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Arrêtez de discuter du nombre des victimes, de
nier ou de tenter de remplacer la souffrance par des
statistiques.
Personne ne nie que les Arméniens ont été tués, n’est-ce pas ?
Ils furent peut-être 300 000, ou 500 000, ou 1 million et demi. |
J’ignore quel chiffre est le vrai, ou même si quelqu’un connaît
le chiffre réel avec précision.
Ce que je sais, c’est que derrière ces chiffres il y a la mort
et la souffrance.
Je suis aussi conscient de la manière avec laquelle nous
oublions que nous parlons d’êtres humains, quand nous débattons
avec passion de ces chiffres.
Ces chiffres ne peuvent décrire tous ces enfants, ces femmes,
ces vieillards, ces jeunes garçons et ces jeunes filles qui
furent assassinés.
Laissons de côté les chiffres et écoutons le récit d’un seul de
ces crimes. Je suis sûr que même ceux d’entre nous qui enragent
d’entendre les mots de « génocide arménien » éprouveront de la
douleur, en auront les larmes aux yeux.
Car ils réaliseront alors que nous parlons d’êtres humains.
Quand nous entendons parler d’un enfant arraché des mains de sa
mère et jeté sur des rochers, ou d’un jeune abattu près d’une
colline, ou d’une vieille femme dont on étrangle le cou fragile,
même le plus endurci d’entre nous aura honte de dire : « Oui,
mais ces gens ont tué des Turcs. »
La plupart de ces gens n’ont tué personne.
Ces gens ont été les victimes innocentes d’un gouvernement
devenu fou, animé par le crime, impitoyable mais aussi
totalement incompétent pour gouverner.
Cette folie sanglante fut une barbarie, et non quelque chose
dont nous puissions être fiers ou que nous puissions partager.
Ce fut un carnage dont nous devrions avoir honte et, autant que
possible, éprouver de la compassion et en partager la douleur.
Je sais ce que le mot « génocide » a d’accablant, vu
l’insistance implacable de l’argument des Arméniens
«Reconnaissez le génocide ! » et du contre argument des Turcs «
Non, ce n’était pas un génocide ! », alors que ces mêmes Turcs
reconnaissent la mort de centaines de milliers d’Arméniens.
Pourtant, ce mot n’est pas si important à mes yeux, même s’il a
une signification en politique et en diplomatie.
Ce qui est plus
important pour moi c’est le fait que de nombreux innocents aient
été tués de manière aussi barbare.
Quand je vois l’ombre que jettent ces événements sanglants sur
le monde actuel, je vois une injustice plus grande encore faite
aux Arméniens.
Aujourd’hui, notre crime va jusqu’à interdire aux Arméniens
vivants de pleurer leurs proches et leurs parents sauvagement
assassinés.
Quel Arménien vivant en Turquie peut aujourd’hui ouvertement
pleurer et commémorer le souvenir d’une grand-mère, d’un
grand-père ou d’un oncle assassiné ?
Je n’ai rien en commun avec ce péché horrible commis jadis par
les Ittihadistes, mais le péché d’interdire que l’on pleure ses
morts, nous le partageons tous aujourd’hui.
Voulez-vous réellement commettre ce péché ?
Y a-t-il quelqu’un parmi nous qui n’ait les larmes aux yeux à la
pensée d’une famille attaquée chez elle en pleine nuit, ou d’une
petite fille laissée toute seule dans le désert lors de ce
cauchemar appelé « déportation », ou d’un grand-père à la barbe
blanche abattu ?
Que vous appeliez ou non cela un génocide, des centaines de
milliers d’êtres humains ont été assassinés ; Des centaines de
milliers de vies ont été anéanties.
Le fait que quelques bandes d’Arméniens aient tué quelques Turcs
ne peut servir d’excuse pour masquer cette vérité que des
centaines de milliers d’Arméniens furent assassinés.
Tout être humain doué de conscience est capable d’éprouver de la
peine pour les Arméniens, tout comme les Turcs, tout comme les
Kurdes.
Nous devrions tous en être capables.
Des enfants sont morts ; des femmes et des vieillards sont
morts.
Ils sont morts dans la douleur, les tortures, la terreur.
Leur religion ou leur race importent-elles vraiment ?
Même en ces temps horribles il y eut des Turcs qui ont risqué
leur vie pour tenter de sauver des enfants arméniens.
Nous sommes les enfants de ces sauveteurs, comme nous le sommes
des assassins.
Au lieu de justifier et de plaider au nom des assassins,
pourquoi ne rendons-nous pas hommage et ne défendons-nous pas la
compassion, l’honnêteté et le courage de ceux qui sauvèrent des
vies ?
Aujourd’hui, il ne reste plus de victimes à sauver, mais il est
une peine, une douleur que nous devons partager et porter.
A quoi sert toute cette danse sanglante, belliqueuse, autour
d’une douleur aussi profonde ?
Oubliez les chiffres, oubliez les Arméniens, oubliez les Turcs !
Pensez simplement à ces enfants, à ces adolescents et à ces
vieillards au cou brisé, éventrés, au corps mutilé.
Pensez à tous ces gens, un par un.
Si vous n’êtes pas ému en entendant un enfant gémir auprès de sa
mère assassinée, alors je n’ai rien à vous dire.
Ajoutez même mon nom sur la liste des « traîtres » !
Car moi, je suis prêt à partager la peine et la douleur des
Arméniens.
[Texte original
traduit du turc en anglais par l’Institut Zoryan.]
Réédité à l’occasion du premier anniversaire de l’assassinat de
Hrant Dink.
(traduction Georges Festa)
La condamnation à la
prison à vie prononcée en février par la justice turque à
l'encontre du journaliste Ahmet Altan et de cinq de ses
collègues avait été confirmée le 2 Octobre 2018.
Libéré après trois ans de détention provisoire, puis à nouveau
arrêté, lire la déclaration de
Marie
Struthers, directrice d'Amnesty International pour l'Europe,
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