1915
-Génocide ou Pas?
(*)
Mehves Evin - Hurriyet Daily
News
15 juin 2015
Après la
déclaration du Pape, les appels
du Parlement Européen disant "
1915 est un génocide, Ankara
devrait ouvrir ses archives et
faire la paix avec Érévan ", ont
provoqué des vives réactions de
la Turquie. On savait que de
telles remarques viendraient au
cours du 100ème anniversaire,
mais il semble que personne en
Turquie n'ait appris la leçon.
Plus précisément, le
gouvernement a opté pour
l'approche simpliste qui
consiste à dire " nous
publierons un message de
condoléances avec les mots qui
nous conviennent, et ce sera
tout ".
Quoiqu'il
en soit, la réaction du
gouvernement dénote une
psychologie de coupable. Il
adopte une approche défensive,
tout en revendiquant la
responsabilité pour les actes du
Comité Union et Progrès (Itthat
ve Terakki, ou Jeunes Turcs.
Certaines réactions sont
sanglantes. Par exemple, le
président Erdogan a parlé de
déporter des Arméniens de
citoyenneté turque, tout comme
la déportation des Arméniens
vivant illégalement dans ce
pays. Le premier ministre
Davutoglu, pour sa part, a en
réalité accepté le génocide
lorsqu'il a parlé d' "ouvrir "
également les archives de
l'histoire de l'Europe. Réagir à
la " pression sur le génocide "
exercée par l'Occident en
évoquant le colonialisme et
posant la question " qu'est-il
arrivé aux Aborigènes, aux
Indiens d'Amérique et aux tribus
africaines ? " n'est-il pas une
autre façon de dire qu'un
génocide a eu lieu en 1915 ?
Quelque
chose vous en empêche ?
Mais je
vous en prie, parlez-en, parlez
de tous ces cas où des peuples
autochtones ont été massacrés.
Qu'est-ce qui vous en empêche ?
Bien sûr,
ce n'est pas la même chose.
D'autres pays, en demandant
pardon, en ne fuyant pas la
critique par les media et le
cinéma des massacres de leur
histoire, en reconnaissant
tardivement les droits des
autochtones survivants, ont
regardé en face les crimes de
leurs ancêtres et leur histoire.
Bien sûr, ce n'est pas assez et
il y a encore à faire.
Concernant
1915 en particulier, la
République de Turquie n'a
toujours pas abandonné sa
politique de négation. Les
tentatives continuent pour
montrer qu'il était " normal "
que plus d'un million de
personnes aient été tuées, en
rappelant les crimes des bandes
d'Arméniens et leur " trahison
". Mais que dire de l'assassinat
des intellectuels, des femmes
violées, des enfants islamisés
arrachés à leurs parents, les
jeunes et les vieux forcés de
prendre la route et qu'on a
laissés mourir de faim?
Allons-nous appeler cela "
déportation " ?
La
publication d'un message de
condoléances pour " les
Arméniens ottomans innocents qui
ont perdu la vie ", comme si
leur mort était une chose
naturelle, est-elle suffisante?
Critère
d'humanité
Cent ans
ont passé. Comme le peuple turc
et l'état le savent, 1915 a été
un grave crime contre l'humanité
et un crime de guerre. Bulent
Arinc a lui-même déclaré: " Nous
n'avons pas commis un génocide
consciemment ou dans un but quel
qu'il soit. Pour les auteurs
d'un génocide, c'est une
évidence ".
Mais le
fait que les Nations-Unies
n'aient pas défini le " génocide
" avant 1948 ne signifie pas
qu'un génocide n'ait pas eu lieu
avant cette date.
Faut-il
décider selon les critères des
Nations-Unies ? Ou selon les
critères de l'humanité ?
Le fait
d'appeler 1915 " génocide "
n'exposera pas la Turquie à des
sanctions. Les craintes
d'indemnisations et de
revendications territoriales ne
sont pas fondées. Au contraire,
cela pourrait changer les
choses, s'agissant de poursuites
individuelles, dont beaucoup
sont actuellement en cours.
Dire de
1915 que c'était un génocide est
peut-être pour l'état une
décision difficile et un sujet
de débat. Mais ce qui est sans
aucun doute difficile, c'est
vivre dans le mensonge et le
négationnisme pendant des
années. Il est sans aucun doute
difficile de voir des crimes
commis ou organisés par l'état
continuellement pétris en
cultivant la même posture
négationniste.
Tout au
long de ce siècle nouveau, cette
négation signifie une
condamnation des générations
nouvelles à vivre dans la même
obscurité et les mensonges à
propos du passé.
Comment
partager la douleur ?
On ne peut
pas partager la douleur et être
sincère en ayant recours au
chantage du " Avouez d'abord
votre crime ".
Oui, des
bandes d'Arméniens ont aussi
tués des Turcs. Mais la douleur
ne peut être partagée sans que
l'histoire et le discours
officiels ne soient que le récit
d'un seul bord, comme s'il n'y
avait ni d'abord ni ensuite.
Mettre la
charge de la responsabilité sur
les causes de la Première Guerre
Mondiale revient à justifier le
Comité Union et Progrès, qui
collabora avec les Allemands,
sans partager la douleur.
Dire de la
reconnaissance du génocide que
c'est au fond un discours de
haine dénote une ignorance de sa
réelle signification.
La "
grandeur ", c'est pour ceux qui
sont sincères envers les
sentiments d'amitié et la paix,
et pour ceux qui sont prêts à
regarder la réalité en face.
Traduction :
Gilbert Béguian pour Armenews et
Imprescriptible
Cet article
publié dans le quotidien
Milliyet le 22 avril 2015, a
reçu le prix Global Political
Trends (GPot) du Journalisme
Turquie-Arménie. Il a été
traduit du turc en anglais par
Mohammed Ammash
http://www.hurriyetdailynews.com/1915-genocide-or-not.aspx?pageID=238&nID=83975&NewsCatID=396
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