Par Burçin GERÇEK -
24 Avril 2015
publié dans Ouest France
Alors qu'on commémore le centenaire du
génocide, un préfet turc a sauvé des Arméniens
de la déportation et des massacres. Voici le
portrait de ce Schindler turc.
«
Ma situation à Konya était celle d’un homme qui
restait au bord d’un fleuve, alors qu’il n’avait
aucun moyen de sauvetage. (…) J’ai sauvé tous
ceux que j’ai pu attraper avec mes mains et mes
ongles et les autres ont été emportés sans
possibilité de retour ». Ainsi Celal Bey, le
gouverneur de Konya, évoquait-il le génocide
arménien dans ses mémoires publiés, en 1918,
dans le journal Vakit.
Des milliers de vies sauves -
Pendant les quatre mois où il fut en poste dans
cette grande ville carrefour d’Anatolie
centrale, Celal Bey réussit à maintenir des
milliers d’Arméniens sur place et à les sauver
de la déportation et des massacres. À cause de
sa résistance, Celal sera démis de ses
fonctions.
Toutefois, il ne sera pas assassiné, sort qui
était habituellement réservé aux fonctionnaires
et civils qui refusaient de prêter la main à
l’extermination des Arméniens en 1915.
Rôle héroïque -
Alors que l’on commémore le centenaire du
massacre des Arméniens, l’histoire du gouverneur
Celal –et de centaines d’autres personnes qui
désobéirent– pourrait permettre à la société
turque d’affronter la réalité du génocide
arménien. En mettant en lumière ceux qui
jouèrent un rôle héroïque pendant la tragédie,
elle apporte un éclairage nuancé sur l’époque :
tous les Turcs ne furent pas du mauvais côté de
l’histoire.
Projet démoniaque -
Ces cinq dernieres années, des recherches
encouragées, en particulier, par la Fondation
Hrant Dink (1), ont permis de retrouver la trace
de ces Justes de 1915. « Ces gens ont risqué
leur vie pour s’opposer au projet démoniaque du
gouvernement ottoman de l’époque, soulignait une
étudiante, le mois dernier, lors d’une
conférence organisée par la Fondation Dink.
Alors, pourquoi nous, leurs petits-enfants,
serions-nous obligés de nous identifier à ceux
qui ordonnèrent les massacres ? »
Justes -
Les recherches sur les Justes rencontrent
aujourd’hui de l’écho dans la société turque. Le
gouvernement lui-même, qui continue de nier le
génocide, tente de les récupérer : une
initiative intitulée « Mémoire juste » –
un concept élaboré par le Premier ministre Ahmet
Davutoglu– utilise leur histoire pour élaborer
un récit « plus humain » des événements
de 1915... toujours sans reconnaître l’intention
génocidaire du gouvernement ottoman.
Il sera toutefois difficile, pour le
gouvernement actuel, d’effacer le témoignage
accablant du gouverneur Celal. « Si le
transfert des Arméniens vers un autre lieu a été
considéré comme nécessaire pour le salut de la
patrie, fallait-il appliquer cette mesure de
cette manière ? Le gouvernement, qui a ordonné
le transfert des Arméniens à Deir Es Zor
(désert de Syrie, NDLR) , s’est-il demandé
comment ces malheureux pourraient survivre sans
habitation et nourriture, au milieu des tribus
nomades arabes ? S’il y a réfléchi, je demande :
combien de nourriture a-t-il envoyé dans ces
régions ? Combien de maisons a-t-il fait
construire pour leur installation ? Quel était
le but du transfert d’une population sédentaire
depuis des siècles dans les déserts de Deir Es
Zor, privé d’arbre, d’eau et de toute sorte de
matériel de construction ? Il n’est point
possible de nier ou de tourner autrement la
question. Le but était l’extermination et ils
ont été exterminés », écrivait Celal en
1918, comme s’il avait anticipé les arguments
futurs des négationnistes.
(1). Rédacteur en chef d’Agos, le journal
arménien d’Istanbul, assassiné en 2007 par un
jeune ultranationaliste. Lire
aussi ►
The Real Turkish Heroes of 1915 dans
Armenian weekly
|