Selon l'historien
allemand,
Michael Hesemann l’Expérience que Pacelli
avait de
l’Empire ottoman,
a influencé son attitude envers
Hitler
Bien que les historiens le
contestent, Pie XII est encore de nos jours
accusé de n’avoir pas fait assez pour aider les
Juifs au cours de la Seconde Guerre Mondiale. En
particulier, il est critiqué pour avoir été trop
silencieux.
Mais l’historien allemand bien
connu
Michael Hesemann dit que la décision du Pape
de réfréner ses protestations était motivée par
ce qu’il avait appris quelques années
auparavant, lorsqu’employé au Secrétariat d’état
du Vatican et comme nonce, il était au fait des
informations du Vatican sur le Génocide arménien
et de ses tentatives pour l’arrêter.
Les protestations du Pape Benoît
XV et de ses diplomates n’avaient fait
qu’aggraver la situation des Arméniens et telle
est l’histoire que Pie XII ne voulait pas voir
se reproduire, explique Hesemann.
Dans une interview donnée à
Zenit avant le voyage du Pape François en
Turquie des 28-30 novembre 2014, Hesemann
analyse ce massacre, et fait un parallèle avec
l’Holocauste et les actes de Pie XII au cours de
la guerre. |
Cité du Vatican 13 novembre
2014 -
Zenit : Pourriez-vous donner
quelques informations sur vous-même et sur vos
études sur le Génocide arménien et Pie XII ?
Hesemann : au cours
des 10 dernières années écoulées, j’ai
travaillé sur le Pape Pie XII et essayé de
comprendre, vis-à-vis de l’Holocauste, les
raisons de son supposé “ silence “ et en
même temps, celles de ses nombreuses actions
tendant à sauver le plus de Juifs possible,
ce qui semble à priori contradictoire.
Il ne fait aucun doute que
les Juifs étaient chers à son cœur et
importants pour lui, mais pourquoi n’a- t-il
pas protesté lorsqu’il a été informé de leur
sort ? Telle est la question dont je
cherchais la réponse.
En réalité, avant de devenir
Pape, Eugenio Pacelli avait une longue
histoire au service de la diplomatie du
Vatican, commencée avec son passage au
Secrétariat d’état, ses douze années de
nonciature en Allemagne et ses neuf années
comme cardinal secrétaire d’état sous le
pape Pie XI. Lorsque comme historien, j’ai
reçu la permission d’étudier ses dossiers
aux Archives secrètes du Vatican, j’ai pris
connaissance de plusieurs documents relatifs
au Génocide arménien de 1915-16 qui ont
éveillé ma curiosité.
Pour en apprendre davantage, j’ai commencé à
approfondir mes recherches et j’ai identifié
au total près de 2 000 pages de documents
inédits jusqu’alors, sur le plus grand crime
de la Première guerre mondiale.
Zenit :
Pouvez-vous brièvement expliquer le Génocide
arménien et ce qui s’est passé ?
Hesemann : à examiner
les choses de près, l’ “Arménocide “
apparaît comme un modèle pour la Shoah.
Obsédés par une vision raciste et
nationaliste du monde, les Jeunes turcs, un
mouvement politique venu au pouvoir juste
avant la Première Guerre Mondiale, entendait
transformer l’Empire ottoman multinational
et multi religieux en un homogène “
Volksgemeinschaft “ [littéralement
’communauté raciale’, un concept promu par
Hitler dans sa vision d’une société
allemande idéale]. Les caractéristiques
raciales étant très difficiles à déterminer,
étant donnée la diversité de la population
de la Turquie, c’est la religion qui est
devenue l’indicateur de “ l’identité turque
vraie “. Un “ vrai Turc “ devait suivre les
préceptes de l’Islam sunnite. Seule une “
pureté “ homogène, pensaient-ils,
protégerait la Turquie contre les “ microbes
de l’intérieur “ et les “ parasites “, et la
rendrait assez forte pour réaliser la vision
panturque de ce mouvement.
“ Microbes “ et “ parasites
“, pour les Jeunes turcs, c’étaient les
minorités chrétiennes : Arméniens, Grecs et
Chrétiens syriaques. Lorsque les Allemands
entraînèrent la Turquie dans la Première
guerre mondiale, et lorsque le Sultan,
soutenu par le Cheikh-ul-islam, plus haute
autorité musulmane en Turquie, proclamait le
djihad (“ Guerre sainte “) en novembre 1914,
les Jeunes turcs y virent l’opportunité
qu’ils attendaient pour résoudre leur “
Problème arménien “ par l’élimination des
Arméniens.
Le 24 avril 1915, des
centaines d’intellectuels arméniens et
dirigeants de Constantinople furent arrêtés
et déportés vers l’intérieur du pays, et la
plupart d’entre eux furent par la suite
assassinés. Pour justifier ses actes, le
gouvernement jeune turc accusa les Arméniens
de conspiration avec les Russes et de
préparer une révolte, une accusation pour
laquelle elle n’a jamais produit aucune
preuve. À cette époque, la plupart des
Arméniens de sexe masculin servaient déjà
dans l’armée turque et ils furent
soudainement affectés à des travaux
d’esclaves ou furent massacrés. Au début de
mai 1915, la population arménienne dans sa
presque totalité (2,1 millions avant la
guerre) fut déportée, province par province,
ville par ville et village par village. À
pied, presque sans pain et sans même de
l’eau, les vieillards, les femmes, les
enfants et ceux des Arméniens qui n’étaient
pas en état de servir dans l’armée, furent
dirigés vers Der Zor, dans le désert syrien.
Dans ces marches de la mort, des centaines
de milliers moururent d’épuisement, de faim
ou de maladie. Ceux qui survécurent à ces
conditions effroyables furent conduits de
force dans des camps de concentration, pour
y mourir dans les mois suivants de faim, ou
atteints par le choléra, la fièvre typhoïde
et la dysenterie, ou victimes de massacres,
ou envoyés encore plus loin dans le désert
où des membres de tribus locales les
massacrèrent.
Zenit :
Comment le Vatican en a-t-il été informé ?
Hesemann : vers la
mi-juin 1915, le délégué apostolique à
Constantinople, Mgr Angelo Dolci eut
connaissance de “ rumeurs de massacres “,
comme il l’écrivit dans un télégramme au
Saint-Siège. À peu près une semaine plus
tard, il reçut confirmation que sans doute
possible, une “ persécution “ avec
l’objectif de “ supprimer l’élément chrétien
arménien de la province entière “ était en
cours. Parmi les victimes se trouvaient
aussi beaucoup d’Arméniens catholiques. Même
l’évêque catholique de Mardin, Mgr Ignatius
Maloyan (qui a été canonisé par Jean-Paul
II), et plusieurs de ses dignitaires étaient
assassinés après leur déportation vers la
mi-juin. Ayant été informé des détails de ce
massacre, Dolci éleva une protestation
écrite au grand vizir, le “ Premier ministre
“ du sultan, demandant l’arrêt immédiat de
ces déportations mortelles au moins pour les
Arméniens catholiques. Il ne reçut même pas
une réponse. Alors que les massacres
continuaient, l’archevêque
Arménien-catholique de Calcédoine, Mgr Peter
Kojunian, envoya une émouvante lettre au
Pape Benoît XV, déclarant qu’ “ une
extermination systématique des Arméniens en
Turquie “ était entreprise.
Zenit : Le
Pape a-t-il réagi à cette Lettre ?
Hesemann :
Immédiatement ! Benoît XV envoya une lettre
manuscrite au sultan Mehmet V, en appelant à
sa “ très estimée générosité “ et demandant
sa compassion pour les innocents Arméniens.
L’initiative papale était rendue publique et
reprise par les journaux du monde entier. En
même temps, le cardinal Secrétaire d’état
Pietro Gasparri contactait les nonces à
Vienne et à Munich, leur donnant ordre de
promouvoir l’initiative du Saint-Siège aux
alliés de la Turquie, les enjoignant
d’intervenir afin que “ ces actes barbares
soient immédiatement arrêtés “. En même
temps à Constantinople, Mgr Dolci
s’efforçait désespérément de faire parvenir
la lettre autographe papale au sultan ; mais
la Sublime porte (Porte ottomane) lui opposa
un refus à plusieurs reprises. Ce n’est que
lorsque l’ambassadeur allemand intercéda que
Mgr Dolci fut reçu par Mehmet V, le 23
octobre 1915, après près de six semaines. Un
mois plus tard, il fut invité à aller
recueillir la réponse du sultan, justifiant
les déportations par l’affirmation qu’une
conspiration arménienne avait lieu.
Zenit : Les
Déportations, les Massacres s’arrêtèrent-ils ?
Hesemann : Pas du
tout ! Les Turcs promirent toutes sortes de
choses, ils promirent d’épargner les
Catholiques arméniens... Ils promirent que
tous les Arméniens déportés seraient de
retour chez eux pour la Noël, mais ce
n’étaient que mensonges et fausses
promesses. Les déportations et les massacres
continuèrent jusqu’à la fin 1916. Loin
d’être épargnés, 87 % des Catholiques
arméniens furent tués, un pourcentage encore
plus élevé que celui des Arméniens
orthodoxes, dont “ seulement “ 75% furent
tués. La protestation papale, non seulement
n’eut aucun succès mais se révéla
contreproductive !
Zenit :
Comment le Pape réagit-il ?
Hesemann : Benoît XV
poursuivit ses efforts du mieux qu’il
pouvait. Dans une allocution au Consistoire
le 6 décembre 1915, il mentionna
explicitement “ le malheureux peuple des
Arméniens presque complètement voué à
l’extermination “. En 1918, lorsque les
Russes retirèrent leurs troupes du nord-est
de la Turquie et que des nouveaux massacres
se produisirent contre les Arméniens
survivants, le Pape Benoît XV écrivit une
seconde lettre au sultan, une fois de plus
sans succès. Il dut se rendre à l’évidence :
des protestations publiques n’avaient aucun
effet et étaient même contreproductives,
provoquant encore plus la colère de
l’agresseur. Finalement, Mgr Dolci, le
délégué apostolique, écrivit - mais oui ! -
à Mgr Eugenio Pacelli : “ Ayant pris la
défense des Arméniens, j’ai perdu la grâce
de César, celle du Néron de cette
malheureuse nation. Je veux parler du
Secrétaire de l’intérieur, Talaat Pacha,
Grand maître de l’Orient maçonnique. Il a
probablement été soumis à la pression des
autres ambassades, après la lettre
manuscrite d’intervention écrite par le
Saint-Père. Depuis lors, je n’ai droit de sa
part qu’à des regards hostiles “.
Zenit :
Qu’est-ce que cela implique pour Pie XII et
l’Holocauste ?
Hesemann : Bien, tous
les historiens savent que son expérience de
la Première guerre mondiale, et spécialement
la politique papale de neutralité et de
conciliation, suivie par Benoît XV, a
beaucoup influencé le pontificat de Pie XII
lors de la Seconde guerre mondiale. Il
s’agit bien sûr, de Pacelli, qui avait déjà
occupé des fonctions-clef lors du pontificat
de della Chiesa [Benoît XV], d’abord comme
secrétaire de la Congrégation pour les
affaires extraordinaires du Secrétariat
d’état, puis comme nonce. J’ai découvert que
presque toute l’information sur le Génocide
arménien arrivait sur son bureau. Le
document que je viens de citer n’en est
qu’un exemple. Ainsi, il a appris que les
protestations papales n’étaient pas
seulement sans effet, mais se sont même
révélées contreproductives.
Pacelli, lorsqu’il fut
confronté à l’Holocauste, comprit qu’Adolf
Hitler ne réagirait guère mieux.
Souvenez-vous qu’il connaissait Hitler
depuis 19 ans à ce moment-là ; comme nonce à
Munich, Pacelli avait pu suivre les premiers
pas du dictateur nazi, décrivant le
national-socialisme dans un mémorandum
envoyé au Saint-Siège dès le 1é mai 1915,
comme “ l’une des plus dangereuses hérésies
de notre temps “. Au cours d’une
conversation avec le consul américain à
Cologne, rapportée au Département d’état
[des USA] en 1939, les opinions de Pacelli
sur Hitler, pour citer le diplomate auteur
du rapport, “ me surprirent par leur
caractère extrême... Il regardait Hitler non
seulement comme un gredin indigne de
confiance, mais aussi comme une personne
fondamentalement méchante... incapable de
modération “.
Il savait qu’une
protestation élevée ouvertement, qui ne
servit à rien en 1915, ne marcherait pas en
1942, lorsqu’il eut affaire à dirigeant
encore plus mauvais, incapable de tout
compromis et dénué de scrupules.
Zenit : Le
Pape François se Rend en Turquie ce mois-ci.
Devrait-il aborder ce sujet ?
Hesemann :
Assurément, il est honteux que le
gouvernement turc nie toujours le Génocide
arménien, recourant toujours aux mêmes
mensonges et excuses comme il l’a fait en
1915 dans sa réponse à l’initiative papale.
Le Pape François en a fait l’expérience par
lui-même, lorsqu’en juin 2013 il a appelé
les événements de 1915, de façon absolument
correcte, “ le premier génocide du 20ème
siècle “. Ankara a immédiatement protesté,
rappelant son ambassadeur au Saint-Siège et
qualifiant la remarque du Pape d’
“absolument inacceptable “.
Mais le Pape François avait
raison... Tout historien neutre soutiendra
ce point de vue. Je suis très fier que ce
grand Pape n’ait pas renoncé, mais au
contraire a rappelé le martyre de la nation
arménienne à nouveau le 8 mai 2014,
lorsqu’il reçut le Patriarche Orthodoxe
arménien Karekine II au Vatican. Et je suis
sûr qu’il n’ignorera pas ce sujet lors de sa
visite en Turquie, l’attitude turque étant
tout simplement inacceptable.
L’an prochain, le 24 avril,
le monde commémorera le 100ème anniversaire
du début de ce génocide. Ne pensez-vous pas
qu’il soit temps, enfin, d’admettre ce qui
s’est passé ? Je veux dire, regardez, je
suis allemand. Ma nation a commis le plus
grand crime de l’histoire, la Shoah. Nous ne
pouvons pas rendre leur vie à 6 millions de
Juifs, malheureusement. Mais nous pouvons
regretter, nous pouvons faire de notre mieux
pour se réconcilier, nous pouvons tirer les
enseignements de notre histoire et empêcher
sa répétition. N’est-ce pas un concept
catholique fondamental que Dieu ne vous
pardonnera vos pêchés que si vous les
regrettez sincèrement, les confessez et en
faites pénitence ? Personne ne blâmerait les
Turcs d’aujourd’hui pour ce que leurs
ancêtres ont fait. Mais nous les blâmons
pour leur négationnisme d’aujourd’hui, parce
que nier un crime fait de vous un complice,
un partenaire dans le crime, un protecteur
d’assassins !
Zenit :
Pensez-vous que le Pape devrait se rendre
également en Arménie ?
Hesemann : Ce serait
une bonne chose, car ce serait le signe
d’une solidarité fraternelle avec une nation
dans la souffrance, une nation de martyrs.
Un signe contre le silence, qui couvre
tellement de chapitres sans fin de
souffrances humaines, et une victoire de la
vérité ! Je prie pour qu’il rende visite à
l’Arménie en 2015, sans craindre aucune
conséquence diplomatique. Et je suis sûr
qu’il le fera, car il ne craint que Dieu,
pas les hommes. Mais encore plus importante
serait la réconciliation de ces deux
nations. Cela ne peut se produire et ne se
produira que lorsque la Turquie admettra ce
qui s’est passé il y a un siècle. Seule la
vérité fait de nous des êtres humains libres
de pardonner.
Zenit :
Comment voyez-vous une telle visite se produire,
ou ces pas vers la réconciliation être
franchis ?
Hesemann : Qui
suis-je en réalité pour recommander quoi que
ce soit au successeur de Saint Pierre ? J’ai
foi en l’intuition, l’empathie et le génie
du Pape François. Voyez ce qu’il a pu faire
par son voyage en Terre Sainte : établir un
dialogue et faire franchir les premiers pas
vers une réconciliation entre les Israéliens
et les Palestiniens, les invitant à un jour
de prière commun au Vatican ? Une
merveille ! Sans doute un tel geste,
appelant ensemble, victimes et “ auteurs “ à
examiner les faits et les invitant à se
réconcilier, serait le signe qui convient
pour 2015. J’ai une totale confiance envers
le Saint Père ; il trouvera les mots et les
gestes qui conviennent, une fois encore.
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Source :
http://www.zenit.org/en/articles/what-pius-xii-learned-from-the-armenian-genocide
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