PROCÈS DU GÉNOCIDE

 Génocide des Assyro-Chaldéens - Qui s'en souviendra ?

Ils sont à nos côtés, mais sans nous ? En France, un projet de loi préparé et déposé par la députée des Bouches du Rhône, Valérie Boyer, en avril 2019 pour la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens « Les Oubliés de l’Histoire) et insuffisamment connu.

Propos de Daniel Auguste recueillis par Aram Gareginyan
Nouvelles d'Arménie Magazine - 4 mai 2020

Le 24 avril, les Arméniens, où qu’ils vivent, se souviennent et commémorent le génocide de 1915.
 
Ce triste événement est une douleur partagée entre nos peuples frères, car les Jeunes Turcs et les kémalistes ne voulaient pas qu’effacer de la surface de la Terre les Arméniens, mais aussi les Assyro-Chaldéens, les Syriaques, sous l’appellation "SEYFO", les Grecs et les Yazidis.

À l’instar des Arméniens, ces minorités ont toutes subi le même sort lors du génocide de 1915 et même après. De nombreux historiens et archives le prouvent sans aucune ambigüité, et la conclusion apportée est qu’il s’agissait bien du génocide des minorités non musulmanes de Turquie, et plus concrètement, celui des minorités chrétiennes autochtones.

Les plans de la Turquie Ottomane et Kemaliste ont échoué : nos peuples ont survécu, malgré qu’ils soient massacrés à plus de deux tiers et dispersés partout dans le monde en diaspora.
Avec ce constat avéré, notre lutte pour la reconnaissance du génocide de 1915 ne devrait-elle pas être commune ? 105 ans après, il est primordial que nos peuples s’unissent davantage et collaborent plus étroitement, souligne Monsieur Daniel Auguste, Président du Comité de Soutien des Chrétiens d’Irak et défenseur de la cause de la communauté Assyro-Chaldéenne de France.

Pour une histoire et douleur communes, il faut des actions communes -

Il y a de nombreuses personnalités distinctives de la communauté arménienne comme Ara Toranian, Co-Président du CCAF, fidèle parmi les fidèles, Alexis Govciyan et Antoine Bagdikian, Président de l’ANACRA, qui sont parmi les premiers habitués à soulever la question du génocide des Assyro-Chaldéens et des Grecs Pontiques « Les oubliés de l’histoire » .

Je constate que seule une petite poignée de personnalités relatent notre sort, ce qui est très insuffisant devant la gravité de la situation et le calvaire subi par nos peuples.

C’est l’ensemble de nos communautés respectives, des personnalités et organisations arméniennes qui doivent plus que jamais associer les Assyro-Chaldéens à cette cause commune, sans quoi notre objectif et la perception de l’extérieur de nos actions individuelles par diaspora risquent d’être confrontés durablement à l’incompréhension à tous les niveaux de la société civile, y compris au sein de la classe politique avec un sentiment de dissociation du génocide dont certains nous l’ont déjà fait savoir à plus d’une fois alors qu’il s’agit du même génocide qui a eu lieu à la même époque, par le même bourreau et pour les mêmes raisons qui sont celles de l’appartenance religieuse.

Cette situation inexplicable est d’une part contre-productive, et d’autre part ressentie comme une blessure supplémentaire à l’encontre de l’ensemble des Assyro-Chaldéens et Grecs Pontiques.

Je rajouterai même que c’est un sentiment de frustration et de colère que d’être considérés comme un peuple de seconde zone, des victimes d’un niveau moins élevé et moins important que nos cousins Arméniens.

Je peux citer deux exemples explicites de la problématique de cette incompréhension et injustice.

Le génocide des Arméniens a été reconnu par la France par une loi de 29 janvier 2001, sans faire mention de celui (pourtant le même génocide) des Assyro-Chaldéens et des Grecs Pontiques, le second exemple concerne la déclaration par le président de la République Française, Emmanuel Macron, de rendre le 24 avril « Journée nationale de la commémoration du génocide Arménien en France. »

Le temps est venu de nous rassembler pour marcher ensemble en défendant par tous les moyens légaux possibles, et d’une même voix, le génocide de 1915, ainsi que sa négation, souligne Daniel AUGUSTE.

Comment peut-on demander à toutes les nations du monde, et en particulier au gouvernement Turc, de reconnaitre le génocide de 1915, lorsqu’on ne reconnait pas officiellement une partie de ce même génocide et sans associer pleinement les autres peuples victimes et concernés par la même tragédie en les larguant au second plan ?

Cette indifférence est incompréhensible et inquiétante pour notre long combat et devoir de mémoire des martyrs qui doivent dépasser largement cette néfaste catégorisation égoïste. « Je fais un appel aux Arméniens en leur demandant de soutenir officiellement et d’aider par tous les moyens les Assyro-Chaldéens (Projet de loi déposée par Valérie Boyer en avril 2019 pour la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens) pour compléter équitablement la loi du 29 janvier 2001 à travers une reconnaissance de leur génocide au nom de la justice, de l’égalité et des droits de l’Homme en nous considérant comme des citoyens à part entière devant les lois de la république française ».

Malgré cette situation difficile, je ne perds pas d’espoir pour entamer une nouvelle aire de travail plus collectif avec les Arméniens, grâce à notre amitié et à nos excellentes relations de confiance réciproques.

Nous sommes résolus à poursuivre ce combat difficile par notre persévérance afin d’arriver à atteindre l’objectif final d’une reconnaissance et d’une pénalisation de la négation de ce premier génocide du 20e siècle que je qualifie « Le Génocide des Chrétiens sous l’empire Ottoman Turc »

Etant donné que la position de la République d’Arménie, jointe par son corps diplomatique, étant très importante à l’échelle de sa communauté, il serait souhaitable qu’elle apporte son soutien publiquement en faveur du combat des Assyro-Chaldéens, par une mobilisation de la diaspora arménienne en France.

Toutefois, il faut saluer le courage de l’Assemblée Nationale d’Arménie qui a reconnu officiellement le génocide des Assyro-Chaldéens, Grecs et Yazidis en 2015, soit, 24 ans après son Independence, alors que les Arméniens ont attendu 85 ans pour une reconnaissance officielle en France.

Chacun pour soi ?

Il est consternant d’observer que la même situation vécue par les Assyro-Chaldéens avec les Arméniens se produit (effet domino ?) par l’Etat d’Israël vis-à-vis des Arméniens d’une façon ubuesque. Or, chacun s’accorde à ce qu’Israël soit le premier pays au monde à reconnaître le génocide des Arméniens au vue de la grande catastrophe « la Shoah » vécue par les juifs sous l’occupation de l’Allemagne nazie, ex-alliée de l’empire ottoman lors de la 1er guerre mondiale.

Par ailleurs, la communauté juive de France est assez embarrassée par cette attitude d’Israël qui reste dans le statuquo jusqu’à ce jour, soit 105 après, en adoptant une posture regrettable, liée aux considérations géopolitiques biaisées avec la Turquie, qui à son tour, a une haine viscérale contre Israël.

À ce propos, il ne faut pas qu’Israël s’entête à tort en considérant qu’il n’y a eu que la Shoah qui compte, et qu’elle est au-dessus de tous les autres génocides, y compris le génocide des Arméniens, alors que grand nombre d’historiens et de chercheurs ont l’intime conviction que s’il n’y avait pas eu le génocide de 1915, la Shoah ne se serait pas produite, et pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler de cette funeste expression « Qui se souvient de l’extermination des jeunes Arméniens » d’Hitler à ses généraux. Par ces faits, on ne peut plus se donner le luxe du combat solitaire avec la posture de « chacun pour soi », cette logique dépassée doit être remplacée par une nouvelle approche collective pour la poursuite du travail de mémoire et de défense du génocide des chrétiens autochtones de Turquie.

En combattant ensemble contre toute forme de négationnisme, et en faveur de la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens et Grecs Pontiques, les Arméniens arriveront à attirer plus d’attention sur la dénonciation des crimes de guerres qui se produisent encore aujourd'hui en Syrie et en Irak par l’état islamique.

 Ces guerres sont en réalité la continuité du même génocide débuté en 1915 avec la Turquie néo-ottomane d’Erdogan, alliée officielle des terroristes islamistes, en agissant en chef d’orchestre avec la ferme attention de bannir de la carte le peu de chrétiens orientaux qui résistent, tant bien que mal, sur leur terre ancestrale.

Les similitudes sont les mêmes que celles vécues par nos ancêtres il y a 105 ans, car ils attaquent les Chrétiens et autres minorités religieuses au nom de l’islam, dite « religion de paix ». Les Assyro-Chaldéens du Moyen-Orient, habitués à ce sort tragique et contre leur gré, ont été de nouveau soumis à l’exode par des périodes cycliques, comme lors de l’invasion de l’Irak le 16 janvier 1991 sous l’appellation « Tempête du désert ».

Sous le nationalisme de Saddam Hussein, l’Irak comptait 1.500.000 de Chrétiens d’origines assyro-chaldéennes avant cette invasion américano-occidentale, suivie d’une nouvelle invasion par l’état islamique des villes de Mossoul, Qaraqosh en juin 2014, ayant eu comme conséquences dramatiques un nouvel exode des Chrétiens d’Irak avec une réduction drastique de leur population qui est aujourd’hui estimée entre 250 à 300.000 individus. Les liens historiques et familiaux entre Arméniens et Assyro-Chaldéens ne datent pas d’hier, pour ne citer que mes origines familiales.

“Mon arrière-grand-père était d’origine arménienne du village de Dehé, province de la ville de Siirt proche de Hakkari ». Il y a une multitude de familles dans le même cas, que ce soit chez les Arméniens ou du côté des Assyro-Chaldéens, avec des familles mixtes, et d’ailleurs cela n’a jamais posé de problèmes, car ce qui prévalait en priorité, était d’avoir la même foi chrétienne qui dure jusqu’à maintenant.

Avec les Arméniens, nous avons appris à se connaître et à se reconnaître pour travailler ensemble. En 2015, pour la première fois en France, les défenseurs de la cause Arménienne et Assyro-Chaldéenne avec le support des associations, ont fait ériger deux stèles communes commémorant le génocide des Assyro-Chaldéens et Arméniens sur la commune de Villiers-le-Bel, située dans le Val d’Oise (Île-de-France). Daniel Auguste reste en contact régulier avec les organisations arméniennes et grecques pour organiser de nouvelles actions d’avenir.

Tout comme les Arméniens -

Les Arméniens sont arrivés à l’aboutissement de la reconnaissance du génocide en France après 85 ans de lutte acharnée. Il a fallu plusieurs générations pour y arriver. Naturellement, les premiers refugiés étaient préoccupés à trouver un logement et un emploi pour nourrir leurs familles, comme tout réfugiés ou immigrés. Les Assyro-Chaldéens se sont réfugiés tardivement en France, et comparés aux Arméniens, leur arrivée massive s’est déroulées dans les années 1980-1990. A l’instar des Arméniens, il leur fallait s’installer dans leur nouveau pays d’accueil « La France » qui leur a ouvert ses bras généreusement après avoir survécu à des décennies de barbaries et exactions des Turcs et des Kurdes dans les villages mixtes à 100% chrétiens.

Comme une partie des Arméniens, la majorité des Assyro-Chaldéens de la dernière vague des années 1980-1990, étaient des paysans. Beaucoup d’entre eux ont commencé par apprendre des nouveaux métiers dans le domaine du textile en confection.

Pour une installation définitive, il a fallu investir progressivement dans leur premier achat de résidence principale (maison ou appartement), afin de stabiliser leurs familles, tout comme ce fût le cas des Arméniens des années 1920-1930. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que beaucoup des jeunes et de moins jeunes de la communauté ont découvert l’existence du génocide à leur arrivée en France.

En Turquie, naturellement, ce sujet était tabou et totalement absent de l’espace public.
 
Obligation morale Progressivement, les Assyro-Chaldéens ont pris conscience de leur histoire catastrophique au prix de beaucoup de sang lors du génocide de 1915. Il ont soutenu et salué la reconnaissance du génocide Arménien en 2001. 20 ans après, leur génocide méconnu du grand public n’est pas reconnu par la France alors que d’autres pays dans le monde l’ont reconnu, tels que l’Allemagne, la Suède, l’Arménie, les Etats-Unis, et ce sentiment d’injustice est lourd à porter au quotidien. C’est la raison principale du projet de loi pour la reconnaissance du génocide Assyro-Chaldéen, préparé avec professeur Joseph Yacoub (Politologue, historien et professeur de l’université catholique de Lyon) est déposé auprès de l’Assemblée Nationale, par la députée, Madame Valérie Boyer, une ardente défenseure de la cause arménienne et assyro-chaldéenne, mais aussi de la cause des chrétiens d’Orient.
J’apprécie beaucoup leur travail précieux d’humilité et d’humanité.

Le but de ce projet est de ne plus oublier ni discriminer un peuple abusivement oublié de l’histoire de l’humanité, malgré le traité de Sèvres du 10 août 1920, parce qu’il est minoritaire et/ou a moins de représentants en responsabilité politique.

Cette reconnaissance a pour but également d’éviter qu’aucune personne, ni pays ne puissent falsifier notre histoire. Cette réalité historique nous oppose naturellement, et c’est pour cette raison précise que j’invite mes cousins Arméniens à ne pas oublier leurs cousins Assyro-Chaldéens à travers un soutien concret et réaliste, au projet de loi cité avec l’espoir d’une validation par la commission de lois, afin qu’il soit soumis au débat à l’assemblée nationale, raconte Daniel Auguste.

Il continue son travail de lobbying avec les associations auprès du gouvernement et des différents groupes parlementaires. La démarche est longue mais largement audible avec nos interlocuteurs dont il est persuadé que la France donnera une suite favorable au nom du droit et de la justice, à cette noble cause. En dehors du volet politique, c’est une obligation morale pour lui de se battre par devoir de mémoire aux morts. “Moi-même, je ne me souviens pas une seule fois où je n’ai pas participé au défilé et commémorations du 24 avril aux côtés des Arméniens.

Ne pas accomplir cette obligation morale serait synonyme d’un quitus au négationnisme turc, c’est-dire à Erdogan : “continuez votre négation”.

J’y vais, je dépose une gerbe avec nos associations. C’est le minimum qu’on puisse faire pour rendre hommage aux victimes et il ne faut chercher ni excuse, ni prétexte, à ne pas honorer nos morts sans sépultures”.