par Israel Charny et Yaïr
Auron
30 Avril 2015
Dans aucune situation politique ou économique,
nous, Israéliens ou Juifs dans le monde, ne
pourrions accepter qu’une nation nie
l’Holocauste ou l’étendue des massacres ou des
tortures subis. Nous serions choqués, insultés,
horrifiés. Nous ressentirions sa négation comme
une sorte de justification, peut-être même comme
une répétition de l’humiliation que notre peuple
a subie par l’Holocauste.
Le peuple Arménien n’est pas différent. Les
Arméniens sont blessés, insultés et horrifiés
par la minimisation que notre État d’Israël fait
du Génocide des Arméniens.
Pendant de nombreuses années, ils tournaient
leur regard vers Israël avec beaucoup de respect
et de compassion pour un peuple qui, comme eux,
a subi un génocide massif. Ils nous admirent
énormément pour notre capacité étonnante à
reconstruire notre nation, pleine de vie et
florissante. De leur côté, ils entreprennent le
chemin de la reconstruction.
À présent, bien que beaucoup d’Arméniens
continuent à admirer beaucoup Israël - les
auteurs de cet article ont été honorés tous les
deux de la Médaille d’Or du Président pour leur
contribution à la mémoire et à la reconnaissance
du Génocide des Arméniens - une certaine haine
contre Israël se développe. Comment le peuple de
l’Holocauste peut-il faillir à la reconnaissance
pure et simple du Génocide des Arméniens (auquel
on en réfère, quelquefois, comme à l’
“Holocauste Arménien“, en particulier en hébreu,
ainsi que le mentionnent l’article d’un
historien dans le magazine de l’Université Bar
Ilan et d’autres articles de presse) ?
Israël a obtenu ses “excuses“. Mais
accepterions-nous ces excuses d’un gouvernement
qui nie que l’Holocauste était un génocide ?
De plus, nous, le peuple fier auquel on ne peut
faire subir d’humiliation comme à des agneaux,
rechercherions des moyens de nous y opposer
durement et résolument.
L’histoire de notre négation du Génocide des
Arméniens donne de nous l’image d’un peuple
manipulateur, soucieux de lui seul, et indigne.
À juste titre. Cela fait de nous des lâches qui
pour protéger notre relation perdue avec la
Turquie et celle, à présent de plus en plus
proche, avec l’Azerbaïdjan - un état musulman
turcophone - a sacrifié principes fondamentaux
et intégrité. Est-ce là l’Israël en lequel nous
croyons nous-mêmes - est-ce l’Israël que nous
voulons ?
Lorsque la Commission de l’éducation de la
Knesset s’est réunie en juin 2012 pour envisager
le vote unanime d’une résolution à la Knesset
tendant à reconnaître le Génocide des Arméniens,
presque tous les orateurs - y compris le
président de la Knesset à l’époque, Reuven
Rivlin - étaient fermement et chaleureusement
partisan de la reconnaissance. Deux partis y
étaient opposés. L’un était l’intervenant pour
la communauté juive d’Azerbaïdjan et l’autre, le
porte-parole du ministère des affaires
étrangères. Vous rappelez-vous que le
Département d’état américain était à la tête de
l’opposition aux secours pour les Juifs de
l’Holocauste et plus tard à la reconnaissance du
nouvel état d’Israël ? L’atmosphère au sein de
la Commission de l’éducation état largement en
faveur de la reconnaissance du Génocide des
Arméniens, avant que le président de la
commission, un représentant du parti Yisrael
Beitenu d’Avigdor Lieberman, ne se lève, abatte
le marteau, et annonce : “ La séance est
ajournée. J’organiserai un vote une prochaine
fois“. Cela ne surprend gère, il n’a jamais
organisé de vote.
Pendant de nombreuses années, le gouvernement
d’Israël n’a même pas fait mention du Génocide
des Arméniens. Le frère de l’un des auteurs de
cet article, le poète aujourd’hui disparu T.
Carmi (Charny), était responsable d’édition dans
les années 1960 du journal Ariel, magazine
respecté du Ministère des affaires étrangères,
dont des milliers d’exemplaires étaient publiés
en diverses langues, sur un papier glacé, ce qui
était plutôt rare pour l’époque. Dans un article
parfaitement innocent sur le quartier arménien
de Jérusalem, figurait une référence incidente
sur les survivants du Génocide des Arméniens qui
avaient trouvé refuge dans Jérusalem - ces mêmes
réfugiés à qui notre président actuel, Rivlin,
s’était référé avec une profonde émotion au
cours de son intervention cette année aux
Nations Unies, le Jour International de
l’Holocauste. Après que toutes les copies du
magazine eurent été imprimées et reliées, cette
terrible entorse, la référence claire au
Génocide des Arméniens, conduisit le Ministère
des affaires étrangères à ordonner la saisie de
tous les exemplaires du numéro afin que la page
infâme puisse être retirée. Pendant de
nombreuses années, le gouvernement israélien a
littéralement interdit toute mention du Génocide
des Arméniens dans nos médias (avant que Yaakov
Ahimer, homme de principes, fasse le premier pas
en 1994). À cette époque, aussi, en une
occasion, l’autorité israélienne de la
radiodiffusion se réunit pour une discussion
approfondie sur la programmation d’un
documentaire sur le Génocide des Arméniens ;
elle vota pour l’émission à une forte majorité,
mais le jour suivant, le premier ministre de
l’époque, Yitzak Shamir utilisa son véto pour en
annuler la diffusion. (Notre Institut pour
l’Holocauste et le Génocide à Jérusalem projeta
le film dans l’auditorium de la cinémathèque
avec la participation du maire légendaire Teddy
Kollek, de la femme du militant de la liberté
russe Andrei Sakharov [Elena Bonner], du
Patriarche Arménien et d’autres personnalités).
Notre Israël chéri a été honteusement lâche,
opposé à toute règle éthique, et bassement
servile (y compris par les affaires faites par
la livraison d’armes très contestable).
Sommes-nous à présent prêts à retrouver un peu
de notre honneur perdu et exprimer notre pleine
solidarité avec les victimes du plus important
génocide qui a précédé le nôtre, et qui est
connu pour avoir contribué en grande partie à
l’exécution de l’Holocauste qui l’a suivi ?
par Israel Charny et Yaïr Auron
Les Professeurs Israel Charny et Yaïr Auron
ont été invités par le Gouvernement arménien
pour parler à la Cérémonie du Centenaire du
Génocide des Arméniens à Érévan, en avril 2015.
Ils sont tous deux dirigeants de l’Institut de
l’Holocauste et du Génocide à Jérusalem, et
Auron a créé le programme universitaire
exceptionnel sur le génocide, probablement le
seul, en Israël, à l’Université Libre.
Journal HAARETZ
http://www.haaretz.com/opinion/.premium-1.654270
Traduction Gilbert BEGUIAN
Pour Armenews et Imprescriptile |