Aubrey Herbert, un diplomate
britannique, aventurier, agent du
renseignement et membre du
Parlement, avait eu avec Talaat
Pacha une interview exceptionnelle,
en février 1921, quelques jours
seulement avant son assassinat à
Berlin par Soghomon Tehlirian. Comme
Grand Vizir, dépositaire de tous les
pouvoirs de l’Empire Ottoman,
despote absolu et maître d’œuvre du
Génocide des Arméniens, Talaat
s’était enfui de Turquie en novembre
1918 pour se soustraire aux
poursuites du nouveau régime en
place.
Cette interview en 23 pages
de Talaat avait été publiée en 1924
à Londres puis à New York en 1925
dans les mémoires d’Herbert, titrées
“ Ben Kendim : A Record of Eastern
Travel [Compte-Rendu de Voyage en
Orient] “.
Une première fois, Herbert avait
rencontré Talaat en 1908 à
Constantinople (Istanbul) où il
était détaché à l’Ambassade de
Grande Bretagne. Onze ans plus tard,
Herbert avait reçu de Talaat une
lettre inattendue lui demandant de
se rencontrer en “ pays neutre quel
qu’il soit “. Tentant coûte que
coûte de se réhabiliter en changeant
son image diabolique en Occident,
Talaat prétendait “ ne pas être
responsable des massacres des
Arméniens, qu’il était en mesure de
le prouver, et qu’il voulait
absolument le faire“. Herbert avait
décliné cette proposition ; il lui
écrivit “ être très heureux
d’apprendre qu’il ne soit pas le
responsable des massacres des
Arméniens, mais qu’il ne voyait
aucune utilité à le rencontrer à ce
moment là “.
Herbert dut toutefois revenir sur sa
décision en février 1921, Sir Basil
Thomson, le directeur du
renseignement britannique, lui ayant
donné l’ordre d’embarquer
immédiatement pour l’Allemagne pour
rencontrer Talaat. Le rendez-vous
secret fut pris pour le 26 février
dans la petite ville allemande de
Hamm.
Talaat dit une nouvelle fois qu’il “
était lui-même contre la tentative
d’extermination des Arméniens “. De
façon encore plus incroyable, Talaat
prétendit que “ par deux fois, il
avait protesté contre cette
politique, mais qu’il y avait été
forcé de l’appliquer, disait-il, par
les Allemands “.
Oubliant ses propres protestations
d’innocence vis à vis des massacres,
Talaat justifia en même temps ces
massacres par la faute commise par
les Arméniens, poignardant dans le
dos son pays en guerre. Se
contredisant une nouvelle fois,
Talaat déclara avoir soutenu les
Arméniens prétendant qu’ “ il était
en faveur de l’octroi aux minorités
d’une autonomie la plus large
possible, et qu’il aurait été
heureux d’étudier toute proposition
qui lui serait faite “.
Talaat poursuivit en évoquant la
responsabilité de la Grande Bretagne
dans les assassinats des Arméniens :
“ Vous autres les Anglais, ne pouvez
vous affranchir de cette
responsabilité dans ces événements.
Les Jeunes Turcs vous ont
pratiquement offert la Turquie, mais
vous nous avez rejetés. L’une des
conséquences, sans aucun doute, a
été la fin des minorités
chrétiennes, que votre Premier
ministre s’est obstiné à traiter
comme vos alliés. Si les Grecs et
les Arméniens sont vos alliés alors
que nous sommes en guerre contre
vous, vous avez tort de croire que
le Gouvernement turc les traitera en
amis “.
Herbert et Talaat décidèrent alors
d’aller à Dusseldorf, en Allemagne,
où ils poursuivirent pendant deux
jours leur conversation discrète ;
Herbert rend compte des tentatives
paradoxales que Talaat avait faites
pour dissimuler son rôle dans le
Génocide des Arméniens, tout en
justifiant son crime haineux. Talaat
déclara avoir “ écrit un mémorandum
sur les massacres des Arméniens,
qu’il tenait à ce que les hommes
d’état britanniques en prennent
connaissance. Au tout début de la
guerre, en 1915, les Arméniens
avaient organisé une armée, et
avaient attaqué les Turcs, qui
combattaient alors les Russes. Les
députés arméniens y avaient pris une
part active ; les massacres allégués
de Musulmans s’étaient produits,
avec leur cortège d’atrocités sur
des femmes et des enfants. Il
s’était par deux fois opposé aux
déportations, et il a été l’auteur
d’une réquisition qui avait résulté
en l’exécution d’un certain nombre
de Kurdes et de Turcs coupables.
Ironiquement, Talaat dit sans
broncher à Herbert qu’il n’avait pas
peur d’être assassiné. “ Il dit n’y
avoir jamais pensé. Pourquoi
quelqu’un ne l’aimerait-il pas ? Je
dis que les Arméniens pourraient
très bien désirer se venger, après
tout ce qui avait pu être lu dans
les journaux sur sa personne. Il
balaya tout cela d’un geste de la
main “. Deux semaines plus tard,
Talaat fut assassiné à Berlin !
Concluant son interview de Talaat,
Herbert observait ; “ il est mort
haï, certainement exécré, comme peu
de gens de sa génération l’ont été.
Il se peut qu’il ait été tel qu’il
s’est décrit-je ne peux le dire. Je
sais qu’il avait une rare force
d’attraction. Je ne sais pas s’il a
été ou non responsable du massacre
des Arméniens “.
Seuls des experts sur cette époque
peuvent vérifier l’authenticité et
la véracité de cette interview. Si
elle est vraie, quels étaient alors
exactement les buts de Talaat
lorsqu’il proposa “ une alliance
anglo-turque “ et, et pourquoi le
gouvernement britannique tenait-il à
ce point à lui parler ? “.
Par Harut Sassounian
Éditeur, The California Courier
www.TheCaliforniaCourier.com
Traduction : Gilbert Béguian
pour Armenews et IMPRESCRIPTIBLE
|