PROCÈS DU GÉNOCIDE

Dossier : Celal Bey, le préfet turc qui sauva des Arméniens

Alors qu'on commémore le centenaire du génocide, un préfet turc a sauvé des Arméniens de la déportation et des massacres. Voici le portrait de ce Schindler turc.

« Ma situation à Konya était celle d’un homme qui restait au bord d’un fleuve, alors qu’il n’avait aucun moyen de sauvetage. (…) J’ai sauvé tous ceux que j’ai pu attraper avec mes mains et mes ongles et les autres ont été emportés sans possibilité de retour ». Ainsi Celal Bey, le gouverneur de Konya, évoquait-il le génocide arménien dans ses mémoires publiés, en 1918, dans le journal Vakit.

Des milliers de vies sauves -

Pendant les quatre mois où il fut en poste dans cette grande ville carrefour d’Anatolie centrale, Celal Bey réussit à maintenir des milliers d’Arméniens sur place et à les sauver de la déportation et des massacres. À cause de sa résistance, Celal sera démis de ses fonctions.

Toutefois, il ne sera pas assassiné, sort qui était habituellement réservé aux fonctionnaires et civils qui refusaient de prêter la main à l’extermination des Arméniens en 1915.

Rôle héroïque -

Alors que l’on commémore le centenaire du massacre des Arméniens, l’histoire du gouverneur Celal –et de centaines d’autres personnes qui désobéirent– pourrait permettre à la société turque d’affronter la réalité du génocide arménien. En mettant en lumière ceux qui jouèrent un rôle héroïque pendant la tragédie, elle apporte un éclairage nuancé sur l’époque : tous les Turcs ne furent pas du mauvais côté de l’histoire.

Projet démoniaque -

Ces cinq dernieres années, des recherches encouragées, en particulier, par la Fondation Hrant Dink (1), ont permis de retrouver la trace de ces Justes de 1915. « Ces gens ont risqué leur vie pour s’opposer au projet démoniaque du gouvernement ottoman de l’époque, soulignait une étudiante, le mois dernier, lors d’une conférence organisée par la Fondation Dink. Alors, pourquoi nous, leurs petits-enfants, serions-nous obligés de nous identifier à ceux qui ordonnèrent les massacres ? »

Justes -

Les recherches sur les Justes rencontrent aujourd’hui de l’écho dans la société turque. Le gouvernement lui-même, qui continue de nier le génocide, tente de les récupérer : une initiative intitulée « Mémoire juste » – un concept élaboré par le Premier ministre Ahmet Davutoglu– utilise leur histoire pour élaborer un récit « plus humain » des événements de 1915... toujours sans reconnaître l’intention génocidaire du gouvernement ottoman.

Il sera toutefois difficile, pour le gouvernement actuel, d’effacer le témoignage accablant du gouverneur Celal. « Si le transfert des Arméniens vers un autre lieu a été considéré comme nécessaire pour le salut de la patrie, fallait-il appliquer cette mesure de cette manière ? Le gouvernement, qui a ordonné le transfert des Arméniens à Deir Es Zor (désert de Syrie, NDLR) , s’est-il demandé comment ces malheureux pourraient survivre sans habitation et nourriture, au milieu des tribus nomades arabes ? S’il y a réfléchi, je demande : combien de nourriture a-t-il envoyé dans ces régions ? Combien de maisons a-t-il fait construire pour leur installation ? Quel était le but du transfert d’une population sédentaire depuis des siècles dans les déserts de Deir Es Zor, privé d’arbre, d’eau et de toute sorte de matériel de construction ? Il n’est point possible de nier ou de tourner autrement la question. Le but était l’extermination et ils ont été exterminés », écrivait Celal en 1918, comme s’il avait anticipé les arguments futurs des négationnistes.

(1). Rédacteur en chef d’Agos, le journal arménien d’Istanbul, assassiné en 2007 par un jeune ultranationaliste.

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