- Câble de l’ambassade des États-Unis -
Sujet :
Génocide Arménien et les Archives Ottomanes
Identifiant : 04ISTANBUL1074
Origine : Consulat d’Istanbul
Création : 12 juillet 2004 09:01:00
Classification : CONFIDENTIEL
Etiquette : PREL PGOV AM TU ISTANBUL
Rédacteur : ce câble n’a pas été rédigé par Wikileaks
Ce document est un extrait partiel du télégramme original, Le texte en son
entier du télégramme originel n’est pas disponible.
C O N
F I D E N T I E L SECTION 01 DE 03 ISTANBUL 001074
SIPDIS
E.O. 12958 : DECL : 07/11/2014
TAGS : PREL, PGOV, AM, TU, Istanbul
SUBJECT : ARMENIAN “GENOCIDE“ AND THE OTTOMAN ARCHIVES
Classé confidentiel par : le Consul Général David Arnett pour les raisons
1.5 (b&d)
Ceci est un document conjoint du Consulat Général d’Istanbul/Ambassade
d’ANKARA
1. (sbu)
Résumé : le défaut d’entente et de dialogue sur la question du soi-disant
“génocide“ reste un obstacle majeur au rapprochement turco-arménien. Une
solution à long terme à cette question problématique ne peut être
construite qu’à travers un dialogue ouvert et un débat sain et objectif.
Le libre accès à toutes les archives ottomanes, où se trouvent pour
l’essentiel les preuves historiques relatives à cette période, est un
aspect critique pour que s’installe la confiance mutuelle nécessaire à un
tel débat. Bien que la Turquie ait fait de gros progrès vers l’ouverture
des archives et dépassionner la question, des problèmes persistants et des
doutes sur les archives continuent à saper les efforts pour que soit
rempli le fossé d’incompréhension entre les Arméniens et les Turcs sur
cette question historique. Fin du résumé.
2.
(u) L’obstacle le plus sérieux à la réconciliation turco-arménienne reste
une impossibilité d’entente, ne serait-ce que sur un dialogue sain sur la
“question“ arménienne ou sur ce qui est pour la plupart des Turcs le
“supposé génocide“. Les accusations, négations et contre-accusations sur
cette question ont longtemps obscurci des débats préparés dans la
sincérité. Les intellectuels de la diaspora ont réuni des quantités de
témoignages oculaires et de déclarations détaillant les tragiques
événements de 1915-16 dont les conditions sont d’après eux celles du
génocide de 1,5 million d’Arméniens vivant dans l’empire ottoman. Les
historiens turcs contestent, quant à eux disant que quelques centaines de
milliers d’Arméniens, ont été tués par des bandits, par la maladie et les
très dures conditions de vie, quand, en réponse à la menace constituée par
des insurgés arméniens, (et au “massacre“ de beaucoup de musulmans turcs),
une grande partie de la population arménienne a été déportée en Syrie et
au Liban.
Une
Question d’Identité
3. (sbu)
Outre des milliers d’années d’histoire écrite, un riche héritage culturel
et une Eglise vivante, pour les Arméniens du monde entier, les événements
de 1915-16 constituent une composante fondamentale de leur identité
moderne. Bien que quelques Arméniens aient quelquefois cherché la
vengeance dans la terreur et la violence, (c’est le cas du terrorisme de
l’ASALA des années 1970), l’objectif d’une
campagne infatigable pour que ces événements soient reconnus comme un
génocide a été fixé.
4. (sbu)
L’approche turque de la question arménienne est complexe. Depuis
l’instauration de la République turque, Ataturk et ses héritiers de la
classe dominante ont pensé que l'entretien d'une “identité turque“ - qu’Ataturk
et son entourage ont développé comme une construction artificielle, et
dont ses héritiers politiques disent qu’elle est sous la menace d’ennemis
à l’intérieur et à l’extérieur - est essentielle pour la protection et le
développement de la République. Les représentants à la fois de l’état turc
et de chaque gouvernement jusqu’à ce jour, croient que la reconnaissance
de tout mauvais traitement infligé aux Arméniens remettrait en question
ses frontières et les propres revendications issues de la Turquie
elle-même considérée comme victime, et exposerait la Turquie à des demandes
d’indemnisation. Des décennies de négation officielle et le refus
d’envisager tout débat rationnel en Turquie sur cette question tabou ont
privé la Turquie d’un environnement objectif propice aux affirmations de
génocide.
Les
archives sont-elles ouvertes ?
5. (sbu)
Les deux parties se sont efforcées d’utiliser les Archives ottomanes pour
soutenir leur version des événements. Les Turcs ont publié des volumes de
documents pour appuyer leur thèse, tandis que l’attitude du gouvernement
turc faisant obstacle au libre accès des archives est vue par les
chercheurs arméniens comme une volonté de dissimuler les preuves du
génocide.
Les
chercheurs arméniens se sont plaints depuis longtemps de ne pas pouvoir
obtenir l’autorisation de faire des recherches dans les archives ou de n’y
en avoir eu accès que partiellement. D’autres faits de retard (et
disent-ils, délibérés) pour obtenir une autorisation, ont souvent consommé
la majeure partie de la durée prévue par les conditions d’attribution
d’une subvention ou celle d’un congé sans solde.
Kevork Bardakchian, chef du programme des Études Arméniennes à
l’Université du Michigan, par exemple, a rapporté aux responsables
politiques que ses autres collègues et lui-même avaient essuyé un refus,
tout simplement et sans explication lorsqu’il avait déposé des demandes
dans les années 1970 et 1980. Un directeur des archives de l’époque avait
ouvertement parlé de la nécessité de “protéger“ les documents d’un mauvais
traitement par des étrangers hostiles.
6. (sbu)
Les spécialistes turcs et étrangers sont d’accord pour dire que l’ancien
premier ministre et président Turgut Ozal a fait qu’un pas réel soit
franchi pour l’ouverture des archives à la fin des années 1980 et au début
des années 1990. Les archives ont été mises sous l’autorité du premier
ministre, les procédures pour obtenir des autorisations de recherche
allégées, et les efforts pour indexer 150 millions de documents ont été
accélérés. Tous ceux à qui nous avons parlé concèdent que cela a été le
signal d’un changement profond qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui. Selon
l’administration turque des archives, les autorisations sont normalement
accordées en une semaine, le personnel d’archivage est diligent, et les
photocopies de documents désirées sont disponibles à un prix raisonnable.
Lorsque des responsables politiques ont visité la salle de recherche des
archives un peu plus tôt ce mois-ci, le personnel lui a montré une liste
informatisée de plus de 300 chercheurs américains qui ont reçu
l’autorisation de faire ici des recherches au cours des années récentes
(plus d’une trentaine jusqu’à présent, simplement pour cette année). Les
catalogues sont également disponibles sur le site Internet des Archives.
7 (sbu)
Quelques restrictions à l’accès restent en place. Les responsables turcs
ne permettent pas l’accès à plus de 70 millions de documents non encore
indexés et soutiennent que beaucoup d’autres sont trop endommagés pour
être employés par les chercheurs. En outre quelques critiques s’élèvent
encore selon lesquelles le gouvernement turc cherche à bloquer les
personnes qui cherchent dans le domaine de la question arménienne. Le
Directeur des services d’Archives d’Etat du premier ministre Yusuf Farinay
a indiqué aux responsables politiques que les chercheurs doivent se
trouver légalement en Turquie à cet effet, ce qui implique un visa
d’approbation du ministère des affaires étrangères. Quelques chercheurs
voient encore leur autorisation retardée ou refusée purement et simplement
(les chercheurs grecs ont été eux-aussi victimes de telles discriminations
dans le passé). Le Directeur d’Archive Sarinay a dit que bien que beaucoup
de chercheurs américains soient venus aux archives, il faut noter qu’aucun
n’est venu d’Arménie. Il a spéculé sur le fait qu’il n’y a pas de
relations diplomatiques entre la Turquie et l’Arménie - et cela à cause
d’une politique de réciprocité vis-à-vis de l’Arménie supposée ne pas
ouvrit ses archives aux chercheurs turcs. L’éminent historien de l’époque
ottomane Halil Inalcik a critiqué le manque d’ouverture des archives dans
un éditorial de février 2001 dans le journal Radikal sous le titre “Les
Archives ottomanes doivent être ouvertes au Monde“. En dépit de la
critique, cependant, le leit motive aujourd’hui est “ouverture“ et toute
discussion tendant à la “protection“ des archives vis-à-vis des étrangers
est politiquement incorrecte. Bien que l’autorité du Directeur des
Archives lui permette encore d’interdire l’accès, il aura du mal à
expliquer les raisons d’une telle restriction à l’encontre de tout
chercheur sérieux.
Les
Archives ont-elles été purgées ?
8.(c)
Plus importante peut-être que les questions d’accession, cependant, est la
question : les archives sont-elles complètes ? Selon le professeur Halil
Berktay, il y a eu deux initiatives sérieuses tendant à “purger“ les
archives de tout document incriminant la question arménienne. La première
a eu lieu en 1918, on présume avant l’occupation d’Istanbul par les forces
alliées. Berktay avec d’autres relèvent un témoignage devant les Tribunaux
Militaires Turcs, indiquant que des documents importants ont été “volés“
des archives. Selon Berktay, une seconde purge a eu lieu en marge de
l’initiative d’ouvrir les archives d’Ozal, par un groupe de diplomates et
de généraux à la retraite menés par l’ex ambassadeur Muharrem Nuri Birgi
(note : Nuri était précédemment ambassadeur à Londres et à l’Otan et
secrétaire général du ministère des affaires étrangères). Berktay soutien
qu’au temps où il passait les archives au peigne fin, Nuri Birgi
rencontrait régulièrement un ami commun et à un moment, en référence aux
Arméniens, il confessa tristement que “Nous les avons réellement
massacrés“. Tony Greenwood, Directeur de l’Institut Américain de Recherche
en Turquie, a dit à des responsables politiques, en aparté, que lorsqu’il
travaillait aux archives à la même époque, il était bien connu qu’un
groupe d’officiers à la retraite avaient un accès privilégié et ont passé
plusieurs mois à étudier les documents archivés. Un autre chercheur turc
qui avait travaillé sur la question arménienne soutient que les travaux en
cours pour répertorier les documents servent en réalité à purger les
archives.
Faire
face à l’Histoire
9. (sbu)
Les attitudes de la Turquie vis-à-vis du génocide ont évolué dans le
temps. Même si peu nombreux sont ceux qui ont le courage d’en parler
publiquement, quelques intellectuels, universitaires, et d’autres
remettent en question la version officielle des événements. Les citoyens
ordinaires de l’Anatolie Centrale et Orientale reconnaissent devant nous
ce que leurs grands parents ont fait subir aux Arméniens. Plusieurs
visiteurs intellectuels américains ont relevé que le sujet n’est désormais
plus tabou. Publiquement, les classes dirigeantes turques (le groupe de
réflexion nationaliste ASAM, l’Association Historique d’Etat Turque, et
jusqu’aux Archives y compris), persistent à récuser les affirmations de la
diaspora et ripostent en accusant les Arméniens de s’être engagés dans des
révoltes massives et généralisées au cours de la guerre et en ayant
perpétré des massacres à grande échelle de musulmans turcs. Au cours des
récentes années, le ministère de l’éducation a demandé à des lycéens de
participer à un concours de rédaction niant le Génocide (note : Berktay
soutient que cette idée a son origine dans l’ASAM et imposé au ministère
par les contacts militaires de l’ASAM). Le gouvernement actuel, quant à
lui, a été notablement plus réservé que certains de ses prédécesseurs,
répétant consciencieusement la nécessité de ’laisser la question à la
discussion des historiens’.
Commentaire
10.
(c) Bien que presque un siècle soit passé depuis les événements de
1915-1916, le fossé d’incompréhension entre les Arméniens et les Turcs sur
cette question reste considérable. Tout en n’étant plus un sujet
complètement fermé comme il l’a été, la discussion en Turquie en reste
encore limitée et dominée par la ligne nationaliste-classe dominante. Même
si le gouvernement actuel espère laisser cette question en arrière, il est
peu probable qu’il sera capable de faire beaucoup plus que simplement
encourager la création de conditions propices à une saine discussion. Il
est douteux qu’en l’état actuel des choses, les archives ottomanes
puissent apporter une interprétation définitive de la question arménienne,
mais elles seront au centre et une clef pour des Turcs et Arméniens
désireux d’entreprendre d’authentiques recherches et débats sur ce sujet.
A
cette fin, nous devons soutenir et encourager les chercheurs à maintenir
la pression pour accéder au matériel d’archives et à se préparer à
s’adresser au gouvernement turc pour exprimer des griefs sur les obstacles
officiels. Nous demandons au Département (d’État) de nous informer de
telles démarches.
ARNETT
Les guillemets qui sont beaucoup employés au début du télégramme
sont peu à peu abandonnés au fil du rapport du diplomate. Il est vrai
que le consul rappelle que selon les historiens turcs, quelques
centaines de milliers d’Arméniens tout au plus sont morts tués par des
bandits, la maladie, la faim, et les conditions climatiques...
Dans le paragraphe 4, on retrouve le thème développé récemment par
Vahakn Dadrian sur la perception que les Turcs se font d’eux-mêmes,
après leurs défaites du début du 20ème siècle dans les Balkans : des
victimes.
On apprend que la moitié environ des documents d’archive n’étant pas
encore “indexés“ sont de ce fait inaccessibles aux chercheurs. Au
huitième paragraphe, un chercheur turc voit dans ces
travaux d'indexation une opération destinée à poursuivre la “purge“
des archives.
Le diplomate écrit explicitement que le gouvernement turc organise la
négation. Selon lui, ce sont les groupes nationalistes qui font
pression sur le gouvernement.
Le commentaire de fin est incompréhensible. Le consul américain
renvoie dos à dos les Arméniens et les Turcs. On aurait attendu qu’au
moins dans un document confidentiel, le diplomate éclaire son ministre
en disant de quel côté est le droit, voire la vérité. On aurait pu
penser qu’il donne à son ministre des recommandations et des pistes
pour déterminer une politique. Au lieu de cela, c’est le consul qui
demande à être informé ; de quoi ? Des éventuelles protestations des
chercheurs gênés dans leur accès aux archives.
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