Par Ara
Sarafian - Historien -
Le « débat sur les
Archives ottomanes » a été créé au milieu des années 1980, lorsque des
représentants du gouvernement turc annoncèrent l'ouverture imminente des
collections d'archives ottomanes sur la Question arménienne. Cette
annonce a été faite par des hauts responsables du gouvernement turc,
notamment le défunt Turgut Özal et Mesut Yılmaz. Le débat a été ensuite
amplifié par des intellectuels officiels turcs et leurs partisans.
Parallèlement à ces promesses, plusieurs publications en langue turque
et en différentes langues occidentales, ont fait ostensiblement
référence à de nouveaux documents ottomans. Ces publications réitèrent
la thèse nationaliste turque sur les Arméniens, notamment sur le
génocide de 1915. Cette présentation qui utilise les documents
d'archives ottomans et d'autres sources, démontre que le débat sur les
archives ottomanes manque de légitimité académique. Aussi, le contexte
politique du débat est plus significatif que sa substance académique. La
plupart des nouvelles collections d'archives ottomanes citées par les
«chercheurs» nationalistes turcs, restent inaccessibles aux savants
critiques : les archives-clés sont faussement interprétées même dans les
publications en fac-similé. Les autorités turques sont fortement
impliquées dans le développement de cette triste situation. Toutefois,
une analyse critique du matériau disponible en Turquie éclaire le
génocide arménien d'une lumière nouvelle.
On trouvera ici un point de vue personnel concernant la controverse qui
se poursuit touchant le rôle des archives ottomanes dans les études sur
le génocide arménien(1). Le présent article se fonde sur le fait qu'il
existe actuellement un « débat sur les archives ottomanes », un débat
qui fait partie d'une campagne de négation du génocide arménien. C'est
un texte qui établit la base de ce débat en terme de données politiques,
avant de le replacer dans son contexte historiographique.
Un débat politisé dès l'origine
Au milieu des années 1980, d'importantes personnalités officielles
turques se mirent en devoir de soutenir que les historiens travaillant
sur le génocide arménien devaient utiliser les dossiers de l'Etat
ottoman, tout comme les spécialistes de l'histoire britannique ou
française s'appuient sur les archives britanniques ou françaises. Cet
argument faisait partie d'une campagne d'opposition à une résolution du
Congrès américain qui faisait de l'évocation du génocide de 1915 l'objet
d'une « Journée nationale du souvenir de l'inhumanité de l'homme pour
l'homme ». La position du gouvernement fut reprise par d'autres
organismes officiels turcs, des journaux et des individus favorables à
l'Etat turc. Celui-ci ajouta du poids à ces assertions en s'engageant à
« déclasser » les dossiers ottomans sur les Arméniens et en adoptant de
nouvelles réglementations visant à faciliter l'accès à ces documents(2).
Celui qui prendrait ces affirmations pour argent comptant pourrait
s'imaginer que l'Etat turc s'engageait ainsi à mettre la documentation
sur le génocide arménien à la disposition des chercheurs(3).
Tout au long de cette période subsista un lien très net entre la
négation du génocide, les publications anti-arméniennes venant de
Turquie et le « débat sur les archives ottomanes », le tout étant
supervisé par l'Etat turc et ses mandataires(4). Şinasi Orel par exemple,
chargé de rassembler les archives ottomanes sur les Arméniens, était un
diplomate à la retraite et un écrivain nationaliste(5). On pourrait déjà
avancer que le gouvernement turc a dévoilé ses intentions en nommant Şinasi Orel architecte principal des archives ottomanes sur les
Arméniens(6). La position d'Orel sur les Arméniens et le génocide était
bien connu : le génocide n'a pas de réalité puisqu'il « ne repose dès le
départ que sur des faux documents »(7). Il faisait remarquer que, si le
génocide des Arméniens avait eu lieu, beaucoup de témoins étrangers présents
dans l'Empire ottoman s'en seraient fait l'écho dans le monde entier
(8).
Il concluait que tel n'était pas le cas. D'après lui, l'histoire du
génocide n'était que le produit de la propagande arménienne et de la
crédulité des chercheurs occidentaux(9). Il soutenait qu'il n'existait
aucun témoignage sur le génocide parce que c'était un événement qui
n'avait jamais eu lieu et qui par conséquent ne pouvait être prouvé par
les documents(10)
Tandis qu'Orel engageait publiquement la position du gouvernement turc
dans le « débat » naissant, le directeur général des Archives
Nationales, Ismaïl Binark, en faisait autant, s'obstinant à prétendre
que la thèse du génocide était fondée sur de faux documents occidentaux.
À son avis, les étrangers devraient s'appuyer exclusivement sur des
sources turques pour apprécier correctement les relations
turco-arméniennes (11). Binark affirmait que la question arménienne était
le produit de la haine, de la propagande et du terrorisme arméniens
ainsi que la naïveté des Turcs qui ne surent pas se défendre. Binark
poursuivait : « Le silence du peuple turc, dû à la dignité d'un peuple
juste, a été interprété comme le silence d'un peuple coupable ». Pour
lui, les archives ottomanes prouvaient effectivement la culpabilité
historique des Arméniens, et justifiaient probablement le traitement
qu'entraîna cette culpabilité (12). Au lieu d'observer une distance
professionnelle sur le sujet des Arméniens ottomans, Binark adopte des
positions partisanes, trahissant ainsi la dimension politique de sa
nomination à la direction des Archives et engageant son gouvernement.
Le recoupement entre l'Etat turc et les institutions universitaires du
pays peut également être présenté de manière plus globale. Par exemple,
l'homme politique Mesut Yılmaz, annonça en 1986 qu'un fonds spécial
avait été créé essentiellement pour rendre les Archives Nationales,
disait-il, plus efficaces et faire gagner à la Turquie la faveur de
l'opinion publique (13). Il annonça que, pour la seule année 1986, un
budget de plus de 5.213.762.025 livres turques avait été affecté à ces
archives et définit le but de celles-ci comme reflétant le « point de
vue national » (14). En 1989, Yılmaz, alors Premier ministre, prétendit
même que, en ouvrant les Archives aux spécialistes, son pays avait
apporté une contribution qui prouverait qu'il n'existait pas une seule
page susceptible de jeter la honte sur les Turcs et leur histoire
(15).
Il est évident que le « débat sur les archives ottomanes » des années
1980 n'était pas une démarche purement académique. La promesse de
l'ouverture des archives ottomanes sur les Arméniens était utilisée
comme une ruse propre à remplacer les études des sources européennes et
américaines librement accessibles sur 1915. Tout fut fait pour centrer
le débat sur les archives ottomanes qui, même rendues disponibles,
resteraient toujours sous le contrôle physique de l'Etat turc. En dépit
des promesses faites aux services d'archives occidentales, celles-ci ne
reçurent jamais les copies sur microfilms des documents ottomans sur le
traitement des Arméniens en 1915 (16). Dans ce contexte, plusieurs auteurs
ont tenté, au cours des années 1980, de réintroduire les thèses
nationalistes turques sur les Arméniens et le génocide, thèses dont les
affirmations fondamentales sont les suivantes : les Arméniens
représentaient une minorité insignifiante dans l'Empire ottoman ; à
l'instigation d'Etats étrangers, ils devinrent au XIXe siècle une
minorité rebelle ; pendant la Première Guerre mondiale, il y eut dans
l'Empire une guerre civile entre Arméniens et musulmans ; les Arméniens
furent déplacés pendant cette période en raison de la menace qu'ils
représentaient pour l'effort de guerre ottoman ; leur réinstallation en
1915-1916 fut dans l'ensemble réussie, malgré quelques défaillances de
la justice ; un grand nombre d'entre eux périrent pendant ces
déportations à cause des conditions générales dues à la guerre, telles
que la malnutrition, la maladie, etc.
En fait, les tentatives faites pour enfermer l'étude du génocide dans le
cadre des paramètres négationnistes ont échoué, non seulement en raison
de l'indigence des dossiers disponibles dans les archives turques et
susceptibles de servir de base aux négationnistes, mais aussi parce que
ces documents contredisaient la thèse nationaliste turque. Peut-être
est-ce pour cette raison que les autorités turques n'ont pas publié les
documents sur microfilms qu'elles avaient promis aux services d'archives
occidentaux, et qu'elles se montrent toujours réticentes à autoriser
l'accès à ces collections de documents aux historiens critiques.
Expérience personnelle
Ayant travaillé aux Archives Nationales ottomanes du Premier ministre à
Istanbul de décembre 1991 à juin 1992, puis en janvier 1995 et enfin en
juillet 1995, jusqu'à ce que je sois obligé de partir en 1995, j'ai pu
faire les observations suivantes en ce qui concerne l'accessibilité à
ces sources (17). Il y a une absence significative de documents sur les
Arméniens ottomans dans les archives turques aujourd'hui. Au-delà de la
rareté générale de tels documents, ceux qui sont disponibles ne sont pas
réellement accessibles. Les autorités se réservent la possibilité d'en
interdire l'accès à certains chercheurs et d'en faciliter la
consultation à d'autres (18). Avant d'être communiqué, tout document est lu
et peut être refusé impunément. Les demandes sont rejetées sous divers
prétextes. Voici quelques unes des raisons officiellement invoquées :
(1) les documents demandés ne font pas partie du domaine étudié par le
chercheur ; (2) les documents sont introuvables ; (3) les documents
demandés sont trop fragiles ; ou (4) les dossiers font l'objet d'un
traitement spécial. Lors de ma première série de visites aux Archives,
nombre de mes demandes furent rejetées pour les motifs cités ci-dessus.
Mais la nature systématique de ces refus devint claire lorsqu'ils
concernèrent à plusieurs reprises un certain type de documents. C'est
ainsi que je ne réussis jamais à obtenir aucune des huit citations du « Yıldız Esas Evrakı » faites par Justin McCarthy, un négationniste
notoire du génocide arménien (19). Lorsque je demandai des documents
similaires dans la même collection, je me heurtai aussi à un refus.
Lorsque j'insistai et demandai des fichiers de la même catégorie, toute
la collection était fermée, elle ne devait rouvrir qu'après mon départ
de Turquie. Sur les 91 documents du « Yıldız Esas Evrakı » que je
demandai à consulter, on m'en refusa 58, ainsi que d'autres cités par
des spécialistes de parti pris. Par exemple, en 1992, quand je demandai
à voir les documents du « Yıldız Perakende » cités par Kemal Karpat, on
me répondit que la collection n'était pas disponible. En fait, on me dit
qu'elle était fermée et n'avait jamais été ouverte (20).
J'adressai un rapport sur mon expérience à l'ambassade de Turquie à
Washington (21). L'ambassade ne contesta aucun aspect du rapport, qu'elle
rejeta ensuite en citant un communiqué officiel émanant du service des
Archives du Premier ministre, c'est-à-dire des personnes mises en cause
elles-mêmes (22). Lorsque, à plusieurs reprises, je fis des demandes de
visa de recherche pour travailler sur d'autres archives en Turquie, ces
demandes furent d'abord ignorées puis tout simplement rejetées. On me
dit que les documents que je désirais consulter – dans chacune des cinq
archives – étaient en train d'être saisis sur ordinateur
(23). Finalement,
je retournai aux Archives du Grand Vizirat pour lesquelles j'avais
encore mon laissez-passer à la suite d'une intervention en ma faveur de
certaines personnes dont je ne souhaite pas citer le nom. Cette fois-ci,
on me remit des documents qui m'avaient auparavant été refusés, sans
qu'on me donnât d'explication pour les refus précédents. Le personnel de
la Direction des archives conservait la faculté de refuser certains
dossiers, mais je ne me heurtai pas aux mêmes difficultés qu'auparavant.
Je commençai alors à travailler sur une collection de télégrammes codés
de la période de la Première Guerre mondiale concernant le traitement
des Arméniens (24).
Le « Şifre Kalemi » ou collection des télégrammes codés a été cité par
les auteurs nationalistes turcs qui reconnaissent que le gouvernement
ottoman a déporté les Arméniens en 1915 et qui affirment que Talaat
Pacha a personnellement fait preuve d'intérêt pour le bien-être des
déportés. De nombreux télégrammes de cette collection ont en fait été
rédigés par Talaat Pacha, parmi lesquels figurent ses ordres pour la
déportation de certaines communautés, ses questions sur l'état des
convois, des instructions concernant la direction à prendre par les
caravanes, etc (25). En réalité, les auteurs comme Kamuran Gürün ont
utilisé ces dossiers pour soutenir leur thèse selon laquelle les
déportations de 1915 furent normalement organisées (26). Cependant, ils
n'ont pas abordé la question de l'absence d'informations concernant le
sort de ces déportés. En fait, Gürün, comme nombre de ses comparses, a
éludé le sujet en affirmant que 702.900 Arméniens avaient été bien
réinstallés à la fin de 1916 (27). Cette affirmation n'est fondée que sur
une citation issue des archives militaires d'Ankara et qui n'est étayée
par aucun document (28). Fait incroyable, un examen du document en question
révèle que ces données concernent la réinstallation non pas d'Arméniens,
mais de musulmans qui avaient fui le front russe en 1915-1916
(29). Ces
réfugiés étaient transportés, nourris, vaccinés et réinstallés dans le
centre et l'ouest de l'Asie Mineure. Ce document montre sans aucun doute
possible que le gouvernement ottoman avait à l'époque les moyens de
déplacer des centaines de milliers de personnes. La question évidente
reste entière, à savoir pourquoi on ne trouve aucun document sur les
centaines de milliers d'Arméniens déportés en 1915 et 1916
(30).
Des rapports ottomans disponibles dans les séries de télégrammes codés,
il ressort que la "déportation" d'Arméniens en 1915 faisait partie d'un
plan plus général de turquification de l'Asie Mineure (31). Après
l'expulsion des Arméniens, leurs propriétés étaient confisquées par les
autorités, et des réfugiés turcs des Balkans, bosniaques ou musulmans du
Caucase, étaient installés à leur place. La destruction des Arméniens
pendant cette période s'accompagnait également de mesures visant à «
répartir » la population kurde en vue de son assimilation dans l'empire,
politique qui fut appliquée avec plus de succès dans la République
turque. On prit aussi des mesures contre l'ensemble de la population
grecque de l'Empire. Aucun auteur nationaliste turc qui prétend avoir
travaillé sur cette collection de documents (à savoir les télégrammes
codés) aux archives du Premier ministre n'a reconnu ce contexte
fondamental de l'époque. Le gouvernement ottoman exerçait un contrôle
absolu sur ses peuples sujets, et les Arméniens furent systématiquement
déportés de leurs habitations et de leurs villages pendant toute la
période 1915-1916. Talaat Pacha se chargeait personnellement des
déportations en utilisant un réseau télégraphique et la bureaucratie
officielle. Les archives ottomanes corroborent effectivement l'existence
de documents d'archives sur 1915 disponibles hors de la Turquie: par
exemple, les mémoires des survivants arméniens; des rapports
consulaires, militaires et missionnaires d'Américains, d'Allemands, d'Austro-Hongrois
et de ressortissants d'autres nationalités qui se trouvaient dans
l'Empire ottoman, ainsi que des rapports de compagnies telles que la
compagnie des chemins de fer de Bagdad, tous nous fournissant un tableau
plus général de la destruction systématique des Arméniens en 1915
(32).
Peut-être ai-je eu de la chance d'avoir travaillé aux Archives du Grand
Vizirat sur les Arméniens ottomans. Mais dès le début, cette
administration a cherché à m'impressionner par la possibilité qu'elle
avait de tronquer mon travail en gardant l'oeil sur moi et en répondant
à mes demandes de façon sélective (33). Je crois que son but était de me
faire changer ma stratégie de recherches. Mes collègues m'ont assuré que
cette attitude n'était pas inhabituelle. Une fois qu'il devint clair que
je ne céderais pas, c'est-à-dire quand je quittai la Turquie et
commençai à faire part de mes expériences sans me soucier des
conséquences possibles, je fus autorisé à retourner aux Archives, bien
que l'on me refusât toujours l'accès aux autres collections. En tout
cas, de retour à Istanbul, je commençai à travailler sur le génocide
arménien. En fait, je fus autorisé à continuer dans ce domaine jusqu'à
ce que mon collègue Hilmar Kaiser et moi, nous commençâmes à nous
pencher sur les citations d'auteurs nationalistes turcs qui citaient des
collections d'archives fermées (par exemple Şinasi Orel). C'est alors
que les autorités augmentèrent la pression qu'elles exerçaient sur nous.
De fait, je fus attaqué dans la cour des archives à Istanbul par un
policier, à la suite de quoi le directeur, Necati Gültepe, m'accusa
d'avoir provoqué un incident et menaça de m'expulser des archives au cas
où, selon ses propres termes, je me rendrais coupable d'une autre
infraction. Je pris cela comme un ultimatum visant à me limiter dans mes
recherches si je ne voulais pas me voir interdire l'accès des
archives (34). Le lendemain, on nous soumit à une fouille et au détecteur
de métaux avant de nous laisser entrer. Le message était clair. Ma
réaction fut de quitter la Turquie, et je n'y suis pas retourné depuis.
Hilmar Kaiser, qui est parti au même moment, y est retourné peu de temps
après, pour en être expulsé immédiatement « pour raisons disciplinaires
». Puisque le sujet de notre recherche était considéré comme trop
délicat et puisque nous n'avions pas réagi aux diverses formes de
pression, ils étaient obligés de nous écarter. Le « débat des archives
ottomanes » des années 1980 était un exercice politique et non pas
académique. La question des archives turques et des documents d'Etat
ottomans concernant les Arméniens demeure un sujet hautement explosif
puisque la priorité du gouvernement d'Ankara continue, tant en Turquie
qu'à l'étranger, d'être la négation active du génocide arménien.
*
Doctorant (Ph.D. Candidate) en histoire à l'Université du Michigan, Ann
Arbor, « The contested Millet: Armenians in the late Ottoman Empire».
Directeur du Gomidas Institute, à Ann Arbor, co éditeur de Armenian
forum: A Journal of Contemporary Affairs. A publié (éditeur
scientifique) : United States Officiai Documents on the Armenian
Genocide, Volumes 1-111 (1993-1995), les mémoires de Henry H. Riggs,
Days of Tragedy in Armenia: Personal Experiences in Harput 1915-1917
(Ann Arbor, Gomidas Institute, 1997), de James L. Barton, Turkish
Atrocities : Statements of American Missionaries on the destruction of
Christian Communities in Ottoman Turke~ 1915-1917 (Ann Arbor, Gomidas
Institute, 1998).
1) Cette question a été abordée publiquement pour la première fois aux
Etats-Unis le 19 mai 1985 par des textes publicitaires publiés dans la
presse à propos de la signature par 69 universitaires en faveur de la
reconnaissance du génocide au prétexte qu'ils n'étaient pas des
spécialistes des questions concernant les Arméniens ottomans. Ces
publicités annonçaient l'ouverture imminente des archives ottomanes en
Turquie ce qui devait clore de façon scientifique le problème du
génocide arménien. Le Premier ministre Turgut Özal promit même de mettre
ces collections d'archives sur microfilms afin que l'on puisse les
consulter dans les services d'archives occidentaux. Dans une lettre
datée du 29 septembre 1989, l'ambassadeur turc aux Etats-Unis, Nüzhet
Kandemir, confirma que "le gouvernement turc a récemment annoncé sa
décision d'ouvrir les archives ottomanes aux recherches universitaires
sur les Arméniens... Nous pensons que l'ouverture des archives ottomanes
permettra aux historiens de parvenir à leurs propres conclusions en ce
qui concerne la controverse sur les événements qui se sont déroulés en
Anatolie orientale au cours des dernières décennies de l'Empire ottoman"
in Turkish Review Quarterly Digest, Ankara, Direction générale de la
presse et de l'information, hiver 1989, p. 119. Pour une étude critique
de l'engagement du gouvernement turc dans le processus universitaire
américain, voir Speros Vryonis, Jr., The Turkish State and History: Clio
Meets the Grey Wolf, Thessalonike, Institut des Etudes balkaniques,
1991. Voir également Vahakn Dadrian, "Ottoman Archives and Denial of the
Armenian Genocide", The Armenian Genocide : History; Politics, Ethics,
Richard Hovannisian (ss. la dir. de), New York, St. Martin's Press,
1992, pp. 280-310.
2) Gazette officielle, 18 septembre 1989, n° 20286, décision n°89/14269,
"Regulations Governing Individuals and Institutions of Turkish and
Foreign Citizenship Wishing to Conduct research in the State Archives of
the Turkish Republic". Concernant ces nouvelles réglementations, voir
Alan W. Fisher, "Research Access in Turkey," Turkish StudiesAssociation
Bulletin, Vol. 14, n° 2, septembre 1990, pp. 139-160.
3) Dans l'une des nombreuses déclarations faites sur ce sujet, le
Premier ministre Turgut Özal affirmait : « Je suis certain que vous
serez d'accord pour penser que l'étude de tels événements du passé
[c.à.d. le traitement des Arméniens en 1915] devrait être réservée aux
historiens. Lorsque je suis arrivé au pouvoir; les archives ottomanes
étaient fermées au public. La propagande arménienne avait coutume
d'exploiter ce fait contre nous. Comme vous le savez, c'est mon
gouvernement qui a ouvert les archives à la recherche universitaire.
Cela devrait également faciliter une présentation objective et factuelle
des événements en question. Il n’y a jamais eu de notre part d'intention
de déformer la vérité. A présent, c'est aux spécialistes de faire toute
la lumière sur les faits. Le gouvernement turc ne peut que l'accueillir
très volontiers ». Turgut Özal au président Bush, lettre en date du 9
novembre 1989, in Turkish Review Quarterly Digest, Ankara, Direction
générale de la presse et de l'information, hiver 1989, p. 143
4) Ils utilisèrent pour
cela des organisations telles que la Société historique turque, la
Direction générale des Archives du Premier ministre, la Direction
générale de la presse et de l'information du Premier ministre (Ankara),
le Service de presse de l'état-major de l'armée turque, l'Institut de
Politique étrangère (Ankara), la Chambre de Commerce d'Ankara, le
Journal du TBMM, de nombreux organes de presse universitaires, journaux,
organisations bénévoles et privées, etc.
5) Şinasi Orel et Süreyya Yuca, The Talaat Pasha Telegrams : Historical
Fact or Armenian Fiction ? K. Rustem & Brother, 1986.
6) Voir "Ermeni İddialarının Belgesel Dayanakları", in XI Türk Tarih
Kongresi, Ankara, 5-9 Eylül 1990: Kongreye Sunulan Bildirler, vol. 5,
Ankara, Türk Tarih Kurumu Basimevi, 1994, pp. 19511969.
7) Ibid.
8) Orel affirme que «des missions et des organisations caritatives
allemandes, américaines, autrichiennes et suisses étaient présentes dans
presque toutes les parties de l'Anatolie pendant toute cette période
[1915-1916]. De plus, ces groupes eurent même l'autorisation d'aider et
de secourir les Arméniens déplacés. Etant donné l'extension de ces
organisations missionnaires en Anatolie, ce facteur seul aurait été
suffisant pour assurer que la nouvelle de tout mauvais traitement
infligé aux Arméniens soit immédiatement divulguée dans le monde». Orel
et Yuca, The Talaat Pasha Telegrams, op. cit. p. 121.
9) «Les schémas selon lesquels les propagandistes arméniens opèrent sont
bien établis: tout est permis, y compris la fabrication de faux
documents, du moment que cela sert l'objectif de la «cause arménienne».
Malheureusement, c'est aussi vrai en 1980 que cela l'était en 1920. A
présent, les milieux arméniens s'occupent activement de réécrire
l'histoire afin de la rendre conforme à leurs propres rêves, aspirations
et désirs. Dans le cadre de cette tentative, ils ne voient rien de mal à
essayer de s'approprier la culture, l'art, les traditions et les modes
de vie d'autres nations, en particulier des Turcs». Orel et Yuca. The
Talat Pasha Telegrams, op. cit. p. 146.
10) Ibid.
11) Ismet Binark (directeur de projet), 1906-1918, Armenian Violence and
Massacre in the Caucasus and Anatolia Based on Archives, Ankara, T.C.
Başbakanllk Devlet Arşivleri Genel Müdürlüğü Osmanlı Arşivi Daire
Başkanlığı, Yayın n° 23, 1995, p. L.
12) Ismet Binark, 1906-1918, Armenian Violence, pp. LlI-LIII. Binark a
quelque peu étiré la chronologie de cette étude. La publication se
compose de 26 rapports sur les atrocités prétendument commises par les
Arméniens. L'un d'eux date de 1906 (à la suite des affrontements
arméno-tatars cette année-Ià), un autre est daté du 6 mars 1915
(concernant Kars et Ardahan), et les autres sont postérieurs à mai 1916.
Il convient de noter l'absence de documents datant de la période
intermédiaire dans les principales provinces habitées par les Arméniens.
13) A. Mesut Yılmaz, "Information Fund and Its Activities", TBMM
Journal, Ankara, octobre 1986, pp. 30-31
14) Ibid.
15) “Ottoman Archives Open to Public” New spot, Turkish Digest, Ankara,
18 mai 1989.
16) On aurait pu penser que plusieurs collections d'archives seraient
mises à disposition par les services d'archives turques, par exemple le
télégramme chiffré ou les fichiers politiques du ministère de
l'Intérieur.
17) Mon collègue Hilmar Kaiser s'est déjà vu interdire d'accès aux
Archives nationales ottomanes à Istanbul. Je suis parti avant son
expulsion, car une rupture définitive était fomentée contre moi par le
directeur en juillet 1995. Pour des renseignements sur mes séjours
précédents, voir "The Issue of Access to Ottoman Archives", Zeitschrift
für Türkeistudien, n° 1, 1993, pp. 93-99 ; "The Issue of access to
Ottoman Archives Revisited", Zeischrift für Türkeistudien ; n° 2, 1995,
pp. 290-293.
18) Par exemple, il y a encore des collections fermées. Bien souvent,
les citations utilisées par les auteurs de parti pris ne peuvent être
examinées par d'autres chercheurs. La collection de télégrammes chiffrés
concernant les Arméniens ottomans, dont il sera question plus loin dans
cet article, a été citée par des historiens partisans au début des
années 1980, alors que ces documents ne furent officiellement
disponibles qu'en 1993. Le travail de Kemal Karpat sur la démographie
ottomane s'appuyait sur une collection de ce genre (c'est-à-dire la
collection « Yıldız Perakende »). A ma connaissance, aucun historien
n'ayant bénéficié d'un tel traitement de faveur n'a reconnu par écrit
cet état de fait. On pourrait établir une comparaison intéressante entre
le catalogue officiel des archives des services du Premier ministre et
les citations des auteurs nationalistes turcs au cours des années.
19) Les citations étaient
de Justin McCarthy, Muslims and Minorities : The Population of Anatolia
and the End of Empire, NYU Press, 1983.
20) Kemal Karpat, Ottoman Population, 1830-1914 : Demographic and Social
Characteristics, University of Wisconsin Press, 1985.
21) Ce rapport a été publié par la suite dans une petite revue
germano-turque, Zeitschrift fur Türkeistudien. Voir Sarafian, "The Issue
of Access. Revisited", Zeitschrift fur Türkeistudien.
22) Le rapport officiel ne prenait pas en considération la teneur de mon
rapport, et l'ambassade ne jugea pas utile de se livrer à des recherches
plus approfondies.
23) J'adressai mes demandes à l'ambassade de Turquie à Washington D.C.,
pour obtenir un nouveau visa de recherche le 11 décembre 1992, le 21
février 1993, le 5 mars 1993, le 13 septembre 1993. Je souhaitais
travailler aux Archives du Grand Vizirat (à Istanbul), aux Archives de
l'Université d'Istanbul, aux Archives du Musée archéologique d'Istanbul,
à la Bibliothèque Bayazit (à Istanbul), et aux Archives de l'Etat-major
(à Ankara).
24) Cette collection fut brièvement ouverte en 1992, lorsque j'étais aux BBA, mais fut fermée peu de temps après, et ce jusqu'à mon départ.
25) Lorsque je travaillais sur ces télégrammes codés, on souleva la
question des registres originaux dans lesquels avaient été notées les
communications télégraphiques avec les provinces. Depuis que Şinasi Orel
avait inclus dans son travail des fac-similés de quelques pages tirées
de ces registres, mon collègue Hilmar Kaiser et moi avons demandé à
examiner ces mêmes documents. Une comparaison nous aurait permis
d'affirmer la différence entre une série de télégrammes datés de
1915-1916 et ceux classifiés dans les archives turques d'aujourd'hui. On
nous répondit que les registres en question n'étaient pas disponibles.
26) Gürün, p. 204-214.
27) Gürün, op. cit. p. 214 ; Etat-major turc, Military History
Documents, n° 81, édition spéciale sur la Première Guerre mondiale,
décembre 1982, BilaI Simsir (ss la dir. de), Documents, Ankara,
Direction générale de la presse et de l'information du Premier ministre,
[sans date], doc. 41, p. 114-124 ; Azmi Süslü, Ermeniler ve 1915 Tehcir
Olayi, Van, Yüzüncü Yil üniversitesi Rektörlügü , p.123-132.
28) «Selon un rapport présenté par le ministère de l'Intérieur au Grand
Vizir le 7 décembre 1916, environ 702 900 personnes avaient été
réinstallées ; en 1915, on avait dépensé pour cela 25 millions de kurush
; à la fin du mois d'octobre 1916, on avait dépensé 86 millions de
kurush, et à la fin de l'année, on en aurait dépensé 150 millions de
plus». Gürün, op. cit. p. 214.
29) Ces réfugiés musulmans étaient installés au centre-ouest de l'Asie
Mineure, dans des régions dont certaines avaient été débarrassées de
leur population autochtone arménienne.
30) De fait, il existe un grand nombre de rapports qui relatent
l'arrivée à Deïr es-Zor en 1915 d'un petit groupe de déportés et il
n'est pas question de ce qui leur arrive en fin de compte. Pour une
étude sur le sort de ces Arméniens, voir Raymond Kévorkian,
"L'extermination des déportés arméniens ottomans dans les camps de
concentration de Syrie-Mésopotamie (1915-1916)", Revue d'histoire
arménienne contemporaine (numéro spécial), n° Il, Paris 1998.
31) Hilmar Kaiser et moi avons tous deux travaillé sur ce contexte
général du génocide. Nous espérons publier les résultats de nos travaux
dans un proche avenir.
32) Voir par exemple Hilmar Kaiser, "The Baghdad Railway and the
Armenian Genocide, 1915-1916, Remembrance and Denial, Richard
Hovannisian, (ss la dir. de), Wayne University Press, 1998, pp. 67-112.
33) Je dois dire que le personnel de la salle de lecture était très
professionnel et ne m'a causé aucun souci. Les problèmes venaient des
coulisses et de bien plus haut.
34) Je m'abstiens d'exposer les détails de cette période, le sujet étant
susceptible d'entraîner des poursuites judiciaires.
Source : CDCA, Actualité du génocide des Arméniens,
préface de Jack Lang, Paris, Edipol, 1999.
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