou se refuse à l’intelligence humaine.
Dans la première partie de notre étude, nous appréhendons l'étude de la catastrophe d’avant la catastrophe, c’est-à-dire d’avant la période moderne.
Dans la seconde partie, l’accent est mis sur la modernité même, à travers la littérature qui se développe chez les Arméniens pendant la période 1850-1915, précisément quand se met en marche la machine catastrophique. Cette littérature n’est pas le reflet exclusif de l’ère catastrophique; elle s'articule toutefois autour de cet événement, ne serait-ce que par la dimension historique de sa modernité.
La dernière partie est consacrée à l'examen de l’accomplissement de la catastrophe dans la littérature post-catastrophique, et plus spécialement dans quelques romans d’avant-garde de l’époque qui suit immédiatement les années 1920.
L’étendue du sujet interdit toute généralisation hâtive. La littérature arménienne est immense et les textes qui renvoient à la catastrophe, à des catastrophes, sont nombreux, si nombreux que l’on peut se demander si la littérature arménienne s’est jamais libérée de cet horizon catastrophique vers lequel elle a convergé tout au long des XIXe et XXe siècles et d’où elle continue à surgir depuis 1915.
Cette première partie de notre étude a un objectif triple: en tout premier lieu d' esquisser une étude du lexique, en particulier du terme aghèd ( ) dans les textes classiques, qui devrait permettre de déceler les formes «primitives» d’une expérience de la catastrophe, susceptibles de rendre possible une détermination du concept. Cette étude repose essentiellement sur des extraits tirés des historiographes arméniens, que la philologie occidentale désigne sous le terme de «chroniqueurs», mais que la tradition littéraire de l’Arménie appelle badmitch/ : historiographe, narrateur.
L’historiographie arménienne se développe dès le Ve siècle, immédiatement après l’invention de l’alphabet (vers 404/405), avec les chroniques attribuées à Agathange et à l'auteur du Buzandaran (milieu du Ve s.) que prolongent Lazare de Pharbe/ (fin Ve s.) et Sébéos/ Sebēos (VIIe s.). Les dernières chroniques datent quant à elles des XVIIe-XVIIIe ss. Parallèlement à la lecture de l’historiographie, nous interrogeons également la poésie, en particulier le genre de la lamentation (arm. ), qui permet de déborder le seul cadre des textes narratifs.
Les peuples ont forgé un vaste lexique pour désigner les meurtres collectifs. Dès le Ve s. l'arménien utilise trois termes: godoradz/ kotorac, éghern/, aghèd/. Curieusement, tchart/ n’est pas encore avéré, bien que le verbe tchartel/ existât chez les historiographes. Quant au mot tséghasbanoutioun/, génocide, il n’est employé qu’à partir de 1965 et n’entre dans les dictionnaires qu’environ dix ans après1. Godoradz signifie alors le massacre, la tuerie en tant qu’acte de morcellement, d’émiettement, tandis qu'éghern définit seulement le péril, le malheur qu’on pleure, avant de désigner aujourd’hui le crime. C’est le mot aghéd qui a été le plus souvent employé pour nommer la catastrophe de 1915 et c’est à ce titre qu’une étude lexicale de celui-ci s’impose.
Dans la littérature biblique deux des trois occurrences du terme se trouvent dans la traduction du Livre III des Macchabées (3 Mac. 4 4 et 5 28 ), où ils expriment une douleur forte, en écho à l’étymologie supposée du mot (aghi signifie l’intestin)2. Longtemps le terme a conservé ce sens de douleur et de souffrance, de désespoir, d’angoisse3, voire d’anxiété4 devant les malheurs à venir. Le mot aghèd désigne-t-il d’abord — et seulement — l’état du sujet, ses affects, les passions subies? Cela est possible, surtout quand il se trouve associé au terme de daragouys/ tarakoys qui signifie doute, embarras, incertitude, mais qui de ce fait renvoie à une espèce de déstructuration du sujet5, en provoquant en lui l’impossibilité d’une décision.
Chez les auteurs du Ve siècle, aghèd renvoie aussi aux actes et aux événements terribles qui produisent de tels états émotionnels. Dans un passage de son Histoire d'Arménie où l’historiographe Lazare de Pharbe rapporte les conseils formulés par les princes arméniens pour conjurer l’enclenchement de la guerre arméno-perse (450-451), voici comment le péril futur est introduit: «Considère-nous avec le calme de ton esprit, vois les terribles désastres () qui prochainement adviendront à des milliers d’hommes; rappelle-toi les gémissements des mères, les pleurs des enfants, le brutal exil des vieillards, qu'ils soient hommes ou femmes, et toutes les grandes et pénibles autres souffrances qui nous toucheront tous »6. Mais pour pénétrer l’intelligence du texte, il est indispensable de rappeler le contexte de la guerre arméno-perse, dont l'enjeu est la défense de «la vraie foi de Jésus-Christ» contre la tentative perse d'imposer le mazdéisme. Cette guerre, qui a laissé des traces indélébiles dans la mémoire collective (et nationale), s’achève, en effet, par un grand désastre et l'auteur n'hésite pas à employer le terme aghèd pour qualifier une série d’événements qui touchent la multitude, la communauté, la nation. Dans la hiérarchie des souffrances, il range les cris de douleur des mères et surtout «l’exil» des hommes à l’étranger, en esclavage. Que l'aghèd y soit considéré comme un événement () se trouve confirmé dans un autre passage où le même Lazare emploie la double expression «raconter les événements de tous ces désastres qui leur étaient arrivés»7. Dans la mesure où ces événements concernent une communauté d’hommes et de femmes formant une totalité, une société structurée, on peut dire qu’il y a là, déjà, une certaine compréhension de la catastrophe. Les événements sont sources de catastrophes, ils sont catastrophiques et, en même temps, ils sont dignes d’être racontés.
La catastrophe est associée à l’étranger. Il s’agit soit d’un départ forcé pour l’étranger, comme esclave, otage politique ou exilé, soit d’une occupation militaire de l’espace où l’on vit. Elle engage alors la relation de l'individu à un territoire étranger, laquelle se trouve parfaitement illustrée par un rare, mais important, passage d’Eznik de Koghb/. Dans son Traité contre les sectes, ce théologien de la première moitié du Ve siècle en vient, en effet, presque malgré lui, à parler du paradigme de la situation catastrophique lorsqu'il évoque l’œuvre de Jésus, qui a renversé la Loi ancienne: «Car, tel un étranger, une fois venu en la maison d’un autre, il y a commis des désastres tout aussi innombrables»8.
Ce passage d’Eznik est d'autant plus précieux qu’il n’est pas dû à un historiographe, mais à une sorte d'observateur attentif de la vie quotidienne. La catastrophe ou les événements catastrophiques y illustrent surtout l'intrusion de l’étranger dans l’espace privé. Si la maison désigne l'espace intérieur de l’homme, son chez-soi, son territoire propre, le lieu de son habitation, l’étranger apparaît comme celui qui, apportant de nouvelles règles de vie, y provoque de grands bouleversements. La catastrophe s'y manifeste dans la relation de l'individu avec l’étranger, du soi et de l’autre, dans le cadre d'un conflit ou d'un affrontement où son identité se trouve directement menacée. Cette intrusion est violence. La catastrophe résulte aussi de la désintégration de l’espace intérieur, par le surgissement de la dualité, tant sur le plan psychique que sur le plan politique. En définitive, la catastrophe y apparaît comme l’œuvre de l’étranger qui menace la différence de l'individu.
Dans les oeuvres de l’âge classique de la littérature arménienne, le fait catastrophique est vécu aussi bien comme un affect que comme un événement, et parfois simultanément, l’un découlant de l’autre. On notera toutefois qu'on n'y trouve jamais la catastrophe associée à un phénomène naturel, comme un séisme voire une famine. Celle-ci reste le fait d'hommes contre d’autres hommes qui sont visés dans leur intégrité personnelle ou collective. Elle se déroule dans l’espace politique (au sens grec du mot) et elle suppose une intention9. Autrement dit, la catastrophe n’arrive jamais par hasard, sans l’intention qui la provoque ou qui la justifie.
Les éléments ainsi réunis proviennent-ils d’une expérience «primitive» de la catastrophe? Les événements historiques du Ve siècle justifient-ils une telle appellation? Il importe, pour répondre à ces questions, de rappeler que la domination perse se traduit alors par la disparition du royaume d'Arménie, la perte de sa souveraineté et une menace directe sur l'intégrité culturelle et religieuse de la nation. C'est sans doute ce qui explique que l’affrontement arméno-perse qui se produit alors — immortalisé par la lutte héroïque des saints «Vardaniens» (Vardanank ) en 451 et le désastre qui s’en suit pour les Arméniens — est, depuis, devenu la référence exemplaire de la lutte pour la défense de la liberté et de la souveraineté nationale. D'autant que la résistance arménienne aboutit, un peu plus tard, en 485, à l'octroi d'une autonomie. Dans ce contexte c’est la menace du Mazdéisme qui est vécue comme un fait catastrophique. Les déportations, les meurtres, les martyrs de la foi rapportés par Lazare et Elisé (ce dernier dans son Histoire de Vardan) ne sont que des châtiments infligés à des sujets récalcitrants. Le plan de conversion de l’Arménie au Mazdéisme n’est certes pas un plan d’anéantissement de l’Arménie en tant qu’entité politique; néanmoins l’Edit de Yazguerd II, que nous rapporte Lazare, parle explicitement de «lois vraies et justes» qui doivent désormais être appliquées. Au cas où ces lois ne seraient pas admises, la «perte du pays»10 serait inéluctable. La perte du pays et de ses habitants est, en l'occurrence, brandie comme une menace imminente. Les nouvelles lois introduites par le pouvoir étranger comme la perte possible du pays et de ses hommes forment ensemble, d’une manière concomitante, la menace. Tout se passe comme si les Arméniens de l’âge classique se trouvaient confrontés à un danger de disparition totale, englobant le pays, menaçant «la loi de nos pères»11 et notamment la «liberté des pères». Autrement dit, il y a une menace de l’intégrité non pas territoriale, au sens géographique du terme, mais spirituelle, de ce qui garantit la continuité des générations. Lutter contre cette menace, défendre «la loi des pères qui nous a été transmise en legs», sur laquelle repose la tradition, c’est mourir en martyrs de la foi. On comprend dès lors pourquoi mourir pour la conservation des lois paternelles apparaît aux Vardaniens comme un sacrifice indispensable, comme un acte éminemment spirituel, vertueux. La «mort en connaissance de cause» y devient martyrologe. Face à une situation catastrophique, le martyre apparaît déjà comme une réponse positive, qui s’inscrit à tout jamais dans la mémoire collective et dans «l’idéologie» des historiographes, pour devenir un «schème régulateur».
Dans les années 640-660, les invasions arabes réactivent la menace catastrophique, dont l’historiographie du temps se fait l’écho. Ainsi, dans son Histoire, Sébéos/ Sebēos appréhende d’emblée l’émergence des Arabes dans une perspective apocalyptique: «Mais qui pourrait raconter les terribles catastrophes de ce brigand d’Ismaël qui a incendié la mer et la terre?»12.
L’auteur de ce texte se réfère à la Vision de Daniel13 pour identifier le nouvel envahisseur avec le «quatrième royaume qui va dévorer toute la terre», après ceux des Perses, des Mèdes et des Parthes. Quant à l’auteur de l’Histoire d’Héraclius, peut-être un contemporain du précédent, racontant la prise de Jérusalem par les Perses, il s’écrie: «Oh la catastrophe qui est arrivée aux chrétiens, car il y a eu beaucoup d’effusion de sang. C’était la quatrième colère frappant Jérusalem»14.
Cette vision élargie de la catastrophe résulte probablement d’un profond changement. Les invasions arabes sont de plus en plus meurtrières, de plus en plus longues et dévastatrices. Peut-on parler d’une plus grande violence dans l’intensité de la force oppressante? L’ampleur de l’événement en fait quelque chose d’inouï dont le seul équivalent, dans la mémoire de l’historiographe, se trouve dans la Bible. Loin d’être de purs ornements rhétoriques, les références bibliques constituent des grilles de lecture, un ensemble de schèmes herméneutiques qui ont une finalité précise: ramener l’inouï au connu des livres, établir une continuité de lecture, fonder une possibilité d’interprétation. Il est clair que ces références bibliques sont régies par une volonté d’intégrer les violences déchaînées dans les limites du pensable et dans celles du discours. En tout état de cause, rendre compte des situations catastrophiques semble un acte qui vise à décrypter l’événement.
Plus que Sébéos, Ghéwond/ (fin VIIIe s.) transcrit, dans son Histoire relatant les guerres et des conquêtes des Arabes en Arménie, une expérience apparentée à celle de la catastrophe. L’importance de son texte réside aussi bien dans le «contenu» du récit que dans la mise en place d’un certain nombre de thèmes ou topoï. Ces topoï ne sont pas tous nouveaux, c’est leur surgissement concommitant qui traduit la nouveauté d’un tournant.
Voici en quels termes Ghéwond nous présente la prise de Dwin, la capitale: «Et comme la ville était dépourvue d’hommes en armes, tous s’étant rendus au camp du prince Théodoros, en laissant seuls, sur place, les femmes, les enfants et une foule immense de gens étrangers au métier des armes, [les envahisseurs] arrivèrent sur la ville, prirent aussitôt la citadelle et passèrent les hommes au fil de l’épée, [tandis que] les femmes et les enfants, au nombre de 35 000, furent conduits en captivité. Qui pourrait suffisamment déplorer le malheur de ces catastrophes (), car, en tout lieu, immense était le péril. Les saintes églises dont l’entrée était interdite aux païens, étaient démolies, détruites et foulées aux pieds par les infidèles; les prêtres, les diacres et les acolytes inclus, étaient exterminés par l’épée d’ennemis impies et cruels; de nombreuses femmes délicates et de haute naissance, qui n’avaient jamais subi l’épreuve de la détresse, étaient frappées, insultées et traînées sur les places publiques et poussaient des cris de lamentations en ces moments d’agonie. La foule immense des captifs, ensemble de jeunes gens et de filles réunis par le même malheur, soupiraient et gémissaient; ils ne savaient pas s’il fallait pleurer davantage ceux qui étaient abattus par le fer de l’infidèle ou ceux qui, [encore] vivants, étaient enlevés et rendus étrangers à la foi du Christ et aux bénédictions divines… Telles les catastrophes de Judée, tous ces événements vengeurs se sont déroulés chez nous, provoquant de grands malheurs »15.
La description des péripéties émaillant ces événements prend une dimension théologique, déjà perceptible dans le passage cité, dont la référence biblique (à la Judée) constitue un cadre d’interprétation de l’événement catastrophique. Chez Ghéwond, plus que chez ses prédécesseurs, l’histoire devient le théâtre des signes de la Providence, une préparation de l’ultime moment, le Jugement dernier. Elle est virtuellement apocalyptique.
Dans une autre passage, le même Ghéwond, rapportant des événements s'étant produits dans les années 771-775, lorsque les Arabes pratiquaient une politique répressive, notamment en matière d’imposition, considère que ceux-ci transforment l’Arménie en un «lieu de tortures»16 : «Car, par ses machineries, la ruse conseillait [au calife] de réduire le pays des Arméniens en un lieu de tortures; ou plutôt ce n’était pas elle, mais la volonté de la Providence qui dirige les princes, dont la colère céleste se manifestait par l’apparition d’essaims de sauterelles, par [la chute] d’énormes quantités de grêles provoquées par la sécheresse. Tels étaient les signes de Sa colère envers nous».
Les détachements arabes «augmentaient les gémissements et les catastrophes de notre pays, car, comme nous l'avons déjà raconté, c’est le Seigneur qui endurcissait leurs cœurs pour nous faire expier nos péchés; et en effet, sous son règne, outre la famine, les carnages et les tremblements de terre dévastèrent [le pays], les patriarches étaient insultés, les évêques méprisés, les prêtres torturés et battus, les princes et les nakharar défaits et ruinés. Ne pouvant plus supporter toutes ces calamités, nos chefs gémissaient et s’affligeaient; quant à la classe inférieure, elle était exposée à de nombreux supplices: certains subissaient la flagellation, d'autres étaient pendus aux potences ou écrasés dans les pressoirs; d’autres encore étaient, au milieu de l’hiver rigoureux, dépouillés de leurs vêtements et jetés dans les lacs, [tandis que], sur la rive, des soldats étaient chargés de leur infliger des tortures terribles, au point que nous ne pouvons ici faire le récit de ces catastrophes»17.
Il est aisé de remarquer que nous sommes ici bien loin des références bibliques n’engageant que des comparaisons entre l’Arménie et la Judée. Avec Ghewond, la catastrophe devient une affaire de la Providence. En l'occurrence, il s’agit bel et bien d’une lecture théologique de la catastrophe, laquelle répond à une question implicite: pourquoi et comment advient la catastrophe?
A cet égard, disons d'abord que le recours à une lecture théologique de l’événement catastrophique ne dispense pas l’historiographe de la recherche de responsabilités chez les hommes. Mais s'il entreprend une lecture théologique, ce n’est certainement pas pour des raisons contingentes, comme on a l’habitude de le penser en se référant à la vision chrétienne de l’histoire humaine. Cette vision existe, certes, mais elle ne peut suffire à rendre compte du rôle de la lecture théologique. Celle-ci s’impose à l’historiographe parce que les catastrophes sont telles qu’elles dépassent largement l’entendement humain, les limites de compréhension des hommes du temps. Autrement dit, c’est le sentiment de l’immensité du fait catastrophique — ou de la catastrophe vécue comme un événement incommensurable et incompréhensible — qui pousse la pensée à chercher la cause ultime. Engager la culpabilité totale de l’homme n’a de sens que si le fait catastrophique met en danger l’intégralité de l’existence de l’homme.
Ce n’est pas par hasard que Ghéwond développe et systématise toute une rhétorique de l’impossible discours, qui revient à dire qu'il n'est pas possible de raconter l’histoire de ces catastrophes, car elles sont «insupportables» ou presque toujours «immenses». L’emploi répété qu'il fait de l’épithète anhenarin est fort significatif à cet égard18. Cet adjectif signifie impossible, excessif, exorbitant, véhément, prodigieux, horrible et, littéralement, ce qui ne peut pas être inventé, ce qu'il est impossible de machiner… par les artifices de l’homme. Les maux inventés et infligés aux humains sont tels qu’il est inconcevable d’imaginer qu’ils sont l'œuvre de l’ingéniosité des hommes. C’est la raison pour laquelle il n’est pas possible de les consigner par écrit. Les faits, les événements peuvent être rapportés, mais l’histoire écrite des catastrophes est impossible. Voilà pourquoi, immédiatement après avoir déclaré et souligné cette impossibilité, Ghéwond passe à la ligne et continue son récit: «Ici je parlerai de l’acte de cruauté le plus horrible de la nation sauvage d’Ismaël»19.
Cette sobriété stylistique tranche sur l’habituelle abondance des images d’atrocité. Tout se passe comme si l’histoire de la catastrophe étant impossible, il ne demeurait plus que le discours de quelques événements singuliers20.
La catastrophe apparaît d’autant plus grande que les possibilités de réponse —les moyens militaires des princes arméniens — sont fort limitées. Certes, ces princes, «préférant une mort héroïque à une vie pleine de périls»21, se révoltent, mais leur insurrection échoue lamentablement. Ghéwond résume sa pensée en plaçant dans la bouche du prince Achot ces propos: «Je sais que vous ne pouvez pas opposer une résistance efficace à la force de ce dragon (la domination arabe) à plusieurs têtes, car forte est sa puissance, innombrables sont ses guerriers et considérables sont les munitions dans ses dépôts. Tous les royaumes qui ont résisté à sa domination ont été écrasés comme des pots de terre; saisi d’effroi devant eux, même le royaume des Grecs n’a pas osé lever la main et affronter l’ordre du Seigneur»22.
Le sentiment d’impuissance face à un «ordre» implacable fait-il partie de l’expérience de la catastrophe que Ghéwond présente ici comme inéluctable? Est-ce ce sentiment qui pousse certains princes au martyre? En fait, le discours martyrologique déployé depuis Elisé n'est rien d'autre qu'une tentative pour dépasser le tragique du fait catastrophique, en le réalisant. Or, face au martyrologe «traditionnel» apparaît un discours «rationnel», disons un discours proprement politique, qui calcule, louvoie, se courbe, afin de «vivre en paix dans votre pays» et pour ne pas être obligé «d’abandonner, de laisser l’héritage des terres reçu de vos pères, les bois, les champs et les tombes de vos pères…»23. Pour que la catastrophe ne s’accomplisse pas, il faudrait donc conserver l’héritage: la terre, les tombes, la vie. Telle est la loi de la survie. Tel est l’autre schème régulateur, devenu déjà à cette époque un principe politique, intégré plus tard à la mémoire collective. Il est le contraire absolu du martyrologe, puisqu’il affirme les valeurs essentielles et bien terrestres de l’existence humaine.
L’expérience de la catastrophe nourrit ce type de discours assez particulier qu’est la Lamentation (arm. ). Les textes historiques arméniens s’accompagnent souvent de lamentations, dont la plus connue, mais pas l’unique, est celle qui conclut l’Histoire des Arméniens de Moïse de Khorène/ Movsēs Xorenaci. L’immense récit de l’historiographe Moïse, lequel commence par l’archéologie des Arméniens et s’achève à la mort de Mesrop, le créateur de l’alphabet, en 439, se conclut dans la désolaton la plus complète. La royauté a disparu (en 428); les maîtres sont morts; l’anarchie s’est installée; le peuple est privé de la surveillance paternelle: «Moïse disparaît, mais Josué ne vient pas à sa place, pour nous conduire vers la terre promise»24.
Les références bibliques établissent un parallèle évident entre l’histoire juive et l’histoire arménienne. Mais c’est moins pour y voir l’œuvre de la Providence que pour souligner qu’à l’inverse des Juifs, les Arméniens sont privés de tout secours. Les Arméniens n’ont ni Josué ni Mathathias, ni Macchabées. Pire encore, «Dieu [les] a abandonnés et les éléments ont changé de nature»25. Le rapprochement que fait Moïse de Khorène entre l’abandon de Dieu et les désordres naturels est saisissant et éclairant. L’abandon de Dieu ou son retrait déclenchent la catastrophe, qui apparaît constamment à Moïse comme le surgissement du chaos primitif et originel26. La pensée éminemment politique de l'auteur détermine ce retour du chaotique comme une dissolution des lois et des institutions, tant religieuses que profanes, spirituelles comme temporelles. Autrement dit, la catastrophe entraîne avec elle l’ensemble de l’ordre établi par une succession de rois et de chefs religieux. Le Chant des lamentations27 délivre ainsi un message à la fois politique et symbolique. Le propre de la catastrophe est finalement de priver la communauté de son avenir. Dans son style grinçant, Moïse s'interroge sur cette question: «Dois-je pleurer sur les catastrophes déjà advenues à mon pays ou sur celles qu’on attend pour l’avenir?»28.
Le propre du catastrophique est qu’il rend impossible le futur. Il est le commencement de la fin. La Lamentation est apocalyptique. Moïse de Khorène suit cette logique implacable et annonce: «Les maisons seront ruinées, les propriétés volées; il y aura des chaînes pour les chefs, des prisons pour les notables, l’exil pour les gens libres et la misère pour la masse du peuple. Les villes seront prises, les forteresses détruites, les bourgs soumis au pillage, les édifices livrés aux flammes; [il y aura] de longues famines, des épidémies et des morts de toutes espèces; la piété sera oubliée et l’espérance ne prétendra qu’à l’enfer»29.
Pour donner à son texte un caractère poétique et prophétique, Moïse omet tous les verbes30. L’ancienne traduction française adopte le futur qui me semble mieux convenir. Or, ce fait «stylistique» est fort significatif, car cette vision apocalyptique intervient dans le présent; l’apocalypse n’est pas au futur, mais commence dès lors que le discours est proféré. Présent et futur s’effacent dans la fin extatique du temps. Cette fin fait partie de l’expérience propre de la catastrophe où le temps, les divisions du temps31 sont abolis du fait de la disparition de ses cadres institutionnels (règne, patriarcat, société civile). Quand l'auteur se lamente sur la fin de la royauté et la mort de ses maîtres, que fait-il, sinon pleurer la décomposition des cadres institutionnels du temps. S’il n’y a pas de rois, de règne ou de pères spirituels, il est évident qu’il n’y a pas de chronologie. D’où le caractère atemporel (et atemporalisant) de la catastrophe32, dont la figure la plus accomplie est l’enfer.
Après Moïse de Khorène, les Lamentations deviennent un genre, une attitude face aux événements tragiques. Elles disent toujours la mort et annoncent une fin imminente. Le ton apocalyptique se constitue sur cette limite. Il consiste à rendre compte d’une «situation extrême»33, où les valeurs et les idées traditionnelles ne fonctionnent plus ou ne sont plus d’aucun secours. L’Histoire d'Aristakès de Lastivert/Aristakēs Lastiverci (XIe s.) nous rapporte les événements de ce siècle crucial (l’épanouissement et la prise d’Ani, la fin du royaume Bagratide, les incursions byzantines, les invasions seldjoukides, etc.). Cette Histoire commence par un préambule lyrique, fort significatif, et fait écho à la conclusion, au Mémorial de l’ouvrage. Il suffit à cet égard de souligner les propos suivants: «Pour nous sont arrivés des jours de souffrance,/ Et de grandes calamités nous ont frappés,/ Car la mesure de nos péchés a été comblée./ Le pays s'est empli d’impiété./ La justice a décru, le dérèglement s’est accru./ Laïques et prêtres ont menti devant Dieu./ Voilà pourquoi des peuples étrangers/ Nous ont exilé de nos propres demeures…/ Le souffle coupé, nous périssons de désespoir./ La mort toute-puissante nous a engloutis./ Les générations se sont succédées,/ Le souffle fécond de la vie s’est éteint…/ Ceux qui étaient établis dans le monde,/ Dans leur exil ont été de nouveau exilés,/ Chassés par des vagabonds rebelles,/ Arrachés à leurs êtres chéris épargnés par l’épée,/ Ils se sont dispersés, semblables à des astres errants…
Aristakès interrompt son texte brutalement et passe «au commencement de l'histoire afin de rendre [le] récit compréhensible»34. Le récit est donc là pour que la «parole» soit aisée à comprendre. Il a une fonction propédeutique. Dans son Mémorial Aristakès développe l’image d’un corps céleste lumineux au départ et qui, montant lentement au ciel, se recouvre d’un tissu de péchés. Le lumineux devient alors ténébreux35. Cette image est la métaphore de l’Eglise, mais aussi celle de l’histoire humaine. Les hommes se sont éloignés de la lumière première et se sont enténébrés par le péché. Or, la parole dévoile le sens du récit et va donc un peu à contre-courant du récit. Serait-elle sa lumière ou son sens? Or, ce qu’elle dit, ce qu’elle lit derrière le récit c’est la fin d’un monde.
«Ainsi, quand dans le monde entier se sont répandues catastrophes et douleurs universelles, la flamme du sud a brûlé les hautes forteresses et anéanti les tours inaccessibles comme de la cire fondue. Rois et princes s’en sont allés dans le néant et l’espoir du salut nous a quittés. Nous avons tous été atteints par la colère du Seigneur; les maisons de prières ont été détruites et les pierres baignées d’huile sainte servent de fondements aux palais destinés aux étrangers… Car le Seigneur a voulu nous accabler de tourments, nous déchirer, nous épuiser, nous torturer, nous infliger à tous, sans distinction d’âges, des supplices. Il nous a éloigné de Sa face, comme des pécheurs passibles du châtiment, et, après nous avoir éloignés de Lui, Il nous a dispersés parmi les peuples étrangers...
«Il n’est pas possible d’écrire toutes les tempêtes qui se sont déchaînées de notre temps, ni d’exposer séparément tout ce qui s’est produit en chaque endroit, dans chaque province ou dans chaque ville, tout ce que nous avons dû souffrir de la part des païens. Pas un seul jour, pas une seule fois, nous n’avons trouvé le calme et le repos, mais toute l’époque a été saturée de troubles et d’infortunes. De jour en jour augmentaient les souffrances et les tourments. Ils ont toujours été mal disposés à notre égard, même après avoir passé de longues années chez nous. Leur méchanceté de vipères n’a pas cessé, leur voracité, pareille à celle du feu, n’a jamais été rassasiée. Toutes leurs intentions à notre égard sont perfides, leurs paroles sont pleines d’artifices. Chaque matin ils se sont livrés à de nouveaux crimes, car ils sont tous possédés par une seule idée, celle d’en finir avec nous, après nous avoir usés comme de veilles guenilles, celle d’effacer en eux-mêmes tout souvenir de nous, de ne plus avoir à nous regarder et à nous voir vivants. Et que sous leurs pieds disparaissent nos tombes sans laisser de traces »36.
Ce texte, qui occupe une place stratégique, puisqu’il clôt l’Histoire, mériterait un commentaire bien plus large; mais je me contente de n’en souligner que quelques aspects, tant il me permet de saisir presque sur le vif l’expérience de la catastrophe. En effet, le tableau qu’Aristakès dresse comprend tous les éléments qui font de l’existence un enfer. Il y a d’abord les guerres qui viennent de toutes les directions: «de l’Orient l’épée, de l’Occident la tuerie, du Nord la flamme, du Sud la mort»37. Par ailleurs, le pays tout entier est encerclé par les flammes et la mort; le sentiment d’être encerclé, isolé, acculé à affronter la mort, qui se manifeste ici, est une dimension importante de l’expérience catastrophique. Toutes les portes sont désormais fermées, il n'y a pas d’issue. L’encerclement ne fixe pas, mais prive en fait de tout lieu, puisque là où il s'installe demeure la menace. L’encerclé n’a pas de «refuge»38. Ce sentiment est renforcé par le fait qu’il s’agit d’un abandon: Dieu s’est lui-même retiré et ne répond plus. La lumière cède la place aux ténèbres; d’où «un enténèbrement du monde»39.
Il y a ensuite la disparition de l’autorité royale et le déclin de l’autorité de l’Eglise. Rois et ecclésiastiques n’ont pas pu «éloigner le monstre de la guerre [car], affaiblis et sans force, ils sont tombés au pouvoir de l’ennemi et le monde a été rempli de troubles et de dissensions»; ils nous ont quittés; nous n’avons plus de «protecteur ou d’instructeur»40. Ce nous n’est pas rhétorique, mais existentiel; nous sommes la multitude privée de chefs et d’autorité, tant sur le plan politique que sur le plan religieux. La catastrophe serait donc absence de souveraineté, mort de l’instance paternelle, protectrice et structurante, car la disparition des rois et des chefs religieux provoque une destructuration généralisée de la société qui n’a plus son fondement symbolique.
La destructuration de la société livre les villes et les villages à l’arbitraire. Il n’existe plus ni droit, ni justice; la société ne respecte plus aucune valeur ou norme; au contraire, c'est le règne du vol, du rapt et du crime. Ceux qui échappent à la mort sont contraints à l’exil, à un «second exil», le premier étant déjà l’existence sur terre. Le thème de l’exil est essentiel pour Aristakès qui désigne indistinctement sous le terme d'exil () les départs volontaires comme l'envoi en captivité. Aristakès est parfaitement conscient qu’il s’agit là d’un procédé nouveau et inouï; que l'objectif de l'envahisseur est de vider le territoire, de le dépeupler, de le désertifier. Pour ce faire, il faut y rendre la vie impossible, transformer les hommes en squelettes et en «ombres». Il est troublant de remarquer combien, dans le menu détail, les descriptions d’Aristakès renvoient à des moments et des pratiques connus ultérieurement.
Les événements du XIe siècle déchaînent une violence d’une intensité sans commune mesure avec celle que nous fait sentir Ghéwond. En l'occurrence, la tradition de la violence se dépasse. Or, ce «plus», cette plus grande intensité, réside moins dans un exercice nouveau de la violence que dans sa «spiritualisation». Nous entendons par là que cette violence est régie par une stratégie et guidée par un projet. En effet, Aristakès perçoit avec beaucoup de perspicacité le projet des envahisseurs. Il ne s’agit pas de convertir de force les chrétiens à l’Islam, de se contenter de les dominer, comme c’était le cas auparavant, au temps de Ghéwond. «Ils» — les nouveaux envahisseurs — ont «des intentions» à notre égard, une «idée» (khorhourd) bien précise de ce que nous appellerions un projet secret: ils veulent nous user comme de vieilles guenilles, nous consumer, nous faire disparaître, nous et nos tombes, à savoir les traces de notre mort. La nouveauté réside donc dans la pensée d’une mort programmée, qui efface les vivants et les traces de leur mort. Cette violence est d’autant plus fine et efficace, qu’elle se veut sans traces. La mort n’est plus exposée, mais cachée. On peut dire que chez Aristakès, il y a une très nette conscience de l’idée de l’annihilation. Il va sans dire que l’annihilation vise le nous, à savoir la multitude des Arméniens qui, certes, ne sont pas désignés comme tels, mais clairement sous-tendus.
Plus que tout autre, Aristakès accentue la dimension théologique de la catastrophe. Le «Mémorial» est entièrement pris dans le réseau de l’argumentation classique: les événements de l’histoire sont la réponse à nos péchés; nous en portons la résponsabilité; Dieu s’est détourné de nous; il nous refuse sa face. Mais Aristakès requiert toujours son amour, sa filiation, afin que, écrit-il, les «païens ne nous achèvent pas»41. Dieu demeure l’ultime recours. Et Aristakès pense qu’en nous dispersant parmi les peuples étrangers (déjà la diaspora!), Dieu peut «le mieux soumettre à la houlette de Son édification nos pensées obstinées, insoumises et indociles, comme Il l'a fait pour Israël au temps d’Elie et pour la Samarie à l’époque d’Elisée (cf. I Rois 17, II Rois 6)»42. La référence à Israël, qu’on a déjà vue chez Moïse et Ghewond, est d’autant plus importante que le parallèle a pour conséquence de montrer l’extrême différence de la détresse vécue par les Arméniens. Les Juifs «avaient encore une parcelle d’espoir, la protection du roi et de ses chefs n’avait pas été réduite à néant et, surtout, ils entendaient la parole bienfaisante et consolatrice du prophète, par laquelle ils étaient fortifiés d’en haut par le Seigneur…»43. Il apparaît ainsi que la ligne de démarcation qui sépare les Juifs de la Bible des Arméniens contemporains passe par les prophètes. Ce qui manque aux Arméniens, c’est la permanence des prophètes dont a bénéficiée Israël. Je serais tenté d’interpréter cette permanence des prophètes comme celle d'une parole sainte. Les Juifs, selon Aristakès, avaient un recours, un refuge ultime, qui aurait une emprise sur le réel; la prophétie qui fait défaut à ses contemporains. Pour remédier à ce manque, Aristakès en appelle à une restauration de la foi qui, pour lui, demeure, envers et contre tout, l’issue.
Chez Aristakès, l’importance de la dimension théologique réside dans le fait que la religion, en tant qu’institution, foi et liturgie, rend possible une lecture des événements historiques. Autrement dit, croire en la Providence c’est pouvoir déceler un sens dans l’anarchie et le déroulement absurde de l’histoire. Dieu transforme les événements en «épreuves» «afin de nous remettre sur la route de la sagesse et du bien»44. La catastrophe en tant qu’épreuve a donc une fin. Elle a un sens, puisque le sens laisse ouverte la voie vers un ailleurs, un au-delà non-catastrophique. Cette finalisation de la catastrophe, qui est le signe de notre finitude et dit notre mort, n’est possible que dans un monde d’où la transcendance ne s’est pas totalement retirée. Tant que le monde n’est pas encore tout à fait désert et que Dieu n’a pas deserté l’homme, le salut, c’est-à-dire la survie, demeure possible.
Du fait même que l’historiographie traditionnelle ignore l’individu, hormis l’écrivain lui-même, on ne peut espérer y trouver les configurations d’une expérience intérieure. Qu’en est-il de l’impact du fait catastrophique sur la psyché des individus? Répondre à cette question, surtout sous cette forme, c’est reprendre à son compte son présupposé, à savoir que la catastrophe laisse subsister des personnes, alors qu’elle les traite précisément comme un nous et en fait des «ombres», des «squelettes» et des morts-vivants, ainsi que le suggère Aristakès dans son préambule. On peut cependant trouver dans les marges des événements, dans des œuvres qui n’y font aucune référence et ne semblent apparemment pas concernées, des traces et des signes où affleure le fait catastrophique. Je ne recule pas devant l’audace de prendre l’exemple de Grégoire de Narek/Grigor Narekac'i (c. 945-c. 1003), dont l’ouvrage majeur, le Livre tragique ou Livre de chants de lamentation (1002), bien qu'apparemment éloigné de toute problématique historique, représente un cas très significatif. En effet, qu’y-a-t-il de commun entre le moine du couvent de Narek, qui a vécu dans une période de relative paix, et les tourmentes dont l’ouvrage d’Aristakès se fait l'écho?
Le Livre de Grégoire comprend quatre-vingt-quinze Chants de lamentation, qui n’ont aucun caractère historique. Celui qui s'y exprime et qui s'adresse à Dieu tisse un dialogue dans lequel il affirme, en gros, la grandeur de la transcendance et l’état de pécheur de la créature. Mais le Veilleur (), qui est le «sujet» du discours, nous décrit, entre autres, ses contradictions intérieures, ses «mouvements et ses commotions opposées». Ces contradictions sont rendues visibles par des métaphores guerrières: «Mais la voix redoutable de ton Jugement de rétribution…/ Fait douloureusement naître en moi un double soulèvement, en lutte l’un contre l’autre,/ Manifeste dès maintenant des mouvements et des commotions opposées qui se révèlent dans mon âme:/ Des foules tumultueuses se frappant les unes les autres avec l’armure et le glaive,/ Des troupes de pensées, les mauvaises contre les bonnes, et qui me mènent captif vers la mort,/ comme le fit l’antique événement survenu en moi avant la grâce…»45.
Il serait méthodologiquement imprudent et non fondé de passer sans transition et justification de l’intériorité à l’histoire extérieure. Mais ce qui m’importe ici, avant tout, c’est de souligner non pas l’origine «réaliste» de la métaphore, mais sa fonction poétique et discursive, voire sémantique, car la métaphore guerrière détermine l’intériorité de l’âme, comme un véritable champ de bataille, où ne manque ni les tumultes ni la mort ni la captivité. Ce paysage de désolation d’où la vie ne s’est pas retirée, mais y est simplement menacée, constitue, pour Grégoire, «épouvante, fosse et filet d’où l’on ne peut pas s’échapper»46, un refuge sans refuge. Or, ce paysage figure l’existence même de l’homme selon Grégoire, dans la mesure où le Moi représente l’humanité toute entière47, dont il résume les passions, les faiblesses et les désirs. La modalité propre de cette existence, son actualité même, se détermine dans le cercle de la logique catastrophique. Grégoire ne cesse de souligner qu’il lui manque les mots «pour faire le récit des douleurs de ses catastrophes»48. Avant de décrire l’allégorie du naufrage du corps de l’homme dans la tempête de la vie dont va résulter la destruction, le démembrement du corps en épaves, Grégoire nomme avec précision cet état: «Mais puisque de si grandes misères, l’une plus cruelle que l’autre, se sont abattues sur moi, le plus malheureux et le plus affligé des hommes, dont les discours antérieurs ont [déjà] décrit en partie les aspects et les circonstances, je ne changerai que la forme de mon discours, mais non point la détresse de ma catastrophe»49.
Les déchirements, le fait que l’être soit capté (ce sont ses captivités) par les périls, la déréliction extrême, «l’abîme» qui en découle, sont les manifestations du fait catastrophique. Ici, le Moi est habité par la catastrophe qui demeure immuable, inaltérable et constitue le fond du discours. Les formes peuvent changer, mais la situation perdure. L’allégorie du naufrage est une forme, mais l’événement qu’elle raconte est l’éclatement de l’unité du corps. Grégoire dit clairement: «Ce naufrage est devenu pour moi un mémorial de lamentation»50. L’éclatement de l’être et de l’arche (dapan) est le fruit, le résultat de cette catastrophe qui, non seulement le travaille, mais le déstructure dans sa langue même, car pour Grégoire ce naufrage est le paradigme de toute l’existence spirituelle ( ), à savoir de ce qui fait de l’homme un être capable de connaître. Et toute la question de Grégoire est de recomposer ce corps et sa langue éclatés. Comme il se doit, cette recomposition prend appui sur le«fil de l’espérance»51, qui n’est autre que Dieu. Mais il est aisé de comprendre que tout ce discours se meut à l’ombre de la catastrophe. Je transcris ce que dit Grégoire lui-même: «Et les lamentations de toutes les femmes pleureuses réunies/ qui tissent des plaintes, le cou et l’âme transpercés/ ne seraient point capables de chanter le malheur de mon désastre et de l’amener à la musique des sons»52.
Chez Grégoire de Narek, la catastrophe traverse toute l’existence humaine. Comme Aristakès, Grégoire y voit une épreuve, quelque chose que Dieu seul peut réparer grâce à sa radicalité, puisque la catastrophe est coextensive à l’existence en tant que telle. Cette généralisation extensive du fait catastrophique escamote, semble-t-il, la dimension «nationale» et spécifique de l’événement traumatique. En est-il vraiment ainsi? Ne s’agit-il pas plutôt d’une découverte? Celle de l’inté-riorisation du fait catastrophique. La catastrophe est existentielle en ce qu’elle pénètre le corps et l’âme de l’être. Elle s’insinue partout, dans la vision comme dans la langue, désorganisant le tout, le fragmentant, pour en faire un ensemble d’épaves qui flottent à la surface des eaux, pour reprendre la métaphore. Sans référence précise à la réalité et à l’histoire, le travail de Grégoire développe à sa manière une expérience de la catastrophe.
Aristakès de Lastiverd dit une catastrophe d’avant la catastrophe. Nous en voulons pour preuve la série de questions que ne cesse de soulever son écriture, particulièrement caractéristique de toute expérience écrite de la catastrophe. Si, en effet, dans les récits de témoignages, le sujet se trouve aux prises avec le langage53, dans la littérature de la catastrophe, où l’écriture affronte des difficultés non pas tant d’expression ou d’extériorisation du vécu que des difficultés inhérentes à la transcription de «l’indicible», il en est de même. La rhétorique de l’indicible n’est pas seulement propre à la théologie négative, mais également à tout écrit qui se propose de dire une expérience limite, en l'occurrence une négation absolue. L’emploi de figures, la permutation des pronoms, les silences, l’alternance du récit et du commentaire et bien d’autres procédés stylistiques révèlent l’expérience catastrophique, tout autant que sa thématisation explicite.
Ainsi, l’intelligence qu’a Aristakès de la logique catastrophique éclate dans ses procédures d’écrivain. Il suffit de repérer les faits textuels. Comment peut-il dire l’ampleur de la catastrophe, sinon en affirmant que ce qui a eu lieu est plus que ce qui a été rapporté: «Et tous ces malheurs, que j’ai consignés par écrit dans ce livre et qui sont encore bien plus que cela, nous ont frappés pour nos péchés»54.
Son récit ne dit pas tout; il en dit toujours moins que ce qui fut. «Dans le présent livre, tout n’a pas été décrit, seul l’a été le début des événements qui se sont produits à notre époque, car nous n’avons pas pu en acquérir une complète intelligence et en décrire l’entier accomplissement»55.
En fait, nous n’avons pas eu «le pouvoir de penser et d’écrire le tout», confesse Aristakès. Ce qui a été écrit constitue l’amorce du tout. L’opposition implicite entre le tout et son commencement annonce l’opposition de la complétude et du fragment. Le livre écrit est fragmentaire. A la question pourquoi n’avons-nous pas pu penser et écrire le tout dans sa plénitude? Aristakès répond: «Car nous avons considéré comme [un travail] excessif [de décrire] toutes les tempêtes qui se sont déchaînées de notre temps, d’exposer séparément tout ce qui s’est produit en chaque endroit, dans chaque province ou dans chaque ville…»56.
Aristakès pense que le tout (les tempêtes) ne peut pas s'écrire, car pour écrire le tout, il faut mentionner ce qui s’est produit en chaque endroit, dans chaque province et dans chaque ville. La diversité des lieux et des événements particuliers compose le tout. Le récit qui aurait visé à rendre le tout devrait donc se particulariser, passer par tous les lieux, mentionner tous les événements. On aura compris qu'à force de se multiplier, le discours devient infini et qu'à force de citer des événements, on perd de vue ou on laisse échapper le tout. On peut toutefois se demander si la saisie de l’essence fragmentaire du discours sur la catastrophe ne peut pas nous renseigner sur la catastrophe elle-même? En effet, dans la mesure où la catastrophe se révèle comme dépassant le discours et excédant le récit, dans cette juste mesure elle dévoile son «essence» totale et totalitaire.
L’expérience littéraire de la catastrophe pratique une gestion particulière non seulement des figures, mais également des références intertextuelles. Les historiographes anciens font un usage abondant de la Bible et en particulier du Livre desMacchabées, des Lamentations et de certains livres historiques. L'usage de cette fonction référentielle, théologique et argumentative n'est en fait qu'une tentative visant à imposer aux événements la logique des valeurs du monde et de la culture que ces événements perturbent. Cet usage est constant dans la littérature médiévale de l’Arménie et en constitue sa différence essentielle par rapport à la littérature moderne des XIXe -XXe siècles. Les historiographes font d’autant plus appel à l’explication chrétienne de l’histoire, que celle-ci interpelle les valeurs en cours. La lecture théologique a donc pour fonction d’intégrer la catastrophe dans un ensemble le plus cohérent possible de schèmes, de pensées ou d'idées.
Or, cette fonction référentielle s’accompagne souvent d’un usage implicite ou explicite des modèles littéraires ou historiographiques. Cet usage peut avoir plusieurs sens. Mais voyons d’abord comment il opère.
Comment penser et écrire le tout de la catastrophe? Quelqu'un a-t-il déjà été confronté à une telle difficulté? Un écrivain comme Aristakès est si conscient de la gravité du problème qu’il effectue un retour au passé, pour interroger les historiens d’antan. Sa démarche se résume ainsi: «nos» ennemis ne voulant que «notre» mort, «nous avons ressenti le besoin des anciennes chroniques historiques, afin qu'en les prenant dûment comme modèles, elles mettent par des termes convenables leur empreinte sur ce livre, en rassemblant d’une manière certaine les événements du passé et ceux du présent»57.
Que veut dire Aristakès lorsque, se réfèrant aux auteurs anciens, il souhaite que ces derniers «mettent... leur empreinte sur ce livre». Cherche-t-il à lier son récit aux récits du passé, ou plutôt à saisir la spécificité des livres des anciens, réunissant «le présent au passé»? Si les livres anciens sont invoqués, c’est pour la bonne raison qu’ils sont des «modèles». On sollicite leur secret, on leur demande de mettre leur empreinte sur le nouveau livre, celle de leur capacité «de rassembler passé et présent», c’est-à-dire des extases du temps, du commencement et de l’achèvement. Si c’est le pouvoir de rassembler et d'unifier qui est recherché chez les historiographes anciens, c’est donc que ce pouvoir lui manque et que son récit est fragmentaire parce que ce pouvoir de rassemblement lui fait défaut. Autrement dit, Aristakès affronte l’épreuve de l’éclatement de l’écriture historiographique traditionnelle face aux événements du présent. Ce manque du pouvoir unificateur est le garod/karot (nostalgie et manque) qu'on trouve dans les anciennes chroniques. Le temps y était continu; des rois et des maîtres s'y succédaient; l’histoire était possible. Tandis qu'à présent, au coeur de la catastrophe, règnes et dynasties ayant disparu, l’unité du présent et du passé manque, le temps fait défaut. La catastrophe ne serait-elle pas, en définitive, le manque de pouvoirs unificateurs: le temps, l’espace, la cité?
Les modèles développés par les historiographes ont plusieurs fonctions. Ils permettent de mesurer l’écart qui sépare le discours écrit des anciens d’avec l’expérience nouvelle des contemporains; ils dévoilent des traits nouveaux de la catastrophe présente et sont donc des révélateurs ou des détecteurs; ils réinstaurent enfin la continuité que la catastrophe tente de rompre. Les modèles, qu’on imite ou auxquels on adhère et qu’on inscrit dans le texte historique, tel que celui d’Aristakès, permettent donc, d’une certaine manière, de greffer un discours sur un autre, de le faire fonctionner en l’articulant au passé, d’offrir à l’intelligence un horizon d’intelligibilité. Le recours aux modèles est donc une véritable structuration du champ sémantique, culturel (et du sujet)58.
On peut dire que la structuration du champ sémantique est particulièrement perceptible dans la formation d’un genre littéraire tel que les Lamentations. A partir du début du XIIe siècle, les Lamentations sur les villes prises ou dévastées deviennent abondantes comme sont nombreux les malheurs du temps. Elles se nourissent aussi bien de sources savantes (des livres prophétiques de la Bible, en particulier du Livre deslamentations de Jérémie), que de sources populaires (les Lamentations chantées sur le défunt pendant l'enterrement), auxquelles fait allusion Grégoire de Narek dans son Livre tragique59. Ce genre se développe sous une forme poétique avec la composition, en 1145, du vaste poème de Nersès Chnorhali/Nersēs Šnorhali (1102-1173) consacré à la chute de la ville d’Edesse60. La fortune littéraire de cette Lamentation [ou Elégie sur la prise] d’Edesse est telle que ses successeurs ne manquent pas l'occasion de l’imiter dans des circonstances semblables. Ainsi la chute de Jérusalem fournit à Grigor Tgha/Grigor Tła (1133-1193) l’occasion d'écrire, en 1189, une Lamentation sur la ville de Jérusalem61. Plus tard Abraham d’Ancyre/Abraham Ankiwrai (XVe s.) écrit une Lamentation sur la prise de Stamboul62 comme Arakél de Baghèch/ (XVe S.)63. Ces désastres se rattachent plus ou moins directement à l’Arménie et aux Arméniens. On remarque cependant que dans sa Lamentation sur la chute d’Edesse, Nersès Chnorhali présente l'événement comme une réminiscence de la prise de la capitale arménienne, Ani,en 106464, tandis que les poètes qui perpétuent le genre reprennent, d’une manière plus ou moins consciente, les schèmes directeurs du discours sur la catastrophe, ses images, ses métaphores, ses rythmes, y compris ses formes.
Du développement des figures rhétoriques à la formation de grands genres littéraires comme les Lamentations, l’expérience de la catastrophe investit la littérature avec toute la multiplicité d’une tradition vivante et pétrifiée. Ce vaste corpus qu’elle suscite a-t-il eu pour but de rétablir la continuité du discours et la succession des générations que les catastrophes ont précisément pour objectif de rompre?
Aristakès et Grégoire, ainsi que tous les autres qui nous rapportent leur expérience, tiennent à ce que cette expérience de l’impossible soit consignée par écrit. Pourquoi y tiennent-ils tant? Cette question est, bien sûr, différente de celle que pose l’historiographie traditionnelle. Tous les historiographes arméniens peuvent souscrire à ce qu'écrit Lazare de Pharbe au début de son ouvrage: «Il faut écrire avec prudence et relater en détails, l’une après l’autre, les vertus des religieux et les qualités des hommes de courage, afin que le peuple, en voyant la bonne conduite des hommes de bien, désire les imiter dans leur sainteté; et les courageux, ayant entendu parler des actions courageuses des temps anciens, redoublent de courage afin de laisser un souvenir de leur renommée aux hommes et à la nation; quant aux paresseux et aux lâches, voyant tout cela et ayant entendu les blâmes d’autrui, excités par l’émulation, ils les imitent dans le bien»65.
Laisser un bon souvenir et pousser les poltrons à tendre vers le bien est le but recherché. L’écriture historique a une finalité qui est de créer chez le lecteur une dynamique, à savoir imiter les bons, éviter les méchants.
Cette axiologie assez simpliste peut-elle être valable pour l’écriture des événements catastrophiques? Dans son Mémorial, Aristakès affirme d’emblée: «J’ai considéré important de rappeler par écrit et brièvement à mes chers frères des événements qu’ils ont à connaître, de la même façon qu'au début de ce discours, nous avons parlé de la prescience divine et de son caractère impénétrable»66.
Cette curieuse phrase place l’écriture de l’histoire dans la perspective théologique. Elle suggère, me semble-t-il, sans le dire vraiment, que de la même manière que Dieu a la prescience des événements, de la même façon «les chers frères» lecteurs, les Arméniens, doivent prendre connaissance de ce qui est écrit dans le livre. Ce qui est rapporté par écrit rappelle, remémore et, comme le dit clairement le texte, «fait souvenir» (), est l'anamnèse. Pour Aristakès, l’écriture des événements douloureux et de la catastrophe qui s’y déploie est anamnèse. On est bien loin de la dichotomie «histoire» et «mémoire» héritée des Lumières. L’historiographie traditionnelle arménienne est aussi bien l’une que l’autre, parce que, précisément, l’histoire écrite vise à donner non seulement une vision exacte du passé, mais également à la lier à une perspective future.
Mais pourquoi cette mémoire? A quoi bon la conserver? A la fin de son Mémorial, Aristakès revient à la charge et rappelle la fonction des historiens, qui est de rassembler d’une manière véridique les événements du passé et du présent laissant ainsi derrière eux «les souvenirs des faits qui sont advenus»67. Il ajoute: «Néanmoins nous avons exposé tout cela pour que vous [le] lisiez et que vous sachiez que c’est le péché qui fut cause de tout ce qui nous arriva; afin qu'en jetant un regard sur nous, vous trembliez devant le Seigneur, que vous ayez un frisson de terreur devant Sa puissance; pour que, par une confession opportune et par la pénitence, vous préveniez et ne provoquiez pas le châtiment»68.
Ces phrases semblent enseigner au lecteur l’humilité et réaffirmer la prééminence de la Providence divine. Par delà l’évidente culpabilisation se dessinent là deux terreurs: celle de la justice divine et celle de la catastrophe. De fait, si le livre inscrit les événements historiques dans la perspective d’une lecture théologique, il fait aussi l’anamnèse du fait catastrophique. Cette anamnèse a pour but de prévenir, de faire en sorte que ces événements n’aient plus lieu; l’anamnèse doit permettre de «tenir debout contre», de «rester vivant contre»69. Vivre contre la catastrophe, non pas en la niant, en l’oubliant, mais en se la rappelant, par la mémoire de la terreur divine. Sur ce point précis, l’histoire écrite lie la vie présente et future du lecteur. Il en est peut-être ainsi parce que l’historiographie, en tant que graphie, en tant qu’écriture littéraire, engage la relation intersubjective qui lie l’écrivain, son expérience et sa tradition au lecteur. Elle vise à une «communication» au sens fondamental du terme: restaurer les liens abolis, créer une union, échanger et transmettre un discours. Ce n’est certainement pas par hasard que presque tous les historiographes anciens et les écrivains en général s’adressent, d’une manière ou d’une autre, à leurs lecteurs potentiels70.
Aristakès ne parle ni le langage de la victime, ni celui du martyre. Il est loin de proposer des «paroles de consolation», du genre proposé un peu plus tard par Nersès Chnorhali dans l’épilogue de sa Lamentation d’Edesse. Nersès y combine avec habileté la consolation à l’avènement du Royaume du Seigneur. Il écrit: «A présent, nous vous avons donné ce bref discours,/ Comme consolation, à vous qui êtes attristés,/ [pour vous inviter] en termes terrestres et non célestes,/ A attendre dans l’espérance ce qui doit arriver…/ Si vous autres supportez/ Les tourments qui vous ont atteints,/ Vous qui avez choisi le Royaume du Seigneur,/ Vous en hériterez comme eux./ En cet endroit vous verrez dans la lumière/ Les âmes de vos êtres chers…/ Vous entrerez au Paradis…/ Dans la Patrie que nous avions perdue…»71.
L’expérience de la catastrophe, consignée dans les écrits des écrivains de l’Arménie médiévale, s’adresse explicitement à un lecteur. C’est peut-être là que se situe leur véritable enjeu.
1) / E. Alayan, [Dictionnaire explicatif de l’arménien moderne], Erévan 1976 (2 vol.); également [Dictionnaire explicatif de l’arménien contemporain, Erevan 1969-1980 (4 vol.); / P.E. Lazarian, [Dictionnaire Français-Arménien], Venise 1983. Mais / S.Malkhasian l’ignore encore dans son [Dictionnaire explicatif arménien] (Erevan 1944). Le terme est utilisé pour la première fois dans un éditorial du quotidien Haratch, du 9 décembre 1945, consacré par Chavarch Missakian aux procès de Nuremberg. L’éditorialiste y explique le sens du mot «génocide» employé dans l’acte d’accusation et y fait un rapprochement entre ce concept et les événements de 1915 (Haratch 50, Paris 1976, pp. 185-186). Le terme n’est cependant employé systématiquement qu’avec la réactualisation de la question de la catastrophe en tant que «génocide», dans les années 1960.
2) La troisième occurence se trouve dans le Second Livre de Samuel 13 15 ; il s’agit en la circonstance d’un emploi plutôt rare, sinon bizarre, puisqu’il renvoie en fait au grec «aversion»: «Oui, la haine qu’il (Amon pour Thamar) lui porta fut plus violente que l’amour qu’il avait eu pour elle».
3) Tel est l’usage qu’en fait apparemment / Elisé dans son[Histoire de Vardan et de la guerre des Arméniens] (2e éd., Jérusalem, 1968, p. 96):«Il fallait voir, écrit-il, les douloureux gémissements et les terribles angoisses [suscités par] ces attaques incessantes au cours desquelles ils se heurtaient à l’envi...».
4) Par exemple chez / Lazar Parpeci (Ve -VIe ss) dans son [Histoire d’Arménie], ch. 67:«Les apostats infidèles et le marzban restèrent là durant tout le jour, pleins d’anxiété» (Collection des Historiens Arméniens [dorénavant CHA], trad. Langlois, II, Paris 1869, p. 327 et texte arm. Tiflis, 1904, p. 120).
5) Tel est l’usage qu’en fait Elisé, grand lecteur des Livres des Macchabées, quand il écrit: «Il fallait voir l’embarras [provoqué] par le grand désespoir» (trad. Langlois, CHA, II, p. 202).
6) Traduction modifiée de la CHA, II, p. 285.
7) Traduction modifiée de la CHA, II, p. 316 avec la version arm. cit., p. 102-103.
8) De Deo, trad. L. Mariès, Patrologia Orientalis, XXVIII/3, Paris 1959, p. 674 (trad. modifiée d’après); cf. également la traduction allemande: Wider die Secten, ubersetzt G.M.Schmid, Vienne 1900.
9) Ce n’est pas par hasard que Lazare évoque un tremblement de terre, qui a duré presque deux jours, sans employer le mot d’aghèd. Ce n’est que la mort de nombreux gardiens perses qui est ressentie par les survivants comme des «événements catastrophiques qui leur sont arrivés» (version arm. cit., p. 102).
10) A la réception de la réponse négative des Arméniens, les conseillers du roi affirment: «Ils vous ont écrit la perte de leur personne et de leur pays, mais c’est à vous de leur faire connaître votre souveraineté et leur obéissance» (cf. CHA, II, p. 283, modifiée d’après la version arm. cit.,p. 46.
11) Suivant l’Histoire de Vardan et de la guerre des Arméniens d’ Elisé (CHA, II, pp. 183-251) et la traduction anglo-américaine de R.W. Thomson (History of Vardan and the Armenian War, Harvard, 1982).
12) [Histoire], éd. G. Abgarian, Erevan 1979, p. 141.
13) Dn 7 23.
14) Deux fragments de cette Histoire d’Héraclius ont été publiés par Abgarian, op. cit. [n. 12], p. 431.
15) La traduction de G. Chahnazarian ( Ghévond, Histoire des Guerres et des Conquêtes des Arabes en Arménie, Paris 1856) étant trop approximative, nous sommes retourné à l’original (éd. de St.Pétersbourg 1887, pp. 9-10).
16) Ibidem, p.136.
17) Ibidem, pp. 136-137.
18)- Ibidem, pp. 19, 21, 35.
19) Ibidem, p. 137.
20) Il est difficile, voire excessif, de dire que, face à l’étendue du fait catastrophique, Ghéwond adopte un discours particulier et fragmentaire, car les faits qu’il continue à rapporter sont tout aussi graves que les précédents. Néanmoins, Ghéwond semble faire le choix d’un récit plus ou moins événementiel.
21) Op. cit., p. 138.
22) Ibidem, p. 143.
23) Ibidem, p. 144.
24) CHA, II, p. 174 et, Tiflis 1913, p. 380 pour le texte arm.
25) Cf. la traduction de J.-P. Mahé (Histoire de l’Arménie, Paris 1993, p. 323) et le texte arm., op. cit., p. 364.
26) Cf. ma communication au colloque Moïse de Khorène et l’historiographie arménienne des origines, Paris 1991: «Ecriture et construction de l’origine dans l’œuvre de Moïse de Khorène», dont une version arm. a été publiée dans Bazmavep 1-4 (1992).
27) Ողբերգութիւն.
28) CHA, II, p. 174 et op. cit., p. 382, pour le texte arm.
29)- CHA, II, p. 175 et op. cit., pp. 365-366, pour le texte arm. particulièrement difficile à rendre en français.
30) Dans sa traduction anglo-américaine de Moïse de Khorène (History of the Armenians, Harvard 1978, p. 354), R.Thomson rend les verbes élidés par le présent, tout comme J.-P. Mahé, op.cit., p. 324.
31) Dont le caractère social est fortement souligné par M. Halbwachs dans son célèbre ouvrage sur la Mémoire collective, 2e éd., Paris 1968.
32) Je ne puis ici étudier longuement la fonction des règnes et des successions dans l’écriture des Chroniques et des Histoires. J’ai tenté de démontrer ailleurs que la construction de l’écriture historique reste tributaire d’une volonté de stabiliser, d’ordonner le temps: cf. «Ecriture et construction de l’origine chez Movsès Khorénatsi»,art. cit., pp. 116-137 (version française à paraître).
33) Comme le dit B.Bettelheim dans Survivre (Paris 1979).
34) Je cite ici, avec des modifications, la traduction de M. Canard et H .Berberian ( Aristakès de Lastivert, Récit des Malheurs de la nation arménienne, Bruxelles 1973), avec le texte arm. (2e éd., Venise 1901, pp. 7-8.
35) Ibidem, p. 129.
36) Ibidem, pp. 137-138.
37) Ibidem, p. 2.
38) Ibidem, p. 131. Refuge=ապաստան.
39) Ibidem, pp. 129 et 130.
40) dit le texte.
42) Ibidem, p. 130.
43) Ibidem, pp. 130-131.et op. cit., p. 137 pour le texte arménien.
44) Ibidem, p. 131.et op. cit., p. 137 pour le texte arménien.
45) Livre de prières, Paris 1961, trad. I.Kéchichian (dorénavant cité LP), p.58, en modifiant la disposition des «vers»; pour le texte arm., cf. (Erevan 1985, p.347).
46)LP, p.59 et op. cit., p. 247 pour le texte arménien.
47) Grégoire dit de son livre qu’«il reflète en lui-même et vilipende dans leurs manifestations les mauvaises passions de tous, comme l’auteur qui, par une connaissance profonde, participe aux faiblesses de chacun» (LP, p. 69 et op. cit., pp. 255-256.
48) «Je n’avais pas, écrit-il, de mots pour raconter mes malheurs» (LP, p. 112 et op. cit., p. 249).
49) LP, p.154, avec quelques modifications d’après l’arm. op. cit., p. 339.
50) LP, p. 25 et op. cit., p. 340.
51) LP, p. 156 et op. cit., p. 341.
52) LP, pp. 349-350 et op. cit., pp. 516-517.
53) M. Pollak, op. cit., p. 202.
54) Op. cit., p. 131, avec quelques modifications d’après le texte arm., op.cit., p. 138.
55) Op.cit., p. 132 et op.cit., p. 139, pour le texte arm.
56) Op.cit., p. 138.
57) La traduction du texte (op.cit., p. 139) est difficile.
58) Je ne puis ici étudier des faits micro-stylistiques très révélateurs par ailleurs. Notons par exemple, que dans son texte Aristakès oppose un ils anonyme au nous et que, dans le cours du récit, tout lecteur comprend le sens de ces pronoms, mais que l’élision répétée des noms des antagonistes finit par créer un anonymat. Ils sont les ennemis et nous les Arméniens. L’anonymat a pour fonction de décontextualiser l’opposition et de faire en sorte que le texte gagne en généralité. Hors de son contexte précis, le «mémorial» de l’Histoire d’Aristakès raconte une catastrophe sans date, atemporelle, éternelle.
59) La traduction française d’I. Kéchichian a été publiée sous le titre de Livre des Prières (Paris 1961); l’allusion se trouve au chapitre 68, pp. 369-370.
60)- La complainte d’Edesse, trad. I. Kéchichian, Venise 1984.
61) Texte original dans Poèmes et poésies, Erévan 1972; pour la traduction partielle cf. E. Dulaurier, Recueil des Historiens des Croisades, I., Paris 1869, pp. 272-307.
62) Cf.la traduction française de M. Brosset, «Mélodie élégiaque sur la prise de Stambol», dans M. Lebeau, Histoire du Bas Empire, nouvelle édition, XXI, Paris 1836; texte arménien dans L. Ghgr 7 gh /H. Anassyan, Lgèigigh g!eèyuçhfç Ejubghxjyhj ghitgh tgrjh [Les Sources arméniennes à propos de la chute de Byzance], Erevan 1957.
63) Le texte se trouve dans / Arakel Baliseki, [Poèmes], éd.A. Ghazinian, Erevan 1971; cf. également la traduction d’A. Tchobanian (La Roseraie d’Arménie, III, Paris 1929, pp. 109-118).
64) Op. cit., pp. 9-15.
65) La traduction de Langlois, CHA, II, p.260 est défectueuse; cf. la version arm. de / Lazar Parpeci, [Histoire d’Arménie], Tiflis 1904, p. 5.
66) Op. cit., p.129 pour la version française; op.cit., p.135 pour la version française.
67) op. cit., p. 139.
68) Ibidem.
69) C’est du moins ainsi que j’interprète l’ultime phrase d’Aristakès mal rendue par la traduction.
70) Les diverses modalités de cet appel aux lecteurs et les formes de «complicité» qu’il suggère méritent une étude plus poussée que celle que j’ai publié dans «Espace et temps dans l’œuvre de Grégoire de Narek», in Sagesses de l’Orient ancien et chrétien, textes réunis par R. Lebrun, Paris, Beauchesne, 1993, pp. 26-27.
71) / Nersès Shnorhali, [La lamentation d’Edesse], Erevan 1983, pp. 208-210.